Jazz live
Publié le 9 Août 2012

Jazz in Marciac. Révélation, confirmations.

Bonne surprise, le 7, sous un chapiteau qui, jusqu’ici, n’avait eu que de rares occasions d’exulter. L’unanimité s’est faite, à fort juste titre, sur Tamir Hendelman dont le trio a soulevé l’enthousiasme (il se mesure ici au nombre de rappels, c’est un rite indigène).

 


Tamir Hendelman Trio. Tamir Hendelman (p), Marco Panascia (b), Frits Landesbergen (dm). Chapiteau, 7 août.

Stacey Kent (voc, g), Jim Tomlinson (ts, ss), Graham Harvey (p), Jeremy Brown (b), Matt Sketon (dm). Chapiteau, 8 août.

Manu Katché Quartet. Stefano Di Battista (ts, as, ss), Eric Legnini (p, elp), Richard Bona (b, voc), Manu Katché (dm). Chapiteau, 8 août.

 

J’avoue que je n’avais de ce jeune pianiste israélien établi à Los Angeles qu’une connaissance des plus lacunaires, l’ayant entendu en tout et pour tout au sein du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra. Ce n’est pas une mince référence. Il en arbore d’autres, de Teddy Edwards à Harry Allen, de Barbra Streisand à Natalie Cole en passant par Julia Migenes, Diana Krall et Roberta Gambarini, au rayon chanteuses. Eclectisme qui en dit long sur ses talents d’accompagnateur.

Le voici donc, ce soir, leader d’un trio comme on les aime. Soudé, swinguant. Un de ces trios dans lesquels nul ne songe à tirer la couverture à lui. Où chacun est au service de l’ensemble tout en conservant la possibilité de s’exprimer pour son propre compte. Ce que ne se privent pas de faire Marco Panascia, auteur de quelques solos bienvenus (notamment son introduction de Playground, morceau qui a donné son titre au premier album du pianiste, en 2008), et Frits Landesbergen, qui manie ses balais avec une rare finesse et apporte en toutes circonstances un soutien aussi efficace qu’intelligent.

Tamir Hendelman a, de son instrument, une conception issue de la tradition des pianistes « foisonnants » à la Peterson – ou, si l’on veut remonter plus loin, à la Tatum. Sa technique lui permet d’en tirer toutes les possibilités mélodiques et harmoniques sans abdiquer le swing. Ni même le sous-entendre, comme nombre de ses collègues. D’où une impression de plénitude qu’on n’a plus guère accoutumé d’entendre et qui se manifeste d’entrée dans Wrap Your Troubles In Dreams. Choix qui, avec l’ellingtonien Do Nothing Till You Hear From Me, développé dans toutes ses possibilités harmoniques, atteste d’une familiarité avec un répertoire éprouvé. Non que soient absentes du programme les compositions personnelles, telle la chantante Israeli Waltz, et Sycamore, dont le pianiste narre la genèse. Mais Charlie Parker (Ornithology) et Keith Jarrett (My Song) sont aussi convoqués. Jusqu’à Ravel et son Tombeau de Couperin. Eclectisme, ici encore, et du meilleur aloi. Avec cela, un plaisir manifeste de jouer qui permet au trio de s’attirer très vite la sympathie.

 

Soyons clair, Hendelman a sauvé la soirée. Je préfère ne pas commenter la seconde partie. En l’occurrence, la performance de Harry Connick, Jr. Lequel avait sans doute jugé qu’un show bâclé et approximatif suffisait à satisfaire les Frenchies du Sud-Ouest profond. De cette région, il aime, assure-t-il, le foie gras, les fromages et les bons vins. Pas sûr que cette déclaration ait suffi à combler les spectateurs venus, dans leur grande majorité, pour lui, et qui, eux, sont restés sur leur faim.

