Cubano be Cubano bop III: Santiago, musica caliente plus !
« Si tu veux entendre de la musique cubaine avec du caractère et goûter du vrai rhum, alors tu dois aller jusqu’à Santiago » m’avaient conseillé des connaisseurs des deux matières. Pour satisfaire à cette double recommandation, il fallait traverser l’île croissant des Caraïbes de part en part. Vamos !
Santiago de Cuba
Cayo Granma, une petite île à une demie heure du port bien crasseux (cimenterie, centrale à fioul lourd) de Santiago, deuxième ville du pays. Dans ce caillou on ne débarque pas par hasard, mais avec quelque intention, sortir des gaz d’échappement des vieilles belles américaines de la ville, appréhender le quotidien des pécheurs, se glisser parmi les voyageurs du crû de retour de la ville, nantis de provisions minimales peu variées, tous acheminé par un bateau poussif serpentant dans un estuaire sinueux Quelques maisons, celles des pécheurs autour de l’embarcadère minuscule, d’autres disséminés sur sur ce bloc de rochers écrasé de soleil. Au détour d’un chemin escarpé, surplombant de petites barques sommaires (les quelques vrais pêcheurs, d’autres voguent assis tant bien que mal sur de grosse chambres à air de camion en pagayant à main nue histoire d’aller placer leurs lignes de fortune dans l’eau saumâtre !), on tombe sur une enseigne à peine visible. Et encore un escalier qui grimpe à l’étage. Un petite brise apporte un brin de fraicheur sur la terrasse du resto local El Molinero. À peine posé sur un banc de bois dans l’attente d’El Bucanero, la bière cubaine décidément la plus avenante ainsi que la spécialité de langoustes, on entend soudain un bruit de pas asymétriques claquer sur les marches béton de l’escalier. Trente secondes plus tard il apparaît comme surgi au ralenti dans un film des frères Cohen. Un large chapeau de toile brune caractéristiques des guajiros, les cavaliers des ranchs d’élevage (Eliades Ochoa, successeur de Compay Secundo au sein du Buena Vista Social Club en porte un de la sorte) sur le sommet du crâne, une grosse tête avec des yeux clairs, une grande bouche fendue d’un sourire tout aussi large, une paire de maracas dans la main gauche, il s’appuie sur une cane calée sous l’aisselle droite. Jorge, le chanteur du trio de musiciens attitrés de l’établissement lance un bonjour sonore à l’adresse des trois tables occupées ce midi. Le trio de musiciens traditionnels: vocal + guitare + bongo/cloche métal égrène son, boléro et cha-cha. Une chanson du légendaire Trio Matamoros, une version douce de hits afro-cubains qui ont largement traversé l’océan type Dos gardenias immortalisée par Omara Portuondo la Diva ou encore un très dansant La muleta y el baston: le chanteur sexagénaire (au moins) charmeur autant que rieur y impose une voix profonde, précise, modulée, travaillée dans les intonations. Pour terminer, cerise mûre sur gâteau crémeux, Jorge l’oeil coquin, la lippe gourmande entonne un air de sa composition avec paroles à double voire triple sens . Elle conte mine de rien une histoire sexe et symboles en parlé-chanté. Décor improbable n’empêche ni mets ni musique de qualité.
Le soir venu, suite à une bonne averse tropicale porteuse d’un peu de fraîcheur, le temps est venu de chercher un autre lieu de la ville indiqué par notre hôte de la casa particular qui nous abrite. Dur dur de trouver dans l’écheveau des ruelles pavées ce Coro Madrigalista au nom évocateur d’un lien tissé avec une musique des salons de la France monarchique du XVIIIe siècle (Une trace française que l’on retrouve par ailleurs dans le danzón, autre genre populaire de la musique traditionnelle cubaine issue de la contredanse importée dans l’île via Haïti) Au final cette salle un peu vieillotte renommée pour la qualité de la musique exposée se trouve en vis à vis de la façade de l’imposant musée Emilio Bacardi. Edifice style néo-classique aux colonnades imite pompier dédié à ce patriote, de souche française, indépendantiste, banni de son île car rebelle à l’occupation espagnole au XIX e siècle. Héritier, faut-il le préciser, de ce patronyme du fameux rhum cubain dont la devise est une chauve souris. A l’intérieur de la salle du dit Coro, assis près d’un un bon vieux piano à queue qui paraît avoir beaucoup (trop) vécu, trois ou quatre vétérans devisent tranquillement entr’eux. Renseignement pris le concert doit bel et bien avoir lieu là. Plus tard que prévu toutefois : « Nos deux collègues guitariste et percussionniste ne sont pas encore arrivés. Ils habitent sur une autre hauteur de la ville. Il leur faut déjà habituellement pas mal de temps pour venir jusqu’ici. Et vu les grosses pluie tombées tout à l’heure, ils ont du se trouver pas mal retardés… » explique tranquillement l’un des musiciens « Donc difficile de dire quand nous commencerons. En attendant vous pouvez déguster du rhum de Santiago, c’est le meilleur de Cuba » Et joignant le geste à la parole, d’appeler le préposé au bar, lui aussi absent de son poste à cet instant. Deux heures plus tard, repassant devant cette même entrée on trouvera porte close. Pas de madrigal ni de contredanse cubanisés cette nuit en ce lieu très prisé. Seulement le rythme dru des gouttes de la pluie tropicale santiaguera…
Dansez maintenant !
