Le quartette allemand Own Your Bones remporte le Tremplin Jazz d’Avignon
À l’issue du 26ème Tremplin Jazz d’Avignon, ces 3 et 4 août, le jury présidé par le pianiste Thomas Enhco a décerné son Grand Prix à Own Your Bones, le prix de soliste au saxophoniste Sam Comerford, le prix de composition au guitariste Rémi Savignat du groupe Walter Sextant qui a remporté le prix du public. Ce Soir Andy Emler jouera son Ravel en première partie du Supersonic de Thomas de Pourquery.
Deux journées assez semblables l’une à l’autre où, dans les deux cas, il fallut attendre le troisième groupe pour que je me laisse vraiment convaincre – le Quartette Own Your Bones le 3, le trio Thunderblender le 4 –, qui plus est avec deux groupes d’esthétiques assez voisines : rubato, saxophones “subtone” à la limite de l’émission, lyrisme débridé, interplay maximum avec le batteur.
Lorsque le quartette allemand Own Your Bones – Jonas Engel (sax alto), Sebastian Gille (ténor), David Helm (contrebasse), Dominik Mahnig (batterie) – attaqua son concert par des unissons légèrement décalés, détimbrés sur une rythmique archet / batterie free, j’eus quelques moments d’hésitation. Nous sortions de deux prestations binaires, avec des rythmiques très affirmatives. La transition était rude et l’esthétique annoncée pouvait faire craindre le pire de la part de jeunes musiciens. La banalité passe toujours avec quelques jolies mélodies et un peu d’excitation rythmique. Lorsqu’elle en est dépourvue que reste-il ? Mais dès la première minute, l’exceptionnel s’imposa : un son, un flux, une musicalité qui m’embarquèrent. Ces unissons “à peu près” renvoyaient à ce feeling si particulier des quartettes d’Ornette Coleman avec Don Cherry et, bien évidemment, avec Dewey Redman maintes fois évoqué, l’interplay du quartette américain de Keith Jarrett n’étant pas loin ainsi que celui des trios de Paul Motian avec Charles Brackeen (et David Izenzon ou Jean-François Jenny-Clark) dont on retrouvait cet entre-deux entre le rubato “coltranien” et l’émergence de tempos incertains comme surgissent ou se laissent deviner de temps à autre de part et d’autre d’une route filant dans la brume, les rangées régulières de platanes.
Interplay aussi entre les parties mélodiques des deux saxes et la “rythmique”, le contrebassiste phrasant ou nappant d’un archet ou d’un doigté très experts et le batteur nourrisant la chaudière énergétique du trio d’un charbon constamment ardent, mais d’une braise à peine rougeoyante (miniaturisme des timbres) à de grands embrasements… Et j’en reviens à cette dualité alto-ténor souvent magique – on se souvient du tandem Chris Potter / David Binney au sein de l’orchestre de ce dernier – mais ici magnifiée par ce décalage des voix jouant comme en écho l’une de l’autre et ces phrasés somnambules comme chuchotés dans le saxophone qui – bien qu’on vit quelques personnes quitter le cloître avec un soin infini pour ne pas déranger – imposèrent un silence d’or sur le cloître. Rappelons que l’on retrouvera l’altiste Jonas Engel dimanche soir, en première partie du Robert Glasper Experiment, au sein du groupe lauréat de l’édition 2016, Just Another Foundry.
