Festival International de Jazz de Montréal 38e édition (3)
La journée commence par une séance de cinéma. D’abord, le court-métrage “Oscar” (Marie-Josée Saint-Pierre), consacré à Oscar Peterson, tourné et projeté à l’occasion des dix ans de la disparition du pianiste Montréalais.
Le film mêle habilement séquences animées et documents d’archives (extraits de concerts et entretiens) et se concentre sur des aspects méconnus de la vie du pianiste : une carrière professionnelle commencée dès l’adolescence, une célébrité à laquelle il n’était pas préparé, les exigences des tournées de par le monde, la solitude du musicien constamment sur les routes, obligé de se montrer enjoué soir après soir, alors qu’il n’aspire qu’à retrouver son foyer. Très réussi, et disponible au visionnage (mais sans sous-titres) ici :
https://www.nfb.ca/film/oscar_en/
« Bill Frisell, a portrait » (Cinéma du Parc)
Le film sur Bill Frisell affiche quant à lui une durée copieuse de 120 minutes, et est intégralement dévolu à la gloire du guitariste. D’intervenants aux propos éclairants (Jim Hall, John Abercrombie, Joe Lovano, Hank Roberts, Paul Simon, John Zorn) en anecdotes aussi drôles que touchantes (Joey Baron) et images d’archives révélant de précieux échanges et extraits de concerts (Paul Motian au Village Vanguard lançant à ceux qui l’applaudissent « Puisque vous aimez tant la musique, achetez ce p****n de CD ! »), le film nous fait entrer dans l’intimité d’un guitariste plutôt secret. On le voit chez lui déballer amoureusement ses guitares et en commenter l’origine, ou apprécier les tableaux de sa femme, elle-même artiste. La réalisatrice Emma Franz se perd parfois dans des longueurs superfétatoires, comme avec la séquence d’enregistrement à la BBC avec le compositeur Michael Gibbs, d’un intérêt discutable. A l’inverse, des collaborations pleines de sens (avec Lee Konitz, Fred Hersch, John Scofield, Vinicius Cantuaria, Lucinda Williams) ne sont même pas mentionnées. Le film mérite d’être vu, mais il y manque un véritable rythme ou fil conducteur. L’humilité et le plaisir de jouer du guitariste sont en revanche présents à chaque instant. En plus d’être le musicien le plus recherché de la planète, Bill Frisell est un type sympa, toujours souriant et qui ne s’énerve jamais. Ainsi, le producteur Hal Willner en donne le meilleur résumé : « Tout le monde aime Bill Frisell. Vous ne trouverez personne pour dire du mal de lui. »
Kurt Rosenwinkel Caipi (L’Astral)
Kurt Rosenwinkel (elg, voc), Pedro Martins (elg, voc, cla), Olivia Trummer (p, voc), Frederic Heliodoro (elb, voc), Antonio Loureiro (perc, voc), Bill Campbell (dm, voc)
Ami des The Bad Plus, Kurt Rosenwinkel présente à l’Astral son projet brésilien, constitué de chansons concoctées au cours de plusieurs années, et réunies sous le catalogue “Caipi songs” (Caipi pour caipirinha, le cocktail aux agrumes). Guitares de feu, batteries d’airain, pianiste aérienne et synthés vintage ; et tout le monde chante. On y retrouve les riches heures d’Airto Moreira, Flora Purim, Milton Nascimento, avec quelque chose de Return to Forever voire du Mahavishnu Orchestra dans les moments les plus enlevés. Il y a aussi du Metheny chez Rosenwinkel : sonorité ouatée, dextérité à la fois sidérante et peu démonstrative. Cette musique se fonde sur l’unité du groupe et les compositions s’attachent à dépeindre la douceur de vivre. La contribution du multi-instrumentiste Pedro Martins semble déterminante (et un album de Martins est annoncé comme imminent sur le label de Rosenwinkel). Anachronique, cette luxuriance sort du lot de nombreuses productions plus concernées par les conventions que par l’imagination. Le groupe oeuvre à l’érection d’une montagne paradisiaque, bruissant d’oiseaux colorés et de rivières chuchotantes, qualités concentrées dans le titre All is Well. Une utopie musicale telle qu’il s’en créait il y a une quarantaine d’années sur des disques que l’on écoute encore. Dans ce contexte, les quelques solos isolés semblent un peu hors-sujet, car rompant avec la plénitude collective. Ce jazz-fusion tropical n’en reste pas moins l’un des points forts de cette édition.
