Respire jazz ouvre ses portes à l’heure de Rio et Buenos Aires
Une recréation des arrangement d’Antonio Carlos Jobim en première partie du duo Baptiste Trotignon – Minino Garay : l’Argentine et le Brésil était à l’honneur hier pour l’ouverture du Respire Jazz Jazz Festival. La pluie aussi, mais il en faut plus que ça pour abattre le moral bien trempé du public charentais.
Respire Jazz Festival, Aignes-Puypéroux (16), le 30 juin 2017.
Des moiteurs parisiennes de ce mois de juin encore tenaces en dépit d’un vif rafraichissement et qui nous ont habitués aux tenues légères, je débarque, 21h passée, à peine couvert dans le froid et l’humidité atlantique parmi la petite foule hyper-active des bénévoles qui ont tout mis en œuvre pour accompagner le déplacement de la scène habituelle, au pied de l’abside de l’abbaye du Puypéroux, et les balles de foin en guise de fauteuils d’orchestre, vers la grange, majestueux cube de pierre à l’improbable charpente où l’édition 2014 s’était déjà en partie tenue. Respire Jazz est une affaire de famille, la famille Perchaud du prénommé Pierre, le guitariste, une grande famille qui s’étend bien au-delà des liens du sang, une communauté locale et supra-régionale qui se mobilise, pour la 9ème édition, autour de ce festival surgi chaque année comme au milieu de nulle part, dans la campagne doucement vallonnée du Sud Charentes.
Les Cariocas d’Aquitao : Mayoni Moreno, Emeline Marcon, Alice Fearne, Carolina Carmona, Elora Antolin, Yori Moy (chœurs et voix solistes), Thibaud Fuster (bugle), Alexandre Aguilera (flûte), Jeanne Lecuyer (flûte basse, piccolo), Emmanuel Pelletier (sax ténor), Pierre Aubert, Cécile Mardikian (violon), Emeneline Mendes da Cunha (violon alto), Jacques Nicolas (violoncelle), Rija Randrianivosoa (guitare), Didier Frébœuf (piano), Hugues Maté (contrebasse, basse électrique), Eric Bourciquot (batterie), Ceiba Marion (percussions).
21h30 : tout est prêt pour accueillir cet orchestre imaginé par Hugues Maté, fils du défunt saxophoniste Philippe Maté (souvenir de l’Europamerica de Jef Gilson, du Quatuor de saxophones avec François Jeanneau, Jean-Louis Chautemps et Jacques Di Donato, de la cla), autour du répertoire d’Antonio Carlos Jobim.
Débarquant à la bourre sans avoir pris le temps de réviser le programme de la soirée, je soupçonne quelque entreprise dilettante aux premiers accents d’un orchestre se débattant avec les problèmes de justesse, de timbre, de précisions du geste consécutifs au froid, à l’humidité et un trac collectif que trahit la présentation brouillonne du leader, pour découvrir, au fil du réchauffement des matériaux, du lieu, de l’ambiance, une entreprise sérieusement préméditée. S’il s’agit du premier concert de cet orchestre qui n’a eu jusqu’ici d’existence qu’en répétition et en studio, c’est surtout la réalisation d’un rêve, vieux de 15 ans, conçu par Hugues Maté et partagé avec Eric Bourciquot, et qu’ils ont concrétisé l’hiver et au printemps dernier sur un disque tout juste sorti chez Cristal Records (“Viva Jobim”). L’objet du rêve en question : les arrangements de la plume même de Tom Jobim sur ses propres compostions qu’ils ont reconstitués à partir de réductions existantes pour piano et voix et de l’écoute des disques, non sans se laisser une petite part d’imagination.