Le lendemain, esthétique voisine, donc mais avec Thunderblender, une formation bien différente – le Dublinois Sam Comerford (sax ténor, sax basse, compositions), Hendrik Lasure (piano), Jens Bouttery (batterie, bass station) –, Sam Comerford ayant une position centrale, ne serait-ce que par son statut de compositeur, mais aussi par son charisme, ce lyrisme totalement lâché qui, comme chez Own Your Bones décloisonne écriture et improvisation, ce jeu subtone avec beaucoup de souffle et de salive qui évoquera à certains l’héritage de Ben Webster. Mais on pense aussi à des personnalités plus contemporaines comme David Murray (un peu), Ellery Eskelin (beaucoup), le jeu du batteur d’une activisme comparable en plus feutré à celui de Dominik Mahning la veille, tous deux évoquant la génération des Jim Black et Tom Rainey, ce qui nous fait venir à l’esprit Tim Berne pour l’imbrication de l’écriture et de l’improvisation au gré de formes longues (mais d’un lyrisme plus “ligne claire” chez Comerford, même dans la déconstruction). On aimerait entendre dans un autre contexte le pianiste Hendrik Lasure, tant ici l’objet de sa présence n’est pas le solo mais la mise en scène de ce chant à sax déployé qui prend en fin de compte ses racines dans le Ghosts d’Albert Ayler, en moins exacerbé, mais aussi en amont chez les grands interprètes de ce très beau Body and Soul qui nous le révéla Comerford sous un autre jour (mais non sans continuité) alors que, quittant la salle de délibération, nous entendîmes la fin de la jam session qui précède chaque année la proclamation des prix, confirmés dans notre décision de lui accorder le prix du soliste
Le prix de composition récompensa un rapport plus direct à l’écriture et revint à Rémi Savignat du groupe Walter Sextan qui remporta le prix du public pour des raisons un peu similaires : des qualités narratives (notamment dans la suite Sarajevo) bien orchestrées sur une musique évoquant les orchestres cuivres-rythmique rock/r’n’b du catalogue Columbia à la fin des années 60 (Chicago Transit Authority, Blood, Sweat & Tears, Flock) et cette scène anglaise où l’on passait à la même époque constamment du rock au jazz (Keith Tippett Group, Michael Gibbs) plus un sax alto Reno Silva Couto très charismatique.
On retiendra encore de ce tremplin la singulière combinaison harmonica / sax baryton au sein du groupe de Raphaël Herlem (baryton) avec Thomas Laurent (harmonica) hélas desservi par une sax baryton mal sonorisé (micro pince sur le pavillon, dispositif tout à fait insuffisant pour la longueur de tube d’un baryton) avec des effets qui desservent la capacité de projection de ce bel instrument. En outre, après un tour sur internet, intrigué par cette combinaison et impressionné par le phrasé de l’harmoniciste, la prestation de ce dernier me parut hier fort bridée.
Ce soir au Cloître, on retrouvera le programme Ravel d’Andy Emler où il revisite le grand Maurice dans le sillage de la musique qu’il avait conçue pour le spectacle théâtral d’Anne-Marie Lazarini sur le texte sublime de Jean Echenoz, Ravel. En seconde partie, l’ancien alto de son MegaOctet, Thomas de Pourquery, à la tête de son Supersonic. • Franck Bergerot|À l’issue du 26ème Tremplin Jazz d’Avignon, ces 3 et 4 août, le jury présidé par le pianiste Thomas Enhco a décerné son Grand Prix à Own Your Bones, le prix de soliste au saxophoniste Sam Comerford, le prix de composition au guitariste Rémi Savignat du groupe Walter Sextant qui a remporté le prix du public. Ce Soir Andy Emler jouera son Ravel en première partie du Supersonic de Thomas de Pourquery.
Deux journées assez semblables l’une à l’autre où, dans les deux cas, il fallut attendre le troisième groupe pour que je me laisse vraiment convaincre – le Quartette Own Your Bones le 3, le trio Thunderblender le 4 –, qui plus est avec deux groupes d’esthétiques assez voisines : rubato, saxophones “subtone” à la limite de l’émission, lyrisme débridé, interplay maximum avec le batteur.
Lorsque le quartette allemand Own Your Bones – Jonas Engel (sax alto), Sebastian Gille (ténor), David Helm (contrebasse), Dominik Mahnig (batterie) – attaqua son concert par des unissons légèrement décalés, détimbrés sur une rythmique archet / batterie free, j’eus quelques moments d’hésitation. Nous sortions de deux prestations binaires, avec des rythmiques très affirmatives. La transition était rude et l’esthétique annoncée pouvait faire craindre le pire de la part de jeunes musiciens. La banalité passe toujours avec quelques jolies mélodies et un peu d’excitation rythmique. Lorsqu’elle en est dépourvue que reste-il ? Mais dès la première minute, l’exceptionnel s’imposa : un son, un flux, une musicalité qui m’embarquèrent. Ces unissons “à peu près” renvoyaient à ce feeling si particulier des quartettes d’Ornette Coleman avec Don Cherry et, bien évidemment, avec Dewey Redman maintes fois évoqué, l’interplay du quartette américain de Keith Jarrett n’étant pas loin ainsi que celui des trios de Paul Motian avec Charles Brackeen (et David Izenzon ou Jean-François Jenny-Clark) dont on retrouvait cet entre-deux entre le rubato “coltranien” et l’émergence de tempos incertains comme surgissent ou se laissent deviner de temps à autre de part et d’autre d’une route filant dans la brume, les rangées régulières de platanes.