Bill Frisell duo with Thomas Morgan (Gesu, centre de créativité)
Bill Frisell (elg), Thomas Morgan (b)
Dans la foulée de leur album “Small Town” (ECM, enregistré live) et de leur collaboration au sein du quartette de Frisell également en tournée, le guitariste et le contrebassiste relisent ici quelques titres bien connus, de l’inaugural All Blues à une chanson de Burt Bacharach en passant par l’une des “Ballads” de John Coltrane et Johnny Hartman et un air d’inspiration malienne (Ali Farka Touré et Toumani Diabaté). En rappel, deux titres de John Barry pour la série des James Bond, l’un d’eux voyant Frisell débrancher sa guitare d’un geste maladroit, en plein essor. Avec humour, le musicien prend immédiatement le micro pour s’excuser d’une telle bourde, ce qui nous donne l’occasion d’entendre sa voix, puisque aucune parole n’est venue s’intercaler entre les morceaux. Les thèmes sont exposés avec clarté, puis déconstruits, et enfin amenés sur les rives de l’expérimentation, le guitariste s’affairant sur de nombreuses pédales d’effets, créant boucles, empilements et embouteillages sonores, techniques qu’il employait il y a une dizaine d’années et sur lesquelles il semblait avoir tiré un trait pour épurer son jeu. On a eu droit à du Frisell maximaliste et « savant fou », et il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Thomas Morgan donne avec opiniâtreté la réplique au guitariste toujours attentif, même dans les moments les plus out…
Le festival s’est poursuivi avec, outre les concerts gratuits sur les places du Quartier des spectacles, de belles promesses musicales telles que l’hommage à Jimmy Giuffre par Dave Douglas, Chet Doxas, Steve Swallow et Carla Bley, mais aussi Joshua Redman, Stanley Clarke, George Cables, Wallace Roney, Ravi Coltrane ainsi qu’un nombre conséquent de formations contemporaines telles que le trio Phronesis et diverses propositions blues, soul et électro. Au final, cette édition du festival, que son Président qualifie de « Nations Unies de la musique », se sera révélée un nouveau grand succès, par sa fréquentation, la qualité de l’accueil et la diversité des publics présents.
David Cristol
Photo : Frédérique Ménard-Aubin|La journée commence par une séance de cinéma. D’abord, le court-métrage “Oscar” (Marie-Josée Saint-Pierre), consacré à Oscar Peterson, tourné et projeté à l’occasion des dix ans de la disparition du pianiste Montréalais.
Le film mêle habilement séquences animées et documents d’archives (extraits de concerts et entretiens) et se concentre sur des aspects méconnus de la vie du pianiste : une carrière professionnelle commencée dès l’adolescence, une célébrité à laquelle il n’était pas préparé, les exigences des tournées de par le monde, la solitude du musicien constamment sur les routes, obligé de se montrer enjoué soir après soir, alors qu’il n’aspire qu’à retrouver son foyer. Très réussi, et disponible au visionnage (mais sans sous-titres) ici :
https://www.nfb.ca/film/oscar_en/
« Bill Frisell, a portrait » (Cinéma du Parc)
Le film sur Bill Frisell affiche quant à lui une durée copieuse de 120 minutes, et est intégralement dévolu à la gloire du guitariste. D’intervenants aux propos éclairants (Jim Hall, John Abercrombie, Joe Lovano, Hank Roberts, Paul Simon, John Zorn) en anecdotes aussi drôles que touchantes (Joey Baron) et images d’archives révélant de précieux échanges et extraits de concerts (Paul Motian au Village Vanguard lançant à ceux qui l’applaudissent « Puisque vous aimez tant la musique, achetez ce p****n de CD ! »), le film nous fait entrer dans l’intimité d’un guitariste plutôt secret. On le voit chez lui déballer amoureusement ses guitares et en commenter l’origine, ou apprécier les tableaux de sa femme, elle-même artiste. La réalisatrice Emma Franz se perd parfois dans des longueurs superfétatoires, comme avec la séquence d’enregistrement à la BBC avec le compositeur Michael Gibbs, d’un intérêt discutable. A l’inverse, des collaborations pleines de sens (avec Lee Konitz, Fred Hersch, John Scofield, Vinicius Cantuaria, Lucinda Williams) ne sont même pas mentionnées. Le film mérite d’être vu, mais il y manque un véritable rythme ou fil conducteur. L’humilité et le plaisir de jouer du guitariste sont en revanche présents à chaque instant. En plus d’être le musicien le plus recherché de la planète, Bill Frisell est un type sympa, toujours souriant et qui ne s’énerve jamais. Ainsi, le producteur Hal Willner en donne le meilleur résumé : « Tout le monde aime Bill Frisell. Vous ne trouverez personne pour dire du mal de lui. »
