Jazz live
Publié le 6 Mar 2017

Lubat Portal à Uzeste: liberté pour des musiciens sans papier !

Un claquement sourd tel un coup de fusil retentit au beau milieu des épanchements du duo. Répété le vendredi comme le samedi cette détonation, bruit incongru, bref, violent, autant qu’éphémère interrompt illico les échanges Lubat Portal. Personne n’y trouvera d’explication. Epiphénomène singulier. Mystère de l’Estaminet.

Michel Portal (bcl, ss), Bernard Lubat (p, synthé, dm), Fabrice Vieira (g, voc, électro-acoustique), Louis Lubat (dm), Thomas Boudé (g), Jules Rousseau (elb)

L’Estaminet, Uzeste (33730), 2-3 mars

Mais qu’est-ce qui peut donc faire courir encore Michel Portal, fringant musicien octogénaire de réputation internationale, derrière des pans de notes improvisées par essence imprévisibles, donc toujours promptes à échapper à tout contrôle le temps d’une ou deux nuits humides de l’hiver finissant qui nimbe le désert apparent sable plus pins de la lande girondine immortalisée par Mauriac ? Lubat, compère et ami de toujours, musicien de chair et d’os, obstiné, facétieux, intenable ? Sans doute. Le fils prodigue d’Uzeste le connaît parfaitement. Il subodore son être musical, le décrypte, s’y entend à le banderilller, le motiver. La perspective d’un enregistrement live inédit au bout de tant d’autres disques gravés ? Surement pas. Le musicien bayonnais déteste que ses notes se retrouvent « figées, piégées » de quoi le rendre parfois un tantinet paranoïaque. L’esprit unique d’Uzeste ? Plus sûrement.  En tant que gage d’une liberté retrouvée d’improviser sans arrière pensée, hasard et nécessité de pouvoir se jeter consentant dans la gueule du loup. En l’occurence dans l’oreille d’un public qui s’y attend ou pas. Par défi -sa terre d’origine, Bayonne, dans le jeu, le savoir/vouloir vivre à plaisir y invite naturellement- cf une ligne de vie artistique assumée depuis Chateauvallon jusqu’à Uzeste plus que de Montreux à Marciac. Dès lors il y va franco, histoire de prouver, aux autres, à soi, à son hôte, aux jeunes de la Compagnie Lubat, à tous finalement, sa capacité à, son envie irrépressible de…jeter par dessus bord des certitudes de virtuose classique, des incertitudes de savoir jazzistique, peut-être même un trop plein de partitions repères dans sa carrière avalées par milliers. Pour faire quoi au juste ? Du Portal, tout simplement, instant éphémère gravé dans le marbre numérique, ce jour, à Uzeste. Avec ses doutes, ses craintes et ses cris. Où l’on entendra des traces d’une fugue de Bach aussi bien que le fruit mûr, goûteux, du souffle fort filtré par un bec de saxophone soprano façonné « là bas en Amérique »

Paradoxe encore ? Pas forcément non plus à y réfléchir une minute. Ce week-end, au hasard d’un  morceau de Kind of Blue passé en boucle dans les hauts parleurs de l’Estaminet,  Bernard Lubat comme Michel Portal, ont lâché sans se concerter une même confidence choc ressentie lors d’un concert vécu de John Coltrane à Antibes ou à l’Olympia à la fin des sixties « Ce type m’a tué par sa force, la puissance générée sur son instrument » avoue le second « J’ai compris que j’avais du chemin à accomplir avant de pouvoir prétendre jouer du jazz » se souvient, encore marqué, le premier.

« Qu’on l’appelle jazz ou pas il faut laisser une trace vivante d’un mode de musique pas si souvent jouée dans l’esprit comme ici» Bernard Lubat justifie ainsi son entreprise d’enregistrer dans son village refuge des concerts en direct, des moments assumés d’improvisation totale « Improviser ? Entre vouloir et savoir, entre le dire et le faire sans filet il y a de la marge » affirme Lubat. Dans l’optique de ce qu’il baptise « la musique à  vivre » l’alchimiste d’Uzeste a créé une collection de CD qui compte déjà deux unités: un piano solo (Lubat, Conservatoire, Labeluz: Harmonia Mundi); un premier duo (Bernard Lubat-Sylvain Luc, Intranquille, Uzeste Musical/Cristal Records) Suivront bientôt sur ce même label un Lubat-Sclavis, Et plus tard donc le débouché des deux concerts Lubat-Portal .de ce week end à l’Estaminet.

