Jazz live
Publié le 17 Nov 2012

D'jazz Nevers : Ping festival et musique d'Iyer (sans oublier d'ouïr la Grande campagnie)

Ping Machine, la Grande campagnie des musiques à ouïr et le trio de Vijay Iyer : il fallait vraiment être bégueule l’autre soir à Nevers pour ne pas trouver son compte. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait salles combles. Au final, une très belle performance du grand ensemble de Fred Maurin et une prestation étourdissante du pianiste américain. Quant à la Compagnie des musiques à ouïr, les avis furent partagés.

 

Ping Machine – « Des trucs pareils »
Andrew Crocker, Quentin Ghomari, Fabien Norbert (tp), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (tb, tu) Guillaume Christophel, Jean-Michel Couchet, Fabien Debellefontaine, Florent Dupuit, Julien Soro (bois, anches), Fred Maurin (g), Raphaël Schwab (cb), Rafaël Koerner (dm).

Jeudi 15 novembre 2012, Auditorium Jean Jaurès, D’jazz Nevers Festival, Nevers (58), 18h30.

 

Ping Machine est décidément l’orchestre qui monte. Le concert que le grand ensemble de Fred Maurin a donné à Nevers l’a démontré une nouvelle fois. Par-delà le fait que l’exigence interne, la dimension proprement organique des compositions du leader sont toujours plus abouties – ce que Trona, une nouvelle composition, a dévoilé –, ce qui frappe c’est la fraîcheur que le répertoire conserve en live. On a beau connaître parfaitement les disques, chaque nouvelle interprétation apporte son lot de révélations, tant le potentiel du « great piece book » de Fred Maurin est conséquent. Il est vrai que le compositeur a choisi de se confronter à la forme longue, et que, de ce fait, certains détails inaperçus, telle relation entre deux motifs n’apparaissent dans toute leur lumière qu’après des écoutes répétées. Sans compter, bien évidemment, la maturité grandissante de l’ensemble qui s’approprie à chaque fois un peu plus la profondeur de ces longues pièces.
A titre d’exemple, deux aspects ont ainsi marqué votre rapporteur lors de l’interprétation neversoise. Est-ce l’absence de piano dans l’orchestre qui me fit remarquer pour la première fois avec autant d’acuité la dimension sonore toute particulière que Fred Maurin a su établir entre la section à vents et sa guitare électrique ? Aux couleurs déjà luxuriantes de son big band, il appose un voile sonore dont les étoffes sont empruntées au rock et à ses avatars (on pense à Hendrix, à certains hard rockeurs, à Bill Frisell). Etrange que cela ne m’ait sauté aux oreilles plus tôt… Pourtant, il s’agit bien là d’un brin d’ADN qui définit la musique de cet agrégé de biologie.
J’avais déjà trouvé excellente la rythmique formée par les deux Raph’. Mais cette fois, je les ai trouvés magnifiques. La contrebasse de Raphaël Schwab est tout à la fois rassurante (car posée, inébranlable) et excitante (puisque relançant sans cesse, proposant à tout va), tandis que le drive de Rafaël Koerner pousse l’orchestre dans des retranchements que ses composantes ignoraient sans doute elles-mêmes. Quant à Fred Maurin, ses aiguillons électriques furent tout à fait galvanisants, parfois délicieusement amers et faussement décalés.

 

Nevers Ping 1

Parmi les solistes, Jean-Michel Couchet (sur Zimmer 26 au soprano) et Julien Soro (au ténor dans Alors chut…) ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Julien Soro, en particulier, continue de jouer chacune de ses interventions comme si sa vie en dépendait – ô joie ! –, et cela sans pour autant tomber dans le travers qui consiste à « tout mettre sur la table ».
Si elle passe près de chez vous, ne loupez pas l’une des formations hexagonales les plus excitantes du moment. La preuve : pas nécessairement au fait des dernières avancées dans le domaine de l’écriture jazz (comme cette appropriation admirable de la musique spectrale), le public de Nevers n’a eu aucun problème pour entrer dans la musique de Ping Machine. Il en a même  redemandé !

