Maxime Sanchez, le piano à mi-voix
Il y a quelques mois, lors d’un concert (magnifique) du trio Kepler (Adrien Sanchez, Maxime Sanchez, Julien Pontviane), le pianiste Maxime Sanchez avait accroché mon oreille. Samedi dernier, il se produisait de nouveau dans le cadre intime de l’appartement de Yann Lorang. L’occasion rêvée pour affiner mon jugement à son sujet.
Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (basse), Concert d’appartement chez Yann Lorang et Lorène Veyries, Samedi 7 janvier 2017
Comme disait Jules César à la bataille de Waterloo en 1515, je suis venu, j’ai entendu, j’ai été convaincu. Maxime Sanchez, 30 ans, est un merveilleux pianiste. Il maîtrise au plus haut point l’art de la confidence pudique et de l’épanchement poétique. Dès les premières notes, il construit avec son bassiste Florent Nisse un cadre propice à l’intimité de son propos. Très recueilli, il développe une longue séquence d’accords modaux qui donne beaucoup d’espace à la musique. On a l’impression que ces accords font tomber le soir plus vite.
Ensuite Maxime Sanchez et Florent Nisse construisent un répertoire qui fait la part belle aux compositions de Charlie Haden. Leur version de En la orilla del mundo est lyrique et prenante, leur Waltz for Ruth est d’une infinie délicatesse, leur Sandino est vibrant. Ce n’est pas tout: Ils jouent aussi des compositions (Oiseaux de Paradis, de Florent Nisse) et des standards choisis, These foolish things puis Four Brother, où Maxime Sanchez montre qu’il n’excelle pas seulement dans la retenue et l’understatement, mais qu’il sait aussi basculer dans l’exubérance joyeuse. Le concert se termine par une ballade folk de Johnny Cash, « I walk the line », dont Florent Nisse expose avec délices la célèbre ligne de basse.
J’écoute attentivement Maxime Sanchez, frappé par les nuances qu’il trouve au piano. Il a des diminuendo et des pianissimo doux et frémissants. Ces nuances s’invitent à brûle-pourpoint. Et c’est ainsi que l’auditeur, au détour d’une phrase, est cueilli. C’est donc un art du toucher, doublé d’un art de la surprise, et mis au service de l’émotion. Maxime Sanchez utilise son clavier comme un vocaliste baissant la voix au moment où il dénude son âme. Une autre de ses qualités va un un peu dans le même sens. C’est sa manière particulière d’utiliser les traits rapides. Maxime Sanchez a des doigts, comme disent les férus de piano. Il serait capable, pour peu qu’il le veuille, d’exécuter sur le clavier les plus brillantes cavalcades. Evidemment, il fait le contraire. Chez lui les passages rapides sont brefs, et surgissent comme un éclair impromptu. J’ai l’impression d’un musicien se dépouillant de sa virtuosité pour pouvoir enfin parler sérieusement. Mais à d’autres moments, je note qu’il utilise ces traits rapides comme une sorte de transcription d’un flux émotionnel. Et là encore, l’auditeur est cueilli.
Les quelques standards joués par le duo révèlent une fréquentation profonde de la tradition. Maxime Sanchez joue « These foolish things » avec un swing plein d’allant, en posant ici et là quelques inflexions plus anguleuses qui épicent son interprétation. Sur « Four brothers », il lâche la bride à son exubérance et se laisse aller, pour la première fois, à la joie de jouer sur un tempo rapide.
Florent Nisse l’accompagne impeccablement. Les deux musiciens se connaissent par coeur. Ils font partie tous deux de Flash Pig, un des groupes les plus stimulants que l’on puisse entendre actuellement. Florent Nisse est capable des soutiens les plus variés, du plus impressionniste, (jusqu’au contre discours) à la walking bass classique. Il a un son rond et chaud, il reprend au vol des phrases de son pianiste, et les deux musiciens ne se marchent jamais sur les pieds.