A ce titre il faudra choisir. Faire un choix entre différentes options. I y eut ces séquences de solos portaliens précédées d’hésitation sinon de doute « Un solo c’est un travail particulier, un état d’esprit qui nécessite une dose de préparation. Et là je dois m’y plonger d’un coup, d’un seul… » Résultat concret en autant d’épisodes contrastés. Clarinette basse en mode d’entame. Jour J1: un temps pour beaucoup de rondeur dans la sonorité, de la souplesse donnée au tempo, une dose de sensualité pour, au public,  entrer dans l’histoire non sans confort. Jour  J2: le filtre change sur le même instrument: Portal attaque fort dans le registre des aigües avant de basculer vers des vagues de souffles soutenus, superposés, série de houle à surfer sur les intervalles sonores. Puis vient le temps du saxophone soprano. Les notes jaillissent dures, serrées, tranchantes comme des lames. Plus question de confidence, de conversation soft. Le récit, la ponctuation dans le souffle portalien se font sur un autre ton. Celui d’une urgence.

Vient le temps d’un premier duo. La manière reflète un parcours, une histoire d’accroches communes. Avec Lubat Portal en couple pacsé pour et par l’impro, une fois  porté sur scène résonnent une complicité, une écoute, des phrases lâchées nature en question réponse. Plus quelques cris poussés très haut, très fort bien entendu. Phases de crêtes lorsque les notes s’amoncellent en pluie, en tempête. Effet Sisyphe garanti dès lors que l’un pousse et l’autre repousse. Avant de glisser ver l’apaisement, accords, mélodies offertes en douceur satinée lorsque s’impose la qualité de la sonorité (clarinette basse) ou sur le clavier la délicatesse du toucher. Montée en tension, dévalements, ravalement (lorsque Lubat redevient batteur, état malheureusement trop souvent passager, cet instrument se fait à nouveau musique intense, dans des premiers plans singuliers comme au cours de panoramiques révélant soudain une inhabituelle profondeur du champ percussif). Question de continuum du contrôle de qualité à assurer, certes tout ne vient pas en égal. Ni surtout à l’étal. Reste que dans ces moments de jazz à inventer sur l’instant, chacun peut toujours trouver à l’écoute, dans l’échange, par le parti pris du risque sa part de beau, de (bien) sentI. Une vraie responsabilité échoit donc désormais à celui, ceux, qui feront le choix des morceaux élus pour l’album à venir.

Pour rester dans le domaine du choix il convient de noter également celui opéré par Bernard Lubat de faire figurer dans ces deux soirées les jeunes musiciens de la Compagnie Lubat de Jazzcogne. Fabrice Vieira, guitariste, chanteur, bruitiste -et par ailleurs cheville ouvrière dans l’organisation de tous les évènements artistiques d’Uzeste Musical-, Louis Lubat, batteur ont du jouer d’égal à égal, se mesurer en duo à la stature de Michel Portal « Situation inédite pour moi, et pas si aisée face à un musicien d cette envergure» disait après coup le fils Lubat. Occasion d’affirmer in situ, arme à la main ou à main nue, un savoir faire au delà du faire savoir résonnant habituellement dans les murs d’Uzeste. Le lendemain Thomas Boudé, guitariste puis Jules Rousseau, bassiste, montaient sur les planches de l’Estaminet pour une prestation solo offerte à un public à priori alléché par les duettistes habituels du lieu. Un autre pari signé Lubat dans sa quête de concrétiser, favoriser, valoriser « la musique à vivre » Et son avenir dans un lieu du « Tout Monde » jazz (pour citer l’écrivain martiniquais Edouard Glissant qui vint porter sa parole à Uzeste, lui aussi) minuscule même si sacralisé par les échos de l’impro.