 

Nevers Ping 2

 

Jeudi 15 novembre 2012, Maison de la culture (salle Philippe Genty), Nevers (58), 20h45

1e partie : La grande campagnie des musiques à ouïr – « Duke & Thelonious »
Aymeric Avice (tp), Gueorgui Kornazov (tb), Julien Eil, Raphaël Quenehen, Hugues Mayot (bois, anches), Thibault Cellier (cb), Denis Charolle (dm, perc).

2e partie : Vijay Iyer Trio – « Accelerando »
Vijay Iyer (p), Stephan Crump (cb), Marcus Gilmore (dm).

 

 

Reprendre (une fois de plus) la musique d’Ellington et de Monk, voilà qui, pour le moins, était un pari osé. Pour ce projet d’ambition, Denis Charolle a demandé à Fred Gastard, Rémi Dumoulin et Vincent Peirani de l’accompagner dans la composition (au sens d’assemblage d’ingrédients) du programme.
En entrée, Played Twice+We See de Monk. Comme souvent en début de concert, la mayonnaise a du mal à prendre. Il faut se donner du temps pour apprivoiser les nouvelles saveurs qui transforment les mets que l’on a l’habitude d’apprécier.
Viennent ensuite Creole Rhapsody puis Koko, avec d’excellents tutti en tempo vif (le meilleur venant plus tard dans la soirée, au cours de Daybreak Express). La mécanique de l’ensemble commence à se dégager : quelques éclats de new orleans, de swing, le voisin free qui vient empêcher tout ce beau monde de former un cercle restreint. Il s’agit davantage de créer des échos aux musiques des deux maîtres que de leur rendre un hommage contrit. D’ailleurs Gueorgui Kornazov prend les choses en main. En solo absolu, il réalise une interprétation toute personnelle de Pannonica, souvent en double et triple sons, avec quelques accents venus des Balkans, et surtout une sensibilité qui a fait retenir son souffle à la salle entière. Sans conteste, le meilleur moment du concert.  
Echos, ratés, détraquements, filtres… autant de qualificatifs qui décrivent donc la réalisation de la Grande campagnie des musiques à ouïr. Cela a beau être ingénieux, plein de fantaisie, je reste parfois dubitatif, et il m’est difficile d’avoir un avis tranché. Car s’il y a d’excellents moments (outre Kornazov, Raphaël Quenehen en Johnny Hodges modernisé vaut le détour), il y en a d’autres qui fonctionnent moins bien. Mais c’est peut-être que le côté foutraque, fourre-tout est l’ambition même de Denis Charolle et de ses partenaires ? La discussion va bon train à l’issue du concert. Pour les uns, c’est en effet justement cette dimension quelque peu zapping, chaotique par endroit qui les a séduits ; d’autres ont en revanche goûté en priorité les passages très finement élaborés, tel celui q
ui a donné à entendre le duo contrebasse/batterie joué en tempo libre en-dessous d’un ostinato in tempo exécuté par les vents.
Sorte de Django Bates à la française, Denis Charolle va très certainement faire mûrir son projet qui n’en est qu’au début de son existence. Il faudra donc le réécouter pour l’apprécier au plus juste.

 

Nevers Campagnie

 

