Festival International de Jazz de Montréal 38e édition (1)
Nouveau marathon dans la métropole québécoise, au moment des festivités marquant les 150 ans de la Confédération canadienne, avec une immersion de trois jours dans le maousse festival dont le seul défaut, outre qu’il se trouve de l’autre côté de la planète, est de receler une programmation si profuse que le mélomane en vient à souhaiter l’accélération de la recherche sur le clonage. Il faudrait en effet pouvoir se partager entre plusieurs lieux simultanés, pour n’en pas manquer une miette. Le 30 juin par exemple sont « en concurrence » Bob Dylan et le double-programme Hudson / Charles Lloyd Quartet, mais aussi le quartette de Daniel Freedman. Le prix Nobel attendra, on est là pour le jazz, en l’occurrence pour des retrouvailles avec des artistes connus de nos services, selon différentes moutures et incarnations, au gré des époques. Les groupes à l’affiche ont une actualité discographique « été 2017 » à présenter. Pour qui n’a pas eu l’heur d’écouter leurs albums, l’excitation d’en découvrir la teneur en direct équivaut à celle d’un film en avant-première, dont on a soigneusement évité de lire le synopsis. Et de film il aura aussi été question, avec un documentaire consacré au guitariste Bill Frisell.
Charles Lloyd Quartet (Maison Symphonique)
Charles Lloyd (ts, fl), Gerald Clayton (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm)
Après diverses péripéties, je pousse les portes de l’imposante Maison Symphonique, alors que les applaudissements battent leur plein. Le concert a débuté par un hommage à Geri Allen, qui s’était produite avec Lloyd à Montréal en 2001 (les archives ont parlé). Nous voilà soudain en plein équinoxe Coltranien. L’écoute est concentrée, silencieuse, puis les spectateurs se lèvent pour une série de standing-ovations. Lloyd ne serait-il pas le versant lumineux de Trane, brûlant de quelque sérénité intérieure en lieu et place des inquiétudes de JC ? La comparaison tient aussi à une instrumentation identique, aux larges espaces d’expression dévolus aux membres du groupe, et au parcours parallèle de deux ténors actifs durant la même décennie, même si le destin a permis à Charles de poursuivre plus avant, là où la mort a interrompu trop tôt les recherches de John. Un morceau avec flûte traversière, jeu dans les cordes du piano et tambourin vient à nous rappeler le versant flower power de Lloyd, mais la pièce se mue rapidement en un blues tumultueux. Avec ses musiciens, qui n’ont pas la moitié de son âge, Lloyd assume son rôle de guide. Il les encourage, les stimule, circule calmement autour d’eux quand il ne joue pas, mains croisées dans le dos et mines approbatrices. Ses propres solos sont frais et définitifs, à la manière d’un Wayne Shorter capable d’invoquer les muses sur commande. La liberté au cœur des débats, plus cadrée que dans le free jazz mais tout de même palpable. S’ensuit une mélodie évocatrice de Naima. Rien ne semble contraindre une expression dont l’authenticité rencontre les faveurs du public. Que demander de mieux ? Le soufflant figure légitimement parmi les 50 saxophonistes à (ré)-écouter de notre dossier de juillet. Son nouvel album est titré “Passin’Thru” (Blue Note), reprenant le nom d’un disque de Chico Hamilton (Impulse ! 1963) sur lequel le ténor jouait déjà. Il se produira en Europe dans les prochaines semaines, en quartette mais aussi dans la formation The Marvels aux côtés de Bill Frisell.
Jack DeJohnette (dm, voc), John Scofield (elg), John Medeski (org, p), Larry Grenadier (b)
Hudson émane d’une relation de voisinage. Les quatre musiciens résident dans la même vallée qui longe le fleuve donnant son nom au projet. La présence de ce quartette à la suite de celui de Charles Lloyd ne manque pas de piquant, DeJohnette ayant débuté dans les formations de son aîné (1966-68).