 

Le 8, Stacey Kent. Son sourire, sa bonne grâce. Son maintien de jeune femme discrète qui place au nombre des vertus la réserve et une exquise politesse. Enjouée sans être rieuse. Elle respecte son public, ne cherche pas à le séduire par des procédés faciles. L’aime au point de parler et de chanter dans sa langue (Ces petits riens, de Serge Gainsbourg). Sans accent. Outre le français, elle maîtrise à merveille le portugais. Le répertoire d’Antonio Carlos Jobim, qu’elle affectionne, auquel elle accorde, dans son programme, une place privilégiée, en conserve toute sa saveur. Sa voix est à l’unisson. Pas d’éclats, pas d’outrances. Une douceur qui n’exclut pas la vigueur, mais la canalise. Elle joue, pour deux titres, de la guitare. Avec la même componction. Ce climat feutré convient à ses partenaires. Singulièrement à Jim Tomlinson, saxophoniste de l’espèce lestérienne, auteur discret de quelques chorus éthérés (Smile). L’assistance copieuse, qui compte manifestement de nombreux fans, ne tarde pas à tomber sous le charme des ballades et de la bossa nova. Il faudra attendre le premier rappel – le second sera What A Wonderful World – pour que le Jardin d’Hiver d’Henri Salvador, attendu, espéré, soulève dans les travées une rumeur de plaisir. Mission accomplie.

 

Le quartette de Manu Katché n’a rien d’un groupe régulier. Il a été constitué pour la circonstance. Plutôt un All Stars. Un de ces assemblages plus ou moins impromptus dont on sait d’expérience qu’ils peuvent produire le meilleur ou le pire, pour peu que les ego d’en mêlent. Ce soir, ce sera le meilleur. Il est vrai que les membres du groupe se connaissent et s’apprécient. Pas de chocs de personnalités, donc, mais une succession de morceaux de bravoure permettant à chacun de développer ses qualités propres. Suprême aisance d’un batteur au jeu dense et même effervescent. Virtuosité de Legnini dont les improvisations happent au passage les citations les plus inattendues et jusqu’au Boléro de Ravel – encore lui. Hargne du saxophoniste qui s’y entend mieux que quiconque pour faire monter la pression. Sûreté et humour de Richard Bona qui intercale dans ses chansons, détaillées avec une voix de fausset, Une chanson douce de Salvador (encore lui. Il est des soirs…). Rien d’exceptionnel, de miraculeux. Un moment intense, qui atteint par instants, mais par instants seulement, des sommets de musicalité. Par les temps qui courent, voilà qui n’est pas si mal.

 

Jacques Aboucaya

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Bonne surprise, le 7, sous un chapiteau qui, jusqu’ici, n’avait eu que de rares occasions d’exulter. L’unanimité s’est faite, à fort juste titre, sur Tamir Hendelman dont le trio a soulevé l’enthousiasme (il se mesure ici au nombre de rappels, c’est un rite indigène).

 


Tamir Hendelman Trio. Tamir Hendelman (p), Marco Panascia (b), Frits Landesbergen (dm). Chapiteau, 7 août.

Stacey Kent (voc, g), Jim Tomlinson (ts, ss), Graham Harvey (p), Jeremy Brown (b), Matt Sketon (dm). Chapiteau, 8 août.

Manu Katché Quartet. Stefano Di Battista (ts, as, ss), Eric Legnini (p, elp), Richard Bona (b, voc), Manu Katché (dm). Chapiteau, 8 août.

 

J’avoue que je n’avais de ce jeune pianiste israélien établi à Los Angeles qu’une connaissance des plus lacunaires, l’ayant entendu en tout et pour tout au sein du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra. Ce n’est pas une mince référence. Il en arbore d’autres, de Teddy Edwards à Harry Allen, de Barbra Streisand à Natalie Cole en passant par Julia Migenes, Diana Krall et Roberta Gambarini, au rayon chanteuses. Eclectisme qui en dit long sur ses talents d’accompagnateur.

Le voici donc, ce soir, leader d’un trio comme on les aime. Soudé, swinguant. Un de ces trios dans lesquels nul ne songe à tirer la couverture à lui. Où chacun est au service de l’ensemble tout en conservant la possibilité de s’exprimer pour son propre compte. Ce que ne se privent pas de faire Marco Panascia, auteur de quelques solos bienvenus (notamment son introduction de Playground, morceau qui a donné son titre au premier album du pianiste, en 2008), et Frits Landesbergen, qui manie ses balais avec une rare finesse et apporte en toutes circonstances un soutien aussi efficace qu’intelligent.