Interplay aussi entre les parties mélodiques des deux saxes et la “rythmique”, le contrebassiste phrasant ou nappant d’un archet ou d’un doigté très experts et le batteur nourrisant la chaudière énergétique du trio d’un charbon constamment ardent, mais d’une braise à peine rougeoyante (miniaturisme des timbres) à de grands embrasements… Et j’en reviens à cette dualité alto-ténor souvent magique – on se souvient du tandem Chris Potter / David Binney au sein de l’orchestre de ce dernier – mais ici magnifiée par ce décalage des voix jouant comme en écho l’une de l’autre et ces phrasés somnambules comme chuchotés dans le saxophone qui – bien qu’on vit quelques personnes quitter le cloître avec un soin infini pour ne pas déranger – imposèrent un silence d’or sur le cloître. Rappelons que l’on retrouvera l’altiste Jonas Engel dimanche soir, en première partie du Robert Glasper Experiment, au sein du groupe lauréat de l’édition 2016, Just Another Foundry.
Le lendemain, esthétique voisine, donc mais avec Thunderblender, une formation bien différente – le Dublinois Sam Comerford (sax ténor, sax basse, compositions), Hendrik Lasure (piano), Jens Bouttery (batterie, bass station) –, Sam Comerford ayant une position centrale, ne serait-ce que par son statut de compositeur, mais aussi par son charisme, ce lyrisme totalement lâché qui, comme chez Own Your Bones décloisonne écriture et improvisation, ce jeu subtone avec beaucoup de souffle et de salive qui évoquera à certains l’héritage de Ben Webster. Mais on pense aussi à des personnalités plus contemporaines comme David Murray (un peu), Ellery Eskelin (beaucoup), le jeu du batteur d’une activisme comparable en plus feutré à celui de Dominik Mahning la veille, tous deux évoquant la génération des Jim Black et Tom Rainey, ce qui nous fait venir à l’esprit Tim Berne pour l’imbrication de l’écriture et de l’improvisation au gré de formes longues (mais d’un lyrisme plus “ligne claire” chez Comerford, même dans la déconstruction). On aimerait entendre dans un autre contexte le pianiste Hendrik Lasure, tant ici l’objet de sa présence n’est pas le solo mais la mise en scène de ce chant à sax déployé qui prend en fin de compte ses racines dans le Ghosts d’Albert Ayler, en moins exacerbé, mais aussi en amont chez les grands interprètes de ce très beau Body and Soul qui nous le révéla Comerford sous un autre jour (mais non sans continuité) alors que, quittant la salle de délibération, nous entendîmes la fin de la jam session qui précède chaque année la proclamation des prix, confirmés dans notre décision de lui accorder le prix du soliste
Le prix de composition récompensa un rapport plus direct à l’écriture et revint à Rémi Savignat du groupe Walter Sextan qui remporta le prix du public pour des raisons un peu similaires : des qualités narratives (notamment dans la suite Sarajevo) bien orchestrées sur une musique évoquant les orchestres cuivres-rythmique rock/r’n’b du catalogue Columbia à la fin des années 60 (Chicago Transit Authority, Blood, Sweat & Tears, Flock) et cette scène anglaise où l’on passait à la même époque constamment du rock au jazz (Keith Tippett Group, Michael Gibbs) plus un sax alto Reno Silva Couto très charismatique.
On retiendra encore de ce tremplin la singulière combinaison harmonica / sax baryton au sein du groupe de Raphaël Herlem (baryton) avec Thomas Laurent (harmonica) hélas desservi par une sax baryton mal sonorisé (micro pince sur le pavillon, dispositif tout à fait insuffisant pour la longueur de tube d’un baryton) avec des effets qui desservent la capacité de projection de ce bel instrument. En outre, après un tour sur internet, intrigué par cette combinaison et impressionné par le phrasé de l’harmoniciste, la prestation de ce dernier me parut hier fort bridée.