Une section de cordes impeccable, des voix très sûres en solo comme en chœurs, un trompettiste qui sera présenté par Hugues Maté comme le pilier de l’entreprise (direction et mise au point des arrangements vocaux) parmi une section de vents d’où émergeront un solo de flûte de très belle facture (Alexandre Aguilera son, articulation, développement), un solo de ténor (hommage à Stan Getz d’Emmanuel Pelletier qui laisse percevoir la nervosité d’être soudain exposé se mettre en travers d’idées néanmoins prometteuses), une rythmique conséquente et affrontant sans trop se laisser intimider par l’inévitable comparaison avec l’original décontraction carioca, cautionnée par la présence en son sein du guitariste Rija Randrianivosoa (certes, il est plus malgache que brésilien, mais pour toutes sortes de raisons, on me passera cette très grossière approximation). Un joli moment de cette saudade dont Maté aime à rappeler que c’est la manière la plus gaie qui soit de dire la tristesse. L’occasion de redécouvrir un répertoire que je n’avais jamais envisagé sous cet angle orchestral, sinon de loin avec un relatif dédain qui s’avère immérité.
Entracte autour du bar, d’un stand de restauration rapide comme on sait la pratiquer à Respire Jazz (le clafoutis dont je me restaure en témoigne) et du stand de CD et LP d’occasion de Philippe Vincent, dont nos jeunes lecteurs connaissent la plume, dont nos vieux lecteurs ont connu les productions (Louis Sclavis, Enrico Pieranunzi, Barney Wilen, Laurent de Wilde, Dominique Pifarély… sous label Ida Record) et qui est ici chez lui, présentateur des concerts et parrain autrefois de Pierre Perchaud dans sa découverte du jazz. Mais le vois déjà qui gagne la scène et présente :
Baptiste Trotignon (piano), Minino Garay (percussions).
Qui aurait cru, lorsque l’on fit sa connaissance lors des Nuits blanches du Petit Opportun ou lorsque Michel Contat vanta ses “belles mains” dans Télérama que Baptiste Trotignon s’acoquinerait un jour avec ce gredin de Minino Garay. Mais les voici copains comme cochons, ou plutôt frères ennemis en un exercice si bien rôdé que l’on dirait parfois deux vieux sociétaires de la Comédie française se tournant le dos par coquetterie. Car, oui, contrairement à l’habitude le piano est à droite pour nous et Minino Garay dans son dos, jouant sans un regard de l’un pour l’autre, sauf lorsque Trotignon se détourne du piano pour observer les facéties rythmiques de son compère avec une feinte ironie.
Mais ils sont si rodés, et si intensément habités par leur musique que le regard ne compte plus dans leur entente quasi-télépathique, les oreilles en tout cas grandes ouvertes. Car ce sont de longues dérives sur des ostinatos, percutés par d’autres plus éphémères et en constantes métamorphoses, qui s’enchaînent de l’un à l’autre de manière labyrinthique, où l’on s’égare un peu, reprenant pied au fil des citations et arrangements des mélodies de Leonard Bernstein, Carlos Gardel ou… (mais de qui est ce choro que je connais pas cœur… Pixinguinha ? Hermeto Pascoal ? Egberto Gismonti ?), mélodies auxquelles Trotignon fait subir de troublantes torsions harmoniques et rythmiques… et tandis que l’on s’égare, ils ne se perdent pas de “vue” un seul instant, comme dans une espèce d’unisson virtuel qui est le conducteur muet de leur polyphonie. Gros succès, rappel, Trotignon revient seul pour aller et venir entre les mélodies de Douce Nuit et La Chanson de Maxence, comme dans le sommeil on passe d’un rêve à l’autre « à travers cheminées et placards ».
Vient l’heure du bœuf after hours, tradition incontournable de Respire Jazz, où chaque année une équipe de jeunes musiciens, souvent issus du Centre de musique de Didier Lockwood où Pierre Perchaud sont chargés d’accueillir les musiciens à l’affiche ou d’autres. Traditionnellement organisé au préau abritant scène et buvette devant une sorte de jazz club à ciel ouvert, inutilisable pour cause d’intempéries. Tout de suite, je remarque un batteur… On m’apprend qu’il s’agit d’Emile Biayenda. Rien d’étonnant à ce que je l’ai remarqué d’emblée, je l’avais déjà apprécié sur disques sans réserve. Mais la fatigue et le froid me chasse vers le lit de la mère supérieure de l’Abbaye du Puypéroux qui m’est ici réservé chaque année. Je serai plus vaillant demain après les concerts de PJ5, Emile Parisien, Mathis Pascaud… Et il se dit que le beau temps et de retour. • Franck Bergerot|Une recréation des arrangement d’Antonio Carlos Jobim en première partie du duo Baptiste Trotignon – Minino Garay : l’Argentine et le Brésil était à l’honneur hier pour l’ouverture du Respire Jazz Jazz Festival. La pluie aussi, mais il en faut plus que ça pour abattre le moral bien trempé du public charentais.