Tamir Hendelman a, de son instrument, une conception issue de la tradition des pianistes « foisonnants » à la Peterson – ou, si l’on veut remonter plus loin, à la Tatum. Sa technique lui permet d’en tirer toutes les possibilités mélodiques et harmoniques sans abdiquer le swing. Ni même le sous-entendre, comme nombre de ses collègues. D’où une impression de plénitude qu’on n’a plus guère accoutumé d’entendre et qui se manifeste d’entrée dans Wrap Your Troubles In Dreams. Choix qui, avec l’ellingtonien Do Nothing Till You Hear From Me, développé dans toutes ses possibilités harmoniques, atteste d’une familiarité avec un répertoire éprouvé. Non que soient absentes du programme les compositions personnelles, telle la chantante Israeli Waltz, et Sycamore, dont le pianiste narre la genèse. Mais Charlie Parker (Ornithology) et Keith Jarrett (My Song) sont aussi convoqués. Jusqu’à Ravel et son Tombeau de Couperin. Eclectisme, ici encore, et du meilleur aloi. Avec cela, un plaisir manifeste de jouer qui permet au trio de s’attirer très vite la sympathie.

 

Soyons clair, Hendelman a sauvé la soirée. Je préfère ne pas commenter la seconde partie. En l’occurrence, la performance de Harry Connick, Jr. Lequel avait sans doute jugé qu’un show bâclé et approximatif suffisait à satisfaire les Frenchies du Sud-Ouest profond. De cette région, il aime, assure-t-il, le foie gras, les fromages et les bons vins. Pas sûr que cette déclaration ait suffi à combler les spectateurs venus, dans leur grande majorité, pour lui, et qui, eux, sont restés sur leur faim.

 

Le 8, Stacey Kent. Son sourire, sa bonne grâce. Son maintien de jeune femme discrète qui place au nombre des vertus la réserve et une exquise politesse. Enjouée sans être rieuse. Elle respecte son public, ne cherche pas à le séduire par des procédés faciles. L’aime au point de parler et de chanter dans sa langue (Ces petits riens, de Serge Gainsbourg). Sans accent. Outre le français, elle maîtrise à merveille le portugais. Le répertoire d’Antonio Carlos Jobim, qu’elle affectionne, auquel elle accorde, dans son programme, une place privilégiée, en conserve toute sa saveur. Sa voix est à l’unisson. Pas d’éclats, pas d’outrances. Une douceur qui n’exclut pas la vigueur, mais la canalise. Elle joue, pour deux titres, de la guitare. Avec la même componction. Ce climat feutré convient à ses partenaires. Singulièrement à Jim Tomlinson, saxophoniste de l’espèce lestérienne, auteur discret de quelques chorus éthérés (Smile). L’assistance copieuse, qui compte manifestement de nombreux fans, ne tarde pas à tomber sous le charme des ballades et de la bossa nova. Il faudra attendre le premier rappel – le second sera What A Wonderful World – pour que le Jardin d’Hiver d’Henri Salvador, attendu, espéré, soulève dans les travées une rumeur de plaisir. Mission accomplie.

 

Le quartette de Manu Katché n’a rien d’un groupe régulier. Il a été constitué pour la circonstance. Plutôt un All Stars. Un de ces assemblages plus ou moins impromptus dont on sait d’expérience qu’ils peuvent produire le meilleur ou le pire, pour peu que les ego d’en mêlent. Ce soir, ce sera le meilleur. Il est vrai que les membres du groupe se connaissent et s’apprécient. Pas de chocs de personnalités, donc, mais une succession de morceaux de bravoure permettant à chacun de développer ses qualités propres. Suprême aisance d’un batteur au jeu dense et même effervescent. Virtuosité de Legnini dont les improvisations happent au passage les citations les plus inattendues et jusqu’au Boléro de Ravel – encore lui. Hargne du saxophoniste qui s’y entend mieux que quiconque pour faire monter la pression. Sûreté et humour de Richard Bona qui intercale dans ses chansons, détaillées avec une voix de fausset, Une chanson douce de Salvador (encore lui. Il est des soirs…). Rien d’exceptionnel, de miraculeux. Un moment intense, qui atteint par instants, mais par instants seulement, des sommets de musicalité. Par les temps qui courent, voilà qui n’est pas si mal.

