Le Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny invite Andy Sheppard Jazz Club Étoile de l’Hôtel Méridien.
Le saxophoniste, ancien membre du Gil Evans Orchestra tel qu’il tournait en Europe et dont l’un des premiers enregistrements figure sur le deuxième album de l’orchestre Lumière de Laurent Cugny, Eaux Fortes (“Écorce”, 1984), a répondu à l’appel du Gil Evans Paris Workshop du même Laurent Cugny.
Jazz Club Étoile, Hôtel Méridien Porte Maillot, Paris (75), le 10 novembre 2016.
Gil Evans Paris Workshop : Laurent Cugny (piano, direction, arrangement), Malo Mazurié (1er trompette), Olivier Laisney, Brice Moscardini, Arno de Cazanove (trompette), Bastien Ballaz, Leo Pellet (trombone), Fabien de Bellefontaine (tuba, flûte), Antoni-Tri Hoang (sax alto, co-direction), Adrien Sanchez (sax ténor), Martin Guerpin (saxes ténor et soprano), Jean-Philippe Scali (sax baryton), Marc-Antoine Perrio (guitare électrique), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie). Invités : Andy Sheppard (saxes ténor et soprano).
C’est étrange de se retrouver devant un orchestre dédié à la musique de Gil Evans au Méridien (on l’appelait ainsi avant que le jazz club de l’Hotel Méridien ne prenne le nom de Jazz Club Lionel Hampton puis de Jazz Club Étoile). J’ai certes moins fréquenté ce temple du big band swing, du blues et rhythm and blues que la rue des Lombards ou le New Morning mais, si je m’y suis jamais senti chez moi parmi ce public et devant sa carte des consommations, j’ai toujours aimé la proximité que ce soit avec le Claude Bolling Big Band qui en fut le résident historique, le Paris Swing Orchestra de Marc Richard, la Super Swing Machine de Gérard Badini ou le Duke Orchestra de Laurent Mignard. Parce que c’est dans cette proximité que s’apprécie au mieux un big band, d’autant plus lorsque l’on est placé au centre, à 3 mètres face aux pupitres comme le l’étais hier.
D’autant plus que Laurent Cugny privilégie la période acoustique de Gil Evans, d’ailleurs sans pour autant délaisser les enseignements qu’il y a à tirer de l’œuvre des années 70-80, les invitations fugaces de l’électricité étant confiée à l’iconoclaste guitare de Marc-Antoine Perrio qui ajoute à cette espèce de vibration de l’espace propre à certains climats de Gil Evans, notamment dans les introductions, et que Cugny sait restituer à merveille. Laurent Cugny ne s’est pas fait dans le métier une réputation de joyeux luron On le voit parfois laisser nonchalamment courir ses doigts sur quelques notes pourtant miraculeuses qu’il considère d’un air las, voire accablé, le coude gauche appuyé sur la menuiserie de l’instrument et, lorsqu’il dirige de la main, c’est avec cette espèce de battement flou qu’avait Gil Evans, et pourtant, il sait donner à ces partitions elles-mêmes souvent très floues, une fermeté à laquelle, dans la partie électrique de sa carrière, Evans sembla renoncer, laissant la bride sur le cou à des orchestres à géométrie variable au prix de longueurs que Laurent Cugny sut contourner lorsqu’il tourna en 1987 avec Gil Evans en invité de son orchestre Lumière. Il doit cette qualité à sa vision globale sur l’œuvre originale qui lui permet de naviguer librement d’une version à l’autre des chefs d’œuvre originaux jamais fixés, sinon par le disque, constamment sujet à modification, retrait ou amplification, en perpétuel chantier, et d’en tirer les meilleurs combinaisons.
À quoi s’ajoutent ses propres partitions – tel cet admirable arrangement sur Lilia de Milton Nascimento ou Krikor, hommage que, en historien du jazz en France, Cugny rend à ce vieil escroc de Grégoire, pionnier du big band français à la tête de ses Grégoriens –, partitions qui semblent tirées du même sac pour constituer un répertoire d’une cohérente magnificence. Couleurs, climats, ambiances, suspens, action, scénarios. En écoutant cet orchestre tellement proche, au contact de ces étoffes orchestrales que le Gil Evans Paris Workshop restitue “sous nos doigts”, cette musique à toucher, à palper, presque plus qu’à entendre, on se souvient de Laurent Cugny faisant des rapprochements entre les œuvres d’Evans et de Mark Rothko, de ses premières amours pour le cinéma et particulièrement, dans ce deuxième album cité plus haut (même s’il ne le revendique certainement pas parmi ses réussites), de cette dédicace faite à Wim Wenders sous le titre de son film L’Etat des choses.