En seconde partie de soirée, le trio de Vijay Iyer a présenté son jazz des années 2030. Il est rare qu’un musicien pratiquant son art d’une manière si élaborée rencontre un succès aussi grand. Apprécié de nombreux jeunes pas particulièrement versés dans le jazz, Top Critrics Poll lors du 60e référendum Down Beat, Vijay Iyer fascine. Tout au long du concert, j’ai tenté de cerner les raisons de cet attrait. Sans s’arrêter sur son travail de communication – rouage cependant essentiel de son succès –, plusieurs hypothèses me sont venues à l’écoute du concert donné dans le cadre D’jazz Nevers Festival.
En premier lieu une pulsation vitale très forte qui l’emporte sur la complexité rythmique extrême charpentant l’intégralité de leurs interprétations (superbe reprise de Litle Size Pocket Demons d’Henry Threadgill) : le trio de Vijay Iyer, c’est d’abord une dynamique générale, puissante, fascinante, dont les sources se trouvent autant dans la musique électronique que de l’informatique musicale, une énergie propre à happer les auditeurs. Ensuite, il y a un son d’ensemble vraiment moderne, alors même que la formation s’inscrit dans une tradition jazz ; Vijay Iyer et ses partenaires ont réussi la gageure d’inventer une image acoustique inédite du trio avec piano. Par ailleurs, surtout en live, il ne faut pas non plus négliger la dimension visuelle du groupe, sans effets spectaculaires ; les trois musiciens maîtrisent de facto tellement leur sujet qu’ils semblent partir dans les étoiles sans que la moindre goutte de sueur ne suintent à leur front. Mais plus que tout peut-être, cette « musique d’Iyer » propose un juste dosage entre évidence (elle parle immédiatement), complexité extrême, abstraction et effet quasi de transe par répétition évolutive.
A titre d’exemple, citons le bis : il ne fut que répétitions et mises en boucle. A ceci près que chacun des musiciens évolués dans une métrique différente ! Parmi ces cercles infernaux (dont sa main gauche), Iyer improvisa à la main droite d’incessants petits décalages. Plutôt que du côté des minimalistes américains, c’est bien vers le Ligeti des Etudes pour piano qu’il faut faire un rapprochement, à cause de la dimension mathématique d’un dérèglement contrôlé (ce qui n’est guère étonnant de la part d’un scientifique chevronné tel que le leader de ce trio).
Résultat : un concert dont personne (musiciens compris) n’a pu vraiment entièrement comprendre ce qui s’était passé, mais qui a magnétisé littéralement néophytes et professionnels.

 

Nevers Iyer trio

 

Concerts à venir : Clôture du festival samedi 17 novembre à la Maison de la culture, avec Sylvain Kassap (17h), puis Aldo Romano quartet suivi de Roberto Fonseca (20h).

 

Site du festival : D’jazz Nevers Festival

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Ping Machine, la Grande campagnie des musiques à ouïr et le trio de Vijay Iyer : il fallait vraiment être bégueule l’autre soir à Nevers pour ne pas trouver son compte. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait salles combles. Au final, une très belle performance du grand ensemble de Fred Maurin et une prestation étourdissante du pianiste américain. Quant à la Compagnie des musiques à ouïr, les avis furent partagés.

 

Ping Machine – « Des trucs pareils »
Andrew Crocker, Quentin Ghomari, Fabien Norbert (tp), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (tb, tu) Guillaume Christophel, Jean-Michel Couchet, Fabien Debellefontaine, Florent Dupuit, Julien Soro (bois, anches), Fred Maurin (g), Raphaël Schwab (cb), Rafaël Koerner (dm).

Jeudi 15 novembre 2012, Auditorium Jean Jaurès, D’jazz Nevers Festival, Nevers (58), 18h30.

 

Ping Machine est décidément l’orchestre qui monte. Le concert que le grand ensemble de Fred Maurin a donné à Nevers l’a démontré une nouvelle fois. Par-delà le fait que l’exigence interne, la dimension proprement organique des compositions du leader sont toujours plus abouties – ce que Trona, une nouvelle composition, a dévoilé –, ce qui frappe c’est la fraîcheur que le répertoire conserve en live. On a beau connaître parfaitement les disques, chaque nouvelle interprétation apporte son lot de révélations, tant le potentiel du « great piece book » de Fred Maurin est conséquent. Il est vrai que le compositeur a choisi de se confronter à la forme longue, et que, de ce fait, certains détails inaperçus, telle relation entre deux motifs n’apparaissent dans toute leur lumière qu’après des écoutes répétées. Sans compter, bien évidemment, la maturité grandissante de l’ensemble qui s’approprie à chaque fois un peu plus la profondeur de ces longues pièces.
A titre d’exemple, deux aspects ont ainsi marqué votre rapporteur lors de l’interprétation neversoise. Est-ce l’absence de piano dans l’orchestre qui me fit remarquer pour la première fois avec autant d’acuité la dimension sonore toute particulière que Fred Maurin a su établir entre la section à vents et sa guitare électrique ? Aux couleurs déjà luxuriantes de son big band, il appose un voile sonore dont les étoffes sont empruntées au rock et à ses avatars (on pense à Hendrix, à certains hard rockeurs, à Bill Frisell). Etrange que cela ne m’ait sauté aux oreilles plus tôt… Pourtant, il s’agit bien là d’un brin d’ADN qui définit la musique de cet agrégé de biologie.
J’avais déjà trouvé excellente la rythmique formée par les deux Raph’. Mais cette fois, je les ai trouvés magnifiques. La contrebasse de Raphaël Schwab est tout à la fois rassurante (car posée, inébranlable) et excitante (puisque relançant sans cesse, proposant à tout va), tandis que le drive de Rafaël Koerner pousse l’orchestre dans des retranchements que ses composantes ignoraient sans doute elles-mêmes. Quant à Fred Maurin, ses aiguillons électriques furent tout à fait galvanisants, parfois délicieusement amers et faussement décalés.