Respire Jazz Festival, Aignes-Puypéroux (16), le 30 juin 2017.
Des moiteurs parisiennes de ce mois de juin encore tenaces en dépit d’un vif rafraichissement et qui nous ont habitués aux tenues légères, je débarque, 21h passée, à peine couvert dans le froid et l’humidité atlantique parmi la petite foule hyper-active des bénévoles qui ont tout mis en œuvre pour accompagner le déplacement de la scène habituelle, au pied de l’abside de l’abbaye du Puypéroux, et les balles de foin en guise de fauteuils d’orchestre, vers la grange, majestueux cube de pierre à l’improbable charpente où l’édition 2014 s’était déjà en partie tenue. Respire Jazz est une affaire de famille, la famille Perchaud du prénommé Pierre, le guitariste, une grande famille qui s’étend bien au-delà des liens du sang, une communauté locale et supra-régionale qui se mobilise, pour la 9ème édition, autour de ce festival surgi chaque année comme au milieu de nulle part, dans la campagne doucement vallonnée du Sud Charentes.
Les Cariocas d’Aquitao : Mayoni Moreno, Emeline Marcon, Alice Fearne, Carolina Carmona, Elora Antolin, Yori Moy (chœurs et voix solistes), Thibaud Fuster (bugle), Alexandre Aguilera (flûte), Jeanne Lecuyer (flûte basse, piccolo), Emmanuel Pelletier (sax ténor), Pierre Aubert, Cécile Mardikian (violon), Emeneline Mendes da Cunha (violon alto), Jacques Nicolas (violoncelle), Rija Randrianivosoa (guitare), Didier Frébœuf (piano), Hugues Maté (contrebasse, basse électrique), Eric Bourciquot (batterie), Ceiba Marion (percussions).
21h30 : tout est prêt pour accueillir cet orchestre imaginé par Hugues Maté, fils du défunt saxophoniste Philippe Maté (souvenir de l’Europamerica de Jef Gilson, du Quatuor de saxophones avec François Jeanneau, Jean-Louis Chautemps et Jacques Di Donato, de la cla), autour du répertoire d’Antonio Carlos Jobim.
Débarquant à la bourre sans avoir pris le temps de réviser le programme de la soirée, je soupçonne quelque entreprise dilettante aux premiers accents d’un orchestre se débattant avec les problèmes de justesse, de timbre, de précisions du geste consécutifs au froid, à l’humidité et un trac collectif que trahit la présentation brouillonne du leader, pour découvrir, au fil du réchauffement des matériaux, du lieu, de l’ambiance, une entreprise sérieusement préméditée. S’il s’agit du premier concert de cet orchestre qui n’a eu jusqu’ici d’existence qu’en répétition et en studio, c’est surtout la réalisation d’un rêve, vieux de 15 ans, conçu par Hugues Maté et partagé avec Eric Bourciquot, et qu’ils ont concrétisé l’hiver et au printemps dernier sur un disque tout juste sorti chez Cristal Records (“Viva Jobim”). L’objet du rêve en question : les arrangements de la plume même de Tom Jobim sur ses propres compostions qu’ils ont reconstitués à partir de réductions existantes pour piano et voix et de l’écoute des disques, non sans se laisser une petite part d’imagination.
