Dynamite à la Dynamo: Fantazio élucubre avec les frères Ceccaldi!
Les élucubrations de Fantazio soutenues par les frères Ceccaldi et leur équipe: cela a donné mercredi dernier à la Dynamo un concert dingue, punk, baroque, renversant….
Fantazio (contrebasse, chant, délires), Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Roberto Negro (piano), Antonin Tri-Hoang (sax alto, clarinette, machines), La Dynamo de Pantin, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, mercredi 22 mars 2017.
Fantazio est un génie. J’essaie ordinairement de ne pas abuser de ce mot depuis longtemps trop galvaudé (Déjà, dans l’Homme sans qualités, Musil se récriait contre la dilatation sémantique de ce terme, se plaignant qu’on l’attribue même à un cheval de course…). Mais je suis persuadé que l’extravagance de Fantazio est unique. Je le pensais déjà quand je le voyais au Limonaire, cette salle de concert merveilleuse des Grands Boulevards qui malheureusement va fermer, notamment en duo avec deux japonaises aussi barrées que lui (mais dans un style différent: un style japonais…). C’était déjà complètement insensé. Mais il manquait alors à Fantazio de trouver un écrin à la mesure de sa folie. Avec les frangins Ceccaldi, c’est désormais chose faite. Il est impossible que le spectacle extravagant, délirant, poétique que nous ont offert tous ces musiciens reste sans lendemain. C’est un OVNI qui va voyager loin.
Par quoi commencer? Par tenter de décrire Fantazio, puisque les amateurs de jazz ne le connaissent peut-être pas encore. Fantazio c’est un Edouard Baer qui aurait fait quinze ans de taule. Là où les improvisations de l’un dessinent de délicates aquarelles, l’autre élucubre en faisant des trous dans la toile.
Physiquement, son visage se décompose en deux moitiés. La partie supérieure est chinoise, la partie inférieure est monténégrine et guadelmatèque. C’est un visage où le nez a pour fonction de faire diversion, tandis que les yeux se barrent dans les vertiges intérieurs, à la recherche de vers grouillants et de poissons des abymes, ceux qui ont des dents pointues jusque dans les branchies, et d’éléments chimiques inconnus à base de dioxyde de soufre (vous savez, ce truc de cours de chimie de troisième qui sent l’oeuf pourri). Donc les yeux de Fantazio s’évadent, et voyagent dans sa psyché. On ne se rend pas compte de leur absence à cause de sa manière de froncer les sourcils qui réduit ses orbites à un trait horizontal. Puis, sa voix, aidée des moulinets des bras, fait l’inventaire de ce que ses yeux découvrent. Fantazio arbore dans ces moments là une tronche inimitablement déconfite. On dirait une vieille Pythie lassée des oracles divins qu’elle est chargée de transmettre.
J’ai noté sur un petit carnet quelques unes des phrases par lesquelles Fantazio démarre ses improvisations verbales. Evidemment elles valent surtout pour son débit, son timbre, et l’accompagnement musical qui les propulse, mais malgré tout, cela peut donner une idée à ceux qui n’étaient pas à la Dynamo mercredi soir. Fantazio attaque direct, en mettant le diable au coeur de son histoire: « Alors..ça commence comme ça…un type est poursuivi par cinq personnes…Ils sont persuadés que le diable est dans son coeur… ». Fantazio , mi hébété, mi embêté continue, évoquant l’homme poursuivi: « Il est surpris d’avoir des jambes qui accompagnent son torse depuis tant d’années ». L’air abattu, Fantazio s’asseoit sur sa contrebasse comme sur un hamac. Autour de lui se met en place un accompagnement dense, implacable, où se distingue notamment le violon de Théo Ceccaldi, d’abord pizzicato , qui se met ensuite à lancer des flèches aiguës vers le ciel, la mèche plus virevoltante que jamais.
Les autres ne sont pas en reste, incroyablement déchaînés et investis, avec le batteur Benjamin Flament, et le pianiste Roberto Negro, et Antonin Tri Hoang qui par moment invente une fanfare qui aurait été menée par Ornette Coleman.