Uzeste et Lubat son chamane ont fait voeu d’oser.

Robert Latxague

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Un claquement sourd tel un coup de fusil retentit au beau milieu des épanchements du duo. Répété le vendredi comme le samedi cette détonation, bruit incongru, bref, violent, autant qu’éphémère interrompt illico les échanges Lubat Portal. Personne n’y trouvera d’explication. Epiphénomène singulier. Mystère de l’Estaminet.

Michel Portal (bcl, ss), Bernard Lubat (p, synthé, dm), Fabrice Vieira (g, voc, électro-acoustique), Louis Lubat (dm), Thomas Boudé (g), Jules Rousseau (elb)

L’Estaminet, Uzeste (33730), 2-3 mars

Mais qu’est-ce qui peut donc faire courir encore Michel Portal, fringant musicien octogénaire de réputation internationale, derrière des pans de notes improvisées par essence imprévisibles, donc toujours promptes à échapper à tout contrôle le temps d’une ou deux nuits humides de l’hiver finissant qui nimbe le désert apparent sable plus pins de la lande girondine immortalisée par Mauriac ? Lubat, compère et ami de toujours, musicien de chair et d’os, obstiné, facétieux, intenable ? Sans doute. Le fils prodigue d’Uzeste le connaît parfaitement. Il subodore son être musical, le décrypte, s’y entend à le banderilller, le motiver. La perspective d’un enregistrement live inédit au bout de tant d’autres disques gravés ? Surement pas. Le musicien bayonnais déteste que ses notes se retrouvent « figées, piégées » de quoi le rendre parfois un tantinet paranoïaque. L’esprit unique d’Uzeste ? Plus sûrement.  En tant que gage d’une liberté retrouvée d’improviser sans arrière pensée, hasard et nécessité de pouvoir se jeter consentant dans la gueule du loup. En l’occurence dans l’oreille d’un public qui s’y attend ou pas. Par défi -sa terre d’origine, Bayonne, dans le jeu, le savoir/vouloir vivre à plaisir y invite naturellement- cf une ligne de vie artistique assumée depuis Chateauvallon jusqu’à Uzeste plus que de Montreux à Marciac. Dès lors il y va franco, histoire de prouver, aux autres, à soi, à son hôte, aux jeunes de la Compagnie Lubat, à tous finalement, sa capacité à, son envie irrépressible de…jeter par dessus bord des certitudes de virtuose classique, des incertitudes de savoir jazzistique, peut-être même un trop plein de partitions repères dans sa carrière avalées par milliers. Pour faire quoi au juste ? Du Portal, tout simplement, instant éphémère gravé dans le marbre numérique, ce jour, à Uzeste. Avec ses doutes, ses craintes et ses cris. Où l’on entendra des traces d’une fugue de Bach aussi bien que le fruit mûr, goûteux, du souffle fort filtré par un bec de saxophone soprano façonné « là bas en Amérique »

Paradoxe encore ? Pas forcément non plus à y réfléchir une minute. Ce week-end, au hasard d’un  morceau de Kind of Blue passé en boucle dans les hauts parleurs de l’Estaminet,  Bernard Lubat comme Michel Portal, ont lâché sans se concerter une même confidence choc ressentie lors d’un concert vécu de John Coltrane à Antibes ou à l’Olympia à la fin des sixties « Ce type m’a tué par sa force, la puissance générée sur son instrument » avoue le second « J’ai compris que j’avais du chemin à accomplir avant de pouvoir prétendre jouer du jazz » se souvient, encore marqué, le premier.

« Qu’on l’appelle jazz ou pas il faut laisser une trace vivante d’un mode de musique pas si souvent jouée dans l’esprit comme ici» Bernard Lubat justifie ainsi son entreprise d’enregistrer dans son village refuge des concerts en direct, des moments assumés d’improvisation totale « Improviser ? Entre vouloir et savoir, entre le dire et le faire sans filet il y a de la marge » affirme Lubat. Dans l’optique de ce qu’il baptise « la musique à  vivre » l’alchimiste d’Uzeste a créé une collection de CD qui compte déjà deux unités: un piano solo (Lubat, Conservatoire, Labeluz: Harmonia Mundi); un premier duo (Bernard Lubat-Sylvain Luc, Intranquille, Uzeste Musical/Cristal Records) Suivront bientôt sur ce même label un Lubat-Sclavis, Et plus tard donc le débouché des deux concerts Lubat-Portal .de ce week end à l’Estaminet.