Kurt Rosenwinkel Caipi (L’Astral)
Kurt Rosenwinkel (elg, voc), Pedro Martins (elg, voc, cla), Olivia Trummer (p, voc), Frederic Heliodoro (elb, voc), Antonio Loureiro (perc, voc), Bill Campbell (dm, voc)
Ami des The Bad Plus, Kurt Rosenwinkel présente à l’Astral son projet brésilien, constitué de chansons concoctées au cours de plusieurs années, et réunies sous le catalogue “Caipi songs” (Caipi pour caipirinha, le cocktail aux agrumes). Guitares de feu, batteries d’airain, pianiste aérienne et synthés vintage ; et tout le monde chante. On y retrouve les riches heures d’Airto Moreira, Flora Purim, Milton Nascimento, avec quelque chose de Return to Forever voire du Mahavishnu Orchestra dans les moments les plus enlevés. Il y a aussi du Metheny chez Rosenwinkel : sonorité ouatée, dextérité à la fois sidérante et peu démonstrative. Cette musique se fonde sur l’unité du groupe et les compositions s’attachent à dépeindre la douceur de vivre. La contribution du multi-instrumentiste Pedro Martins semble déterminante (et un album de Martins est annoncé comme imminent sur le label de Rosenwinkel). Anachronique, cette luxuriance sort du lot de nombreuses productions plus concernées par les conventions que par l’imagination. Le groupe oeuvre à l’érection d’une montagne paradisiaque, bruissant d’oiseaux colorés et de rivières chuchotantes, qualités concentrées dans le titre All is Well. Une utopie musicale telle qu’il s’en créait il y a une quarantaine d’années sur des disques que l’on écoute encore. Dans ce contexte, les quelques solos isolés semblent un peu hors-sujet, car rompant avec la plénitude collective. Ce jazz-fusion tropical n’en reste pas moins l’un des points forts de cette édition.
Bill Frisell duo with Thomas Morgan (Gesu, centre de créativité)
Bill Frisell (elg), Thomas Morgan (b)
Dans la foulée de leur album “Small Town” (ECM, enregistré live) et de leur collaboration au sein du quartette de Frisell également en tournée, le guitariste et le contrebassiste relisent ici quelques titres bien connus, de l’inaugural All Blues à une chanson de Burt Bacharach en passant par l’une des “Ballads” de John Coltrane et Johnny Hartman et un air d’inspiration malienne (Ali Farka Touré et Toumani Diabaté). En rappel, deux titres de John Barry pour la série des James Bond, l’un d’eux voyant Frisell débrancher sa guitare d’un geste maladroit, en plein essor. Avec humour, le musicien prend immédiatement le micro pour s’excuser d’une telle bourde, ce qui nous donne l’occasion d’entendre sa voix, puisque aucune parole n’est venue s’intercaler entre les morceaux. Les thèmes sont exposés avec clarté, puis déconstruits, et enfin amenés sur les rives de l’expérimentation, le guitariste s’affairant sur de nombreuses pédales d’effets, créant boucles, empilements et embouteillages sonores, techniques qu’il employait il y a une dizaine d’années et sur lesquelles il semblait avoir tiré un trait pour épurer son jeu. On a eu droit à du Frisell maximaliste et « savant fou », et il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Thomas Morgan donne avec opiniâtreté la réplique au guitariste toujours attentif, même dans les moments les plus out…
Le festival s’est poursuivi avec, outre les concerts gratuits sur les places du Quartier des spectacles, de belles promesses musicales telles que l’hommage à Jimmy Giuffre par Dave Douglas, Chet Doxas, Steve Swallow et Carla Bley, mais aussi Joshua Redman, Stanley Clarke, George Cables, Wallace Roney, Ravi Coltrane ainsi qu’un nombre conséquent de formations contemporaines telles que le trio Phronesis et diverses propositions blues, soul et électro. Au final, cette édition du festival, que son Président qualifie de « Nations Unies de la musique », se sera révélée un nouveau grand succès, par sa fréquentation, la qualité de l’accueil et la diversité des publics présents.