Deux jours plus tard, je prends un café avec Maxime Sanchez du côté du métro Laumière. Quand j’arrive il est plongé dans le livre que laurent de Wilde a consacré à Thelonious Monk. Du coup la conversation part là-dessus. « Même si ce n’est pas ce qu’on entend dire d’habitude, je trouve que Monk a un pianisme très pur… surtout dans sa gestuelle. Ce n’est pas conventionnel, mais c’est épuré. Pour sortir un son, il fait un geste, pas plus…même si on ne peut pas nier que ses pieds bougent plus que la normale! ». Je demande à Maxime Sanchez si les inflexions de ses phrases, qui m’ont tant touché, sont inspirées par les chanteurs. Il hésite: « je ne sais pas…Ce n’est pas nécessairement conscient…ça se fait un peu sans que j’y réfléchisse… ». Il admet cependant avoir travaillé avec acharnement la précision de ses nuances et la qualité de son toucher: « Au CNSM (note: le Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris) j’ai eu la chance de cotoyer certains élèves de piano classique. j’ai repris ce que leur demandait leur professeur, Denis Pascal. Il s’agit de faire des exercices sans lever les doigts avec l’idée que l’articulation ne vient pas du haut vers le bas, mais plutôt de la vitesse avec laquelle on relève les doigts. Cela permet de vraiment sentir la mécanique du piano…et l’on évite aussi tout mouvement superflu ».
On parle un peu de ses pianistes préférés. Il cite la trinité incontournable, Keith, Herbie, Chick, mais aussi Monk, et Duke Ellington, qu’il a appris à mieux connaître lors des cours de François Théberge au CNSM. On parle d’Hoagy Carmichael, le compositeur de Stardust et d’autres merveilleux standards. Je lui fais remarquer que plus personne ne joue Stardust. « Mais si! Moi, je le joue! » me fait-il remarquer avec un sourire en coin (de fait on peut trouver sur Internet une très belle version de ce thème en trio: https://youtu.be/MckuRJNLUqg). Même s’il en connaît beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire, Maxime Sanchez souligne que sa culture du jazz est « un peu disparate ». « Je ne revendique pas une connaissance approfondie du jazz. Je ne suis pas un historien de cette musique comme Jon Bouteiller ou Antonin Tri-Hoang. Je ne revendique que ma curiosité… ». Car en plus d’être un superbe pianiste, Maxime sanchez est un homme modeste.
texte JF Mondot
Dessins Annie-Claire Alvoët
(autres dessins, et peintures à découvrir sur son site : wwww.annie-claire.com)|
Il y a quelques mois, lors d’un concert (magnifique) du trio Kepler (Adrien Sanchez, Maxime Sanchez, Julien Pontviane), le pianiste Maxime Sanchez avait accroché mon oreille. Samedi dernier, il se produisait de nouveau dans le cadre intime de l’appartement de Yann Lorang. L’occasion rêvée pour affiner mon jugement à son sujet.
Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (basse), Concert d’appartement chez Yann Lorang et Lorène Veyries, Samedi 7 janvier 2017
Comme disait Jules César à la bataille de Waterloo en 1515, je suis venu, j’ai entendu, j’ai été convaincu. Maxime Sanchez, 30 ans, est un merveilleux pianiste. Il maîtrise au plus haut point l’art de la confidence pudique et de l’épanchement poétique. Dès les premières notes, il construit avec son bassiste Florent Nisse un cadre propice à l’intimité de son propos. Très recueilli, il développe une longue séquence d’accords modaux qui donne beaucoup d’espace à la musique. On a l’impression que ces accords font tomber le soir plus vite.
Ensuite Maxime Sanchez et Florent Nisse construisent un répertoire qui fait la part belle aux compositions de Charlie Haden. Leur version de En la orilla del mundo est lyrique et prenante, leur Waltz for Ruth est d’une infinie délicatesse, leur Sandino est vibrant. Ce n’est pas tout: Ils jouent aussi des compositions (Oiseaux de Paradis, de Florent Nisse) et des standards choisis, These foolish things puis Four Brother, où Maxime Sanchez montre qu’il n’excelle pas seulement dans la retenue et l’understatement, mais qu’il sait aussi basculer dans l’exubérance joyeuse. Le concert se termine par une ballade folk de Johnny Cash, « I walk the line », dont Florent Nisse expose avec délices la célèbre ligne de basse.