Qu’importe, on se rabat illico sur une autre salle à deux rues de là, attirés par des sonorités plus électriques bois. Au Patio Artex se produit ce soir Sones de Oriente. Encore et toujours une base de percussions, tambours, et métal, un cajon en supplément. En appui mélodique on note deux voix, chanteur et chanteuse, un flutiste et même un sax alto qui n’hésitent pas à prendre des soli vigoureux, plus une guitare « trafiquée » en mode tres, instrument à trois cordes dédoublées: la cohésion est parfaite qui dégage du coup une grosse dynamique dans un son très dense…favorable à la danse, histoire de mieux guarachar (notion de fête, de plaisir) comme l’on dit à Cuba. Yuri Rivera Camacho, joueur de tres, chanteur, compositeur est le leader de cet orchestre qui a son histoire « Le nom de cet orchestre existe depuis…80 ans. Vrai ! Bien sur. notre objectif aujourd’hui reste de faire évoluer notre musique avec des ingrédients du Cuba d’aujourd’hui. D’où ces couleurs de cuivre, la flûte, la contrebasse électrique… » Et la vente du CD ou lDVD systématiquement proposés aux clients dès le final du set (yuri.rivera@nauta.com) « Autant le dire tout de suite, c’est plutôt coton de se faire payer comme musicien dans les différents lieux de musique live à Cuba. Ici au Patio, comme ailleurs. Alors on doit se débrouiller par nous mêmes… » Le jeune flutiste glisse alors qu’il se produit aussi dans un sextet de jazz « Mais malheureusement pas de concert à vous proposer dans les jours qui viennent. Ceci dit vous pouvez toujours aller voir du côté de l’Iris Jazz Club » Minuit, sur le chemin du retour, d’autres sonorités alléchantes jaillissent de la porte grand ouverte d’un café au nom paradoxal en ces latitudes « Casa del Queso » (Maison du Fromage) Bon, une dernière halte le temps de plonger dans une ambiance très chaude aux sons de la rumba, toujours. Des jeunes cubains au look d’étudiants dansent, se déhanchent parfaitement en rythme, synchrones sur les beats afro-cubains, relancés sans cesse par un chanteur percussionniste à la stature massive, sorte de géant joyeux, débonnaire à qui la barbe blanche fournie donne de faux airs de Sonny Rollins. Défilent ainsi poussés par de brefs rushs de sax ténor une bonne série de standards afro-cubains. Quelques touristes, mais une majorité de latinos et cubains surtout font le public qui sirote dur. Et forme le corps de danseurs danseuses très à l’aise, bien remonté pour profiter à fond de la température ambiante.
Piano jazz
Le lendemain, à la nuit tombée sur le centre historique, il faut remonter toute la rue piétonne José Maria Heredia (non, pas le poète romantique connu (?) des lycéens français avec une particule précédant le nom, mais un (quasi) homonyme, grande figure de la poésie cubaine expulsé lui aussi de Cuba vers Mexico pour avoir comploté cotre les Espagnols au début du XIXe ) pour aboutir enfin à une belle place plantée d’arbres à la futée superbe. L’Iris Jazz Club présente tous les soirs un orchestre différent. A l’entrée (5 CUC, soit cinq € pour le visiteur étranger) dans une sorte de bar vestibule old fashioned on ne peut manquer de voir des photos ou affiches un peu datées de Chucho Valdes (époque Irakere), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca ou Arturo Sandoval. La salle paraît grande, la scène également. Décor un peu spartiate, très peu d’éclairage, une vingtaine de tables, sièges minimalistes et quasiment pas de sono visible. Au programme de la soirée le trio Jazz D’Bess du pianiste J Camilo Bess Gomez. Un standard (Softly) pour débuter le set, suivi d’une incursion dans l’univers salé sucré de Antonio Carlos Jobim (Agua de beber) le temps d’installer pour le jeune pianiste un jeu solide, savant mais pas trop dans l’exploration du clavier, un vrai son de trio également. A taste of honey des Beatles offre des idées originales dans l’introduction du thème plus quelques délicatesses comme marque d’une main droite plutôt brillante. Le moteur tourne rond, ronfle même lorsque le trio roule grand train sur le Cantaloupe Island de Herbe Hancock (Lui aussi me citera le pianiste comme une de ses influences majeures) Occasion pour le batteur, Sergio ( «nouveau venu pourtant au sein du trio » s’il faut en faut en croire le leader) très enjoué de déclencher quelques explosions de tambours en dépit d’un matériel plutôt vétuste sinon rudimentaire. Au point de changer de cymbale -question de sonorité ?- avec l’aide d’un complice en plein milieu de morceau, sans arrêter de jouer pour autant…Au final, après une incursion soignée, avec une bonne dose d’écoute mutuelle, dans les harmonies d’Autumn leaves. Sans beaucoup d’annonce sinon le nom des musiciens de la part du pianiste avare de parole, le set se termine sur une longue improvisation mise en partage, moment d’exposition d’un savoir faire certain à la basse de la part de Denys Lobaina Martos (à l’archet y compris) On sent du caractère, de l’envie, une technique aboutie chez le pianiste, des possibilités certaines également au niveau du trio. La quinzaine de spectateurs salue le boulot mais pas de rappel pour autant… Juste le temps de se présenter, d’échanger quelques impressions avec les musiciens, d’évoquer Jazz Magazine, de parler un peu du métier de musicien de jazz à Cuba, et l’on nous indique sans plus d’explication que les portes du club vont se refermer. Entre temps J Camilo s’est éclipsé en indiquant qu’il va revenir derechef. Effectivement, devant la porte close du club il est de retour dix minutes plus tard piloté par un ami à moto. Sans ôter son casque il me tend un album enregistré en trio, Jazz D’Bess volume 1 « Ecoute le, j’aimerais bien jouer un jour hors de Cuba, même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un rêve… » Un petit salut de la main, un adios lâché d’une voix douce, J Camilo Bess (camilobess@nauta.cu) remonte sur le siège arrière de la moto de son ami pour partir dans la nuit douce qui s’annonce. Il est à peine 22 h 30 et au détour du témoignage direct d’un pianiste bien discret, le jazz pur jus paraît s’être comme endormi ce soir à Santiago de Cuba. Perçant une rue adjacente, le riff lourd d’une basse propulse la voix de tête insistante d’une star de la musique latino aux biceps survitaminés, entouré d’un lot de danseuses plus canon les unes que les autres. Au comptoir tous les regards mâles fixent le grand écran plat scintillant de couleurs vives autant que de formes sensuelles en diable.