Sur scène, j’avais laissé le batteur dans un curieux groupe de fusion world-rock qui comprenait dans ses rangs John Surman et une chanteuse sud-américaine peu convaincante. Depuis, DeJohnette a multiplié les pistes, du new age pacifiste à des travaux estampillés A.A.C.M., de trios à l’existence éphémère (avec Danilo Perez et John Patitucci, puis Ravi Coltrane et Matthew Garrison) à des collaborations avec Wadada Leo Smith. Le grand écart entre projets personnels, grand public et d’avant-garde. L’homme manie les baguettes avec la même dextérité que mon boulanger. On le savait en outre pianiste. Maintenant, il chante ! Quant à John Scofield, il aime depuis quelque temps arpenter différentes facettes de l’americana, de manière explicite dans le récent “Country for old men”. Influence de Bill Frisell, qui a encouragé les jazzmen à s’aventurer dans cette voie ? Pas impossible, même si dans le cas de Scofield il y avait d’indéniables dispositions à cela.
Le disque d’Hudson a laissé les chroniqueurs de Jazz Magazine sur des impressions mitigées (rubrique « le disque qui fait débat »). Qu’en est-il en live ? Un début dans le vif du sujet, sur un titre évocateur de Bitches Brew, et tout du long un côté jam session qui sied à la musique. DeJohnette est le patron – il présente les musiciens et les titres, pousse la chansonnette, promeut un jeu rentre-dedans – mais c’est surtout Scofield qui réjouit par ses solos inspirés, ciselés, mordants. Numérotez vos abattis. Le groupe envoie du bois, dans une salle construite dans la même matière, plus habituée à l’accueil de concerts de musique classique qu’à ces jets d’acide. Le répertoire est constitué, entre autres, de reprises de Jimi Hendrix (dont un Castles Made of Sand dispensable), de Woodstock de Joni Mitchell, et d’excellents originaux tels que El Swing de Scofield et Hudson, composition collective. Chaque titre semble en quête d’un feeling particulier, d’un noyau à partir duquel rayonner. Larry Grenadier, quelque peu éclipsé par ses partenaires, joue des coudes et prend un solo puissant et découpé. Scofield et ce garnement de Medeski ne se quittent pas des yeux. L’organiste, sideman modéré, pousse ses claviers dans leurs derniers retranchements sitôt que la possibilité lui en est offerte. Son groove terrestre, incrusté et tordu comme une vieille racine, fait alors merveille. Voilà les ingrédients d’un all-stars taillé pour la scène, et dont l’interprétation du répertoire choisi devrait logiquement voir ses qualités amplifiées et affinées soir après soir.
David Cristol
Photos : Benoît Rousseau|Nouveau marathon dans la métropole québécoise, au moment des festivités marquant les 150 ans de la Confédération canadienne, avec une immersion de trois jours dans le maousse festival dont le seul défaut, outre qu’il se trouve de l’autre côté de la planète, est de receler une programmation si profuse que le mélomane en vient à souhaiter l’accélération de la recherche sur le clonage. Il faudrait en effet pouvoir se partager entre plusieurs lieux simultanés, pour n’en pas manquer une miette. Le 30 juin par exemple sont « en concurrence » Bob Dylan et le double-programme Hudson / Charles Lloyd Quartet, mais aussi le quartette de Daniel Freedman. Le prix Nobel attendra, on est là pour le jazz, en l’occurrence pour des retrouvailles avec des artistes connus de nos services, selon différentes moutures et incarnations, au gré des époques. Les groupes à l’affiche ont une actualité discographique « été 2017 » à présenter. Pour qui n’a pas eu l’heur d’écouter leurs albums, l’excitation d’en découvrir la teneur en direct équivaut à celle d’un film en avant-première, dont on a soigneusement évité de lire le synopsis. Et de film il aura aussi été question, avec un documentaire consacré au guitariste Bill Frisell.