A ce titre il faudra choisir. Faire un choix entre différentes options. I y eut ces séquences de solos portaliens précédées d’hésitation sinon de doute « Un solo c’est un travail particulier, un état d’esprit qui nécessite une dose de préparation. Et là je dois m’y plonger d’un coup, d’un seul… » Résultat concret en autant d’épisodes contrastés. Clarinette basse en mode d’entame. Jour J1: un temps pour beaucoup de rondeur dans la sonorité, de la souplesse donnée au tempo, une dose de sensualité pour, au public,  entrer dans l’histoire non sans confort. Jour  J2: le filtre change sur le même instrument: Portal attaque fort dans le registre des aigües avant de basculer vers des vagues de souffles soutenus, superposés, série de houle à surfer sur les intervalles sonores. Puis vient le temps du saxophone soprano. Les notes jaillissent dures, serrées, tranchantes comme des lames. Plus question de confidence, de conversation soft. Le récit, la ponctuation dans le souffle portalien se font sur un autre ton. Celui d’une urgence.

Vient le temps d’un premier duo. La manière reflète un parcours, une histoire d’accroches communes. Avec Lubat Portal en couple pacsé pour et par l’impro, une fois  porté sur scène résonnent une complicité, une écoute, des phrases lâchées nature en question réponse. Plus quelques cris poussés très haut, très fort bien entendu. Phases de crêtes lorsque les notes s’amoncellent en pluie, en tempête. Effet Sisyphe garanti dès lors que l’un pousse et l’autre repousse. Avant de glisser ver l’apaisement, accords, mélodies offertes en douceur satinée lorsque s’impose la qualité de la sonorité (clarinette basse) ou sur le clavier la délicatesse du toucher. Montée en tension, dévalements, ravalement (lorsque Lubat redevient batteur, état malheureusement trop souvent passager, cet instrument se fait à nouveau musique intense, dans des premiers plans singuliers comme au cours de panoramiques révélant soudain une inhabituelle profondeur du champ percussif). Question de continuum du contrôle de qualité à assurer, certes tout ne vient pas en égal. Ni surtout à l’étal. Reste que dans ces moments de jazz à inventer sur l’instant, chacun peut toujours trouver à l’écoute, dans l’échange, par le parti pris du risque sa part de beau, de (bien) sentI. Une vraie responsabilité échoit donc désormais à celui, ceux, qui feront le choix des morceaux élus pour l’album à venir.

Pour rester dans le domaine du choix il convient de noter également celui opéré par Bernard Lubat de faire figurer dans ces deux soirées les jeunes musiciens de la Compagnie Lubat de Jazzcogne. Fabrice Vieira, guitariste, chanteur, bruitiste -et par ailleurs cheville ouvrière dans l’organisation de tous les évènements artistiques d’Uzeste Musical-, Louis Lubat, batteur ont du jouer d’égal à égal, se mesurer en duo à la stature de Michel Portal « Situation inédite pour moi, et pas si aisée face à un musicien d cette envergure» disait après coup le fils Lubat. Occasion d’affirmer in situ, arme à la main ou à main nue, un savoir faire au delà du faire savoir résonnant habituellement dans les murs d’Uzeste. Le lendemain Thomas Boudé, guitariste puis Jules Rousseau, bassiste, montaient sur les planches de l’Estaminet pour une prestation solo offerte à un public à priori alléché par les duettistes habituels du lieu. Un autre pari signé Lubat dans sa quête de concrétiser, favoriser, valoriser « la musique à vivre » Et son avenir dans un lieu du « Tout Monde » jazz (pour citer l’écrivain martiniquais Edouard Glissant qui vint porter sa parole à Uzeste, lui aussi) minuscule même si sacralisé par les échos de l’impro.