(a suivre)
Robert Latxague
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« Si tu veux entendre de la musique cubaine avec du caractère et goûter du vrai rhum, alors tu dois aller jusqu’à Santiago » m’avaient conseillé des connaisseurs des deux matières. Pour satisfaire à cette double recommandation, il fallait traverser l’île croissant des Caraïbes de part en part. Vamos !
Santiago de Cuba
Cayo Granma, une petite île à une demie heure du port bien crasseux (cimenterie, centrale à fioul lourd) de Santiago, deuxième ville du pays. Dans ce caillou on ne débarque pas par hasard, mais avec quelque intention, sortir des gaz d’échappement des vieilles belles américaines de la ville, appréhender le quotidien des pécheurs, se glisser parmi les voyageurs du crû de retour de la ville, nantis de provisions minimales peu variées, tous acheminé par un bateau poussif serpentant dans un estuaire sinueux Quelques maisons, celles des pécheurs autour de l’embarcadère minuscule, d’autres disséminés sur sur ce bloc de rochers écrasé de soleil. Au détour d’un chemin escarpé, surplombant de petites barques sommaires (les quelques vrais pêcheurs, d’autres voguent assis tant bien que mal sur de grosse chambres à air de camion en pagayant à main nue histoire d’aller placer leurs lignes de fortune dans l’eau saumâtre !), on tombe sur une enseigne à peine visible. Et encore un escalier qui grimpe à l’étage. Un petite brise apporte un brin de fraicheur sur la terrasse du resto local El Molinero. À peine posé sur un banc de bois dans l’attente d’El Bucanero, la bière cubaine décidément la plus avenante ainsi que la spécialité de langoustes, on entend soudain un bruit de pas asymétriques claquer sur les marches béton de l’escalier. Trente secondes plus tard il apparaît comme surgi au ralenti dans un film des frères Cohen. Un large chapeau de toile brune caractéristiques des guajiros, les cavaliers des ranchs d’élevage (Eliades Ochoa, successeur de Compay Secundo au sein du Buena Vista Social Club en porte un de la sorte) sur le sommet du crâne, une grosse tête avec des yeux clairs, une grande bouche fendue d’un sourire tout aussi large, une paire de maracas dans la main gauche, il s’appuie sur une cane calée sous l’aisselle droite. Jorge, le chanteur du trio de musiciens attitrés de l’établissement lance un bonjour sonore à l’adresse des trois tables occupées ce midi. Le trio de musiciens traditionnels: vocal + guitare + bongo/cloche métal égrène son, boléro et cha-cha. Une chanson du légendaire Trio Matamoros, une version douce de hits afro-cubains qui ont largement traversé l’océan type Dos gardenias immortalisée par Omara Portuondo la Diva ou encore un très dansant La muleta y el baston: le chanteur sexagénaire (au moins) charmeur autant que rieur y impose une voix profonde, précise, modulée, travaillée dans les intonations. Pour terminer, cerise mûre sur gâteau crémeux, Jorge l’oeil coquin, la lippe gourmande entonne un air de sa composition avec paroles à double voire triple sens . Elle conte mine de rien une histoire sexe et symboles en parlé-chanté. Décor improbable n’empêche ni mets ni musique de qualité.
Le soir venu, suite à une bonne averse tropicale porteuse d’un peu de fraîcheur, le temps est venu de chercher un autre lieu de la ville indiqué par notre hôte de la casa particular qui nous abrite. Dur dur de trouver dans l’écheveau des ruelles pavées ce Coro Madrigalista au nom évocateur d’un lien tissé avec une musique des salons de la France monarchique du XVIIIe siècle (Une trace française que l’on retrouve par ailleurs dans le danzón, autre genre populaire de la musique traditionnelle cubaine issue de la contredanse importée dans l’île via Haïti) Au final cette salle un peu vieillotte renommée pour la qualité de la musique exposée se trouve en vis à vis de la façade de l’imposant musée Emilio Bacardi. Edifice style néo-classique aux colonnades imite pompier dédié à ce patriote, de souche française, indépendantiste, banni de son île car rebelle à l’occupation espagnole au XIX e siècle. Héritier, faut-il le préciser, de ce patronyme du fameux rhum cubain dont la devise est une chauve souris. A l’intérieur de la salle du dit Coro, assis près d’un un bon vieux piano à queue qui paraît avoir beaucoup (trop) vécu, trois ou quatre vétérans devisent tranquillement entr’eux. Renseignement pris le concert doit bel et bien avoir lieu là. Plus tard que prévu toutefois : « Nos deux collègues guitariste et percussionniste ne sont pas encore arrivés. Ils habitent sur une autre hauteur de la ville. Il leur faut déjà habituellement pas mal de temps pour venir jusqu’ici. Et vu les grosses pluie tombées tout à l’heure, ils ont du se trouver pas mal retardés… » explique tranquillement l’un des musiciens « Donc difficile de dire quand nous commencerons. En attendant vous pouvez déguster du rhum de Santiago, c’est le meilleur de Cuba » Et joignant le geste à la parole, d’appeler le préposé au bar, lui aussi absent de son poste à cet instant. Deux heures plus tard, repassant devant cette même entrée on trouvera porte close. Pas de madrigal ni de contredanse cubanisés cette nuit en ce lieu très prisé. Seulement le rythme dru des gouttes de la pluie tropicale santiaguera…
Dansez maintenant !