Ce n’est certes pas dans ces termes que les musiciens font part de l’expérience qu’ils viennent de vivre en quittant la scène, mais ils partagent un même bonheur qui s’ajoute à leur talent. Car, voyez ces noms ci-dessus, mis à part l’élégant invité : vous n’en connaissez certes qu’une partie, mais sachez qu’ils sont tous du même acabit, choisis par Laurent Cugny pour restituer le meilleur de ces matières et ces flux evansiens et totalement dévoués à ce dessein. Ce matin, ils étaient en route pour Londres, raccompagnant Andy Sheppard au pays pour se produire ce soir au Rich Mix Centre dans le cadre l’EFG London Jazz Festival. Le 30 novembre, ils joueront au Festival international de Madrid, puis séjourneront les 1er et 2 décembre dans la capitale espagnole au Bogui Jazz Club. Qu’attend-on pour le programmer en France ? • Franck Bergerot
Photo: ©Christian Rose|Le saxophoniste, ancien membre du Gil Evans Orchestra tel qu’il tournait en Europe et dont l’un des premiers enregistrements figure sur le deuxième album de l’orchestre Lumière de Laurent Cugny, Eaux Fortes (“Écorce”, 1984), a répondu à l’appel du Gil Evans Paris Workshop du même Laurent Cugny.
Jazz Club Étoile, Hôtel Méridien Porte Maillot, Paris (75), le 10 novembre 2016.
Gil Evans Paris Workshop : Laurent Cugny (piano, direction, arrangement), Malo Mazurié (1er trompette), Olivier Laisney, Brice Moscardini, Arno de Cazanove (trompette), Bastien Ballaz, Leo Pellet (trombone), Fabien de Bellefontaine (tuba, flûte), Antoni-Tri Hoang (sax alto, co-direction), Adrien Sanchez (sax ténor), Martin Guerpin (saxes ténor et soprano), Jean-Philippe Scali (sax baryton), Marc-Antoine Perrio (guitare électrique), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie). Invités : Andy Sheppard (saxes ténor et soprano).
C’est étrange de se retrouver devant un orchestre dédié à la musique de Gil Evans au Méridien (on l’appelait ainsi avant que le jazz club de l’Hotel Méridien ne prenne le nom de Jazz Club Lionel Hampton puis de Jazz Club Étoile). J’ai certes moins fréquenté ce temple du big band swing, du blues et rhythm and blues que la rue des Lombards ou le New Morning mais, si je m’y suis jamais senti chez moi parmi ce public et devant sa carte des consommations, j’ai toujours aimé la proximité que ce soit avec le Claude Bolling Big Band qui en fut le résident historique, le Paris Swing Orchestra de Marc Richard, la Super Swing Machine de Gérard Badini ou le Duke Orchestra de Laurent Mignard. Parce que c’est dans cette proximité que s’apprécie au mieux un big band, d’autant plus lorsque l’on est placé au centre, à 3 mètres face aux pupitres comme le l’étais hier.
D’autant plus que Laurent Cugny privilégie la période acoustique de Gil Evans, d’ailleurs sans pour autant délaisser les enseignements qu’il y a à tirer de l’œuvre des années 70-80, les invitations fugaces de l’électricité étant confiée à l’iconoclaste guitare de Marc-Antoine Perrio qui ajoute à cette espèce de vibration de l’espace propre à certains climats de Gil Evans, notamment dans les introductions, et que Cugny sait restituer à merveille. Laurent Cugny ne s’est pas fait dans le métier une réputation de joyeux luron On le voit parfois laisser nonchalamment courir ses doigts sur quelques notes pourtant miraculeuses qu’il considère d’un air las, voire accablé, le coude gauche appuyé sur la menuiserie de l’instrument et, lorsqu’il dirige de la main, c’est avec cette espèce de battement flou qu’avait Gil Evans, et pourtant, il sait donner à ces partitions elles-mêmes souvent très floues, une fermeté à laquelle, dans la partie électrique de sa carrière, Evans sembla renoncer, laissant la bride sur le cou à des orchestres à géométrie variable au prix de longueurs que Laurent Cugny sut contourner lorsqu’il tourna en 1987 avec Gil Evans en invité de son orchestre Lumière. Il doit cette qualité à sa vision globale sur l’œuvre originale qui lui permet de naviguer librement d’une version à l’autre des chefs d’œuvre originaux jamais fixés, sinon par le disque, constamment sujet à modification, retrait ou amplification, en perpétuel chantier, et d’en tirer les meilleurs combinaisons.