Une section de cordes impeccable, des voix très sûres en solo comme en chœurs, un trompettiste qui sera présenté par Hugues Maté comme le pilier de l’entreprise (direction et mise au point des arrangements vocaux) parmi une section de vents d’où émergeront un solo de flûte de très belle facture (Alexandre Aguilera son, articulation, développement), un solo de ténor (hommage à Stan Getz d’Emmanuel Pelletier qui laisse percevoir la nervosité d’être soudain exposé se mettre en travers d’idées néanmoins prometteuses), une rythmique conséquente et affrontant sans trop se laisser intimider par l’inévitable comparaison avec l’original décontraction carioca, cautionnée par la présence en son sein du guitariste Rija Randrianivosoa (certes, il est plus malgache que brésilien, mais pour toutes sortes de raisons, on me passera cette très grossière approximation). Un joli moment de cette saudade dont Maté aime à rappeler que c’est la manière la plus gaie qui soit de dire la tristesse. L’occasion de redécouvrir un répertoire que je n’avais jamais envisagé sous cet angle orchestral, sinon de loin avec un relatif dédain qui s’avère immérité.
Entracte autour du bar, d’un stand de restauration rapide comme on sait la pratiquer à Respire Jazz (le clafoutis dont je me restaure en témoigne) et du stand de CD et LP d’occasion de Philippe Vincent, dont nos jeunes lecteurs connaissent la plume, dont nos vieux lecteurs ont connu les productions (Louis Sclavis, Enrico Pieranunzi, Barney Wilen, Laurent de Wilde, Dominique Pifarély… sous label Ida Record) et qui est ici chez lui, présentateur des concerts et parrain autrefois de Pierre Perchaud dans sa découverte du jazz. Mais le vois déjà qui gagne la scène et présente :
Baptiste Trotignon (piano), Minino Garay (percussions).
Qui aurait cru, lorsque l’on fit sa connaissance lors des Nuits blanches du Petit Opportun ou lorsque Michel Contat vanta ses “belles mains” dans Télérama que Baptiste Trotignon s’acoquinerait un jour avec ce gredin de Minino Garay. Mais les voici copains comme cochons, ou plutôt frères ennemis en un exercice si bien rôdé que l’on dirait parfois deux vieux sociétaires de la Comédie française se tournant le dos par coquetterie. Car, oui, contrairement à l’habitude le piano est à droite pour nous et Minino Garay dans son dos, jouant sans un regard de l’un pour l’autre, sauf lorsque Trotignon se détourne du piano pour observer les facéties rythmiques de son compère avec une feinte ironie.
Mais ils sont si rodés, et si intensément habités par leur musique que le regard ne compte plus dans leur entente quasi-télépathique, les oreilles en tout cas grandes ouvertes. Car ce sont de longues dérives sur des ostinatos, percutés par d’autres plus éphémères et en constantes métamorphoses, qui s’enchaînent de l’un à l’autre de manière labyrinthique, où l’on s’égare un peu, reprenant pied au fil des citations et arrangements des mélodies de Leonard Bernstein, Carlos Gardel ou… (mais de qui est ce choro que je connais pas cœur… Pixinguinha ? Hermeto Pascoal ? Egberto Gismonti ?), mélodies auxquelles Trotignon fait subir de troublantes torsions harmoniques et rythmiques… et tandis que l’on s’égare, ils ne se perdent pas de “vue” un seul instant, comme dans une espèce d’unisson virtuel qui est le conducteur muet de leur polyphonie. Gros succès, rappel, Trotignon revient seul pour aller et venir entre les mélodies de Douce Nuit et La Chanson de Maxence, comme dans le sommeil on passe d’un rêve à l’autre « à travers cheminées et placards ».
Vient l’heure du bœuf after hours, tradition incontournable de Respire Jazz, où chaque année une équipe de jeunes musiciens, souvent issus du Centre de musique de Didier Lockwood où Pierre Perchaud sont chargés d’accueillir les musiciens à l’affiche ou d’autres. Traditionnellement organisé au préau abritant scène et buvette devant une sorte de jazz club à ciel ouvert, inutilisable pour cause d’intempéries. Tout de suite, je remarque un batteur… On m’apprend qu’il s’agit d’Emile Biayenda. Rien d’étonnant à ce que je l’ai remarqué d’emblée, je l’avais déjà apprécié sur disques sans réserve. Mais la fatigue et le froid me chasse vers le lit de la mère supérieure de l’Abbaye du Puypéroux qui m’est ici réservé chaque année. Je serai plus vaillant demain après les concerts de PJ5, Emile Parisien, Mathis Pascaud… Et il se dit que le beau temps et de retour. • Franck Bergerot|Une recréation des arrangement d’Antonio Carlos Jobim en première partie du duo Baptiste Trotignon – Minino Garay : l’Argentine et le Brésil était à l’honneur hier pour l’ouverture du Respire Jazz Jazz Festival. La pluie aussi, mais il en faut plus que ça pour abattre le moral bien trempé du public charentais.