Qu’importe, on se rabat illico sur une autre salle à deux rues de là, attirés par des sonorités plus électriques bois. Au Patio Artex se produit ce soir Sones de Oriente. Encore et toujours une base de percussions, tambours, et métal, un cajon en supplément. En appui mélodique on note deux voix, chanteur et chanteuse, un flutiste et même un sax alto qui n’hésitent pas à prendre des soli vigoureux, plus une guitare « trafiquée » en mode tres, instrument à trois cordes dédoublées: la cohésion est parfaite qui dégage du coup une grosse dynamique dans un son très dense…favorable à la danse, histoire de mieux guarachar (notion de fête, de plaisir) comme l’on dit à Cuba. Yuri Rivera Camacho, joueur de tres, chanteur, compositeur est le leader de cet orchestre qui a son histoire « Le nom de cet orchestre existe depuis…80 ans. Vrai ! Bien sur. notre objectif aujourd’hui reste de faire évoluer notre musique avec des ingrédients du Cuba d’aujourd’hui. D’où ces couleurs de cuivre, la flûte, la contrebasse électrique… » Et la vente du CD ou lDVD systématiquement proposés aux clients dès le final du set (yuri.rivera@nauta.com) « Autant le dire tout de suite, c’est plutôt coton de se faire payer comme musicien dans les différents lieux de musique live à Cuba. Ici au Patio, comme ailleurs. Alors on doit se débrouiller par nous mêmes… » Le jeune flutiste glisse alors qu’il se produit aussi dans un sextet de jazz « Mais malheureusement pas de concert à vous proposer dans les jours qui viennent. Ceci dit vous pouvez toujours aller voir du côté de l’Iris Jazz Club » Minuit, sur le chemin du retour, d’autres sonorités alléchantes jaillissent de la porte grand ouverte d’un café au nom paradoxal en ces latitudes « Casa del Queso » (Maison du Fromage) Bon, une dernière halte le temps de plonger dans une ambiance très chaude aux sons de la rumba, toujours. Des jeunes cubains au look d’étudiants dansent, se déhanchent parfaitement en rythme, synchrones sur les beats afro-cubains, relancés sans cesse par un chanteur percussionniste à la stature massive, sorte de géant joyeux, débonnaire à qui la barbe blanche fournie donne de faux airs de Sonny Rollins. Défilent ainsi poussés par de brefs rushs de sax ténor une bonne série de standards afro-cubains. Quelques touristes, mais une majorité de latinos et cubains surtout font le public qui sirote dur. Et forme le corps de danseurs danseuses très à l’aise, bien remonté pour profiter à fond de la température ambiante.
Piano jazz
Le lendemain, à la nuit tombée sur le centre historique, il faut remonter toute la rue piétonne José Maria Heredia (non, pas le poète romantique connu (?) des lycéens français avec une particule précédant le nom, mais un (quasi) homonyme, grande figure de la poésie cubaine expulsé lui aussi de Cuba vers Mexico pour avoir comploté cotre les Espagnols au début du XIXe ) pour aboutir enfin à une belle place plantée d’arbres à la futée superbe. L’Iris Jazz Club présente tous les soirs un orchestre différent. A l’entrée (5 CUC, soit cinq € pour le visiteur étranger) dans une sorte de bar vestibule old fashioned on ne peut manquer de voir des photos ou affiches un peu datées de Chucho Valdes (époque Irakere), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca ou Arturo Sandoval. La salle paraît grande, la scène également. Décor un peu spartiate, très peu d’éclairage, une vingtaine de tables, sièges minimalistes et quasiment pas de sono visible. Au programme de la soirée le trio Jazz D’Bess du pianiste J Camilo Bess Gomez. Un standard (Softly) pour débuter le set, suivi d’une incursion dans l’univers salé sucré de Antonio Carlos Jobim (Agua de beber) le temps d’installer pour le jeune pianiste un jeu solide, savant mais pas trop dans l’exploration du clavier, un vrai son de trio également. A taste of honey des Beatles offre des idées originales dans l’introduction du thème plus quelques délicatesses comme marque d’une main droite plutôt brillante. Le moteur tourne rond, ronfle même lorsque le trio roule grand train sur le Cantaloupe Island de Herbe Hancock (Lui aussi me citera le pianiste comme une de ses influences majeures) Occasion pour le batteur, Sergio ( «nouveau venu pourtant au sein du trio » s’il faut en faut en croire le leader) très enjoué de déclencher quelques explosions de tambours en dépit d’un matériel plutôt vétuste sinon rudimentaire. Au point de changer de cymbale -question de sonorité ?- avec l’aide d’un complice en plein milieu de morceau, sans arrêter de jouer pour autant…Au final, après une incursion soignée, avec une bonne dose d’écoute mutuelle, dans les harmonies d’Autumn leaves. Sans beaucoup d’annonce sinon le nom des musiciens de la part du pianiste avare de parole, le set se termine sur une longue improvisation mise en partage, moment d’exposition d’un savoir faire certain à la basse de la part de Denys Lobaina Martos (à l’archet y compris) On sent du caractère, de l’envie, une technique aboutie chez le pianiste, des possibilités certaines également au niveau du trio. La quinzaine de spectateurs salue le boulot mais pas de rappel pour autant… Juste le temps de se présenter, d’échanger quelques impressions avec les musiciens, d’évoquer Jazz Magazine, de parler un peu du métier de musicien de jazz à Cuba, et l’on nous indique sans plus d’explication que les portes du club vont se refermer. Entre temps J Camilo s’est éclipsé en indiquant qu’il va revenir derechef. Effectivement, devant la porte close du club il est de retour dix minutes plus tard piloté par un ami à moto. Sans ôter son casque il me tend un album enregistré en trio, Jazz D’Bess volume 1 « Ecoute le, j’aimerais bien jouer un jour hors de Cuba, même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un rêve… » Un petit salut de la main, un adios lâché d’une voix douce, J Camilo Bess (camilobess@nauta.cu) remonte sur le siège arrière de la moto de son ami pour partir dans la nuit douce qui s’annonce. Il est à peine 22 h 30 et au détour du témoignage direct d’un pianiste bien discret, le jazz pur jus paraît s’être comme endormi ce soir à Santiago de Cuba. Perçant une rue adjacente, le riff lourd d’une basse propulse la voix de tête insistante d’une star de la musique latino aux biceps survitaminés, entouré d’un lot de danseuses plus canon les unes que les autres. Au comptoir tous les regards mâles fixent le grand écran plat scintillant de couleurs vives autant que de formes sensuelles en diable.