Si les improvisations suscitent l’enthousiasme et l’hilarité générale, les musiciens sont les seuls à ne pas se marrer. Ils sont tendus comme des arcs, totalement requis par l’exécution de ces arrangements denses et et implacables qui permettent à Fantazio de donner toute sa mesure. Par moments ce dernier fait des embardées brutales. Il se met à parler en Italien, Italien réel ou rêvé, ou en Anglais (pas exactement de l’Anglais yaourt, mais au moins de l’Anglais milk-shake). Et surtout il chante, voix de bronze, ou voix de tête, en s’accompagnant à la contrebasse dont il joue comme s’il voulait en arracher les cordes, et c’est un plaisir d’entendre le jeu de Fantazio et celui, si dissemblable, de Valentin Ceccaldi juste derrière lui.
Quand Fantazio chante, là ça ne rigole plus. Ses comptines entêtantes sont imparables. Sur l’une d’entre elle, dont le refrain est « Weapon, weapon », les musiciens décollent dans une tournerie incantatoire qui les emmène très haut et la salle avec. Moment incroyable. Puis Fantazio reprend le fil de ses élucubrations, et je remarque à quel point, par delà les délires, il prend soin de les construire, avec des personnages récurrents qui reviennent, comme Gargantua ou Godzilla, dont Fantazio, après mille tours et détours de son imagination nous raconte qu’il veut détruire le 15e arrondissement de Paris, mais hésite plutôt à anéantir le quartier du Marais, dont les ruines seraient plus « soyeuses ». Toujours avec son air affaré-accablé, toujours avec son élocution scandée Fantazio conclut d’un air sombre: « Godzilla arrache les tours de la défense pour les vendre aux Chinois en prétendant que ce sont des godemichés allemands ». Et ça continue comme ça. C’est loufoque et survolté, déjanté.
A la fin, Fantazio se lance dans la plus incroyable présentation des musiciens (elle dure bien une quinzaine de minutes…) que j’aie jamais vue, avec Valentin Ceccaldi présenté comme « un homme qui aime les bruits de mouettes chimiques ». Le concert se termine par une reprise de Chuck Berry, magnifiquement chantée par Fantazio, qui la détourne progressivement vers d’autres horizons. Et ça s’arrête tout net. Dans la salle les lumières se rallument. Les spectateurs, l’air ravi et hagard, se frottent les yeux.
Pattes de mouches: JF Mondot
Enluminures: AC Alvoët (dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com). Ceux qui souhaitent acquérir un ou plusieurs dessins illustrant ce billet sont priés d’envoyer une lettre de motivation bien tournée à la dessinatrice à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com. Réductions pour les poètes et les musiciens, majorations pour les notaires et les DRH.|
Les élucubrations de Fantazio soutenues par les frères Ceccaldi et leur équipe: cela a donné mercredi dernier à la Dynamo un concert dingue, punk, baroque, renversant….
Fantazio (contrebasse, chant, délires), Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Roberto Negro (piano), Antonin Tri-Hoang (sax alto, clarinette, machines), La Dynamo de Pantin, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, mercredi 22 mars 2017.
Fantazio est un génie. J’essaie ordinairement de ne pas abuser de ce mot depuis longtemps trop galvaudé (Déjà, dans l’Homme sans qualités, Musil se récriait contre la dilatation sémantique de ce terme, se plaignant qu’on l’attribue même à un cheval de course…). Mais je suis persuadé que l’extravagance de Fantazio est unique. Je le pensais déjà quand je le voyais au Limonaire, cette salle de concert merveilleuse des Grands Boulevards qui malheureusement va fermer, notamment en duo avec deux japonaises aussi barrées que lui (mais dans un style différent: un style japonais…). C’était déjà complètement insensé. Mais il manquait alors à Fantazio de trouver un écrin à la mesure de sa folie. Avec les frangins Ceccaldi, c’est désormais chose faite. Il est impossible que le spectacle extravagant, délirant, poétique que nous ont offert tous ces musiciens reste sans lendemain. C’est un OVNI qui va voyager loin.
Par quoi commencer? Par tenter de décrire Fantazio, puisque les amateurs de jazz ne le connaissent peut-être pas encore. Fantazio c’est un Edouard Baer qui aurait fait quinze ans de taule. Là où les improvisations de l’un dessinent de délicates aquarelles, l’autre élucubre en faisant des trous dans la toile.