Ce soir au Cloître, on retrouvera le programme Ravel d’Andy Emler où il revisite le grand Maurice dans le sillage de la musique qu’il avait conçue pour le spectacle théâtral d’Anne-Marie Lazarini sur le texte sublime de Jean Echenoz, Ravel. En seconde partie, l’ancien alto de son MegaOctet, Thomas de Pourquery, à la tête de son Supersonic. • Franck Bergerot|À l’issue du 26ème Tremplin Jazz d’Avignon, ces 3 et 4 août, le jury présidé par le pianiste Thomas Enhco a décerné son Grand Prix à Own Your Bones, le prix de soliste au saxophoniste Sam Comerford, le prix de composition au guitariste Rémi Savignat du groupe Walter Sextant qui a remporté le prix du public. Ce Soir Andy Emler jouera son Ravel en première partie du Supersonic de Thomas de Pourquery.
Deux journées assez semblables l’une à l’autre où, dans les deux cas, il fallut attendre le troisième groupe pour que je me laisse vraiment convaincre – le Quartette Own Your Bones le 3, le trio Thunderblender le 4 –, qui plus est avec deux groupes d’esthétiques assez voisines : rubato, saxophones “subtone” à la limite de l’émission, lyrisme débridé, interplay maximum avec le batteur.
Lorsque le quartette allemand Own Your Bones – Jonas Engel (sax alto), Sebastian Gille (ténor), David Helm (contrebasse), Dominik Mahnig (batterie) – attaqua son concert par des unissons légèrement décalés, détimbrés sur une rythmique archet / batterie free, j’eus quelques moments d’hésitation. Nous sortions de deux prestations binaires, avec des rythmiques très affirmatives. La transition était rude et l’esthétique annoncée pouvait faire craindre le pire de la part de jeunes musiciens. La banalité passe toujours avec quelques jolies mélodies et un peu d’excitation rythmique. Lorsqu’elle en est dépourvue que reste-il ? Mais dès la première minute, l’exceptionnel s’imposa : un son, un flux, une musicalité qui m’embarquèrent. Ces unissons “à peu près” renvoyaient à ce feeling si particulier des quartettes d’Ornette Coleman avec Don Cherry et, bien évidemment, avec Dewey Redman maintes fois évoqué, l’interplay du quartette américain de Keith Jarrett n’étant pas loin ainsi que celui des trios de Paul Motian avec Charles Brackeen (et David Izenzon ou Jean-François Jenny-Clark) dont on retrouvait cet entre-deux entre le rubato “coltranien” et l’émergence de tempos incertains comme surgissent ou se laissent deviner de temps à autre de part et d’autre d’une route filant dans la brume, les rangées régulières de platanes.
Interplay aussi entre les parties mélodiques des deux saxes et la “rythmique”, le contrebassiste phrasant ou nappant d’un archet ou d’un doigté très experts et le batteur nourrisant la chaudière énergétique du trio d’un charbon constamment ardent, mais d’une braise à peine rougeoyante (miniaturisme des timbres) à de grands embrasements… Et j’en reviens à cette dualité alto-ténor souvent magique – on se souvient du tandem Chris Potter / David Binney au sein de l’orchestre de ce dernier – mais ici magnifiée par ce décalage des voix jouant comme en écho l’une de l’autre et ces phrasés somnambules comme chuchotés dans le saxophone qui – bien qu’on vit quelques personnes quitter le cloître avec un soin infini pour ne pas déranger – imposèrent un silence d’or sur le cloître. Rappelons que l’on retrouvera l’altiste Jonas Engel dimanche soir, en première partie du Robert Glasper Experiment, au sein du groupe lauréat de l’édition 2016, Just Another Foundry.