Charles Lloyd Quartet (Maison Symphonique)
Charles Lloyd (ts, fl), Gerald Clayton (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm)
Après diverses péripéties, je pousse les portes de l’imposante Maison Symphonique, alors que les applaudissements battent leur plein. Le concert a débuté par un hommage à Geri Allen, qui s’était produite avec Lloyd à Montréal en 2001 (les archives ont parlé). Nous voilà soudain en plein équinoxe Coltranien. L’écoute est concentrée, silencieuse, puis les spectateurs se lèvent pour une série de standing-ovations. Lloyd ne serait-il pas le versant lumineux de Trane, brûlant de quelque sérénité intérieure en lieu et place des inquiétudes de JC ? La comparaison tient aussi à une instrumentation identique, aux larges espaces d’expression dévolus aux membres du groupe, et au parcours parallèle de deux ténors actifs durant la même décennie, même si le destin a permis à Charles de poursuivre plus avant, là où la mort a interrompu trop tôt les recherches de John. Un morceau avec flûte traversière, jeu dans les cordes du piano et tambourin vient à nous rappeler le versant flower power de Lloyd, mais la pièce se mue rapidement en un blues tumultueux. Avec ses musiciens, qui n’ont pas la moitié de son âge, Lloyd assume son rôle de guide. Il les encourage, les stimule, circule calmement autour d’eux quand il ne joue pas, mains croisées dans le dos et mines approbatrices. Ses propres solos sont frais et définitifs, à la manière d’un Wayne Shorter capable d’invoquer les muses sur commande. La liberté au cœur des débats, plus cadrée que dans le free jazz mais tout de même palpable. S’ensuit une mélodie évocatrice de Naima. Rien ne semble contraindre une expression dont l’authenticité rencontre les faveurs du public. Que demander de mieux ? Le soufflant figure légitimement parmi les 50 saxophonistes à (ré)-écouter de notre dossier de juillet. Son nouvel album est titré “Passin’Thru” (Blue Note), reprenant le nom d’un disque de Chico Hamilton (Impulse ! 1963) sur lequel le ténor jouait déjà. Il se produira en Europe dans les prochaines semaines, en quartette mais aussi dans la formation The Marvels aux côtés de Bill Frisell.
Jack DeJohnette (dm, voc), John Scofield (elg), John Medeski (org, p), Larry Grenadier (b)
Hudson émane d’une relation de voisinage. Les quatre musiciens résident dans la même vallée qui longe le fleuve donnant son nom au projet. La présence de ce quartette à la suite de celui de Charles Lloyd ne manque pas de piquant, DeJohnette ayant débuté dans les formations de son aîné (1966-68).
Sur scène, j’avais laissé le batteur dans un curieux groupe de fusion world-rock qui comprenait dans ses rangs John Surman et une chanteuse sud-américaine peu convaincante. Depuis, DeJohnette a multiplié les pistes, du new age pacifiste à des travaux estampillés A.A.C.M., de trios à l’existence éphémère (avec Danilo Perez et John Patitucci, puis Ravi Coltrane et Matthew Garrison) à des collaborations avec Wadada Leo Smith. Le grand écart entre projets personnels, grand public et d’avant-garde. L’homme manie les baguettes avec la même dextérité que mon boulanger. On le savait en outre pianiste. Maintenant, il chante ! Quant à John Scofield, il aime depuis quelque temps arpenter différentes facettes de l’americana, de manière explicite dans le récent “Country for old men”. Influence de Bill Frisell, qui a encouragé les jazzmen à s’aventurer dans cette voie ? Pas impossible, même si dans le cas de Scofield il y avait d’indéniables dispositions à cela.
Le disque d’Hudson a laissé les chroniqueurs de Jazz Magazine sur des impressions mitigées (rubrique « le disque qui fait débat »). Qu’en est-il en live ? Un début dans le vif du sujet, sur un titre évocateur de Bitches Brew, et tout du long un côté jam session qui sied à la musique. DeJohnette est le patron – il présente les musiciens et les titres, pousse la chansonnette, promeut un jeu rentre-dedans – mais c’est surtout Scofield qui réjouit par ses solos inspirés, ciselés, mordants. Numérotez vos abattis. Le groupe envoie du bois, dans une salle construite dans la même matière, plus habituée à l’accueil de concerts de musique classique qu’à ces jets d’acide. Le répertoire est constitué, entre autres, de reprises de Jimi Hendrix (dont un Castles Made of Sand dispensable), de Woodstock de Joni Mitchell, et d’excellents originaux tels que El Swing de Scofield et Hudson, composition collective. Chaque titre semble en quête d’un feeling particulier, d’un noyau à partir duquel rayonner. Larry Grenadier, quelque peu éclipsé par ses partenaires, joue des coudes et prend un solo puissant et découpé. Scofield et ce garnement de Medeski ne se quittent pas des yeux. L’organiste, sideman modéré, pousse ses claviers dans leurs derniers retranchements sitôt que la possibilité lui en est offerte. Son groove terrestre, incrusté et tordu comme une vieille racine, fait alors merveille. Voilà les ingrédients d’un all-stars taillé pour la scène, et dont l’interprétation du répertoire choisi devrait logiquement voir ses qualités amplifiées et affinées soir après soir.