(a suivre)
Robert Latxague
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« Si tu veux entendre de la musique cubaine avec du caractère et goûter du vrai rhum, alors tu dois aller jusqu’à Santiago » m’avaient conseillé des connaisseurs des deux matières. Pour satisfaire à cette double recommandation, il fallait traverser l’île croissant des Caraïbes de part en part. Vamos !
Santiago de Cuba
Cayo Granma, une petite île à une demie heure du port bien crasseux (cimenterie, centrale à fioul lourd) de Santiago, deuxième ville du pays. Dans ce caillou on ne débarque pas par hasard, mais avec quelque intention, sortir des gaz d’échappement des vieilles belles américaines de la ville, appréhender le quotidien des pécheurs, se glisser parmi les voyageurs du crû de retour de la ville, nantis de provisions minimales peu variées, tous acheminé par un bateau poussif serpentant dans un estuaire sinueux Quelques maisons, celles des pécheurs autour de l’embarcadère minuscule, d’autres disséminés sur sur ce bloc de rochers écrasé de soleil. Au détour d’un chemin escarpé, surplombant de petites barques sommaires (les quelques vrais pêcheurs, d’autres voguent assis tant bien que mal sur de grosse chambres à air de camion en pagayant à main nue histoire d’aller placer leurs lignes de fortune dans l’eau saumâtre !), on tombe sur une enseigne à peine visible. Et encore un escalier qui grimpe à l’étage. Un petite brise apporte un brin de fraicheur sur la terrasse du resto local El Molinero. À peine posé sur un banc de bois dans l’attente d’El Bucanero, la bière cubaine décidément la plus avenante ainsi que la spécialité de langoustes, on entend soudain un bruit de pas asymétriques claquer sur les marches béton de l’escalier. Trente secondes plus tard il apparaît comme surgi au ralenti dans un film des frères Cohen. Un large chapeau de toile brune caractéristiques des guajiros, les cavaliers des ranchs d’élevage (Eliades Ochoa, successeur de Compay Secundo au sein du Buena Vista Social Club en porte un de la sorte) sur le sommet du crâne, une grosse tête avec des yeux clairs, une grande bouche fendue d’un sourire tout aussi large, une paire de maracas dans la main gauche, il s’appuie sur une cane calée sous l’aisselle droite. Jorge, le chanteur du trio de musiciens attitrés de l’établissement lance un bonjour sonore à l’adresse des trois tables occupées ce midi. Le trio de musiciens traditionnels: vocal + guitare + bongo/cloche métal égrène son, boléro et cha-cha. Une chanson du légendaire Trio Matamoros, une version douce de hits afro-cubains qui ont largement traversé l’océan type Dos gardenias immortalisée par Omara Portuondo la Diva ou encore un très dansant La muleta y el baston: le chanteur sexagénaire (au moins) charmeur autant que rieur y impose une voix profonde, précise, modulée, travaillée dans les intonations. Pour terminer, cerise mûre sur gâteau crémeux, Jorge l’oeil coquin, la lippe gourmande entonne un air de sa composition avec paroles à double voire triple sens . Elle conte mine de rien une histoire sexe et symboles en parlé-chanté. Décor improbable n’empêche ni mets ni musique de qualité.
Le soir venu, suite à une bonne averse tropicale porteuse d’un peu de fraîcheur, le temps est venu de chercher un autre lieu de la ville indiqué par notre hôte de la casa particular qui nous abrite. Dur dur de trouver dans l’écheveau des ruelles pavées ce Coro Madrigalista au nom évocateur d’un lien tissé avec une musique des salons de la France monarchique du XVIIIe siècle (Une trace française que l’on retrouve par ailleurs dans le danzón, autre genre populaire de la musique traditionnelle cubaine issue de la contredanse importée dans l’île via Haïti) Au final cette salle un peu vieillotte renommée pour la qualité de la musique exposée se trouve en vis à vis de la façade de l’imposant musée Emilio Bacardi. Edifice style néo-classique aux colonnades imite pompier dédié à ce patriote, de souche française, indépendantiste, banni de son île car rebelle à l’occupation espagnole au XIX e siècle. Héritier, faut-il le préciser, de ce patronyme du fameux rhum cubain dont la devise est une chauve souris. A l’intérieur de la salle du dit Coro, assis près d’un un bon vieux piano à queue qui paraît avoir beaucoup (trop) vécu, trois ou quatre vétérans devisent tranquillement entr’eux. Renseignement pris le concert doit bel et bien avoir lieu là. Plus tard que prévu toutefois : « Nos deux collègues guitariste et percussionniste ne sont pas encore arrivés. Ils habitent sur une autre hauteur de la ville. Il leur faut déjà habituellement pas mal de temps pour venir jusqu’ici. Et vu les grosses pluie tombées tout à l’heure, ils ont du se trouver pas mal retardés… » explique tranquillement l’un des musiciens « Donc difficile de dire quand nous commencerons. En attendant vous pouvez déguster du rhum de Santiago, c’est le meilleur de Cuba » Et joignant le geste à la parole, d’appeler le préposé au bar, lui aussi absent de son poste à cet instant. Deux heures plus tard, repassant devant cette même entrée on trouvera porte close. Pas de madrigal ni de contredanse cubanisés cette nuit en ce lieu très prisé. Seulement le rythme dru des gouttes de la pluie tropicale santiaguera…
Dansez maintenant !
