Concours Buffet-Crampon: faute de candidats, un beau set de Luigi Grasso
Hier, 6 juin 2017, la sixième épreuve du Concours Buffet Crampon qui se tient un mardi par mois au Pop-up du Label (Paris, 12e) a été annulée faute de candidat. On en a été quitte pour un très bon set du trio de Luigi Grasso, Gilles Naturel et Stéphane Chandelier. Prochaine épreuve, le 12 septembre.
À force de se retrouver régulièrement au Pop-Up du Label, Luigi Grasso qui ne s’y présente plus qu’équipé de son saxophone baryton, Gilles Naturel (contrebasse) et Stéphane Chandelier (batterie) commencent à bien se connaître et à se découvrir des habitudes communes qui leur permet de s’aventurer toujours un peu plus loin sur les standards qu’ils fréquentent, et s’y surprendre sans jamais s’y perdre. Echauffement sur Hackensack où la parole est répartie à chacun avec un solo d’archet dans un esprit très Paul Chambers et une solo de batterie où la référence au thème se laisse constamment deviner, puis Grasso se lance seul sur In the Still Of The Night, une formule que le saxophoniste ne déteste pas entre chorus d’intro ou stop chorus, qui souligne à l’entrée de la rythmique ce mélange de souplesse et de puissance, de décontraction et de fermeté sous les doigts de Gilles Naturel qui rend constamment hommage à son patronyme, ponctuant le temps avec la qualité métronomique que l’on attend de lui, tout en sculptant à même l’arbre du tempo, et avec latitude que lui permet plus ou moins le mouvement choisi, de petites figures mélodico-rythmiques d’une variété magnifiée dans ses solos, notamment par une belle amplitude, la maîtrise des grands intervalles et une conduite constamment lyrique, qu’il s’agisse de faire chanter l’harmonie ou de prendre les devants mélodiques.
Le trio enchaîne sur une autre mélodie de Cole Porter plus rare, peut-être parce qu’elle fit sa première apparition, sans paroles, comme instrumental, dans le film de 1941 You’ll Never Get Rich. Mais Fred Astaire, qui partageait l’affiche avec Rita Hayworth, ne tarda pas à la reprendre sur le texte de Porter (toujours son propre parolier), en compagnie des Delta Rhythm Boys, et le clarinettiste Johnny McAfee la chanta la même année au sein de l’orchestre de Tony Pastor. Dans la discographie de Tom Lord, il faut attendre 1956 pour la retrouver au répertoire de Ray Anthony, puis 1972 sous les doigts de George Shearing, Dave McKenna (1973), Jimmy Rowles et Zoot Sims, Bud Freeman (1974). David Liebman la découvre pour sa part en 1988 sur son album “The Music of Cole Porter” avec Steve Gilmore et Bill Goodwin. Belle découverte dont le tempo de ballade inspire à Grasso une approche à la Harry Carney, musicien dont il se rapproche souvent au baryton. Vient ensuite Valse Hot dont le saxophoniste s’amusera à contredire les trois temps par toutes sortes de contrepropositions rythmiques, un Prelude to a Kiss qui confirme les penchants harrycarnien.
Le baryton fait soudain fumer la gomme sur The Song Is You prise à une vitesse avoisinant les 300 à la noire, piste qu’il parcourt en échappée solitaire et dont il aborde les rapides sinuosités comme si elles étaient verglacées et comme s’il mettait à profit la glisse pour s’économiser dans de merveilleux dérapages contrôlées où il semble s’affranchir de toute pesanteur tout en se positionnant idéalement afin de se propulser vers la ligne droite suivante. Mais la glace ayant fondu sous ses pneus, le revoilà au tour suivant dans le peloton de la rythmique qui se coule à vive allure sur les épingles à cheveux, chicanes et courbes relevées de ce Grand Prix et lorsqu’il le sème à nouveau le temps d’un nouveau tour de piste en solo, les pneus de ses phrase collent au goudron sans en perdre le moindre gravillon. Oserai-je filer la métaphore plus loin ? Ce serait ce moquer de ces musiciens entre lesquels se joue probablement tout autre chose si j’en crois le soudain emprunt à Bach qui sert de soutien du baryton au solo de contrebasse et ces soudaines abstractions aboyées en direction du solo de batterie.