David Cristol
Photos : Benoît Rousseau|Nouveau marathon dans la métropole québécoise, au moment des festivités marquant les 150 ans de la Confédération canadienne, avec une immersion de trois jours dans le maousse festival dont le seul défaut, outre qu’il se trouve de l’autre côté de la planète, est de receler une programmation si profuse que le mélomane en vient à souhaiter l’accélération de la recherche sur le clonage. Il faudrait en effet pouvoir se partager entre plusieurs lieux simultanés, pour n’en pas manquer une miette. Le 30 juin par exemple sont « en concurrence » Bob Dylan et le double-programme Hudson / Charles Lloyd Quartet, mais aussi le quartette de Daniel Freedman. Le prix Nobel attendra, on est là pour le jazz, en l’occurrence pour des retrouvailles avec des artistes connus de nos services, selon différentes moutures et incarnations, au gré des époques. Les groupes à l’affiche ont une actualité discographique « été 2017 » à présenter. Pour qui n’a pas eu l’heur d’écouter leurs albums, l’excitation d’en découvrir la teneur en direct équivaut à celle d’un film en avant-première, dont on a soigneusement évité de lire le synopsis. Et de film il aura aussi été question, avec un documentaire consacré au guitariste Bill Frisell.
Charles Lloyd Quartet (Maison Symphonique)
Charles Lloyd (ts, fl), Gerald Clayton (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm)
Après diverses péripéties, je pousse les portes de l’imposante Maison Symphonique, alors que les applaudissements battent leur plein. Le concert a débuté par un hommage à Geri Allen, qui s’était produite avec Lloyd à Montréal en 2001 (les archives ont parlé). Nous voilà soudain en plein équinoxe Coltranien. L’écoute est concentrée, silencieuse, puis les spectateurs se lèvent pour une série de standing-ovations. Lloyd ne serait-il pas le versant lumineux de Trane, brûlant de quelque sérénité intérieure en lieu et place des inquiétudes de JC ? La comparaison tient aussi à une instrumentation identique, aux larges espaces d’expression dévolus aux membres du groupe, et au parcours parallèle de deux ténors actifs durant la même décennie, même si le destin a permis à Charles de poursuivre plus avant, là où la mort a interrompu trop tôt les recherches de John. Un morceau avec flûte traversière, jeu dans les cordes du piano et tambourin vient à nous rappeler le versant flower power de Lloyd, mais la pièce se mue rapidement en un blues tumultueux. Avec ses musiciens, qui n’ont pas la moitié de son âge, Lloyd assume son rôle de guide. Il les encourage, les stimule, circule calmement autour d’eux quand il ne joue pas, mains croisées dans le dos et mines approbatrices. Ses propres solos sont frais et définitifs, à la manière d’un Wayne Shorter capable d’invoquer les muses sur commande. La liberté au cœur des débats, plus cadrée que dans le free jazz mais tout de même palpable. S’ensuit une mélodie évocatrice de Naima. Rien ne semble contraindre une expression dont l’authenticité rencontre les faveurs du public. Que demander de mieux ? Le soufflant figure légitimement parmi les 50 saxophonistes à (ré)-écouter de notre dossier de juillet. Son nouvel album est titré “Passin’Thru” (Blue Note), reprenant le nom d’un disque de Chico Hamilton (Impulse ! 1963) sur lequel le ténor jouait déjà. Il se produira en Europe dans les prochaines semaines, en quartette mais aussi dans la formation The Marvels aux côtés de Bill Frisell.
Jack DeJohnette (dm, voc), John Scofield (elg), John Medeski (org, p), Larry Grenadier (b)
Hudson émane d’une relation de voisinage. Les quatre musiciens résident dans la même vallée qui longe le fleuve donnant son nom au projet. La présence de ce quartette à la suite de celui de Charles Lloyd ne manque pas de piquant, DeJohnette ayant débuté dans les formations de son aîné (1966-68).