 

Jacques Aboucaya

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Bonne surprise, le 7, sous un chapiteau qui, jusqu’ici, n’avait eu que de rares occasions d’exulter. L’unanimité s’est faite, à fort juste titre, sur Tamir Hendelman dont le trio a soulevé l’enthousiasme (il se mesure ici au nombre de rappels, c’est un rite indigène).

 


Tamir Hendelman Trio. Tamir Hendelman (p), Marco Panascia (b), Frits Landesbergen (dm). Chapiteau, 7 août.

Stacey Kent (voc, g), Jim Tomlinson (ts, ss), Graham Harvey (p), Jeremy Brown (b), Matt Sketon (dm). Chapiteau, 8 août.

Manu Katché Quartet. Stefano Di Battista (ts, as, ss), Eric Legnini (p, elp), Richard Bona (b, voc), Manu Katché (dm). Chapiteau, 8 août.

 

J’avoue que je n’avais de ce jeune pianiste israélien établi à Los Angeles qu’une connaissance des plus lacunaires, l’ayant entendu en tout et pour tout au sein du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra. Ce n’est pas une mince référence. Il en arbore d’autres, de Teddy Edwards à Harry Allen, de Barbra Streisand à Natalie Cole en passant par Julia Migenes, Diana Krall et Roberta Gambarini, au rayon chanteuses. Eclectisme qui en dit long sur ses talents d’accompagnateur.

Le voici donc, ce soir, leader d’un trio comme on les aime. Soudé, swinguant. Un de ces trios dans lesquels nul ne songe à tirer la couverture à lui. Où chacun est au service de l’ensemble tout en conservant la possibilité de s’exprimer pour son propre compte. Ce que ne se privent pas de faire Marco Panascia, auteur de quelques solos bienvenus (notamment son introduction de Playground, morceau qui a donné son titre au premier album du pianiste, en 2008), et Frits Landesbergen, qui manie ses balais avec une rare finesse et apporte en toutes circonstances un soutien aussi efficace qu’intelligent.

Tamir Hendelman a, de son instrument, une conception issue de la tradition des pianistes « foisonnants » à la Peterson – ou, si l’on veut remonter plus loin, à la Tatum. Sa technique lui permet d’en tirer toutes les possibilités mélodiques et harmoniques sans abdiquer le swing. Ni même le sous-entendre, comme nombre de ses collègues. D’où une impression de plénitude qu’on n’a plus guère accoutumé d’entendre et qui se manifeste d’entrée dans Wrap Your Troubles In Dreams. Choix qui, avec l’ellingtonien Do Nothing Till You Hear From Me, développé dans toutes ses possibilités harmoniques, atteste d’une familiarité avec un répertoire éprouvé. Non que soient absentes du programme les compositions personnelles, telle la chantante Israeli Waltz, et Sycamore, dont le pianiste narre la genèse. Mais Charlie Parker (Ornithology) et Keith Jarrett (My Song) sont aussi convoqués. Jusqu’à Ravel et son Tombeau de Couperin. Eclectisme, ici encore, et du meilleur aloi. Avec cela, un plaisir manifeste de jouer qui permet au trio de s’attirer très vite la sympathie.

 

Soyons clair, Hendelman a sauvé la soirée. Je préfère ne pas commenter la seconde partie. En l’occurrence, la performance de Harry Connick, Jr. Lequel avait sans doute jugé qu’un show bâclé et approximatif suffisait à satisfaire les Frenchies du Sud-Ouest profond. De cette région, il aime, assure-t-il, le foie gras, les fromages et les bons vins. Pas sûr que cette déclaration ait suffi à combler les spectateurs venus, dans leur grande majorité, pour lui, et qui, eux, sont restés sur leur faim.