Brillant Corners et ses irrégularités rythmiques sera l’occasion de deux superbes solos de contrebasse, le premier plus mingusien, le second m’évoquant Pettiford. Well You Needn’t coiffé d’une coupe à l’afro… mais où est le public d’habitude si dense que l’on peine à trouver où s’asseoir ? Et où sont les candidats. La pause étant venue, on découvre que ne se sont présentés ni candidats au concours, ni même de simples candidats à la jam d’habitude si nombreux que l’on se sent presque gênés de n’avoir pas un étui, même vide, entre les mains. On apprend aussi qu’un nouvel attentat aurait vidé les rues et suffisamment désorganisé les lignes de métro pour décourager les sorties. Me revient en mémoire ce passage des mémoires de guerre de l’ornithologue Jacques Delamain que j’avais cité pour louer la décision d’Andy Emler de jouer aux lendemains de l’attaque meurtrière sur Charlie Hebdo, alors que l’on parlait de fermer jusqu’aux marchés :
6 mai 1915: « Pendant une passe d’artillerie, quelques obus tombent sur le village. Nos 75 et nos 50 répondent, par des coups isolés de 50, par salves de trois ou quatre coups des 75. Un Pinson, sur le toit de la maisonnette en face de nous, n’interrompt pas un instant son chant monotone et bruyant; les Verdiers chantent leurs « di-di-di », une Hirondelle mâle, posée à côté de sa femelle sur le même toit que le Pinson, gazouille sans s’arrêter. Arrivées ou départs de canons leurs sont indifférents. Les Moineaux piaillent, pendant que le bruit des 75 déchire l’air. Le Rossignol de muraille fait entendre sa note triste. »
|Hier, 6 juin 2017, la sixième épreuve du Concours Buffet Crampon qui se tient un mardi par mois au Pop-up du Label (Paris, 12e) a été annulée faute de candidat. On en a été quitte pour un très bon set du trio de Luigi Grasso, Gilles Naturel et Stéphane Chandelier. Prochaine épreuve, le 12 septembre.
À force de se retrouver régulièrement au Pop-Up du Label, Luigi Grasso qui ne s’y présente plus qu’équipé de son saxophone baryton, Gilles Naturel (contrebasse) et Stéphane Chandelier (batterie) commencent à bien se connaître et à se découvrir des habitudes communes qui leur permet de s’aventurer toujours un peu plus loin sur les standards qu’ils fréquentent, et s’y surprendre sans jamais s’y perdre. Echauffement sur Hackensack où la parole est répartie à chacun avec un solo d’archet dans un esprit très Paul Chambers et une solo de batterie où la référence au thème se laisse constamment deviner, puis Grasso se lance seul sur In the Still Of The Night, une formule que le saxophoniste ne déteste pas entre chorus d’intro ou stop chorus, qui souligne à l’entrée de la rythmique ce mélange de souplesse et de puissance, de décontraction et de fermeté sous les doigts de Gilles Naturel qui rend constamment hommage à son patronyme, ponctuant le temps avec la qualité métronomique que l’on attend de lui, tout en sculptant à même l’arbre du tempo, et avec latitude que lui permet plus ou moins le mouvement choisi, de petites figures mélodico-rythmiques d’une variété magnifiée dans ses solos, notamment par une belle amplitude, la maîtrise des grands intervalles et une conduite constamment lyrique, qu’il s’agisse de faire chanter l’harmonie ou de prendre les devants mélodiques.