Qu’importe, on se rabat illico sur une autre salle à deux rues de là, attirés par des sonorités plus électriques bois. Au Patio Artex se produit ce soir Sones de Oriente. Encore et toujours une base de percussions, tambours, et métal, un cajon en supplément. En appui mélodique on note deux voix, chanteur et chanteuse, un flutiste et même un sax alto qui n’hésitent pas à prendre des soli vigoureux, plus une guitare « trafiquée » en mode tres, instrument à trois cordes dédoublées: la cohésion est parfaite qui dégage du coup une grosse dynamique dans un son très dense…favorable à la danse, histoire de mieux guarachar (notion de fête, de plaisir) comme l’on dit à Cuba. Yuri Rivera Camacho, joueur de tres, chanteur, compositeur est le leader de cet orchestre qui a son histoire « Le nom de cet orchestre existe depuis…80 ans. Vrai ! Bien sur. notre objectif aujourd’hui reste de faire évoluer notre musique avec des ingrédients du Cuba d’aujourd’hui. D’où ces couleurs de cuivre, la flûte, la contrebasse électrique… » Et la vente du CD ou lDVD systématiquement proposés aux clients dès le final du set (yuri.rivera@nauta.com) « Autant le dire tout de suite, c’est plutôt coton de se faire payer comme musicien dans les différents lieux de musique live à Cuba. Ici au Patio, comme ailleurs. Alors on doit se débrouiller par nous mêmes… » Le jeune flutiste glisse alors qu’il se produit aussi dans un sextet de jazz « Mais malheureusement pas de concert à vous proposer dans les jours qui viennent. Ceci dit vous pouvez toujours aller voir du côté de l’Iris Jazz Club » Minuit, sur le chemin du retour, d’autres sonorités alléchantes jaillissent de la porte grand ouverte d’un café au nom paradoxal en ces latitudes « Casa del Queso » (Maison du Fromage) Bon, une dernière halte le temps de plonger dans une ambiance très chaude aux sons de la rumba, toujours. Des jeunes cubains au look d’étudiants dansent, se déhanchent parfaitement en rythme, synchrones sur les beats afro-cubains, relancés sans cesse par un chanteur percussionniste à la stature massive, sorte de géant joyeux, débonnaire à qui la barbe blanche fournie donne de faux airs de Sonny Rollins. Défilent ainsi poussés par de brefs rushs de sax ténor une bonne série de standards afro-cubains. Quelques touristes, mais une majorité de latinos et cubains surtout font le public qui sirote dur. Et forme le corps de danseurs danseuses très à l’aise, bien remonté pour profiter à fond de la température ambiante.
Piano jazz
Le lendemain, à la nuit tombée sur le centre historique, il faut remonter toute la rue piétonne José Maria Heredia (non, pas le poète romantique connu (?) des lycéens français avec une particule précédant le nom, mais un (quasi) homonyme, grande figure de la poésie cubaine expulsé lui aussi de Cuba vers Mexico pour avoir comploté cotre les Espagnols au début du XIXe ) pour aboutir enfin à une belle place plantée d’arbres à la futée superbe. L’Iris Jazz Club présente tous les soirs un orchestre différent. A l’entrée (5 CUC, soit cinq € pour le visiteur étranger) dans une sorte de bar vestibule old fashioned on ne peut manquer de voir des photos ou affiches un peu datées de Chucho Valdes (époque Irakere), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca ou Arturo Sandoval. La salle paraît grande, la scène également. Décor un peu spartiate, très peu d’éclairage, une vingtaine de tables, sièges minimalistes et quasiment pas de sono visible. Au programme de la soirée le trio Jazz D’Bess du pianiste J Camilo Bess Gomez. Un standard (Softly) pour débuter le set, suivi d’une incursion dans l’univers salé sucré de Antonio Carlos Jobim (Agua de beber) le temps d’installer pour le jeune pianiste un jeu solide, savant mais pas trop dans l’exploration du clavier, un vrai son de trio également. A taste of honey des Beatles offre des idées originales dans l’introduction du thème plus quelques délicatesses comme marque d’une main droite plutôt brillante. Le moteur tourne rond, ronfle même lorsque le trio roule grand train sur le Cantaloupe Island de Herbe Hancock (Lui aussi me citera le pianiste comme une de ses influences majeures) Occasion pour le batteur, Sergio ( «nouveau venu pourtant au sein du trio » s’il faut en faut en croire le leader) très enjoué de déclencher quelques explosions de tambours en dépit d’un matériel plutôt vétuste sinon rudimentaire. Au point de changer de cymbale -question de sonorité ?- avec l’aide d’un complice en plein milieu de morceau, sans arrêter de jouer pour autant…Au final, après une incursion soignée, avec une bonne dose d’écoute mutuelle, dans les harmonies d’Autumn leaves. Sans beaucoup d’annonce sinon le nom des musiciens de la part du pianiste avare de parole, le set se termine sur une longue improvisation mise en partage, moment d’exposition d’un savoir faire certain à la basse de la part de Denys Lobaina Martos (à l’archet y compris) On sent du caractère, de l’envie, une technique aboutie chez le pianiste, des possibilités certaines également au niveau du trio. La quinzaine de spectateurs salue le boulot mais pas de rappel pour autant… Juste le temps de se présenter, d’échanger quelques impressions avec les musiciens, d’évoquer Jazz Magazine, de parler un peu du métier de musicien de jazz à Cuba, et l’on nous indique sans plus d’explication que les portes du club vont se refermer. Entre temps J Camilo s’est éclipsé en indiquant qu’il va revenir derechef. Effectivement, devant la porte close du club il est de retour dix minutes plus tard piloté par un ami à moto. Sans ôter son casque il me tend un album enregistré en trio, Jazz D’Bess volume 1 « Ecoute le, j’aimerais bien jouer un jour hors de Cuba, même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un rêve… » Un petit salut de la main, un adios lâché d’une voix douce, J Camilo Bess (camilobess@nauta.cu) remonte sur le siège arrière de la moto de son ami pour partir dans la nuit douce qui s’annonce. Il est à peine 22 h 30 et au détour du témoignage direct d’un pianiste bien discret, le jazz pur jus paraît s’être comme endormi ce soir à Santiago de Cuba. Perçant une rue adjacente, le riff lourd d’une basse propulse la voix de tête insistante d’une star de la musique latino aux biceps survitaminés, entouré d’un lot de danseuses plus canon les unes que les autres. Au comptoir tous les regards mâles fixent le grand écran plat scintillant de couleurs vives autant que de formes sensuelles en diable.