Physiquement, son visage se décompose en deux moitiés. La partie supérieure est chinoise, la partie inférieure est monténégrine et guadelmatèque. C’est un visage où le nez a pour fonction de faire diversion, tandis que les yeux se barrent dans les vertiges intérieurs, à la recherche de vers grouillants et de poissons des abymes, ceux qui ont des dents pointues jusque dans les branchies, et d’éléments chimiques inconnus à base de dioxyde de soufre (vous savez, ce truc de cours de chimie de troisième qui sent l’oeuf pourri). Donc les yeux de Fantazio s’évadent, et voyagent dans sa psyché. On ne se rend pas compte de leur absence à cause de sa manière de froncer les sourcils qui réduit ses orbites à un trait horizontal. Puis, sa voix, aidée des moulinets des bras, fait l’inventaire de ce que ses yeux découvrent. Fantazio arbore dans ces moments là une tronche inimitablement déconfite. On dirait une vieille Pythie lassée des oracles divins qu’elle est chargée de transmettre.
J’ai noté sur un petit carnet quelques unes des phrases par lesquelles Fantazio démarre ses improvisations verbales. Evidemment elles valent surtout pour son débit, son timbre, et l’accompagnement musical qui les propulse, mais malgré tout, cela peut donner une idée à ceux qui n’étaient pas à la Dynamo mercredi soir. Fantazio attaque direct, en mettant le diable au coeur de son histoire: « Alors..ça commence comme ça…un type est poursuivi par cinq personnes…Ils sont persuadés que le diable est dans son coeur… ». Fantazio , mi hébété, mi embêté continue, évoquant l’homme poursuivi: « Il est surpris d’avoir des jambes qui accompagnent son torse depuis tant d’années ». L’air abattu, Fantazio s’asseoit sur sa contrebasse comme sur un hamac. Autour de lui se met en place un accompagnement dense, implacable, où se distingue notamment le violon de Théo Ceccaldi, d’abord pizzicato , qui se met ensuite à lancer des flèches aiguës vers le ciel, la mèche plus virevoltante que jamais.
Les autres ne sont pas en reste, incroyablement déchaînés et investis, avec le batteur Benjamin Flament, et le pianiste Roberto Negro, et Antonin Tri Hoang qui par moment invente une fanfare qui aurait été menée par Ornette Coleman.
Si les improvisations suscitent l’enthousiasme et l’hilarité générale, les musiciens sont les seuls à ne pas se marrer. Ils sont tendus comme des arcs, totalement requis par l’exécution de ces arrangements denses et et implacables qui permettent à Fantazio de donner toute sa mesure. Par moments ce dernier fait des embardées brutales. Il se met à parler en Italien, Italien réel ou rêvé, ou en Anglais (pas exactement de l’Anglais yaourt, mais au moins de l’Anglais milk-shake). Et surtout il chante, voix de bronze, ou voix de tête, en s’accompagnant à la contrebasse dont il joue comme s’il voulait en arracher les cordes, et c’est un plaisir d’entendre le jeu de Fantazio et celui, si dissemblable, de Valentin Ceccaldi juste derrière lui.
Quand Fantazio chante, là ça ne rigole plus. Ses comptines entêtantes sont imparables. Sur l’une d’entre elle, dont le refrain est « Weapon, weapon », les musiciens décollent dans une tournerie incantatoire qui les emmène très haut et la salle avec. Moment incroyable. Puis Fantazio reprend le fil de ses élucubrations, et je remarque à quel point, par delà les délires, il prend soin de les construire, avec des personnages récurrents qui reviennent, comme Gargantua ou Godzilla, dont Fantazio, après mille tours et détours de son imagination nous raconte qu’il veut détruire le 15e arrondissement de Paris, mais hésite plutôt à anéantir le quartier du Marais, dont les ruines seraient plus « soyeuses ». Toujours avec son air affaré-accablé, toujours avec son élocution scandée Fantazio conclut d’un air sombre: « Godzilla arrache les tours de la défense pour les vendre aux Chinois en prétendant que ce sont des godemichés allemands ». Et ça continue comme ça. C’est loufoque et survolté, déjanté.
A la fin, Fantazio se lance dans la plus incroyable présentation des musiciens (elle dure bien une quinzaine de minutes…) que j’aie jamais vue, avec Valentin Ceccaldi présenté comme « un homme qui aime les bruits de mouettes chimiques ». Le concert se termine par une reprise de Chuck Berry, magnifiquement chantée par Fantazio, qui la détourne progressivement vers d’autres horizons. Et ça s’arrête tout net. Dans la salle les lumières se rallument. Les spectateurs, l’air ravi et hagard, se frottent les yeux.
Pattes de mouches: JF Mondot
Enluminures: AC Alvoët (dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com). Ceux qui souhaitent acquérir un ou plusieurs dessins illustrant ce billet sont priés d’envoyer une lettre de motivation bien tournée à la dessinatrice à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com. Réductions pour les poètes et les musiciens, majorations pour les notaires et les DRH.|
Les élucubrations de Fantazio soutenues par les frères Ceccaldi et leur équipe: cela a donné mercredi dernier à la Dynamo un concert dingue, punk, baroque, renversant….