À quoi s’ajoutent ses propres partitions – tel cet admirable arrangement sur Lilia de Milton Nascimento ou Krikor, hommage que, en historien du jazz en France, Cugny rend à ce vieil escroc de Grégoire, pionnier du big band français à la tête de ses Grégoriens –, partitions qui semblent tirées du même sac pour constituer un répertoire d’une cohérente magnificence. Couleurs, climats, ambiances, suspens, action, scénarios. En écoutant cet orchestre tellement proche, au contact de ces étoffes orchestrales que le Gil Evans Paris Workshop restitue “sous nos doigts”, cette musique à toucher, à palper, presque plus qu’à entendre, on se souvient de Laurent Cugny faisant des rapprochements entre les œuvres d’Evans et de Mark Rothko, de ses premières amours pour le cinéma et particulièrement, dans ce deuxième album cité plus haut (même s’il ne le revendique certainement pas parmi ses réussites), de cette dédicace faite à Wim Wenders sous le titre de son film L’Etat des choses.
Ce n’est certes pas dans ces termes que les musiciens font part de l’expérience qu’ils viennent de vivre en quittant la scène, mais ils partagent un même bonheur qui s’ajoute à leur talent. Car, voyez ces noms ci-dessus, mis à part l’élégant invité : vous n’en connaissez certes qu’une partie, mais sachez qu’ils sont tous du même acabit, choisis par Laurent Cugny pour restituer le meilleur de ces matières et ces flux evansiens et totalement dévoués à ce dessein. Ce matin, ils étaient en route pour Londres, raccompagnant Andy Sheppard au pays pour se produire ce soir au Rich Mix Centre dans le cadre l’EFG London Jazz Festival. Le 30 novembre, ils joueront au Festival international de Madrid, puis séjourneront les 1er et 2 décembre dans la capitale espagnole au Bogui Jazz Club. Qu’attend-on pour le programmer en France ? • Franck Bergerot
Photo: ©Christian Rose|Le saxophoniste, ancien membre du Gil Evans Orchestra tel qu’il tournait en Europe et dont l’un des premiers enregistrements figure sur le deuxième album de l’orchestre Lumière de Laurent Cugny, Eaux Fortes (“Écorce”, 1984), a répondu à l’appel du Gil Evans Paris Workshop du même Laurent Cugny.
Jazz Club Étoile, Hôtel Méridien Porte Maillot, Paris (75), le 10 novembre 2016.
Gil Evans Paris Workshop : Laurent Cugny (piano, direction, arrangement), Malo Mazurié (1er trompette), Olivier Laisney, Brice Moscardini, Arno de Cazanove (trompette), Bastien Ballaz, Leo Pellet (trombone), Fabien de Bellefontaine (tuba, flûte), Antoni-Tri Hoang (sax alto, co-direction), Adrien Sanchez (sax ténor), Martin Guerpin (saxes ténor et soprano), Jean-Philippe Scali (sax baryton), Marc-Antoine Perrio (guitare électrique), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie). Invités : Andy Sheppard (saxes ténor et soprano).
C’est étrange de se retrouver devant un orchestre dédié à la musique de Gil Evans au Méridien (on l’appelait ainsi avant que le jazz club de l’Hotel Méridien ne prenne le nom de Jazz Club Lionel Hampton puis de Jazz Club Étoile). J’ai certes moins fréquenté ce temple du big band swing, du blues et rhythm and blues que la rue des Lombards ou le New Morning mais, si je m’y suis jamais senti chez moi parmi ce public et devant sa carte des consommations, j’ai toujours aimé la proximité que ce soit avec le Claude Bolling Big Band qui en fut le résident historique, le Paris Swing Orchestra de Marc Richard, la Super Swing Machine de Gérard Badini ou le Duke Orchestra de Laurent Mignard. Parce que c’est dans cette proximité que s’apprécie au mieux un big band, d’autant plus lorsque l’on est placé au centre, à 3 mètres face aux pupitres comme le l’étais hier.