Sur scène, j’avais laissé le batteur dans un curieux groupe de fusion world-rock qui comprenait dans ses rangs John Surman et une chanteuse sud-américaine peu convaincante. Depuis, DeJohnette a multiplié les pistes, du new age pacifiste à des travaux estampillés A.A.C.M., de trios à l’existence éphémère (avec Danilo Perez et John Patitucci, puis Ravi Coltrane et Matthew Garrison) à des collaborations avec Wadada Leo Smith. Le grand écart entre projets personnels, grand public et d’avant-garde. L’homme manie les baguettes avec la même dextérité que mon boulanger. On le savait en outre pianiste. Maintenant, il chante ! Quant à John Scofield, il aime depuis quelque temps arpenter différentes facettes de l’americana, de manière explicite dans le récent “Country for old men”. Influence de Bill Frisell, qui a encouragé les jazzmen à s’aventurer dans cette voie ? Pas impossible, même si dans le cas de Scofield il y avait d’indéniables dispositions à cela.
Le disque d’Hudson a laissé les chroniqueurs de Jazz Magazine sur des impressions mitigées (rubrique « le disque qui fait débat »). Qu’en est-il en live ? Un début dans le vif du sujet, sur un titre évocateur de Bitches Brew, et tout du long un côté jam session qui sied à la musique. DeJohnette est le patron – il présente les musiciens et les titres, pousse la chansonnette, promeut un jeu rentre-dedans – mais c’est surtout Scofield qui réjouit par ses solos inspirés, ciselés, mordants. Numérotez vos abattis. Le groupe envoie du bois, dans une salle construite dans la même matière, plus habituée à l’accueil de concerts de musique classique qu’à ces jets d’acide. Le répertoire est constitué, entre autres, de reprises de Jimi Hendrix (dont un Castles Made of Sand dispensable), de Woodstock de Joni Mitchell, et d’excellents originaux tels que El Swing de Scofield et Hudson, composition collective. Chaque titre semble en quête d’un feeling particulier, d’un noyau à partir duquel rayonner. Larry Grenadier, quelque peu éclipsé par ses partenaires, joue des coudes et prend un solo puissant et découpé. Scofield et ce garnement de Medeski ne se quittent pas des yeux. L’organiste, sideman modéré, pousse ses claviers dans leurs derniers retranchements sitôt que la possibilité lui en est offerte. Son groove terrestre, incrusté et tordu comme une vieille racine, fait alors merveille. Voilà les ingrédients d’un all-stars taillé pour la scène, et dont l’interprétation du répertoire choisi devrait logiquement voir ses qualités amplifiées et affinées soir après soir.
David Cristol
Photos : Benoît Rousseau|Nouveau marathon dans la métropole québécoise, au moment des festivités marquant les 150 ans de la Confédération canadienne, avec une immersion de trois jours dans le maousse festival dont le seul défaut, outre qu’il se trouve de l’autre côté de la planète, est de receler une programmation si profuse que le mélomane en vient à souhaiter l’accélération de la recherche sur le clonage. Il faudrait en effet pouvoir se partager entre plusieurs lieux simultanés, pour n’en pas manquer une miette. Le 30 juin par exemple sont « en concurrence » Bob Dylan et le double-programme Hudson / Charles Lloyd Quartet, mais aussi le quartette de Daniel Freedman. Le prix Nobel attendra, on est là pour le jazz, en l’occurrence pour des retrouvailles avec des artistes connus de nos services, selon différentes moutures et incarnations, au gré des époques. Les groupes à l’affiche ont une actualité discographique « été 2017 » à présenter. Pour qui n’a pas eu l’heur d’écouter leurs albums, l’excitation d’en découvrir la teneur en direct équivaut à celle d’un film en avant-première, dont on a soigneusement évité de lire le synopsis. Et de film il aura aussi été question, avec un documentaire consacré au guitariste Bill Frisell.