David Cristol
Photo : Frédérique Ménard-Aubin|La journée commence par une séance de cinéma. D’abord, le court-métrage “Oscar” (Marie-Josée Saint-Pierre), consacré à Oscar Peterson, tourné et projeté à l’occasion des dix ans de la disparition du pianiste Montréalais.
Le film mêle habilement séquences animées et documents d’archives (extraits de concerts et entretiens) et se concentre sur des aspects méconnus de la vie du pianiste : une carrière professionnelle commencée dès l’adolescence, une célébrité à laquelle il n’était pas préparé, les exigences des tournées de par le monde, la solitude du musicien constamment sur les routes, obligé de se montrer enjoué soir après soir, alors qu’il n’aspire qu’à retrouver son foyer. Très réussi, et disponible au visionnage (mais sans sous-titres) ici :
https://www.nfb.ca/film/oscar_en/
« Bill Frisell, a portrait » (Cinéma du Parc)
Le film sur Bill Frisell affiche quant à lui une durée copieuse de 120 minutes, et est intégralement dévolu à la gloire du guitariste. D’intervenants aux propos éclairants (Jim Hall, John Abercrombie, Joe Lovano, Hank Roberts, Paul Simon, John Zorn) en anecdotes aussi drôles que touchantes (Joey Baron) et images d’archives révélant de précieux échanges et extraits de concerts (Paul Motian au Village Vanguard lançant à ceux qui l’applaudissent « Puisque vous aimez tant la musique, achetez ce p****n de CD ! »), le film nous fait entrer dans l’intimité d’un guitariste plutôt secret. On le voit chez lui déballer amoureusement ses guitares et en commenter l’origine, ou apprécier les tableaux de sa femme, elle-même artiste. La réalisatrice Emma Franz se perd parfois dans des longueurs superfétatoires, comme avec la séquence d’enregistrement à la BBC avec le compositeur Michael Gibbs, d’un intérêt discutable. A l’inverse, des collaborations pleines de sens (avec Lee Konitz, Fred Hersch, John Scofield, Vinicius Cantuaria, Lucinda Williams) ne sont même pas mentionnées. Le film mérite d’être vu, mais il y manque un véritable rythme ou fil conducteur. L’humilité et le plaisir de jouer du guitariste sont en revanche présents à chaque instant. En plus d’être le musicien le plus recherché de la planète, Bill Frisell est un type sympa, toujours souriant et qui ne s’énerve jamais. Ainsi, le producteur Hal Willner en donne le meilleur résumé : « Tout le monde aime Bill Frisell. Vous ne trouverez personne pour dire du mal de lui. »
Kurt Rosenwinkel Caipi (L’Astral)
Kurt Rosenwinkel (elg, voc), Pedro Martins (elg, voc, cla), Olivia Trummer (p, voc), Frederic Heliodoro (elb, voc), Antonio Loureiro (perc, voc), Bill Campbell (dm, voc)
Ami des The Bad Plus, Kurt Rosenwinkel présente à l’Astral son projet brésilien, constitué de chansons concoctées au cours de plusieurs années, et réunies sous le catalogue “Caipi songs” (Caipi pour caipirinha, le cocktail aux agrumes). Guitares de feu, batteries d’airain, pianiste aérienne et synthés vintage ; et tout le monde chante. On y retrouve les riches heures d’Airto Moreira, Flora Purim, Milton Nascimento, avec quelque chose de Return to Forever voire du Mahavishnu Orchestra dans les moments les plus enlevés. Il y a aussi du Metheny chez Rosenwinkel : sonorité ouatée, dextérité à la fois sidérante et peu démonstrative. Cette musique se fonde sur l’unité du groupe et les compositions s’attachent à dépeindre la douceur de vivre. La contribution du multi-instrumentiste Pedro Martins semble déterminante (et un album de Martins est annoncé comme imminent sur le label de Rosenwinkel). Anachronique, cette luxuriance sort du lot de nombreuses productions plus concernées par les conventions que par l’imagination. Le groupe oeuvre à l’érection d’une montagne paradisiaque, bruissant d’oiseaux colorés et de rivières chuchotantes, qualités concentrées dans le titre All is Well. Une utopie musicale telle qu’il s’en créait il y a une quarantaine d’années sur des disques que l’on écoute encore. Dans ce contexte, les quelques solos isolés semblent un peu hors-sujet, car rompant avec la plénitude collective. Ce jazz-fusion tropical n’en reste pas moins l’un des points forts de cette édition.