Respire Jazz Festival, Aignes-Puypéroux (16), le 30 juin 2017.
Des moiteurs parisiennes de ce mois de juin encore tenaces en dépit d’un vif rafraichissement et qui nous ont habitués aux tenues légères, je débarque, 21h passée, à peine couvert dans le froid et l’humidité atlantique parmi la petite foule hyper-active des bénévoles qui ont tout mis en œuvre pour accompagner le déplacement de la scène habituelle, au pied de l’abside de l’abbaye du Puypéroux, et les balles de foin en guise de fauteuils d’orchestre, vers la grange, majestueux cube de pierre à l’improbable charpente où l’édition 2014 s’était déjà en partie tenue. Respire Jazz est une affaire de famille, la famille Perchaud du prénommé Pierre, le guitariste, une grande famille qui s’étend bien au-delà des liens du sang, une communauté locale et supra-régionale qui se mobilise, pour la 9ème édition, autour de ce festival surgi chaque année comme au milieu de nulle part, dans la campagne doucement vallonnée du Sud Charentes.
Les Cariocas d’Aquitao : Mayoni Moreno, Emeline Marcon, Alice Fearne, Carolina Carmona, Elora Antolin, Yori Moy (chœurs et voix solistes), Thibaud Fuster (bugle), Alexandre Aguilera (flûte), Jeanne Lecuyer (flûte basse, piccolo), Emmanuel Pelletier (sax ténor), Pierre Aubert, Cécile Mardikian (violon), Emeneline Mendes da Cunha (violon alto), Jacques Nicolas (violoncelle), Rija Randrianivosoa (guitare), Didier Frébœuf (piano), Hugues Maté (contrebasse, basse électrique), Eric Bourciquot (batterie), Ceiba Marion (percussions).
21h30 : tout est prêt pour accueillir cet orchestre imaginé par Hugues Maté, fils du défunt saxophoniste Philippe Maté (souvenir de l’Europamerica de Jef Gilson, du Quatuor de saxophones avec François Jeanneau, Jean-Louis Chautemps et Jacques Di Donato, de la cla), autour du répertoire d’Antonio Carlos Jobim.
Débarquant à la bourre sans avoir pris le temps de réviser le programme de la soirée, je soupçonne quelque entreprise dilettante aux premiers accents d’un orchestre se débattant avec les problèmes de justesse, de timbre, de précisions du geste consécutifs au froid, à l’humidité et un trac collectif que trahit la présentation brouillonne du leader, pour découvrir, au fil du réchauffement des matériaux, du lieu, de l’ambiance, une entreprise sérieusement préméditée. S’il s’agit du premier concert de cet orchestre qui n’a eu jusqu’ici d’existence qu’en répétition et en studio, c’est surtout la réalisation d’un rêve, vieux de 15 ans, conçu par Hugues Maté et partagé avec Eric Bourciquot, et qu’ils ont concrétisé l’hiver et au printemps dernier sur un disque tout juste sorti chez Cristal Records (“Viva Jobim”). L’objet du rêve en question : les arrangements de la plume même de Tom Jobim sur ses propres compostions qu’ils ont reconstitués à partir de réductions existantes pour piano et voix et de l’écoute des disques, non sans se laisser une petite part d’imagination.