J’écoute attentivement Maxime Sanchez, frappé par les nuances qu’il trouve au piano. Il a des diminuendo et des pianissimo doux et frémissants. Ces nuances s’invitent à brûle-pourpoint. Et c’est ainsi que l’auditeur, au détour d’une phrase, est cueilli. C’est donc un art du toucher, doublé d’un art de la surprise, et mis au service de l’émotion. Maxime Sanchez utilise son clavier comme un vocaliste baissant la voix au moment où il dénude son âme. Une autre de ses qualités va un un peu dans le même sens. C’est sa manière particulière d’utiliser les traits rapides. Maxime Sanchez a des doigts, comme disent les férus de piano. Il serait capable, pour peu qu’il le veuille, d’exécuter sur le clavier les plus brillantes cavalcades. Evidemment, il fait le contraire. Chez lui les passages rapides sont brefs, et surgissent comme un éclair impromptu. J’ai l’impression d’un musicien se dépouillant de sa virtuosité pour pouvoir enfin parler sérieusement. Mais à d’autres moments, je note qu’il utilise ces traits rapides comme une sorte de transcription d’un flux émotionnel. Et là encore, l’auditeur est cueilli.
Les quelques standards joués par le duo révèlent une fréquentation profonde de la tradition. Maxime Sanchez joue « These foolish things » avec un swing plein d’allant, en posant ici et là quelques inflexions plus anguleuses qui épicent son interprétation. Sur « Four brothers », il lâche la bride à son exubérance et se laisse aller, pour la première fois, à la joie de jouer sur un tempo rapide.
Florent Nisse l’accompagne impeccablement. Les deux musiciens se connaissent par coeur. Ils font partie tous deux de Flash Pig, un des groupes les plus stimulants que l’on puisse entendre actuellement. Florent Nisse est capable des soutiens les plus variés, du plus impressionniste, (jusqu’au contre discours) à la walking bass classique. Il a un son rond et chaud, il reprend au vol des phrases de son pianiste, et les deux musiciens ne se marchent jamais sur les pieds.
Deux jours plus tard, je prends un café avec Maxime Sanchez du côté du métro Laumière. Quand j’arrive il est plongé dans le livre que laurent de Wilde a consacré à Thelonious Monk. Du coup la conversation part là-dessus. « Même si ce n’est pas ce qu’on entend dire d’habitude, je trouve que Monk a un pianisme très pur… surtout dans sa gestuelle. Ce n’est pas conventionnel, mais c’est épuré. Pour sortir un son, il fait un geste, pas plus…même si on ne peut pas nier que ses pieds bougent plus que la normale! ». Je demande à Maxime Sanchez si les inflexions de ses phrases, qui m’ont tant touché, sont inspirées par les chanteurs. Il hésite: « je ne sais pas…Ce n’est pas nécessairement conscient…ça se fait un peu sans que j’y réfléchisse… ». Il admet cependant avoir travaillé avec acharnement la précision de ses nuances et la qualité de son toucher: « Au CNSM (note: le Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris) j’ai eu la chance de cotoyer certains élèves de piano classique. j’ai repris ce que leur demandait leur professeur, Denis Pascal. Il s’agit de faire des exercices sans lever les doigts avec l’idée que l’articulation ne vient pas du haut vers le bas, mais plutôt de la vitesse avec laquelle on relève les doigts. Cela permet de vraiment sentir la mécanique du piano…et l’on évite aussi tout mouvement superflu ».
On parle un peu de ses pianistes préférés. Il cite la trinité incontournable, Keith, Herbie, Chick, mais aussi Monk, et Duke Ellington, qu’il a appris à mieux connaître lors des cours de François Théberge au CNSM. On parle d’Hoagy Carmichael, le compositeur de Stardust et d’autres merveilleux standards. Je lui fais remarquer que plus personne ne joue Stardust. « Mais si! Moi, je le joue! » me fait-il remarquer avec un sourire en coin (de fait on peut trouver sur Internet une très belle version de ce thème en trio: https://youtu.be/MckuRJNLUqg). Même s’il en connaît beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire, Maxime Sanchez souligne que sa culture du jazz est « un peu disparate ». « Je ne revendique pas une connaissance approfondie du jazz. Je ne suis pas un historien de cette musique comme Jon Bouteiller ou Antonin Tri-Hoang. Je ne revendique que ma curiosité… ». Car en plus d’être un superbe pianiste, Maxime sanchez est un homme modeste.
texte JF Mondot
Dessins Annie-Claire Alvoët
(autres dessins, et peintures à découvrir sur son site : wwww.annie-claire.com)|
Il y a quelques mois, lors d’un concert (magnifique) du trio Kepler (Adrien Sanchez, Maxime Sanchez, Julien Pontviane), le pianiste Maxime Sanchez avait accroché mon oreille. Samedi dernier, il se produisait de nouveau dans le cadre intime de l’appartement de Yann Lorang. L’occasion rêvée pour affiner mon jugement à son sujet.
Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (basse), Concert d’appartement chez Yann Lorang et Lorène Veyries, Samedi 7 janvier 2017
Comme disait Jules César à la bataille de Waterloo en 1515, je suis venu, j’ai entendu, j’ai été convaincu. Maxime Sanchez, 30 ans, est un merveilleux pianiste. Il maîtrise au plus haut point l’art de la confidence pudique et de l’épanchement poétique. Dès les premières notes, il construit avec son bassiste Florent Nisse un cadre propice à l’intimité de son propos. Très recueilli, il développe une longue séquence d’accords modaux qui donne beaucoup d’espace à la musique. On a l’impression que ces accords font tomber le soir plus vite.
Ensuite Maxime Sanchez et Florent Nisse construisent un répertoire qui fait la part belle aux compositions de Charlie Haden. Leur version de En la orilla del mundo est lyrique et prenante, leur Waltz for Ruth est d’une infinie délicatesse, leur Sandino est vibrant. Ce n’est pas tout: Ils jouent aussi des compositions (Oiseaux de Paradis, de Florent Nisse) et des standards choisis, These foolish things puis Four Brother, où Maxime Sanchez montre qu’il n’excelle pas seulement dans la retenue et l’understatement, mais qu’il sait aussi basculer dans l’exubérance joyeuse. Le concert se termine par une ballade folk de Johnny Cash, « I walk the line », dont Florent Nisse expose avec délices la célèbre ligne de basse.
J’écoute attentivement Maxime Sanchez, frappé par les nuances qu’il trouve au piano. Il a des diminuendo et des pianissimo doux et frémissants. Ces nuances s’invitent à brûle-pourpoint. Et c’est ainsi que l’auditeur, au détour d’une phrase, est cueilli. C’est donc un art du toucher, doublé d’un art de la surprise, et mis au service de l’émotion. Maxime Sanchez utilise son clavier comme un vocaliste baissant la voix au moment où il dénude son âme. Une autre de ses qualités va un un peu dans le même sens. C’est sa manière particulière d’utiliser les traits rapides. Maxime Sanchez a des doigts, comme disent les férus de piano. Il serait capable, pour peu qu’il le veuille, d’exécuter sur le clavier les plus brillantes cavalcades. Evidemment, il fait le contraire. Chez lui les passages rapides sont brefs, et surgissent comme un éclair impromptu. J’ai l’impression d’un musicien se dépouillant de sa virtuosité pour pouvoir enfin parler sérieusement. Mais à d’autres moments, je note qu’il utilise ces traits rapides comme une sorte de transcription d’un flux émotionnel. Et là encore, l’auditeur est cueilli.
Les quelques standards joués par le duo révèlent une fréquentation profonde de la tradition. Maxime Sanchez joue « These foolish things » avec un swing plein d’allant, en posant ici et là quelques inflexions plus anguleuses qui épicent son interprétation. Sur « Four brothers », il lâche la bride à son exubérance et se laisse aller, pour la première fois, à la joie de jouer sur un tempo rapide.
Florent Nisse l’accompagne impeccablement. Les deux musiciens se connaissent par coeur. Ils font partie tous deux de Flash Pig, un des groupes les plus stimulants que l’on puisse entendre actuellement. Florent Nisse est capable des soutiens les plus variés, du plus impressionniste, (jusqu’au contre discours) à la walking bass classique. Il a un son rond et chaud, il reprend au vol des phrases de son pianiste, et les deux musiciens ne se marchent jamais sur les pieds.