Bill Frisell duo with Thomas Morgan (Gesu, centre de créativité)
Bill Frisell (elg), Thomas Morgan (b)
Dans la foulée de leur album “Small Town” (ECM, enregistré live) et de leur collaboration au sein du quartette de Frisell également en tournée, le guitariste et le contrebassiste relisent ici quelques titres bien connus, de l’inaugural All Blues à une chanson de Burt Bacharach en passant par l’une des “Ballads” de John Coltrane et Johnny Hartman et un air d’inspiration malienne (Ali Farka Touré et Toumani Diabaté). En rappel, deux titres de John Barry pour la série des James Bond, l’un d’eux voyant Frisell débrancher sa guitare d’un geste maladroit, en plein essor. Avec humour, le musicien prend immédiatement le micro pour s’excuser d’une telle bourde, ce qui nous donne l’occasion d’entendre sa voix, puisque aucune parole n’est venue s’intercaler entre les morceaux. Les thèmes sont exposés avec clarté, puis déconstruits, et enfin amenés sur les rives de l’expérimentation, le guitariste s’affairant sur de nombreuses pédales d’effets, créant boucles, empilements et embouteillages sonores, techniques qu’il employait il y a une dizaine d’années et sur lesquelles il semblait avoir tiré un trait pour épurer son jeu. On a eu droit à du Frisell maximaliste et « savant fou », et il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Thomas Morgan donne avec opiniâtreté la réplique au guitariste toujours attentif, même dans les moments les plus out…
Le festival s’est poursuivi avec, outre les concerts gratuits sur les places du Quartier des spectacles, de belles promesses musicales telles que l’hommage à Jimmy Giuffre par Dave Douglas, Chet Doxas, Steve Swallow et Carla Bley, mais aussi Joshua Redman, Stanley Clarke, George Cables, Wallace Roney, Ravi Coltrane ainsi qu’un nombre conséquent de formations contemporaines telles que le trio Phronesis et diverses propositions blues, soul et électro. Au final, cette édition du festival, que son Président qualifie de « Nations Unies de la musique », se sera révélée un nouveau grand succès, par sa fréquentation, la qualité de l’accueil et la diversité des publics présents.
David Cristol
Photo : Frédérique Ménard-Aubin|La journée commence par une séance de cinéma. D’abord, le court-métrage “Oscar” (Marie-Josée Saint-Pierre), consacré à Oscar Peterson, tourné et projeté à l’occasion des dix ans de la disparition du pianiste Montréalais.
Le film mêle habilement séquences animées et documents d’archives (extraits de concerts et entretiens) et se concentre sur des aspects méconnus de la vie du pianiste : une carrière professionnelle commencée dès l’adolescence, une célébrité à laquelle il n’était pas préparé, les exigences des tournées de par le monde, la solitude du musicien constamment sur les routes, obligé de se montrer enjoué soir après soir, alors qu’il n’aspire qu’à retrouver son foyer. Très réussi, et disponible au visionnage (mais sans sous-titres) ici :
https://www.nfb.ca/film/oscar_en/
« Bill Frisell, a portrait » (Cinéma du Parc)
Le film sur Bill Frisell affiche quant à lui une durée copieuse de 120 minutes, et est intégralement dévolu à la gloire du guitariste. D’intervenants aux propos éclairants (Jim Hall, John Abercrombie, Joe Lovano, Hank Roberts, Paul Simon, John Zorn) en anecdotes aussi drôles que touchantes (Joey Baron) et images d’archives révélant de précieux échanges et extraits de concerts (Paul Motian au Village Vanguard lançant à ceux qui l’applaudissent « Puisque vous aimez tant la musique, achetez ce p****n de CD ! »), le film nous fait entrer dans l’intimité d’un guitariste plutôt secret. On le voit chez lui déballer amoureusement ses guitares et en commenter l’origine, ou apprécier les tableaux de sa femme, elle-même artiste. La réalisatrice Emma Franz se perd parfois dans des longueurs superfétatoires, comme avec la séquence d’enregistrement à la BBC avec le compositeur Michael Gibbs, d’un intérêt discutable. A l’inverse, des collaborations pleines de sens (avec Lee Konitz, Fred Hersch, John Scofield, Vinicius Cantuaria, Lucinda Williams) ne sont même pas mentionnées. Le film mérite d’être vu, mais il y manque un véritable rythme ou fil conducteur. L’humilité et le plaisir de jouer du guitariste sont en revanche présents à chaque instant. En plus d’être le musicien le plus recherché de la planète, Bill Frisell est un type sympa, toujours souriant et qui ne s’énerve jamais. Ainsi, le producteur Hal Willner en donne le meilleur résumé : « Tout le monde aime Bill Frisell. Vous ne trouverez personne pour dire du mal de lui. »