Uzeste et Lubat son chamane ont fait voeu d’oser.

Robert Latxague

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Un claquement sourd tel un coup de fusil retentit au beau milieu des épanchements du duo. Répété le vendredi comme le samedi cette détonation, bruit incongru, bref, violent, autant qu’éphémère interrompt illico les échanges Lubat Portal. Personne n’y trouvera d’explication. Epiphénomène singulier. Mystère de l’Estaminet.

Michel Portal (bcl, ss), Bernard Lubat (p, synthé, dm), Fabrice Vieira (g, voc, électro-acoustique), Louis Lubat (dm), Thomas Boudé (g), Jules Rousseau (elb)

L’Estaminet, Uzeste (33730), 2-3 mars

Mais qu’est-ce qui peut donc faire courir encore Michel Portal, fringant musicien octogénaire de réputation internationale, derrière des pans de notes improvisées par essence imprévisibles, donc toujours promptes à échapper à tout contrôle le temps d’une ou deux nuits humides de l’hiver finissant qui nimbe le désert apparent sable plus pins de la lande girondine immortalisée par Mauriac ? Lubat, compère et ami de toujours, musicien de chair et d’os, obstiné, facétieux, intenable ? Sans doute. Le fils prodigue d’Uzeste le connaît parfaitement. Il subodore son être musical, le décrypte, s’y entend à le banderilller, le motiver. La perspective d’un enregistrement live inédit au bout de tant d’autres disques gravés ? Surement pas. Le musicien bayonnais déteste que ses notes se retrouvent « figées, piégées » de quoi le rendre parfois un tantinet paranoïaque. L’esprit unique d’Uzeste ? Plus sûrement.  En tant que gage d’une liberté retrouvée d’improviser sans arrière pensée, hasard et nécessité de pouvoir se jeter consentant dans la gueule du loup. En l’occurence dans l’oreille d’un public qui s’y attend ou pas. Par défi -sa terre d’origine, Bayonne, dans le jeu, le savoir/vouloir vivre à plaisir y invite naturellement- cf une ligne de vie artistique assumée depuis Chateauvallon jusqu’à Uzeste plus que de Montreux à Marciac. Dès lors il y va franco, histoire de prouver, aux autres, à soi, à son hôte, aux jeunes de la Compagnie Lubat, à tous finalement, sa capacité à, son envie irrépressible de…jeter par dessus bord des certitudes de virtuose classique, des incertitudes de savoir jazzistique, peut-être même un trop plein de partitions repères dans sa carrière avalées par milliers. Pour faire quoi au juste ? Du Portal, tout simplement, instant éphémère gravé dans le marbre numérique, ce jour, à Uzeste. Avec ses doutes, ses craintes et ses cris. Où l’on entendra des traces d’une fugue de Bach aussi bien que le fruit mûr, goûteux, du souffle fort filtré par un bec de saxophone soprano façonné « là bas en Amérique »

Paradoxe encore ? Pas forcément non plus à y réfléchir une minute. Ce week-end, au hasard d’un  morceau de Kind of Blue passé en boucle dans les hauts parleurs de l’Estaminet,  Bernard Lubat comme Michel Portal, ont lâché sans se concerter une même confidence choc ressentie lors d’un concert vécu de John Coltrane à Antibes ou à l’Olympia à la fin des sixties « Ce type m’a tué par sa force, la puissance générée sur son instrument » avoue le second « J’ai compris que j’avais du chemin à accomplir avant de pouvoir prétendre jouer du jazz » se souvient, encore marqué, le premier.

« Qu’on l’appelle jazz ou pas il faut laisser une trace vivante d’un mode de musique pas si souvent jouée dans l’esprit comme ici» Bernard Lubat justifie ainsi son entreprise d’enregistrer dans son village refuge des concerts en direct, des moments assumés d’improvisation totale « Improviser ? Entre vouloir et savoir, entre le dire et le faire sans filet il y a de la marge » affirme Lubat. Dans l’optique de ce qu’il baptise « la musique à  vivre » l’alchimiste d’Uzeste a créé une collection de CD qui compte déjà deux unités: un piano solo (Lubat, Conservatoire, Labeluz: Harmonia Mundi); un premier duo (Bernard Lubat-Sylvain Luc, Intranquille, Uzeste Musical/Cristal Records) Suivront bientôt sur ce même label un Lubat-Sclavis, Et plus tard donc le débouché des deux concerts Lubat-Portal .de ce week end à l’Estaminet.