Le trio enchaîne sur une autre mélodie de Cole Porter plus rare, peut-être parce qu’elle fit sa première apparition, sans paroles, comme instrumental, dans le film de 1941 You’ll Never Get Rich. Mais Fred Astaire, qui partageait l’affiche avec Rita Hayworth, ne tarda pas à la reprendre sur le texte de Porter (toujours son propre parolier), en compagnie des Delta Rhythm Boys, et le clarinettiste Johnny McAfee la chanta la même année au sein de l’orchestre de Tony Pastor. Dans la discographie de Tom Lord, il faut attendre 1956 pour la retrouver au répertoire de Ray Anthony, puis 1972 sous les doigts de George Shearing, Dave McKenna (1973), Jimmy Rowles et Zoot Sims, Bud Freeman (1974). David Liebman la découvre pour sa part en 1988 sur son album “The Music of Cole Porter” avec Steve Gilmore et Bill Goodwin. Belle découverte dont le tempo de ballade inspire à Grasso une approche à la Harry Carney, musicien dont il se rapproche souvent au baryton. Vient ensuite Valse Hot dont le saxophoniste s’amusera à contredire les trois temps par toutes sortes de contrepropositions rythmiques, un Prelude to a Kiss qui confirme les penchants harrycarnien.
Le baryton fait soudain fumer la gomme sur The Song Is You prise à une vitesse avoisinant les 300 à la noire, piste qu’il parcourt en échappée solitaire et dont il aborde les rapides sinuosités comme si elles étaient verglacées et comme s’il mettait à profit la glisse pour s’économiser dans de merveilleux dérapages contrôlées où il semble s’affranchir de toute pesanteur tout en se positionnant idéalement afin de se propulser vers la ligne droite suivante. Mais la glace ayant fondu sous ses pneus, le revoilà au tour suivant dans le peloton de la rythmique qui se coule à vive allure sur les épingles à cheveux, chicanes et courbes relevées de ce Grand Prix et lorsqu’il le sème à nouveau le temps d’un nouveau tour de piste en solo, les pneus de ses phrase collent au goudron sans en perdre le moindre gravillon. Oserai-je filer la métaphore plus loin ? Ce serait ce moquer de ces musiciens entre lesquels se joue probablement tout autre chose si j’en crois le soudain emprunt à Bach qui sert de soutien du baryton au solo de contrebasse et ces soudaines abstractions aboyées en direction du solo de batterie.
Brillant Corners et ses irrégularités rythmiques sera l’occasion de deux superbes solos de contrebasse, le premier plus mingusien, le second m’évoquant Pettiford. Well You Needn’t coiffé d’une coupe à l’afro… mais où est le public d’habitude si dense que l’on peine à trouver où s’asseoir ? Et où sont les candidats. La pause étant venue, on découvre que ne se sont présentés ni candidats au concours, ni même de simples candidats à la jam d’habitude si nombreux que l’on se sent presque gênés de n’avoir pas un étui, même vide, entre les mains. On apprend aussi qu’un nouvel attentat aurait vidé les rues et suffisamment désorganisé les lignes de métro pour décourager les sorties. Me revient en mémoire ce passage des mémoires de guerre de l’ornithologue Jacques Delamain que j’avais cité pour louer la décision d’Andy Emler de jouer aux lendemains de l’attaque meurtrière sur Charlie Hebdo, alors que l’on parlait de fermer jusqu’aux marchés :
6 mai 1915: « Pendant une passe d’artillerie, quelques obus tombent sur le village. Nos 75 et nos 50 répondent, par des coups isolés de 50, par salves de trois ou quatre coups des 75. Un Pinson, sur le toit de la maisonnette en face de nous, n’interrompt pas un instant son chant monotone et bruyant; les Verdiers chantent leurs « di-di-di », une Hirondelle mâle, posée à côté de sa femelle sur le même toit que le Pinson, gazouille sans s’arrêter. Arrivées ou départs de canons leurs sont indifférents. Les Moineaux piaillent, pendant que le bruit des 75 déchire l’air. Le Rossignol de muraille fait entendre sa note triste. »
|Hier, 6 juin 2017, la sixième épreuve du Concours Buffet Crampon qui se tient un mardi par mois au Pop-up du Label (Paris, 12e) a été annulée faute de candidat. On en a été quitte pour un très bon set du trio de Luigi Grasso, Gilles Naturel et Stéphane Chandelier. Prochaine épreuve, le 12 septembre.