Une section de cordes impeccable, des voix très sûres en solo comme en chœurs, un trompettiste qui sera présenté par Hugues Maté comme le pilier de l’entreprise (direction et mise au point des arrangements vocaux) parmi une section de vents d’où émergeront un solo de flûte de très belle facture (Alexandre Aguilera son, articulation, développement), un solo de ténor (hommage à Stan Getz d’Emmanuel Pelletier qui laisse percevoir la nervosité d’être soudain exposé se mettre en travers d’idées néanmoins prometteuses), une rythmique conséquente et affrontant sans trop se laisser intimider par l’inévitable comparaison avec l’original décontraction carioca, cautionnée par la présence en son sein du guitariste Rija Randrianivosoa (certes, il est plus malgache que brésilien, mais pour toutes sortes de raisons, on me passera cette très grossière approximation). Un joli moment de cette saudade dont Maté aime à rappeler que c’est la manière la plus gaie qui soit de dire la tristesse. L’occasion de redécouvrir un répertoire que je n’avais jamais envisagé sous cet angle orchestral, sinon de loin avec un relatif dédain qui s’avère immérité.
Entracte autour du bar, d’un stand de restauration rapide comme on sait la pratiquer à Respire Jazz (le clafoutis dont je me restaure en témoigne) et du stand de CD et LP d’occasion de Philippe Vincent, dont nos jeunes lecteurs connaissent la plume, dont nos vieux lecteurs ont connu les productions (Louis Sclavis, Enrico Pieranunzi, Barney Wilen, Laurent de Wilde, Dominique Pifarély… sous label Ida Record) et qui est ici chez lui, présentateur des concerts et parrain autrefois de Pierre Perchaud dans sa découverte du jazz. Mais le vois déjà qui gagne la scène et présente :
Baptiste Trotignon (piano), Minino Garay (percussions).
Qui aurait cru, lorsque l’on fit sa connaissance lors des Nuits blanches du Petit Opportun ou lorsque Michel Contat vanta ses “belles mains” dans Télérama que Baptiste Trotignon s’acoquinerait un jour avec ce gredin de Minino Garay. Mais les voici copains comme cochons, ou plutôt frères ennemis en un exercice si bien rôdé que l’on dirait parfois deux vieux sociétaires de la Comédie française se tournant le dos par coquetterie. Car, oui, contrairement à l’habitude le piano est à droite pour nous et Minino Garay dans son dos, jouant sans un regard de l’un pour l’autre, sauf lorsque Trotignon se détourne du piano pour observer les facéties rythmiques de son compère avec une feinte ironie.
Mais ils sont si rodés, et si intensément habités par leur musique que le regard ne compte plus dans leur entente quasi-télépathique, les oreilles en tout cas grandes ouvertes. Car ce sont de longues dérives sur des ostinatos, percutés par d’autres plus éphémères et en constantes métamorphoses, qui s’enchaînent de l’un à l’autre de manière labyrinthique, où l’on s’égare un peu, reprenant pied au fil des citations et arrangements des mélodies de Leonard Bernstein, Carlos Gardel ou… (mais de qui est ce choro que je connais pas cœur… Pixinguinha ? Hermeto Pascoal ? Egberto Gismonti ?), mélodies auxquelles Trotignon fait subir de troublantes torsions harmoniques et rythmiques… et tandis que l’on s’égare, ils ne se perdent pas de “vue” un seul instant, comme dans une espèce d’unisson virtuel qui est le conducteur muet de leur polyphonie. Gros succès, rappel, Trotignon revient seul pour aller et venir entre les mélodies de Douce Nuit et La Chanson de Maxence, comme dans le sommeil on passe d’un rêve à l’autre « à travers cheminées et placards ».
Vient l’heure du bœuf after hours, tradition incontournable de Respire Jazz, où chaque année une équipe de jeunes musiciens, souvent issus du Centre de musique de Didier Lockwood où Pierre Perchaud sont chargés d’accueillir les musiciens à l’affiche ou d’autres. Traditionnellement organisé au préau abritant scène et buvette devant une sorte de jazz club à ciel ouvert, inutilisable pour cause d’intempéries. Tout de suite, je remarque un batteur… On m’apprend qu’il s’agit d’Emile Biayenda. Rien d’étonnant à ce que je l’ai remarqué d’emblée, je l’avais déjà apprécié sur disques sans réserve. Mais la fatigue et le froid me chasse vers le lit de la mère supérieure de l’Abbaye du Puypéroux qui m’est ici réservé chaque année. Je serai plus vaillant demain après les concerts de PJ5, Emile Parisien, Mathis Pascaud… Et il se dit que le beau temps et de retour. • Franck Bergerot|Une recréation des arrangement d’Antonio Carlos Jobim en première partie du duo Baptiste Trotignon – Minino Garay : l’Argentine et le Brésil était à l’honneur hier pour l’ouverture du Respire Jazz Jazz Festival. La pluie aussi, mais il en faut plus que ça pour abattre le moral bien trempé du public charentais.