A ce titre il faudra choisir. Faire un choix entre différentes options. I y eut ces séquences de solos portaliens précédées d’hésitation sinon de doute « Un solo c’est un travail particulier, un état d’esprit qui nécessite une dose de préparation. Et là je dois m’y plonger d’un coup, d’un seul… » Résultat concret en autant d’épisodes contrastés. Clarinette basse en mode d’entame. Jour J1: un temps pour beaucoup de rondeur dans la sonorité, de la souplesse donnée au tempo, une dose de sensualité pour, au public,  entrer dans l’histoire non sans confort. Jour  J2: le filtre change sur le même instrument: Portal attaque fort dans le registre des aigües avant de basculer vers des vagues de souffles soutenus, superposés, série de houle à surfer sur les intervalles sonores. Puis vient le temps du saxophone soprano. Les notes jaillissent dures, serrées, tranchantes comme des lames. Plus question de confidence, de conversation soft. Le récit, la ponctuation dans le souffle portalien se font sur un autre ton. Celui d’une urgence.

Vient le temps d’un premier duo. La manière reflète un parcours, une histoire d’accroches communes. Avec Lubat Portal en couple pacsé pour et par l’impro, une fois  porté sur scène résonnent une complicité, une écoute, des phrases lâchées nature en question réponse. Plus quelques cris poussés très haut, très fort bien entendu. Phases de crêtes lorsque les notes s’amoncellent en pluie, en tempête. Effet Sisyphe garanti dès lors que l’un pousse et l’autre repousse. Avant de glisser ver l’apaisement, accords, mélodies offertes en douceur satinée lorsque s’impose la qualité de la sonorité (clarinette basse) ou sur le clavier la délicatesse du toucher. Montée en tension, dévalements, ravalement (lorsque Lubat redevient batteur, état malheureusement trop souvent passager, cet instrument se fait à nouveau musique intense, dans des premiers plans singuliers comme au cours de panoramiques révélant soudain une inhabituelle profondeur du champ percussif). Question de continuum du contrôle de qualité à assurer, certes tout ne vient pas en égal. Ni surtout à l’étal. Reste que dans ces moments de jazz à inventer sur l’instant, chacun peut toujours trouver à l’écoute, dans l’échange, par le parti pris du risque sa part de beau, de (bien) sentI. Une vraie responsabilité échoit donc désormais à celui, ceux, qui feront le choix des morceaux élus pour l’album à venir.

Pour rester dans le domaine du choix il convient de noter également celui opéré par Bernard Lubat de faire figurer dans ces deux soirées les jeunes musiciens de la Compagnie Lubat de Jazzcogne. Fabrice Vieira, guitariste, chanteur, bruitiste -et par ailleurs cheville ouvrière dans l’organisation de tous les évènements artistiques d’Uzeste Musical-, Louis Lubat, batteur ont du jouer d’égal à égal, se mesurer en duo à la stature de Michel Portal « Situation inédite pour moi, et pas si aisée face à un musicien d cette envergure» disait après coup le fils Lubat. Occasion d’affirmer in situ, arme à la main ou à main nue, un savoir faire au delà du faire savoir résonnant habituellement dans les murs d’Uzeste. Le lendemain Thomas Boudé, guitariste puis Jules Rousseau, bassiste, montaient sur les planches de l’Estaminet pour une prestation solo offerte à un public à priori alléché par les duettistes habituels du lieu. Un autre pari signé Lubat dans sa quête de concrétiser, favoriser, valoriser « la musique à vivre » Et son avenir dans un lieu du « Tout Monde » jazz (pour citer l’écrivain martiniquais Edouard Glissant qui vint porter sa parole à Uzeste, lui aussi) minuscule même si sacralisé par les échos de l’impro.

Uzeste et Lubat son chamane ont fait voeu d’oser.