Deux jours plus tard, je prends un café avec Maxime Sanchez du côté du métro Laumière. Quand j’arrive il est plongé dans le livre que laurent de Wilde a consacré à Thelonious Monk. Du coup la conversation part là-dessus. « Même si ce n’est pas ce qu’on entend dire d’habitude, je trouve que Monk a un pianisme très pur… surtout dans sa gestuelle. Ce n’est pas conventionnel, mais c’est épuré. Pour sortir un son, il fait un geste, pas plus…même si on ne peut pas nier que ses pieds bougent plus que la normale! ». Je demande à Maxime Sanchez si les inflexions de ses phrases, qui m’ont tant touché, sont inspirées par les chanteurs. Il hésite: « je ne sais pas…Ce n’est pas nécessairement conscient…ça se fait un peu sans que j’y réfléchisse… ». Il admet cependant avoir travaillé avec acharnement la précision de ses nuances et la qualité de son toucher: « Au CNSM (note: le Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris) j’ai eu la chance de cotoyer certains élèves de piano classique. j’ai repris ce que leur demandait leur professeur, Denis Pascal. Il s’agit de faire des exercices sans lever les doigts avec l’idée que l’articulation ne vient pas du haut vers le bas, mais plutôt de la vitesse avec laquelle on relève les doigts. Cela permet de vraiment sentir la mécanique du piano…et l’on évite aussi tout mouvement superflu ».
On parle un peu de ses pianistes préférés. Il cite la trinité incontournable, Keith, Herbie, Chick, mais aussi Monk, et Duke Ellington, qu’il a appris à mieux connaître lors des cours de François Théberge au CNSM. On parle d’Hoagy Carmichael, le compositeur de Stardust et d’autres merveilleux standards. Je lui fais remarquer que plus personne ne joue Stardust. « Mais si! Moi, je le joue! » me fait-il remarquer avec un sourire en coin (de fait on peut trouver sur Internet une très belle version de ce thème en trio: https://youtu.be/MckuRJNLUqg). Même s’il en connaît beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire, Maxime Sanchez souligne que sa culture du jazz est « un peu disparate ». « Je ne revendique pas une connaissance approfondie du jazz. Je ne suis pas un historien de cette musique comme Jon Bouteiller ou Antonin Tri-Hoang. Je ne revendique que ma curiosité… ». Car en plus d’être un superbe pianiste, Maxime sanchez est un homme modeste.
texte JF Mondot
Dessins Annie-Claire Alvoët
(autres dessins, et peintures à découvrir sur son site : wwww.annie-claire.com)|
Il y a quelques mois, lors d’un concert (magnifique) du trio Kepler (Adrien Sanchez, Maxime Sanchez, Julien Pontviane), le pianiste Maxime Sanchez avait accroché mon oreille. Samedi dernier, il se produisait de nouveau dans le cadre intime de l’appartement de Yann Lorang. L’occasion rêvée pour affiner mon jugement à son sujet.
Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (basse), Concert d’appartement chez Yann Lorang et Lorène Veyries, Samedi 7 janvier 2017
Comme disait Jules César à la bataille de Waterloo en 1515, je suis venu, j’ai entendu, j’ai été convaincu. Maxime Sanchez, 30 ans, est un merveilleux pianiste. Il maîtrise au plus haut point l’art de la confidence pudique et de l’épanchement poétique. Dès les premières notes, il construit avec son bassiste Florent Nisse un cadre propice à l’intimité de son propos. Très recueilli, il développe une longue séquence d’accords modaux qui donne beaucoup d’espace à la musique. On a l’impression que ces accords font tomber le soir plus vite.
Ensuite Maxime Sanchez et Florent Nisse construisent un répertoire qui fait la part belle aux compositions de Charlie Haden. Leur version de En la orilla del mundo est lyrique et prenante, leur Waltz for Ruth est d’une infinie délicatesse, leur Sandino est vibrant. Ce n’est pas tout: Ils jouent aussi des compositions (Oiseaux de Paradis, de Florent Nisse) et des standards choisis, These foolish things puis Four Brother, où Maxime Sanchez montre qu’il n’excelle pas seulement dans la retenue et l’understatement, mais qu’il sait aussi basculer dans l’exubérance joyeuse. Le concert se termine par une ballade folk de Johnny Cash, « I walk the line », dont Florent Nisse expose avec délices la célèbre ligne de basse.