Kurt Rosenwinkel Caipi (L’Astral)
Kurt Rosenwinkel (elg, voc), Pedro Martins (elg, voc, cla), Olivia Trummer (p, voc), Frederic Heliodoro (elb, voc), Antonio Loureiro (perc, voc), Bill Campbell (dm, voc)
Ami des The Bad Plus, Kurt Rosenwinkel présente à l’Astral son projet brésilien, constitué de chansons concoctées au cours de plusieurs années, et réunies sous le catalogue “Caipi songs” (Caipi pour caipirinha, le cocktail aux agrumes). Guitares de feu, batteries d’airain, pianiste aérienne et synthés vintage ; et tout le monde chante. On y retrouve les riches heures d’Airto Moreira, Flora Purim, Milton Nascimento, avec quelque chose de Return to Forever voire du Mahavishnu Orchestra dans les moments les plus enlevés. Il y a aussi du Metheny chez Rosenwinkel : sonorité ouatée, dextérité à la fois sidérante et peu démonstrative. Cette musique se fonde sur l’unité du groupe et les compositions s’attachent à dépeindre la douceur de vivre. La contribution du multi-instrumentiste Pedro Martins semble déterminante (et un album de Martins est annoncé comme imminent sur le label de Rosenwinkel). Anachronique, cette luxuriance sort du lot de nombreuses productions plus concernées par les conventions que par l’imagination. Le groupe oeuvre à l’érection d’une montagne paradisiaque, bruissant d’oiseaux colorés et de rivières chuchotantes, qualités concentrées dans le titre All is Well. Une utopie musicale telle qu’il s’en créait il y a une quarantaine d’années sur des disques que l’on écoute encore. Dans ce contexte, les quelques solos isolés semblent un peu hors-sujet, car rompant avec la plénitude collective. Ce jazz-fusion tropical n’en reste pas moins l’un des points forts de cette édition.
Bill Frisell duo with Thomas Morgan (Gesu, centre de créativité)
Bill Frisell (elg), Thomas Morgan (b)
Dans la foulée de leur album “Small Town” (ECM, enregistré live) et de leur collaboration au sein du quartette de Frisell également en tournée, le guitariste et le contrebassiste relisent ici quelques titres bien connus, de l’inaugural All Blues à une chanson de Burt Bacharach en passant par l’une des “Ballads” de John Coltrane et Johnny Hartman et un air d’inspiration malienne (Ali Farka Touré et Toumani Diabaté). En rappel, deux titres de John Barry pour la série des James Bond, l’un d’eux voyant Frisell débrancher sa guitare d’un geste maladroit, en plein essor. Avec humour, le musicien prend immédiatement le micro pour s’excuser d’une telle bourde, ce qui nous donne l’occasion d’entendre sa voix, puisque aucune parole n’est venue s’intercaler entre les morceaux. Les thèmes sont exposés avec clarté, puis déconstruits, et enfin amenés sur les rives de l’expérimentation, le guitariste s’affairant sur de nombreuses pédales d’effets, créant boucles, empilements et embouteillages sonores, techniques qu’il employait il y a une dizaine d’années et sur lesquelles il semblait avoir tiré un trait pour épurer son jeu. On a eu droit à du Frisell maximaliste et « savant fou », et il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Thomas Morgan donne avec opiniâtreté la réplique au guitariste toujours attentif, même dans les moments les plus out…
Le festival s’est poursuivi avec, outre les concerts gratuits sur les places du Quartier des spectacles, de belles promesses musicales telles que l’hommage à Jimmy Giuffre par Dave Douglas, Chet Doxas, Steve Swallow et Carla Bley, mais aussi Joshua Redman, Stanley Clarke, George Cables, Wallace Roney, Ravi Coltrane ainsi qu’un nombre conséquent de formations contemporaines telles que le trio Phronesis et diverses propositions blues, soul et électro. Au final, cette édition du festival, que son Président qualifie de « Nations Unies de la musique », se sera révélée un nouveau grand succès, par sa fréquentation, la qualité de l’accueil et la diversité des publics présents.
David Cristol
Photo : Frédérique Ménard-Aubin