Robert Latxague

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Un claquement sourd tel un coup de fusil retentit au beau milieu des épanchements du duo. Répété le vendredi comme le samedi cette détonation, bruit incongru, bref, violent, autant qu’éphémère interrompt illico les échanges Lubat Portal. Personne n’y trouvera d’explication. Epiphénomène singulier. Mystère de l’Estaminet.

Michel Portal (bcl, ss), Bernard Lubat (p, synthé, dm), Fabrice Vieira (g, voc, électro-acoustique), Louis Lubat (dm), Thomas Boudé (g), Jules Rousseau (elb)

L’Estaminet, Uzeste (33730), 2-3 mars

Mais qu’est-ce qui peut donc faire courir encore Michel Portal, fringant musicien octogénaire de réputation internationale, derrière des pans de notes improvisées par essence imprévisibles, donc toujours promptes à échapper à tout contrôle le temps d’une ou deux nuits humides de l’hiver finissant qui nimbe le désert apparent sable plus pins de la lande girondine immortalisée par Mauriac ? Lubat, compère et ami de toujours, musicien de chair et d’os, obstiné, facétieux, intenable ? Sans doute. Le fils prodigue d’Uzeste le connaît parfaitement. Il subodore son être musical, le décrypte, s’y entend à le banderilller, le motiver. La perspective d’un enregistrement live inédit au bout de tant d’autres disques gravés ? Surement pas. Le musicien bayonnais déteste que ses notes se retrouvent « figées, piégées » de quoi le rendre parfois un tantinet paranoïaque. L’esprit unique d’Uzeste ? Plus sûrement.  En tant que gage d’une liberté retrouvée d’improviser sans arrière pensée, hasard et nécessité de pouvoir se jeter consentant dans la gueule du loup. En l’occurence dans l’oreille d’un public qui s’y attend ou pas. Par défi -sa terre d’origine, Bayonne, dans le jeu, le savoir/vouloir vivre à plaisir y invite naturellement- cf une ligne de vie artistique assumée depuis Chateauvallon jusqu’à Uzeste plus que de Montreux à Marciac. Dès lors il y va franco, histoire de prouver, aux autres, à soi, à son hôte, aux jeunes de la Compagnie Lubat, à tous finalement, sa capacité à, son envie irrépressible de…jeter par dessus bord des certitudes de virtuose classique, des incertitudes de savoir jazzistique, peut-être même un trop plein de partitions repères dans sa carrière avalées par milliers. Pour faire quoi au juste ? Du Portal, tout simplement, instant éphémère gravé dans le marbre numérique, ce jour, à Uzeste. Avec ses doutes, ses craintes et ses cris. Où l’on entendra des traces d’une fugue de Bach aussi bien que le fruit mûr, goûteux, du souffle fort filtré par un bec de saxophone soprano façonné « là bas en Amérique »

Paradoxe encore ? Pas forcément non plus à y réfléchir une minute. Ce week-end, au hasard d’un  morceau de Kind of Blue passé en boucle dans les hauts parleurs de l’Estaminet,  Bernard Lubat comme Michel Portal, ont lâché sans se concerter une même confidence choc ressentie lors d’un concert vécu de John Coltrane à Antibes ou à l’Olympia à la fin des sixties « Ce type m’a tué par sa force, la puissance générée sur son instrument » avoue le second « J’ai compris que j’avais du chemin à accomplir avant de pouvoir prétendre jouer du jazz » se souvient, encore marqué, le premier.

« Qu’on l’appelle jazz ou pas il faut laisser une trace vivante d’un mode de musique pas si souvent jouée dans l’esprit comme ici» Bernard Lubat justifie ainsi son entreprise d’enregistrer dans son village refuge des concerts en direct, des moments assumés d’improvisation totale « Improviser ? Entre vouloir et savoir, entre le dire et le faire sans filet il y a de la marge » affirme Lubat. Dans l’optique de ce qu’il baptise « la musique à  vivre » l’alchimiste d’Uzeste a créé une collection de CD qui compte déjà deux unités: un piano solo (Lubat, Conservatoire, Labeluz: Harmonia Mundi); un premier duo (Bernard Lubat-Sylvain Luc, Intranquille, Uzeste Musical/Cristal Records) Suivront bientôt sur ce même label un Lubat-Sclavis, Et plus tard donc le débouché des deux concerts Lubat-Portal .de ce week end à l’Estaminet.