J’écoute attentivement Maxime Sanchez, frappé par les nuances qu’il trouve au piano. Il a des diminuendo et des pianissimo doux et frémissants. Ces nuances s’invitent à brûle-pourpoint. Et c’est ainsi que l’auditeur, au détour d’une phrase, est cueilli. C’est donc un art du toucher, doublé d’un art de la surprise, et mis au service de l’émotion. Maxime Sanchez utilise son clavier comme un vocaliste baissant la voix au moment où il dénude son âme. Une autre de ses qualités va un un peu dans le même sens. C’est sa manière particulière d’utiliser les traits rapides. Maxime Sanchez a des doigts, comme disent les férus de piano. Il serait capable, pour peu qu’il le veuille, d’exécuter sur le clavier les plus brillantes cavalcades. Evidemment, il fait le contraire. Chez lui les passages rapides sont brefs, et surgissent comme un éclair impromptu. J’ai l’impression d’un musicien se dépouillant de sa virtuosité pour pouvoir enfin parler sérieusement. Mais à d’autres moments, je note qu’il utilise ces traits rapides comme une sorte de transcription d’un flux émotionnel. Et là encore, l’auditeur est cueilli.
Les quelques standards joués par le duo révèlent une fréquentation profonde de la tradition. Maxime Sanchez joue « These foolish things » avec un swing plein d’allant, en posant ici et là quelques inflexions plus anguleuses qui épicent son interprétation. Sur « Four brothers », il lâche la bride à son exubérance et se laisse aller, pour la première fois, à la joie de jouer sur un tempo rapide.
Florent Nisse l’accompagne impeccablement. Les deux musiciens se connaissent par coeur. Ils font partie tous deux de Flash Pig, un des groupes les plus stimulants que l’on puisse entendre actuellement. Florent Nisse est capable des soutiens les plus variés, du plus impressionniste, (jusqu’au contre discours) à la walking bass classique. Il a un son rond et chaud, il reprend au vol des phrases de son pianiste, et les deux musiciens ne se marchent jamais sur les pieds.
Deux jours plus tard, je prends un café avec Maxime Sanchez du côté du métro Laumière. Quand j’arrive il est plongé dans le livre que laurent de Wilde a consacré à Thelonious Monk. Du coup la conversation part là-dessus. « Même si ce n’est pas ce qu’on entend dire d’habitude, je trouve que Monk a un pianisme très pur… surtout dans sa gestuelle. Ce n’est pas conventionnel, mais c’est épuré. Pour sortir un son, il fait un geste, pas plus…même si on ne peut pas nier que ses pieds bougent plus que la normale! ». Je demande à Maxime Sanchez si les inflexions de ses phrases, qui m’ont tant touché, sont inspirées par les chanteurs. Il hésite: « je ne sais pas…Ce n’est pas nécessairement conscient…ça se fait un peu sans que j’y réfléchisse… ». Il admet cependant avoir travaillé avec acharnement la précision de ses nuances et la qualité de son toucher: « Au CNSM (note: le Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris) j’ai eu la chance de cotoyer certains élèves de piano classique. j’ai repris ce que leur demandait leur professeur, Denis Pascal. Il s’agit de faire des exercices sans lever les doigts avec l’idée que l’articulation ne vient pas du haut vers le bas, mais plutôt de la vitesse avec laquelle on relève les doigts. Cela permet de vraiment sentir la mécanique du piano…et l’on évite aussi tout mouvement superflu ».
On parle un peu de ses pianistes préférés. Il cite la trinité incontournable, Keith, Herbie, Chick, mais aussi Monk, et Duke Ellington, qu’il a appris à mieux connaître lors des cours de François Théberge au CNSM. On parle d’Hoagy Carmichael, le compositeur de Stardust et d’autres merveilleux standards. Je lui fais remarquer que plus personne ne joue Stardust. « Mais si! Moi, je le joue! » me fait-il remarquer avec un sourire en coin (de fait on peut trouver sur Internet une très belle version de ce thème en trio: https://youtu.be/MckuRJNLUqg). Même s’il en connaît beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire, Maxime Sanchez souligne que sa culture du jazz est « un peu disparate ». « Je ne revendique pas une connaissance approfondie du jazz. Je ne suis pas un historien de cette musique comme Jon Bouteiller ou Antonin Tri-Hoang. Je ne revendique que ma curiosité… ». Car en plus d’être un superbe pianiste, Maxime sanchez est un homme modeste.
texte JF Mondot
Dessins Annie-Claire Alvoët
(autres dessins, et peintures à découvrir sur son site : wwww.annie-claire.com)