Respire Jazz Festival, Aignes-Puypéroux (16), le 30 juin 2017.
Des moiteurs parisiennes de ce mois de juin encore tenaces en dépit d’un vif rafraichissement et qui nous ont habitués aux tenues légères, je débarque, 21h passée, à peine couvert dans le froid et l’humidité atlantique parmi la petite foule hyper-active des bénévoles qui ont tout mis en œuvre pour accompagner le déplacement de la scène habituelle, au pied de l’abside de l’abbaye du Puypéroux, et les balles de foin en guise de fauteuils d’orchestre, vers la grange, majestueux cube de pierre à l’improbable charpente où l’édition 2014 s’était déjà en partie tenue. Respire Jazz est une affaire de famille, la famille Perchaud du prénommé Pierre, le guitariste, une grande famille qui s’étend bien au-delà des liens du sang, une communauté locale et supra-régionale qui se mobilise, pour la 9ème édition, autour de ce festival surgi chaque année comme au milieu de nulle part, dans la campagne doucement vallonnée du Sud Charentes.
Les Cariocas d’Aquitao : Mayoni Moreno, Emeline Marcon, Alice Fearne, Carolina Carmona, Elora Antolin, Yori Moy (chœurs et voix solistes), Thibaud Fuster (bugle), Alexandre Aguilera (flûte), Jeanne Lecuyer (flûte basse, piccolo), Emmanuel Pelletier (sax ténor), Pierre Aubert, Cécile Mardikian (violon), Emeneline Mendes da Cunha (violon alto), Jacques Nicolas (violoncelle), Rija Randrianivosoa (guitare), Didier Frébœuf (piano), Hugues Maté (contrebasse, basse électrique), Eric Bourciquot (batterie), Ceiba Marion (percussions).
21h30 : tout est prêt pour accueillir cet orchestre imaginé par Hugues Maté, fils du défunt saxophoniste Philippe Maté (souvenir de l’Europamerica de Jef Gilson, du Quatuor de saxophones avec François Jeanneau, Jean-Louis Chautemps et Jacques Di Donato, de la cla), autour du répertoire d’Antonio Carlos Jobim.
Débarquant à la bourre sans avoir pris le temps de réviser le programme de la soirée, je soupçonne quelque entreprise dilettante aux premiers accents d’un orchestre se débattant avec les problèmes de justesse, de timbre, de précisions du geste consécutifs au froid, à l’humidité et un trac collectif que trahit la présentation brouillonne du leader, pour découvrir, au fil du réchauffement des matériaux, du lieu, de l’ambiance, une entreprise sérieusement préméditée. S’il s’agit du premier concert de cet orchestre qui n’a eu jusqu’ici d’existence qu’en répétition et en studio, c’est surtout la réalisation d’un rêve, vieux de 15 ans, conçu par Hugues Maté et partagé avec Eric Bourciquot, et qu’ils ont concrétisé l’hiver et au printemps dernier sur un disque tout juste sorti chez Cristal Records (“Viva Jobim”). L’objet du rêve en question : les arrangements de la plume même de Tom Jobim sur ses propres compostions qu’ils ont reconstitués à partir de réductions existantes pour piano et voix et de l’écoute des disques, non sans se laisser une petite part d’imagination.