À force de se retrouver régulièrement au Pop-Up du Label, Luigi Grasso qui ne s’y présente plus qu’équipé de son saxophone baryton, Gilles Naturel (contrebasse) et Stéphane Chandelier (batterie) commencent à bien se connaître et à se découvrir des habitudes communes qui leur permet de s’aventurer toujours un peu plus loin sur les standards qu’ils fréquentent, et s’y surprendre sans jamais s’y perdre. Echauffement sur Hackensack où la parole est répartie à chacun avec un solo d’archet dans un esprit très Paul Chambers et une solo de batterie où la référence au thème se laisse constamment deviner, puis Grasso se lance seul sur In the Still Of The Night, une formule que le saxophoniste ne déteste pas entre chorus d’intro ou stop chorus, qui souligne à l’entrée de la rythmique ce mélange de souplesse et de puissance, de décontraction et de fermeté sous les doigts de Gilles Naturel qui rend constamment hommage à son patronyme, ponctuant le temps avec la qualité métronomique que l’on attend de lui, tout en sculptant à même l’arbre du tempo, et avec latitude que lui permet plus ou moins le mouvement choisi, de petites figures mélodico-rythmiques d’une variété magnifiée dans ses solos, notamment par une belle amplitude, la maîtrise des grands intervalles et une conduite constamment lyrique, qu’il s’agisse de faire chanter l’harmonie ou de prendre les devants mélodiques.
Le trio enchaîne sur une autre mélodie de Cole Porter plus rare, peut-être parce qu’elle fit sa première apparition, sans paroles, comme instrumental, dans le film de 1941 You’ll Never Get Rich. Mais Fred Astaire, qui partageait l’affiche avec Rita Hayworth, ne tarda pas à la reprendre sur le texte de Porter (toujours son propre parolier), en compagnie des Delta Rhythm Boys, et le clarinettiste Johnny McAfee la chanta la même année au sein de l’orchestre de Tony Pastor. Dans la discographie de Tom Lord, il faut attendre 1956 pour la retrouver au répertoire de Ray Anthony, puis 1972 sous les doigts de George Shearing, Dave McKenna (1973), Jimmy Rowles et Zoot Sims, Bud Freeman (1974). David Liebman la découvre pour sa part en 1988 sur son album “The Music of Cole Porter” avec Steve Gilmore et Bill Goodwin. Belle découverte dont le tempo de ballade inspire à Grasso une approche à la Harry Carney, musicien dont il se rapproche souvent au baryton. Vient ensuite Valse Hot dont le saxophoniste s’amusera à contredire les trois temps par toutes sortes de contrepropositions rythmiques, un Prelude to a Kiss qui confirme les penchants harrycarnien.
Le baryton fait soudain fumer la gomme sur The Song Is You prise à une vitesse avoisinant les 300 à la noire, piste qu’il parcourt en échappée solitaire et dont il aborde les rapides sinuosités comme si elles étaient verglacées et comme s’il mettait à profit la glisse pour s’économiser dans de merveilleux dérapages contrôlées où il semble s’affranchir de toute pesanteur tout en se positionnant idéalement afin de se propulser vers la ligne droite suivante. Mais la glace ayant fondu sous ses pneus, le revoilà au tour suivant dans le peloton de la rythmique qui se coule à vive allure sur les épingles à cheveux, chicanes et courbes relevées de ce Grand Prix et lorsqu’il le sème à nouveau le temps d’un nouveau tour de piste en solo, les pneus de ses phrase collent au goudron sans en perdre le moindre gravillon. Oserai-je filer la métaphore plus loin ? Ce serait ce moquer de ces musiciens entre lesquels se joue probablement tout autre chose si j’en crois le soudain emprunt à Bach qui sert de soutien du baryton au solo de contrebasse et ces soudaines abstractions aboyées en direction du solo de batterie.