Charles Lloyd Quartet (Maison Symphonique)
Charles Lloyd (ts, fl), Gerald Clayton (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm)
Après diverses péripéties, je pousse les portes de l’imposante Maison Symphonique, alors que les applaudissements battent leur plein. Le concert a débuté par un hommage à Geri Allen, qui s’était produite avec Lloyd à Montréal en 2001 (les archives ont parlé). Nous voilà soudain en plein équinoxe Coltranien. L’écoute est concentrée, silencieuse, puis les spectateurs se lèvent pour une série de standing-ovations. Lloyd ne serait-il pas le versant lumineux de Trane, brûlant de quelque sérénité intérieure en lieu et place des inquiétudes de JC ? La comparaison tient aussi à une instrumentation identique, aux larges espaces d’expression dévolus aux membres du groupe, et au parcours parallèle de deux ténors actifs durant la même décennie, même si le destin a permis à Charles de poursuivre plus avant, là où la mort a interrompu trop tôt les recherches de John. Un morceau avec flûte traversière, jeu dans les cordes du piano et tambourin vient à nous rappeler le versant flower power de Lloyd, mais la pièce se mue rapidement en un blues tumultueux. Avec ses musiciens, qui n’ont pas la moitié de son âge, Lloyd assume son rôle de guide. Il les encourage, les stimule, circule calmement autour d’eux quand il ne joue pas, mains croisées dans le dos et mines approbatrices. Ses propres solos sont frais et définitifs, à la manière d’un Wayne Shorter capable d’invoquer les muses sur commande. La liberté au cœur des débats, plus cadrée que dans le free jazz mais tout de même palpable. S’ensuit une mélodie évocatrice de Naima. Rien ne semble contraindre une expression dont l’authenticité rencontre les faveurs du public. Que demander de mieux ? Le soufflant figure légitimement parmi les 50 saxophonistes à (ré)-écouter de notre dossier de juillet. Son nouvel album est titré “Passin’Thru” (Blue Note), reprenant le nom d’un disque de Chico Hamilton (Impulse ! 1963) sur lequel le ténor jouait déjà. Il se produira en Europe dans les prochaines semaines, en quartette mais aussi dans la formation The Marvels aux côtés de Bill Frisell.
Jack DeJohnette (dm, voc), John Scofield (elg), John Medeski (org, p), Larry Grenadier (b)
Hudson émane d’une relation de voisinage. Les quatre musiciens résident dans la même vallée qui longe le fleuve donnant son nom au projet. La présence de ce quartette à la suite de celui de Charles Lloyd ne manque pas de piquant, DeJohnette ayant débuté dans les formations de son aîné (1966-68).
Sur scène, j’avais laissé le batteur dans un curieux groupe de fusion world-rock qui comprenait dans ses rangs John Surman et une chanteuse sud-américaine peu convaincante. Depuis, DeJohnette a multiplié les pistes, du new age pacifiste à des travaux estampillés A.A.C.M., de trios à l’existence éphémère (avec Danilo Perez et John Patitucci, puis Ravi Coltrane et Matthew Garrison) à des collaborations avec Wadada Leo Smith. Le grand écart entre projets personnels, grand public et d’avant-garde. L’homme manie les baguettes avec la même dextérité que mon boulanger. On le savait en outre pianiste. Maintenant, il chante ! Quant à John Scofield, il aime depuis quelque temps arpenter différentes facettes de l’americana, de manière explicite dans le récent “Country for old men”. Influence de Bill Frisell, qui a encouragé les jazzmen à s’aventurer dans cette voie ? Pas impossible, même si dans le cas de Scofield il y avait d’indéniables dispositions à cela.
Le disque d’Hudson a laissé les chroniqueurs de Jazz Magazine sur des impressions mitigées (rubrique « le disque qui fait débat »). Qu’en est-il en live ? Un début dans le vif du sujet, sur un titre évocateur de Bitches Brew, et tout du long un côté jam session qui sied à la musique. DeJohnette est le patron – il présente les musiciens et les titres, pousse la chansonnette, promeut un jeu rentre-dedans – mais c’est surtout Scofield qui réjouit par ses solos inspirés, ciselés, mordants. Numérotez vos abattis. Le groupe envoie du bois, dans une salle construite dans la même matière, plus habituée à l’accueil de concerts de musique classique qu’à ces jets d’acide. Le répertoire est constitué, entre autres, de reprises de Jimi Hendrix (dont un Castles Made of Sand dispensable), de Woodstock de Joni Mitchell, et d’excellents originaux tels que El Swing de Scofield et Hudson, composition collective. Chaque titre semble en quête d’un feeling particulier, d’un noyau à partir duquel rayonner. Larry Grenadier, quelque peu éclipsé par ses partenaires, joue des coudes et prend un solo puissant et découpé. Scofield et ce garnement de Medeski ne se quittent pas des yeux. L’organiste, sideman modéré, pousse ses claviers dans leurs derniers retranchements sitôt que la possibilité lui en est offerte. Son groove terrestre, incrusté et tordu comme une vieille racine, fait alors merveille. Voilà les ingrédients d’un all-stars taillé pour la scène, et dont l’interprétation du répertoire choisi devrait logiquement voir ses qualités amplifiées et affinées soir après soir.
David Cristol
Photos : Benoît Rousseau