Une section de cordes impeccable, des voix très sûres en solo comme en chœurs, un trompettiste qui sera présenté par Hugues Maté comme le pilier de l’entreprise (direction et mise au point des arrangements vocaux) parmi une section de vents d’où émergeront un solo de flûte de très belle facture (Alexandre Aguilera son, articulation, développement), un solo de ténor (hommage à Stan Getz d’Emmanuel Pelletier qui laisse percevoir la nervosité d’être soudain exposé se mettre en travers d’idées néanmoins prometteuses), une rythmique conséquente et affrontant sans trop se laisser intimider par l’inévitable comparaison avec l’original décontraction carioca, cautionnée par la présence en son sein du guitariste Rija Randrianivosoa (certes, il est plus malgache que brésilien, mais pour toutes sortes de raisons, on me passera cette très grossière approximation). Un joli moment de cette saudade dont Maté aime à rappeler que c’est la manière la plus gaie qui soit de dire la tristesse. L’occasion de redécouvrir un répertoire que je n’avais jamais envisagé sous cet angle orchestral, sinon de loin avec un relatif dédain qui s’avère immérité.
Entracte autour du bar, d’un stand de restauration rapide comme on sait la pratiquer à Respire Jazz (le clafoutis dont je me restaure en témoigne) et du stand de CD et LP d’occasion de Philippe Vincent, dont nos jeunes lecteurs connaissent la plume, dont nos vieux lecteurs ont connu les productions (Louis Sclavis, Enrico Pieranunzi, Barney Wilen, Laurent de Wilde, Dominique Pifarély… sous label Ida Record) et qui est ici chez lui, présentateur des concerts et parrain autrefois de Pierre Perchaud dans sa découverte du jazz. Mais le vois déjà qui gagne la scène et présente :
Baptiste Trotignon (piano), Minino Garay (percussions).
Qui aurait cru, lorsque l’on fit sa connaissance lors des Nuits blanches du Petit Opportun ou lorsque Michel Contat vanta ses “belles mains” dans Télérama que Baptiste Trotignon s’acoquinerait un jour avec ce gredin de Minino Garay. Mais les voici copains comme cochons, ou plutôt frères ennemis en un exercice si bien rôdé que l’on dirait parfois deux vieux sociétaires de la Comédie française se tournant le dos par coquetterie. Car, oui, contrairement à l’habitude le piano est à droite pour nous et Minino Garay dans son dos, jouant sans un regard de l’un pour l’autre, sauf lorsque Trotignon se détourne du piano pour observer les facéties rythmiques de son compère avec une feinte ironie.
Mais ils sont si rodés, et si intensément habités par leur musique que le regard ne compte plus dans leur entente quasi-télépathique, les oreilles en tout cas grandes ouvertes. Car ce sont de longues dérives sur des ostinatos, percutés par d’autres plus éphémères et en constantes métamorphoses, qui s’enchaînent de l’un à l’autre de manière labyrinthique, où l’on s’égare un peu, reprenant pied au fil des citations et arrangements des mélodies de Leonard Bernstein, Carlos Gardel ou… (mais de qui est ce choro que je connais pas cœur… Pixinguinha ? Hermeto Pascoal ? Egberto Gismonti ?), mélodies auxquelles Trotignon fait subir de troublantes torsions harmoniques et rythmiques… et tandis que l’on s’égare, ils ne se perdent pas de “vue” un seul instant, comme dans une espèce d’unisson virtuel qui est le conducteur muet de leur polyphonie. Gros succès, rappel, Trotignon revient seul pour aller et venir entre les mélodies de Douce Nuit et La Chanson de Maxence, comme dans le sommeil on passe d’un rêve à l’autre « à travers cheminées et placards ».
Vient l’heure du bœuf after hours, tradition incontournable de Respire Jazz, où chaque année une équipe de jeunes musiciens, souvent issus du Centre de musique de Didier Lockwood où Pierre Perchaud sont chargés d’accueillir les musiciens à l’affiche ou d’autres. Traditionnellement organisé au préau abritant scène et buvette devant une sorte de jazz club à ciel ouvert, inutilisable pour cause d’intempéries. Tout de suite, je remarque un batteur… On m’apprend qu’il s’agit d’Emile Biayenda. Rien d’étonnant à ce que je l’ai remarqué d’emblée, je l’avais déjà apprécié sur disques sans réserve. Mais la fatigue et le froid me chasse vers le lit de la mère supérieure de l’Abbaye du Puypéroux qui m’est ici réservé chaque année. Je serai plus vaillant demain après les concerts de PJ5, Emile Parisien, Mathis Pascaud… Et il se dit que le beau temps et de retour. • Franck Bergerot