Fantazio (contrebasse, chant, délires), Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Roberto Negro (piano), Antonin Tri-Hoang (sax alto, clarinette, machines), La Dynamo de Pantin, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, mercredi 22 mars 2017.
Fantazio est un génie. J’essaie ordinairement de ne pas abuser de ce mot depuis longtemps trop galvaudé (Déjà, dans l’Homme sans qualités, Musil se récriait contre la dilatation sémantique de ce terme, se plaignant qu’on l’attribue même à un cheval de course…). Mais je suis persuadé que l’extravagance de Fantazio est unique. Je le pensais déjà quand je le voyais au Limonaire, cette salle de concert merveilleuse des Grands Boulevards qui malheureusement va fermer, notamment en duo avec deux japonaises aussi barrées que lui (mais dans un style différent: un style japonais…). C’était déjà complètement insensé. Mais il manquait alors à Fantazio de trouver un écrin à la mesure de sa folie. Avec les frangins Ceccaldi, c’est désormais chose faite. Il est impossible que le spectacle extravagant, délirant, poétique que nous ont offert tous ces musiciens reste sans lendemain. C’est un OVNI qui va voyager loin.
Par quoi commencer? Par tenter de décrire Fantazio, puisque les amateurs de jazz ne le connaissent peut-être pas encore. Fantazio c’est un Edouard Baer qui aurait fait quinze ans de taule. Là où les improvisations de l’un dessinent de délicates aquarelles, l’autre élucubre en faisant des trous dans la toile.
Physiquement, son visage se décompose en deux moitiés. La partie supérieure est chinoise, la partie inférieure est monténégrine et guadelmatèque. C’est un visage où le nez a pour fonction de faire diversion, tandis que les yeux se barrent dans les vertiges intérieurs, à la recherche de vers grouillants et de poissons des abymes, ceux qui ont des dents pointues jusque dans les branchies, et d’éléments chimiques inconnus à base de dioxyde de soufre (vous savez, ce truc de cours de chimie de troisième qui sent l’oeuf pourri). Donc les yeux de Fantazio s’évadent, et voyagent dans sa psyché. On ne se rend pas compte de leur absence à cause de sa manière de froncer les sourcils qui réduit ses orbites à un trait horizontal. Puis, sa voix, aidée des moulinets des bras, fait l’inventaire de ce que ses yeux découvrent. Fantazio arbore dans ces moments là une tronche inimitablement déconfite. On dirait une vieille Pythie lassée des oracles divins qu’elle est chargée de transmettre.
J’ai noté sur un petit carnet quelques unes des phrases par lesquelles Fantazio démarre ses improvisations verbales. Evidemment elles valent surtout pour son débit, son timbre, et l’accompagnement musical qui les propulse, mais malgré tout, cela peut donner une idée à ceux qui n’étaient pas à la Dynamo mercredi soir. Fantazio attaque direct, en mettant le diable au coeur de son histoire: « Alors..ça commence comme ça…un type est poursuivi par cinq personnes…Ils sont persuadés que le diable est dans son coeur… ». Fantazio , mi hébété, mi embêté continue, évoquant l’homme poursuivi: « Il est surpris d’avoir des jambes qui accompagnent son torse depuis tant d’années ». L’air abattu, Fantazio s’asseoit sur sa contrebasse comme sur un hamac. Autour de lui se met en place un accompagnement dense, implacable, où se distingue notamment le violon de Théo Ceccaldi, d’abord pizzicato , qui se met ensuite à lancer des flèches aiguës vers le ciel, la mèche plus virevoltante que jamais.
Les autres ne sont pas en reste, incroyablement déchaînés et investis, avec le batteur Benjamin Flament, et le pianiste Roberto Negro, et Antonin Tri Hoang qui par moment invente une fanfare qui aurait été menée par Ornette Coleman.
Si les improvisations suscitent l’enthousiasme et l’hilarité générale, les musiciens sont les seuls à ne pas se marrer. Ils sont tendus comme des arcs, totalement requis par l’exécution de ces arrangements denses et et implacables qui permettent à Fantazio de donner toute sa mesure. Par moments ce dernier fait des embardées brutales. Il se met à parler en Italien, Italien réel ou rêvé, ou en Anglais (pas exactement de l’Anglais yaourt, mais au moins de l’Anglais milk-shake). Et surtout il chante, voix de bronze, ou voix de tête, en s’accompagnant à la contrebasse dont il joue comme s’il voulait en arracher les cordes, et c’est un plaisir d’entendre le jeu de Fantazio et celui, si dissemblable, de Valentin Ceccaldi juste derrière lui.