D’autant plus que Laurent Cugny privilégie la période acoustique de Gil Evans, d’ailleurs sans pour autant délaisser les enseignements qu’il y a à tirer de l’œuvre des années 70-80, les invitations fugaces de l’électricité étant confiée à l’iconoclaste guitare de Marc-Antoine Perrio qui ajoute à cette espèce de vibration de l’espace propre à certains climats de Gil Evans, notamment dans les introductions, et que Cugny sait restituer à merveille. Laurent Cugny ne s’est pas fait dans le métier une réputation de joyeux luron On le voit parfois laisser nonchalamment courir ses doigts sur quelques notes pourtant miraculeuses qu’il considère d’un air las, voire accablé, le coude gauche appuyé sur la menuiserie de l’instrument et, lorsqu’il dirige de la main, c’est avec cette espèce de battement flou qu’avait Gil Evans, et pourtant, il sait donner à ces partitions elles-mêmes souvent très floues, une fermeté à laquelle, dans la partie électrique de sa carrière, Evans sembla renoncer, laissant la bride sur le cou à des orchestres à géométrie variable au prix de longueurs que Laurent Cugny sut contourner lorsqu’il tourna en 1987 avec Gil Evans en invité de son orchestre Lumière. Il doit cette qualité à sa vision globale sur l’œuvre originale qui lui permet de naviguer librement d’une version à l’autre des chefs d’œuvre originaux jamais fixés, sinon par le disque, constamment sujet à modification, retrait ou amplification, en perpétuel chantier, et d’en tirer les meilleurs combinaisons.
À quoi s’ajoutent ses propres partitions – tel cet admirable arrangement sur Lilia de Milton Nascimento ou Krikor, hommage que, en historien du jazz en France, Cugny rend à ce vieil escroc de Grégoire, pionnier du big band français à la tête de ses Grégoriens –, partitions qui semblent tirées du même sac pour constituer un répertoire d’une cohérente magnificence. Couleurs, climats, ambiances, suspens, action, scénarios. En écoutant cet orchestre tellement proche, au contact de ces étoffes orchestrales que le Gil Evans Paris Workshop restitue “sous nos doigts”, cette musique à toucher, à palper, presque plus qu’à entendre, on se souvient de Laurent Cugny faisant des rapprochements entre les œuvres d’Evans et de Mark Rothko, de ses premières amours pour le cinéma et particulièrement, dans ce deuxième album cité plus haut (même s’il ne le revendique certainement pas parmi ses réussites), de cette dédicace faite à Wim Wenders sous le titre de son film L’Etat des choses.
Ce n’est certes pas dans ces termes que les musiciens font part de l’expérience qu’ils viennent de vivre en quittant la scène, mais ils partagent un même bonheur qui s’ajoute à leur talent. Car, voyez ces noms ci-dessus, mis à part l’élégant invité : vous n’en connaissez certes qu’une partie, mais sachez qu’ils sont tous du même acabit, choisis par Laurent Cugny pour restituer le meilleur de ces matières et ces flux evansiens et totalement dévoués à ce dessein. Ce matin, ils étaient en route pour Londres, raccompagnant Andy Sheppard au pays pour se produire ce soir au Rich Mix Centre dans le cadre l’EFG London Jazz Festival. Le 30 novembre, ils joueront au Festival international de Madrid, puis séjourneront les 1er et 2 décembre dans la capitale espagnole au Bogui Jazz Club. Qu’attend-on pour le programmer en France ? • Franck Bergerot
Photo: ©Christian Rose|Le saxophoniste, ancien membre du Gil Evans Orchestra tel qu’il tournait en Europe et dont l’un des premiers enregistrements figure sur le deuxième album de l’orchestre Lumière de Laurent Cugny, Eaux Fortes (“Écorce”, 1984), a répondu à l’appel du Gil Evans Paris Workshop du même Laurent Cugny.
Jazz Club Étoile, Hôtel Méridien Porte Maillot, Paris (75), le 10 novembre 2016.
Gil Evans Paris Workshop : Laurent Cugny (piano, direction, arrangement), Malo Mazurié (1er trompette), Olivier Laisney, Brice Moscardini, Arno de Cazanove (trompette), Bastien Ballaz, Leo Pellet (trombone), Fabien de Bellefontaine (tuba, flûte), Antoni-Tri Hoang (sax alto, co-direction), Adrien Sanchez (sax ténor), Martin Guerpin (saxes ténor et soprano), Jean-Philippe Scali (sax baryton), Marc-Antoine Perrio (guitare électrique), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie). Invités : Andy Sheppard (saxes ténor et soprano).