A ce titre il faudra choisir. Faire un choix entre différentes options. I y eut ces séquences de solos portaliens précédées d’hésitation sinon de doute « Un solo c’est un travail particulier, un état d’esprit qui nécessite une dose de préparation. Et là je dois m’y plonger d’un coup, d’un seul… » Résultat concret en autant d’épisodes contrastés. Clarinette basse en mode d’entame. Jour J1: un temps pour beaucoup de rondeur dans la sonorité, de la souplesse donnée au tempo, une dose de sensualité pour, au public,  entrer dans l’histoire non sans confort. Jour  J2: le filtre change sur le même instrument: Portal attaque fort dans le registre des aigües avant de basculer vers des vagues de souffles soutenus, superposés, série de houle à surfer sur les intervalles sonores. Puis vient le temps du saxophone soprano. Les notes jaillissent dures, serrées, tranchantes comme des lames. Plus question de confidence, de conversation soft. Le récit, la ponctuation dans le souffle portalien se font sur un autre ton. Celui d’une urgence.

Vient le temps d’un premier duo. La manière reflète un parcours, une histoire d’accroches communes. Avec Lubat Portal en couple pacsé pour et par l’impro, une fois  porté sur scène résonnent une complicité, une écoute, des phrases lâchées nature en question réponse. Plus quelques cris poussés très haut, très fort bien entendu. Phases de crêtes lorsque les notes s’amoncellent en pluie, en tempête. Effet Sisyphe garanti dès lors que l’un pousse et l’autre repousse. Avant de glisser ver l’apaisement, accords, mélodies offertes en douceur satinée lorsque s’impose la qualité de la sonorité (clarinette basse) ou sur le clavier la délicatesse du toucher. Montée en tension, dévalements, ravalement (lorsque Lubat redevient batteur, état malheureusement trop souvent passager, cet instrument se fait à nouveau musique intense, dans des premiers plans singuliers comme au cours de panoramiques révélant soudain une inhabituelle profondeur du champ percussif). Question de continuum du contrôle de qualité à assurer, certes tout ne vient pas en égal. Ni surtout à l’étal. Reste que dans ces moments de jazz à inventer sur l’instant, chacun peut toujours trouver à l’écoute, dans l’échange, par le parti pris du risque sa part de beau, de (bien) sentI. Une vraie responsabilité échoit donc désormais à celui, ceux, qui feront le choix des morceaux élus pour l’album à venir.

Pour rester dans le domaine du choix il convient de noter également celui opéré par Bernard Lubat de faire figurer dans ces deux soirées les jeunes musiciens de la Compagnie Lubat de Jazzcogne. Fabrice Vieira, guitariste, chanteur, bruitiste -et par ailleurs cheville ouvrière dans l’organisation de tous les évènements artistiques d’Uzeste Musical-, Louis Lubat, batteur ont du jouer d’égal à égal, se mesurer en duo à la stature de Michel Portal « Situation inédite pour moi, et pas si aisée face à un musicien d cette envergure» disait après coup le fils Lubat. Occasion d’affirmer in situ, arme à la main ou à main nue, un savoir faire au delà du faire savoir résonnant habituellement dans les murs d’Uzeste. Le lendemain Thomas Boudé, guitariste puis Jules Rousseau, bassiste, montaient sur les planches de l’Estaminet pour une prestation solo offerte à un public à priori alléché par les duettistes habituels du lieu. Un autre pari signé Lubat dans sa quête de concrétiser, favoriser, valoriser « la musique à vivre » Et son avenir dans un lieu du « Tout Monde » jazz (pour citer l’écrivain martiniquais Edouard Glissant qui vint porter sa parole à Uzeste, lui aussi) minuscule même si sacralisé par les échos de l’impro.

Uzeste et Lubat son chamane ont fait voeu d’oser.

Robert Latxague