Le lendemain, esthétique voisine, donc mais avec Thunderblender, une formation bien différente – le Dublinois Sam Comerford (sax ténor, sax basse, compositions), Hendrik Lasure (piano), Jens Bouttery (batterie, bass station) –, Sam Comerford ayant une position centrale, ne serait-ce que par son statut de compositeur, mais aussi par son charisme, ce lyrisme totalement lâché qui, comme chez Own Your Bones décloisonne écriture et improvisation, ce jeu subtone avec beaucoup de souffle et de salive qui évoquera à certains l’héritage de Ben Webster. Mais on pense aussi à des personnalités plus contemporaines comme David Murray (un peu), Ellery Eskelin (beaucoup), le jeu du batteur d’une activisme comparable en plus feutré à celui de Dominik Mahning la veille, tous deux évoquant la génération des Jim Black et Tom Rainey, ce qui nous fait venir à l’esprit Tim Berne pour l’imbrication de l’écriture et de l’improvisation au gré de formes longues (mais d’un lyrisme plus “ligne claire” chez Comerford, même dans la déconstruction). On aimerait entendre dans un autre contexte le pianiste Hendrik Lasure, tant ici l’objet de sa présence n’est pas le solo mais la mise en scène de ce chant à sax déployé qui prend en fin de compte ses racines dans le Ghosts d’Albert Ayler, en moins exacerbé, mais aussi en amont chez les grands interprètes de ce très beau Body and Soul qui nous le révéla Comerford sous un autre jour (mais non sans continuité) alors que, quittant la salle de délibération, nous entendîmes la fin de la jam session qui précède chaque année la proclamation des prix, confirmés dans notre décision de lui accorder le prix du soliste
Le prix de composition récompensa un rapport plus direct à l’écriture et revint à Rémi Savignat du groupe Walter Sextan qui remporta le prix du public pour des raisons un peu similaires : des qualités narratives (notamment dans la suite Sarajevo) bien orchestrées sur une musique évoquant les orchestres cuivres-rythmique rock/r’n’b du catalogue Columbia à la fin des années 60 (Chicago Transit Authority, Blood, Sweat & Tears, Flock) et cette scène anglaise où l’on passait à la même époque constamment du rock au jazz (Keith Tippett Group, Michael Gibbs) plus un sax alto Reno Silva Couto très charismatique.
On retiendra encore de ce tremplin la singulière combinaison harmonica / sax baryton au sein du groupe de Raphaël Herlem (baryton) avec Thomas Laurent (harmonica) hélas desservi par une sax baryton mal sonorisé (micro pince sur le pavillon, dispositif tout à fait insuffisant pour la longueur de tube d’un baryton) avec des effets qui desservent la capacité de projection de ce bel instrument. En outre, après un tour sur internet, intrigué par cette combinaison et impressionné par le phrasé de l’harmoniciste, la prestation de ce dernier me parut hier fort bridée.
Ce soir au Cloître, on retrouvera le programme Ravel d’Andy Emler où il revisite le grand Maurice dans le sillage de la musique qu’il avait conçue pour le spectacle théâtral d’Anne-Marie Lazarini sur le texte sublime de Jean Echenoz, Ravel. En seconde partie, l’ancien alto de son MegaOctet, Thomas de Pourquery, à la tête de son Supersonic. • Franck Bergerot|À l’issue du 26ème Tremplin Jazz d’Avignon, ces 3 et 4 août, le jury présidé par le pianiste Thomas Enhco a décerné son Grand Prix à Own Your Bones, le prix de soliste au saxophoniste Sam Comerford, le prix de composition au guitariste Rémi Savignat du groupe Walter Sextant qui a remporté le prix du public. Ce Soir Andy Emler jouera son Ravel en première partie du Supersonic de Thomas de Pourquery.
Deux journées assez semblables l’une à l’autre où, dans les deux cas, il fallut attendre le troisième groupe pour que je me laisse vraiment convaincre – le Quartette Own Your Bones le 3, le trio Thunderblender le 4 –, qui plus est avec deux groupes d’esthétiques assez voisines : rubato, saxophones “subtone” à la limite de l’émission, lyrisme débridé, interplay maximum avec le batteur.
Lorsque le quartette allemand Own Your Bones – Jonas Engel (sax alto), Sebastian Gille (ténor), David Helm (contrebasse), Dominik Mahnig (batterie) – attaqua son concert par des unissons légèrement décalés, détimbrés sur une rythmique archet / batterie free, j’eus quelques moments d’hésitation. Nous sortions de deux prestations binaires, avec des rythmiques très affirmatives. La transition était rude et l’esthétique annoncée pouvait faire craindre le pire de la part de jeunes musiciens. La banalité passe toujours avec quelques jolies mélodies et un peu d’excitation rythmique. Lorsqu’elle en est dépourvue que reste-il ? Mais dès la première minute, l’exceptionnel s’imposa : un son, un flux, une musicalité qui m’embarquèrent. Ces unissons “à peu près” renvoyaient à ce feeling si particulier des quartettes d’Ornette Coleman avec Don Cherry et, bien évidemment, avec Dewey Redman maintes fois évoqué, l’interplay du quartette américain de Keith Jarrett n’étant pas loin ainsi que celui des trios de Paul Motian avec Charles Brackeen (et David Izenzon ou Jean-François Jenny-Clark) dont on retrouvait cet entre-deux entre le rubato “coltranien” et l’émergence de tempos incertains comme surgissent ou se laissent deviner de temps à autre de part et d’autre d’une route filant dans la brume, les rangées régulières de platanes.