Brillant Corners et ses irrégularités rythmiques sera l’occasion de deux superbes solos de contrebasse, le premier plus mingusien, le second m’évoquant Pettiford. Well You Needn’t coiffé d’une coupe à l’afro… mais où est le public d’habitude si dense que l’on peine à trouver où s’asseoir ? Et où sont les candidats. La pause étant venue, on découvre que ne se sont présentés ni candidats au concours, ni même de simples candidats à la jam d’habitude si nombreux que l’on se sent presque gênés de n’avoir pas un étui, même vide, entre les mains. On apprend aussi qu’un nouvel attentat aurait vidé les rues et suffisamment désorganisé les lignes de métro pour décourager les sorties. Me revient en mémoire ce passage des mémoires de guerre de l’ornithologue Jacques Delamain que j’avais cité pour louer la décision d’Andy Emler de jouer aux lendemains de l’attaque meurtrière sur Charlie Hebdo, alors que l’on parlait de fermer jusqu’aux marchés :
6 mai 1915: « Pendant une passe d’artillerie, quelques obus tombent sur le village. Nos 75 et nos 50 répondent, par des coups isolés de 50, par salves de trois ou quatre coups des 75. Un Pinson, sur le toit de la maisonnette en face de nous, n’interrompt pas un instant son chant monotone et bruyant; les Verdiers chantent leurs « di-di-di », une Hirondelle mâle, posée à côté de sa femelle sur le même toit que le Pinson, gazouille sans s’arrêter. Arrivées ou départs de canons leurs sont indifférents. Les Moineaux piaillent, pendant que le bruit des 75 déchire l’air. Le Rossignol de muraille fait entendre sa note triste. »
|Hier, 6 juin 2017, la sixième épreuve du Concours Buffet Crampon qui se tient un mardi par mois au Pop-up du Label (Paris, 12e) a été annulée faute de candidat. On en a été quitte pour un très bon set du trio de Luigi Grasso, Gilles Naturel et Stéphane Chandelier. Prochaine épreuve, le 12 septembre.
À force de se retrouver régulièrement au Pop-Up du Label, Luigi Grasso qui ne s’y présente plus qu’équipé de son saxophone baryton, Gilles Naturel (contrebasse) et Stéphane Chandelier (batterie) commencent à bien se connaître et à se découvrir des habitudes communes qui leur permet de s’aventurer toujours un peu plus loin sur les standards qu’ils fréquentent, et s’y surprendre sans jamais s’y perdre. Echauffement sur Hackensack où la parole est répartie à chacun avec un solo d’archet dans un esprit très Paul Chambers et une solo de batterie où la référence au thème se laisse constamment deviner, puis Grasso se lance seul sur In the Still Of The Night, une formule que le saxophoniste ne déteste pas entre chorus d’intro ou stop chorus, qui souligne à l’entrée de la rythmique ce mélange de souplesse et de puissance, de décontraction et de fermeté sous les doigts de Gilles Naturel qui rend constamment hommage à son patronyme, ponctuant le temps avec la qualité métronomique que l’on attend de lui, tout en sculptant à même l’arbre du tempo, et avec latitude que lui permet plus ou moins le mouvement choisi, de petites figures mélodico-rythmiques d’une variété magnifiée dans ses solos, notamment par une belle amplitude, la maîtrise des grands intervalles et une conduite constamment lyrique, qu’il s’agisse de faire chanter l’harmonie ou de prendre les devants mélodiques.