(a suivre)
Robert Latxague
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« Si tu veux entendre de la musique cubaine avec du caractère et goûter du vrai rhum, alors tu dois aller jusqu’à Santiago » m’avaient conseillé des connaisseurs des deux matières. Pour satisfaire à cette double recommandation, il fallait traverser l’île croissant des Caraïbes de part en part. Vamos !
Santiago de Cuba
Cayo Granma, une petite île à une demie heure du port bien crasseux (cimenterie, centrale à fioul lourd) de Santiago, deuxième ville du pays. Dans ce caillou on ne débarque pas par hasard, mais avec quelque intention, sortir des gaz d’échappement des vieilles belles américaines de la ville, appréhender le quotidien des pécheurs, se glisser parmi les voyageurs du crû de retour de la ville, nantis de provisions minimales peu variées, tous acheminé par un bateau poussif serpentant dans un estuaire sinueux Quelques maisons, celles des pécheurs autour de l’embarcadère minuscule, d’autres disséminés sur sur ce bloc de rochers écrasé de soleil. Au détour d’un chemin escarpé, surplombant de petites barques sommaires (les quelques vrais pêcheurs, d’autres voguent assis tant bien que mal sur de grosse chambres à air de camion en pagayant à main nue histoire d’aller placer leurs lignes de fortune dans l’eau saumâtre !), on tombe sur une enseigne à peine visible. Et encore un escalier qui grimpe à l’étage. Un petite brise apporte un brin de fraicheur sur la terrasse du resto local El Molinero. À peine posé sur un banc de bois dans l’attente d’El Bucanero, la bière cubaine décidément la plus avenante ainsi que la spécialité de langoustes, on entend soudain un bruit de pas asymétriques claquer sur les marches béton de l’escalier. Trente secondes plus tard il apparaît comme surgi au ralenti dans un film des frères Cohen. Un large chapeau de toile brune caractéristiques des guajiros, les cavaliers des ranchs d’élevage (Eliades Ochoa, successeur de Compay Secundo au sein du Buena Vista Social Club en porte un de la sorte) sur le sommet du crâne, une grosse tête avec des yeux clairs, une grande bouche fendue d’un sourire tout aussi large, une paire de maracas dans la main gauche, il s’appuie sur une cane calée sous l’aisselle droite. Jorge, le chanteur du trio de musiciens attitrés de l’établissement lance un bonjour sonore à l’adresse des trois tables occupées ce midi. Le trio de musiciens traditionnels: vocal + guitare + bongo/cloche métal égrène son, boléro et cha-cha. Une chanson du légendaire Trio Matamoros, une version douce de hits afro-cubains qui ont largement traversé l’océan type Dos gardenias immortalisée par Omara Portuondo la Diva ou encore un très dansant La muleta y el baston: le chanteur sexagénaire (au moins) charmeur autant que rieur y impose une voix profonde, précise, modulée, travaillée dans les intonations. Pour terminer, cerise mûre sur gâteau crémeux, Jorge l’oeil coquin, la lippe gourmande entonne un air de sa composition avec paroles à double voire triple sens . Elle conte mine de rien une histoire sexe et symboles en parlé-chanté. Décor improbable n’empêche ni mets ni musique de qualité.
Le soir venu, suite à une bonne averse tropicale porteuse d’un peu de fraîcheur, le temps est venu de chercher un autre lieu de la ville indiqué par notre hôte de la casa particular qui nous abrite. Dur dur de trouver dans l’écheveau des ruelles pavées ce Coro Madrigalista au nom évocateur d’un lien tissé avec une musique des salons de la France monarchique du XVIIIe siècle (Une trace française que l’on retrouve par ailleurs dans le danzón, autre genre populaire de la musique traditionnelle cubaine issue de la contredanse importée dans l’île via Haïti) Au final cette salle un peu vieillotte renommée pour la qualité de la musique exposée se trouve en vis à vis de la façade de l’imposant musée Emilio Bacardi. Edifice style néo-classique aux colonnades imite pompier dédié à ce patriote, de souche française, indépendantiste, banni de son île car rebelle à l’occupation espagnole au XIX e siècle. Héritier, faut-il le préciser, de ce patronyme du fameux rhum cubain dont la devise est une chauve souris. A l’intérieur de la salle du dit Coro, assis près d’un un bon vieux piano à queue qui paraît avoir beaucoup (trop) vécu, trois ou quatre vétérans devisent tranquillement entr’eux. Renseignement pris le concert doit bel et bien avoir lieu là. Plus tard que prévu toutefois : « Nos deux collègues guitariste et percussionniste ne sont pas encore arrivés. Ils habitent sur une autre hauteur de la ville. Il leur faut déjà habituellement pas mal de temps pour venir jusqu’ici. Et vu les grosses pluie tombées tout à l’heure, ils ont du se trouver pas mal retardés… » explique tranquillement l’un des musiciens « Donc difficile de dire quand nous commencerons. En attendant vous pouvez déguster du rhum de Santiago, c’est le meilleur de Cuba » Et joignant le geste à la parole, d’appeler le préposé au bar, lui aussi absent de son poste à cet instant. Deux heures plus tard, repassant devant cette même entrée on trouvera porte close. Pas de madrigal ni de contredanse cubanisés cette nuit en ce lieu très prisé. Seulement le rythme dru des gouttes de la pluie tropicale santiaguera…
Dansez maintenant !