Quand Fantazio chante, là ça ne rigole plus. Ses comptines entêtantes sont imparables. Sur l’une d’entre elle, dont le refrain est « Weapon, weapon », les musiciens décollent dans une tournerie incantatoire qui les emmène très haut et la salle avec. Moment incroyable. Puis Fantazio reprend le fil de ses élucubrations, et je remarque à quel point, par delà les délires, il prend soin de les construire, avec des personnages récurrents qui reviennent, comme Gargantua ou Godzilla, dont Fantazio, après mille tours et détours de son imagination nous raconte qu’il veut détruire le 15e arrondissement de Paris, mais hésite plutôt à anéantir le quartier du Marais, dont les ruines seraient plus « soyeuses ». Toujours avec son air affaré-accablé, toujours avec son élocution scandée Fantazio conclut d’un air sombre: « Godzilla arrache les tours de la défense pour les vendre aux Chinois en prétendant que ce sont des godemichés allemands ». Et ça continue comme ça. C’est loufoque et survolté, déjanté.
A la fin, Fantazio se lance dans la plus incroyable présentation des musiciens (elle dure bien une quinzaine de minutes…) que j’aie jamais vue, avec Valentin Ceccaldi présenté comme « un homme qui aime les bruits de mouettes chimiques ». Le concert se termine par une reprise de Chuck Berry, magnifiquement chantée par Fantazio, qui la détourne progressivement vers d’autres horizons. Et ça s’arrête tout net. Dans la salle les lumières se rallument. Les spectateurs, l’air ravi et hagard, se frottent les yeux.
Pattes de mouches: JF Mondot
Enluminures: AC Alvoët (dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com). Ceux qui souhaitent acquérir un ou plusieurs dessins illustrant ce billet sont priés d’envoyer une lettre de motivation bien tournée à la dessinatrice à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com. Réductions pour les poètes et les musiciens, majorations pour les notaires et les DRH.|
Les élucubrations de Fantazio soutenues par les frères Ceccaldi et leur équipe: cela a donné mercredi dernier à la Dynamo un concert dingue, punk, baroque, renversant….
Fantazio (contrebasse, chant, délires), Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Roberto Negro (piano), Antonin Tri-Hoang (sax alto, clarinette, machines), La Dynamo de Pantin, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, mercredi 22 mars 2017.
Fantazio est un génie. J’essaie ordinairement de ne pas abuser de ce mot depuis longtemps trop galvaudé (Déjà, dans l’Homme sans qualités, Musil se récriait contre la dilatation sémantique de ce terme, se plaignant qu’on l’attribue même à un cheval de course…). Mais je suis persuadé que l’extravagance de Fantazio est unique. Je le pensais déjà quand je le voyais au Limonaire, cette salle de concert merveilleuse des Grands Boulevards qui malheureusement va fermer, notamment en duo avec deux japonaises aussi barrées que lui (mais dans un style différent: un style japonais…). C’était déjà complètement insensé. Mais il manquait alors à Fantazio de trouver un écrin à la mesure de sa folie. Avec les frangins Ceccaldi, c’est désormais chose faite. Il est impossible que le spectacle extravagant, délirant, poétique que nous ont offert tous ces musiciens reste sans lendemain. C’est un OVNI qui va voyager loin.
Par quoi commencer? Par tenter de décrire Fantazio, puisque les amateurs de jazz ne le connaissent peut-être pas encore. Fantazio c’est un Edouard Baer qui aurait fait quinze ans de taule. Là où les improvisations de l’un dessinent de délicates aquarelles, l’autre élucubre en faisant des trous dans la toile.
Physiquement, son visage se décompose en deux moitiés. La partie supérieure est chinoise, la partie inférieure est monténégrine et guadelmatèque. C’est un visage où le nez a pour fonction de faire diversion, tandis que les yeux se barrent dans les vertiges intérieurs, à la recherche de vers grouillants et de poissons des abymes, ceux qui ont des dents pointues jusque dans les branchies, et d’éléments chimiques inconnus à base de dioxyde de soufre (vous savez, ce truc de cours de chimie de troisième qui sent l’oeuf pourri). Donc les yeux de Fantazio s’évadent, et voyagent dans sa psyché. On ne se rend pas compte de leur absence à cause de sa manière de froncer les sourcils qui réduit ses orbites à un trait horizontal. Puis, sa voix, aidée des moulinets des bras, fait l’inventaire de ce que ses yeux découvrent. Fantazio arbore dans ces moments là une tronche inimitablement déconfite. On dirait une vieille Pythie lassée des oracles divins qu’elle est chargée de transmettre.