 

Le 8, Stacey Kent. Son sourire, sa bonne grâce. Son maintien de jeune femme discrète qui place au nombre des vertus la réserve et une exquise politesse. Enjouée sans être rieuse. Elle respecte son public, ne cherche pas à le séduire par des procédés faciles. L’aime au point de parler et de chanter dans sa langue (Ces petits riens, de Serge Gainsbourg). Sans accent. Outre le français, elle maîtrise à merveille le portugais. Le répertoire d’Antonio Carlos Jobim, qu’elle affectionne, auquel elle accorde, dans son programme, une place privilégiée, en conserve toute sa saveur. Sa voix est à l’unisson. Pas d’éclats, pas d’outrances. Une douceur qui n’exclut pas la vigueur, mais la canalise. Elle joue, pour deux titres, de la guitare. Avec la même componction. Ce climat feutré convient à ses partenaires. Singulièrement à Jim Tomlinson, saxophoniste de l’espèce lestérienne, auteur discret de quelques chorus éthérés (Smile). L’assistance copieuse, qui compte manifestement de nombreux fans, ne tarde pas à tomber sous le charme des ballades et de la bossa nova. Il faudra attendre le premier rappel – le second sera What A Wonderful World – pour que le Jardin d’Hiver d’Henri Salvador, attendu, espéré, soulève dans les travées une rumeur de plaisir. Mission accomplie.

 

Le quartette de Manu Katché n’a rien d’un groupe régulier. Il a été constitué pour la circonstance. Plutôt un All Stars. Un de ces assemblages plus ou moins impromptus dont on sait d’expérience qu’ils peuvent produire le meilleur ou le pire, pour peu que les ego d’en mêlent. Ce soir, ce sera le meilleur. Il est vrai que les membres du groupe se connaissent et s’apprécient. Pas de chocs de personnalités, donc, mais une succession de morceaux de bravoure permettant à chacun de développer ses qualités propres. Suprême aisance d’un batteur au jeu dense et même effervescent. Virtuosité de Legnini dont les improvisations happent au passage les citations les plus inattendues et jusqu’au Boléro de Ravel – encore lui. Hargne du saxophoniste qui s’y entend mieux que quiconque pour faire monter la pression. Sûreté et humour de Richard Bona qui intercale dans ses chansons, détaillées avec une voix de fausset, Une chanson douce de Salvador (encore lui. Il est des soirs…). Rien d’exceptionnel, de miraculeux. Un moment intense, qui atteint par instants, mais par instants seulement, des sommets de musicalité. Par les temps qui courent, voilà qui n’est pas si mal.

 

Jacques Aboucaya

|

Bonne surprise, le 7, sous un chapiteau qui, jusqu’ici, n’avait eu que de rares occasions d’exulter. L’unanimité s’est faite, à fort juste titre, sur Tamir Hendelman dont le trio a soulevé l’enthousiasme (il se mesure ici au nombre de rappels, c’est un rite indigène).

 


Tamir Hendelman Trio. Tamir Hendelman (p), Marco Panascia (b), Frits Landesbergen (dm). Chapiteau, 7 août.

Stacey Kent (voc, g), Jim Tomlinson (ts, ss), Graham Harvey (p), Jeremy Brown (b), Matt Sketon (dm). Chapiteau, 8 août.

Manu Katché Quartet. Stefano Di Battista (ts, as, ss), Eric Legnini (p, elp), Richard Bona (b, voc), Manu Katché (dm). Chapiteau, 8 août.

 

J’avoue que je n’avais de ce jeune pianiste israélien établi à Los Angeles qu’une connaissance des plus lacunaires, l’ayant entendu en tout et pour tout au sein du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra. Ce n’est pas une mince référence. Il en arbore d’autres, de Teddy Edwards à Harry Allen, de Barbra Streisand à Natalie Cole en passant par Julia Migenes, Diana Krall et Roberta Gambarini, au rayon chanteuses. Eclectisme qui en dit long sur ses talents d’accompagnateur.

Le voici donc, ce soir, leader d’un trio comme on les aime. Soudé, swinguant. Un de ces trios dans lesquels nul ne songe à tirer la couverture à lui. Où chacun est au service de l’ensemble tout en conservant la possibilité de s’exprimer pour son propre compte. Ce que ne se privent pas de faire Marco Panascia, auteur de quelques solos bienvenus (notamment son introduction de Playground, morceau qui a donné son titre au premier album du pianiste, en 2008), et Frits Landesbergen, qui manie ses balais avec une rare finesse et apporte en toutes circonstances un soutien aussi efficace qu’intelligent.