Qu’importe, on se rabat illico sur une autre salle à deux rues de là, attirés par des sonorités plus électriques bois. Au Patio Artex se produit ce soir Sones de Oriente. Encore et toujours une base de percussions, tambours, et métal, un cajon en supplément. En appui mélodique on note deux voix, chanteur et chanteuse, un flutiste et même un sax alto qui n’hésitent pas à prendre des soli vigoureux, plus une guitare « trafiquée » en mode tres, instrument à trois cordes dédoublées: la cohésion est parfaite qui dégage du coup une grosse dynamique dans un son très dense…favorable à la danse, histoire de mieux guarachar (notion de fête, de plaisir) comme l’on dit à Cuba. Yuri Rivera Camacho, joueur de tres, chanteur, compositeur est le leader de cet orchestre qui a son histoire « Le nom de cet orchestre existe depuis…80 ans. Vrai ! Bien sur. notre objectif aujourd’hui reste de faire évoluer notre musique avec des ingrédients du Cuba d’aujourd’hui. D’où ces couleurs de cuivre, la flûte, la contrebasse électrique… » Et la vente du CD ou lDVD systématiquement proposés aux clients dès le final du set (yuri.rivera@nauta.com) « Autant le dire tout de suite, c’est plutôt coton de se faire payer comme musicien dans les différents lieux de musique live à Cuba. Ici au Patio, comme ailleurs. Alors on doit se débrouiller par nous mêmes… » Le jeune flutiste glisse alors qu’il se produit aussi dans un sextet de jazz « Mais malheureusement pas de concert à vous proposer dans les jours qui viennent. Ceci dit vous pouvez toujours aller voir du côté de l’Iris Jazz Club » Minuit, sur le chemin du retour, d’autres sonorités alléchantes jaillissent de la porte grand ouverte d’un café au nom paradoxal en ces latitudes « Casa del Queso » (Maison du Fromage) Bon, une dernière halte le temps de plonger dans une ambiance très chaude aux sons de la rumba, toujours. Des jeunes cubains au look d’étudiants dansent, se déhanchent parfaitement en rythme, synchrones sur les beats afro-cubains, relancés sans cesse par un chanteur percussionniste à la stature massive, sorte de géant joyeux, débonnaire à qui la barbe blanche fournie donne de faux airs de Sonny Rollins. Défilent ainsi poussés par de brefs rushs de sax ténor une bonne série de standards afro-cubains. Quelques touristes, mais une majorité de latinos et cubains surtout font le public qui sirote dur. Et forme le corps de danseurs danseuses très à l’aise, bien remonté pour profiter à fond de la température ambiante.
Piano jazz
Le lendemain, à la nuit tombée sur le centre historique, il faut remonter toute la rue piétonne José Maria Heredia (non, pas le poète romantique connu (?) des lycéens français avec une particule précédant le nom, mais un (quasi) homonyme, grande figure de la poésie cubaine expulsé lui aussi de Cuba vers Mexico pour avoir comploté cotre les Espagnols au début du XIXe ) pour aboutir enfin à une belle place plantée d’arbres à la futée superbe. L’Iris Jazz Club présente tous les soirs un orchestre différent. A l’entrée (5 CUC, soit cinq € pour le visiteur étranger) dans une sorte de bar vestibule old fashioned on ne peut manquer de voir des photos ou affiches un peu datées de Chucho Valdes (époque Irakere), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca ou Arturo Sandoval. La salle paraît grande, la scène également. Décor un peu spartiate, très peu d’éclairage, une vingtaine de tables, sièges minimalistes et quasiment pas de sono visible. Au programme de la soirée le trio Jazz D’Bess du pianiste J Camilo Bess Gomez. Un standard (Softly) pour débuter le set, suivi d’une incursion dans l’univers salé sucré de Antonio Carlos Jobim (Agua de beber) le temps d’installer pour le jeune pianiste un jeu solide, savant mais pas trop dans l’exploration du clavier, un vrai son de trio également. A taste of honey des Beatles offre des idées originales dans l’introduction du thème plus quelques délicatesses comme marque d’une main droite plutôt brillante. Le moteur tourne rond, ronfle même lorsque le trio roule grand train sur le Cantaloupe Island de Herbe Hancock (Lui aussi me citera le pianiste comme une de ses influences majeures) Occasion pour le batteur, Sergio ( «nouveau venu pourtant au sein du trio » s’il faut en faut en croire le leader) très enjoué de déclencher quelques explosions de tambours en dépit d’un matériel plutôt vétuste sinon rudimentaire. Au point de changer de cymbale -question de sonorité ?- avec l’aide d’un complice en plein milieu de morceau, sans arrêter de jouer pour autant…Au final, après une incursion soignée, avec une bonne dose d’écoute mutuelle, dans les harmonies d’Autumn leaves. Sans beaucoup d’annonce sinon le nom des musiciens de la part du pianiste avare de parole, le set se termine sur une longue improvisation mise en partage, moment d’exposition d’un savoir faire certain à la basse de la part de Denys Lobaina Martos (à l’archet y compris) On sent du caractère, de l’envie, une technique aboutie chez le pianiste, des possibilités certaines également au niveau du trio. La quinzaine de spectateurs salue le boulot mais pas de rappel pour autant… Juste le temps de se présenter, d’échanger quelques impressions avec les musiciens, d’évoquer Jazz Magazine, de parler un peu du métier de musicien de jazz à Cuba, et l’on nous indique sans plus d’explication que les portes du club vont se refermer. Entre temps J Camilo s’est éclipsé en indiquant qu’il va revenir derechef. Effectivement, devant la porte close du club il est de retour dix minutes plus tard piloté par un ami à moto. Sans ôter son casque il me tend un album enregistré en trio, Jazz D’Bess volume 1 « Ecoute le, j’aimerais bien jouer un jour hors de Cuba, même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un rêve… » Un petit salut de la main, un adios lâché d’une voix douce, J Camilo Bess (camilobess@nauta.cu) remonte sur le siège arrière de la moto de son ami pour partir dans la nuit douce qui s’annonce. Il est à peine 22 h 30 et au détour du témoignage direct d’un pianiste bien discret, le jazz pur jus paraît s’être comme endormi ce soir à Santiago de Cuba. Perçant une rue adjacente, le riff lourd d’une basse propulse la voix de tête insistante d’une star de la musique latino aux biceps survitaminés, entouré d’un lot de danseuses plus canon les unes que les autres. Au comptoir tous les regards mâles fixent le grand écran plat scintillant de couleurs vives autant que de formes sensuelles en diable.
(a suivre)
Robert Latxague