J’ai noté sur un petit carnet quelques unes des phrases par lesquelles Fantazio démarre ses improvisations verbales. Evidemment elles valent surtout pour son débit, son timbre, et l’accompagnement musical qui les propulse, mais malgré tout, cela peut donner une idée à ceux qui n’étaient pas à la Dynamo mercredi soir. Fantazio attaque direct, en mettant le diable au coeur de son histoire: « Alors..ça commence comme ça…un type est poursuivi par cinq personnes…Ils sont persuadés que le diable est dans son coeur… ». Fantazio , mi hébété, mi embêté continue, évoquant l’homme poursuivi: « Il est surpris d’avoir des jambes qui accompagnent son torse depuis tant d’années ». L’air abattu, Fantazio s’asseoit sur sa contrebasse comme sur un hamac. Autour de lui se met en place un accompagnement dense, implacable, où se distingue notamment le violon de Théo Ceccaldi, d’abord pizzicato , qui se met ensuite à lancer des flèches aiguës vers le ciel, la mèche plus virevoltante que jamais.
Les autres ne sont pas en reste, incroyablement déchaînés et investis, avec le batteur Benjamin Flament, et le pianiste Roberto Negro, et Antonin Tri Hoang qui par moment invente une fanfare qui aurait été menée par Ornette Coleman.
Si les improvisations suscitent l’enthousiasme et l’hilarité générale, les musiciens sont les seuls à ne pas se marrer. Ils sont tendus comme des arcs, totalement requis par l’exécution de ces arrangements denses et et implacables qui permettent à Fantazio de donner toute sa mesure. Par moments ce dernier fait des embardées brutales. Il se met à parler en Italien, Italien réel ou rêvé, ou en Anglais (pas exactement de l’Anglais yaourt, mais au moins de l’Anglais milk-shake). Et surtout il chante, voix de bronze, ou voix de tête, en s’accompagnant à la contrebasse dont il joue comme s’il voulait en arracher les cordes, et c’est un plaisir d’entendre le jeu de Fantazio et celui, si dissemblable, de Valentin Ceccaldi juste derrière lui.
Quand Fantazio chante, là ça ne rigole plus. Ses comptines entêtantes sont imparables. Sur l’une d’entre elle, dont le refrain est « Weapon, weapon », les musiciens décollent dans une tournerie incantatoire qui les emmène très haut et la salle avec. Moment incroyable. Puis Fantazio reprend le fil de ses élucubrations, et je remarque à quel point, par delà les délires, il prend soin de les construire, avec des personnages récurrents qui reviennent, comme Gargantua ou Godzilla, dont Fantazio, après mille tours et détours de son imagination nous raconte qu’il veut détruire le 15e arrondissement de Paris, mais hésite plutôt à anéantir le quartier du Marais, dont les ruines seraient plus « soyeuses ». Toujours avec son air affaré-accablé, toujours avec son élocution scandée Fantazio conclut d’un air sombre: « Godzilla arrache les tours de la défense pour les vendre aux Chinois en prétendant que ce sont des godemichés allemands ». Et ça continue comme ça. C’est loufoque et survolté, déjanté.
A la fin, Fantazio se lance dans la plus incroyable présentation des musiciens (elle dure bien une quinzaine de minutes…) que j’aie jamais vue, avec Valentin Ceccaldi présenté comme « un homme qui aime les bruits de mouettes chimiques ». Le concert se termine par une reprise de Chuck Berry, magnifiquement chantée par Fantazio, qui la détourne progressivement vers d’autres horizons. Et ça s’arrête tout net. Dans la salle les lumières se rallument. Les spectateurs, l’air ravi et hagard, se frottent les yeux.
Pattes de mouches: JF Mondot
Enluminures: AC Alvoët (dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com). Ceux qui souhaitent acquérir un ou plusieurs dessins illustrant ce billet sont priés d’envoyer une lettre de motivation bien tournée à la dessinatrice à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com. Réductions pour les poètes et les musiciens, majorations pour les notaires et les DRH.