Tamir Hendelman a, de son instrument, une conception issue de la tradition des pianistes « foisonnants » à la Peterson – ou, si l’on veut remonter plus loin, à la Tatum. Sa technique lui permet d’en tirer toutes les possibilités mélodiques et harmoniques sans abdiquer le swing. Ni même le sous-entendre, comme nombre de ses collègues. D’où une impression de plénitude qu’on n’a plus guère accoutumé d’entendre et qui se manifeste d’entrée dans Wrap Your Troubles In Dreams. Choix qui, avec l’ellingtonien Do Nothing Till You Hear From Me, développé dans toutes ses possibilités harmoniques, atteste d’une familiarité avec un répertoire éprouvé. Non que soient absentes du programme les compositions personnelles, telle la chantante Israeli Waltz, et Sycamore, dont le pianiste narre la genèse. Mais Charlie Parker (Ornithology) et Keith Jarrett (My Song) sont aussi convoqués. Jusqu’à Ravel et son Tombeau de Couperin. Eclectisme, ici encore, et du meilleur aloi. Avec cela, un plaisir manifeste de jouer qui permet au trio de s’attirer très vite la sympathie.

 

Soyons clair, Hendelman a sauvé la soirée. Je préfère ne pas commenter la seconde partie. En l’occurrence, la performance de Harry Connick, Jr. Lequel avait sans doute jugé qu’un show bâclé et approximatif suffisait à satisfaire les Frenchies du Sud-Ouest profond. De cette région, il aime, assure-t-il, le foie gras, les fromages et les bons vins. Pas sûr que cette déclaration ait suffi à combler les spectateurs venus, dans leur grande majorité, pour lui, et qui, eux, sont restés sur leur faim.

 

Le 8, Stacey Kent. Son sourire, sa bonne grâce. Son maintien de jeune femme discrète qui place au nombre des vertus la réserve et une exquise politesse. Enjouée sans être rieuse. Elle respecte son public, ne cherche pas à le séduire par des procédés faciles. L’aime au point de parler et de chanter dans sa langue (Ces petits riens, de Serge Gainsbourg). Sans accent. Outre le français, elle maîtrise à merveille le portugais. Le répertoire d’Antonio Carlos Jobim, qu’elle affectionne, auquel elle accorde, dans son programme, une place privilégiée, en conserve toute sa saveur. Sa voix est à l’unisson. Pas d’éclats, pas d’outrances. Une douceur qui n’exclut pas la vigueur, mais la canalise. Elle joue, pour deux titres, de la guitare. Avec la même componction. Ce climat feutré convient à ses partenaires. Singulièrement à Jim Tomlinson, saxophoniste de l’espèce lestérienne, auteur discret de quelques chorus éthérés (Smile). L’assistance copieuse, qui compte manifestement de nombreux fans, ne tarde pas à tomber sous le charme des ballades et de la bossa nova. Il faudra attendre le premier rappel – le second sera What A Wonderful World – pour que le Jardin d’Hiver d’Henri Salvador, attendu, espéré, soulève dans les travées une rumeur de plaisir. Mission accomplie.

 

Le quartette de Manu Katché n’a rien d’un groupe régulier. Il a été constitué pour la circonstance. Plutôt un All Stars. Un de ces assemblages plus ou moins impromptus dont on sait d’expérience qu’ils peuvent produire le meilleur ou le pire, pour peu que les ego d’en mêlent. Ce soir, ce sera le meilleur. Il est vrai que les membres du groupe se connaissent et s’apprécient. Pas de chocs de personnalités, donc, mais une succession de morceaux de bravoure permettant à chacun de développer ses qualités propres. Suprême aisance d’un batteur au jeu dense et même effervescent. Virtuosité de Legnini dont les improvisations happent au passage les citations les plus inattendues et jusqu’au Boléro de Ravel – encore lui. Hargne du saxophoniste qui s’y entend mieux que quiconque pour faire monter la pression. Sûreté et humour de Richard Bona qui intercale dans ses chansons, détaillées avec une voix de fausset, Une chanson douce de Salvador (encore lui. Il est des soirs…). Rien d’exceptionnel, de miraculeux. Un moment intense, qui atteint par instants, mais par instants seulement, des sommets de musicalité. Par les temps qui courent, voilà qui n’est pas si mal.

 

Jacques Aboucaya