C’est étrange de se retrouver devant un orchestre dédié à la musique de Gil Evans au Méridien (on l’appelait ainsi avant que le jazz club de l’Hotel Méridien ne prenne le nom de Jazz Club Lionel Hampton puis de Jazz Club Étoile). J’ai certes moins fréquenté ce temple du big band swing, du blues et rhythm and blues que la rue des Lombards ou le New Morning mais, si je m’y suis jamais senti chez moi parmi ce public et devant sa carte des consommations, j’ai toujours aimé la proximité que ce soit avec le Claude Bolling Big Band qui en fut le résident historique, le Paris Swing Orchestra de Marc Richard, la Super Swing Machine de Gérard Badini ou le Duke Orchestra de Laurent Mignard. Parce que c’est dans cette proximité que s’apprécie au mieux un big band, d’autant plus lorsque l’on est placé au centre, à 3 mètres face aux pupitres comme le l’étais hier.
D’autant plus que Laurent Cugny privilégie la période acoustique de Gil Evans, d’ailleurs sans pour autant délaisser les enseignements qu’il y a à tirer de l’œuvre des années 70-80, les invitations fugaces de l’électricité étant confiée à l’iconoclaste guitare de Marc-Antoine Perrio qui ajoute à cette espèce de vibration de l’espace propre à certains climats de Gil Evans, notamment dans les introductions, et que Cugny sait restituer à merveille. Laurent Cugny ne s’est pas fait dans le métier une réputation de joyeux luron On le voit parfois laisser nonchalamment courir ses doigts sur quelques notes pourtant miraculeuses qu’il considère d’un air las, voire accablé, le coude gauche appuyé sur la menuiserie de l’instrument et, lorsqu’il dirige de la main, c’est avec cette espèce de battement flou qu’avait Gil Evans, et pourtant, il sait donner à ces partitions elles-mêmes souvent très floues, une fermeté à laquelle, dans la partie électrique de sa carrière, Evans sembla renoncer, laissant la bride sur le cou à des orchestres à géométrie variable au prix de longueurs que Laurent Cugny sut contourner lorsqu’il tourna en 1987 avec Gil Evans en invité de son orchestre Lumière. Il doit cette qualité à sa vision globale sur l’œuvre originale qui lui permet de naviguer librement d’une version à l’autre des chefs d’œuvre originaux jamais fixés, sinon par le disque, constamment sujet à modification, retrait ou amplification, en perpétuel chantier, et d’en tirer les meilleurs combinaisons.
À quoi s’ajoutent ses propres partitions – tel cet admirable arrangement sur Lilia de Milton Nascimento ou Krikor, hommage que, en historien du jazz en France, Cugny rend à ce vieil escroc de Grégoire, pionnier du big band français à la tête de ses Grégoriens –, partitions qui semblent tirées du même sac pour constituer un répertoire d’une cohérente magnificence. Couleurs, climats, ambiances, suspens, action, scénarios. En écoutant cet orchestre tellement proche, au contact de ces étoffes orchestrales que le Gil Evans Paris Workshop restitue “sous nos doigts”, cette musique à toucher, à palper, presque plus qu’à entendre, on se souvient de Laurent Cugny faisant des rapprochements entre les œuvres d’Evans et de Mark Rothko, de ses premières amours pour le cinéma et particulièrement, dans ce deuxième album cité plus haut (même s’il ne le revendique certainement pas parmi ses réussites), de cette dédicace faite à Wim Wenders sous le titre de son film L’Etat des choses.
Ce n’est certes pas dans ces termes que les musiciens font part de l’expérience qu’ils viennent de vivre en quittant la scène, mais ils partagent un même bonheur qui s’ajoute à leur talent. Car, voyez ces noms ci-dessus, mis à part l’élégant invité : vous n’en connaissez certes qu’une partie, mais sachez qu’ils sont tous du même acabit, choisis par Laurent Cugny pour restituer le meilleur de ces matières et ces flux evansiens et totalement dévoués à ce dessein. Ce matin, ils étaient en route pour Londres, raccompagnant Andy Sheppard au pays pour se produire ce soir au Rich Mix Centre dans le cadre l’EFG London Jazz Festival. Le 30 novembre, ils joueront au Festival international de Madrid, puis séjourneront les 1er et 2 décembre dans la capitale espagnole au Bogui Jazz Club. Qu’attend-on pour le programmer en France ? • Franck Bergerot
Photo: ©Christian Rose