Interplay aussi entre les parties mélodiques des deux saxes et la “rythmique”, le contrebassiste phrasant ou nappant d’un archet ou d’un doigté très experts et le batteur nourrisant la chaudière énergétique du trio d’un charbon constamment ardent, mais d’une braise à peine rougeoyante (miniaturisme des timbres) à de grands embrasements… Et j’en reviens à cette dualité alto-ténor souvent magique – on se souvient du tandem Chris Potter / David Binney au sein de l’orchestre de ce dernier – mais ici magnifiée par ce décalage des voix jouant comme en écho l’une de l’autre et ces phrasés somnambules comme chuchotés dans le saxophone qui – bien qu’on vit quelques personnes quitter le cloître avec un soin infini pour ne pas déranger – imposèrent un silence d’or sur le cloître. Rappelons que l’on retrouvera l’altiste Jonas Engel dimanche soir, en première partie du Robert Glasper Experiment, au sein du groupe lauréat de l’édition 2016, Just Another Foundry.
Le lendemain, esthétique voisine, donc mais avec Thunderblender, une formation bien différente – le Dublinois Sam Comerford (sax ténor, sax basse, compositions), Hendrik Lasure (piano), Jens Bouttery (batterie, bass station) –, Sam Comerford ayant une position centrale, ne serait-ce que par son statut de compositeur, mais aussi par son charisme, ce lyrisme totalement lâché qui, comme chez Own Your Bones décloisonne écriture et improvisation, ce jeu subtone avec beaucoup de souffle et de salive qui évoquera à certains l’héritage de Ben Webster. Mais on pense aussi à des personnalités plus contemporaines comme David Murray (un peu), Ellery Eskelin (beaucoup), le jeu du batteur d’une activisme comparable en plus feutré à celui de Dominik Mahning la veille, tous deux évoquant la génération des Jim Black et Tom Rainey, ce qui nous fait venir à l’esprit Tim Berne pour l’imbrication de l’écriture et de l’improvisation au gré de formes longues (mais d’un lyrisme plus “ligne claire” chez Comerford, même dans la déconstruction). On aimerait entendre dans un autre contexte le pianiste Hendrik Lasure, tant ici l’objet de sa présence n’est pas le solo mais la mise en scène de ce chant à sax déployé qui prend en fin de compte ses racines dans le Ghosts d’Albert Ayler, en moins exacerbé, mais aussi en amont chez les grands interprètes de ce très beau Body and Soul qui nous le révéla Comerford sous un autre jour (mais non sans continuité) alors que, quittant la salle de délibération, nous entendîmes la fin de la jam session qui précède chaque année la proclamation des prix, confirmés dans notre décision de lui accorder le prix du soliste
Le prix de composition récompensa un rapport plus direct à l’écriture et revint à Rémi Savignat du groupe Walter Sextan qui remporta le prix du public pour des raisons un peu similaires : des qualités narratives (notamment dans la suite Sarajevo) bien orchestrées sur une musique évoquant les orchestres cuivres-rythmique rock/r’n’b du catalogue Columbia à la fin des années 60 (Chicago Transit Authority, Blood, Sweat & Tears, Flock) et cette scène anglaise où l’on passait à la même époque constamment du rock au jazz (Keith Tippett Group, Michael Gibbs) plus un sax alto Reno Silva Couto très charismatique.
On retiendra encore de ce tremplin la singulière combinaison harmonica / sax baryton au sein du groupe de Raphaël Herlem (baryton) avec Thomas Laurent (harmonica) hélas desservi par une sax baryton mal sonorisé (micro pince sur le pavillon, dispositif tout à fait insuffisant pour la longueur de tube d’un baryton) avec des effets qui desservent la capacité de projection de ce bel instrument. En outre, après un tour sur internet, intrigué par cette combinaison et impressionné par le phrasé de l’harmoniciste, la prestation de ce dernier me parut hier fort bridée.
Ce soir au Cloître, on retrouvera le programme Ravel d’Andy Emler où il revisite le grand Maurice dans le sillage de la musique qu’il avait conçue pour le spectacle théâtral d’Anne-Marie Lazarini sur le texte sublime de Jean Echenoz, Ravel. En seconde partie, l’ancien alto de son MegaOctet, Thomas de Pourquery, à la tête de son Supersonic. • Franck Bergerot