Le trio enchaîne sur une autre mélodie de Cole Porter plus rare, peut-être parce qu’elle fit sa première apparition, sans paroles, comme instrumental, dans le film de 1941 You’ll Never Get Rich. Mais Fred Astaire, qui partageait l’affiche avec Rita Hayworth, ne tarda pas à la reprendre sur le texte de Porter (toujours son propre parolier), en compagnie des Delta Rhythm Boys, et le clarinettiste Johnny McAfee la chanta la même année au sein de l’orchestre de Tony Pastor. Dans la discographie de Tom Lord, il faut attendre 1956 pour la retrouver au répertoire de Ray Anthony, puis 1972 sous les doigts de George Shearing, Dave McKenna (1973), Jimmy Rowles et Zoot Sims, Bud Freeman (1974). David Liebman la découvre pour sa part en 1988 sur son album “The Music of Cole Porter” avec Steve Gilmore et Bill Goodwin. Belle découverte dont le tempo de ballade inspire à Grasso une approche à la Harry Carney, musicien dont il se rapproche souvent au baryton. Vient ensuite Valse Hot dont le saxophoniste s’amusera à contredire les trois temps par toutes sortes de contrepropositions rythmiques, un Prelude to a Kiss qui confirme les penchants harrycarnien.
Le baryton fait soudain fumer la gomme sur The Song Is You prise à une vitesse avoisinant les 300 à la noire, piste qu’il parcourt en échappée solitaire et dont il aborde les rapides sinuosités comme si elles étaient verglacées et comme s’il mettait à profit la glisse pour s’économiser dans de merveilleux dérapages contrôlées où il semble s’affranchir de toute pesanteur tout en se positionnant idéalement afin de se propulser vers la ligne droite suivante. Mais la glace ayant fondu sous ses pneus, le revoilà au tour suivant dans le peloton de la rythmique qui se coule à vive allure sur les épingles à cheveux, chicanes et courbes relevées de ce Grand Prix et lorsqu’il le sème à nouveau le temps d’un nouveau tour de piste en solo, les pneus de ses phrase collent au goudron sans en perdre le moindre gravillon. Oserai-je filer la métaphore plus loin ? Ce serait ce moquer de ces musiciens entre lesquels se joue probablement tout autre chose si j’en crois le soudain emprunt à Bach qui sert de soutien du baryton au solo de contrebasse et ces soudaines abstractions aboyées en direction du solo de batterie.
Brillant Corners et ses irrégularités rythmiques sera l’occasion de deux superbes solos de contrebasse, le premier plus mingusien, le second m’évoquant Pettiford. Well You Needn’t coiffé d’une coupe à l’afro… mais où est le public d’habitude si dense que l’on peine à trouver où s’asseoir ? Et où sont les candidats. La pause étant venue, on découvre que ne se sont présentés ni candidats au concours, ni même de simples candidats à la jam d’habitude si nombreux que l’on se sent presque gênés de n’avoir pas un étui, même vide, entre les mains. On apprend aussi qu’un nouvel attentat aurait vidé les rues et suffisamment désorganisé les lignes de métro pour décourager les sorties. Me revient en mémoire ce passage des mémoires de guerre de l’ornithologue Jacques Delamain que j’avais cité pour louer la décision d’Andy Emler de jouer aux lendemains de l’attaque meurtrière sur Charlie Hebdo, alors que l’on parlait de fermer jusqu’aux marchés :
6 mai 1915: « Pendant une passe d’artillerie, quelques obus tombent sur le village. Nos 75 et nos 50 répondent, par des coups isolés de 50, par salves de trois ou quatre coups des 75. Un Pinson, sur le toit de la maisonnette en face de nous, n’interrompt pas un instant son chant monotone et bruyant; les Verdiers chantent leurs « di-di-di », une Hirondelle mâle, posée à côté de sa femelle sur le même toit que le Pinson, gazouille sans s’arrêter. Arrivées ou départs de canons leurs sont indifférents. Les Moineaux piaillent, pendant que le bruit des 75 déchire l’air. Le Rossignol de muraille fait entendre sa note triste. »