 

Nevers Ping 1

Parmi les solistes, Jean-Michel Couchet (sur Zimmer 26 au soprano) et Julien Soro (au ténor dans Alors chut…) ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Julien Soro, en particulier, continue de jouer chacune de ses interventions comme si sa vie en dépendait – ô joie ! –, et cela sans pour autant tomber dans le travers qui consiste à « tout mettre sur la table ».
Si elle passe près de chez vous, ne loupez pas l’une des formations hexagonales les plus excitantes du moment. La preuve : pas nécessairement au fait des dernières avancées dans le domaine de l’écriture jazz (comme cette appropriation admirable de la musique spectrale), le public de Nevers n’a eu aucun problème pour entrer dans la musique de Ping Machine. Il en a même  redemandé !

 

Nevers Ping 2

 

Jeudi 15 novembre 2012, Maison de la culture (salle Philippe Genty), Nevers (58), 20h45

1e partie : La grande campagnie des musiques à ouïr – « Duke & Thelonious »
Aymeric Avice (tp), Gueorgui Kornazov (tb), Julien Eil, Raphaël Quenehen, Hugues Mayot (bois, anches), Thibault Cellier (cb), Denis Charolle (dm, perc).

2e partie : Vijay Iyer Trio – « Accelerando »
Vijay Iyer (p), Stephan Crump (cb), Marcus Gilmore (dm).

 

 

Reprendre (une fois de plus) la musique d’Ellington et de Monk, voilà qui, pour le moins, était un pari osé. Pour ce projet d’ambition, Denis Charolle a demandé à Fred Gastard, Rémi Dumoulin et Vincent Peirani de l’accompagner dans la composition (au sens d’assemblage d’ingrédients) du programme.
En entrée, Played Twice+We See de Monk. Comme souvent en début de concert, la mayonnaise a du mal à prendre. Il faut se donner du temps pour apprivoiser les nouvelles saveurs qui transforment les mets que l’on a l’habitude d’apprécier.
Viennent ensuite Creole Rhapsody puis Koko, avec d’excellents tutti en tempo vif (le meilleur venant plus tard dans la soirée, au cours de Daybreak Express). La mécanique de l’ensemble commence à se dégager : quelques éclats de new orleans, de swing, le voisin free qui vient empêcher tout ce beau monde de former un cercle restreint. Il s’agit davantage de créer des échos aux musiques des deux maîtres que de leur rendre un hommage contrit. D’ailleurs Gueorgui Kornazov prend les choses en main. En solo absolu, il réalise une interprétation toute personnelle de Pannonica, souvent en double et triple sons, avec quelques accents venus des Balkans, et surtout une sensibilité qui a fait retenir son souffle à la salle entière. Sans conteste, le meilleur moment du concert.  
Echos, ratés, détraquements, filtres… autant de qualificatifs qui décrivent donc la réalisation de la Grande campagnie des musiques à ouïr. Cela a beau être ingénieux, plein de fantaisie, je reste parfois dubitatif, et il m’est difficile d’avoir un avis tranché. Car s’il y a d’excellents moments (outre Kornazov, Raphaël Quenehen en Johnny Hodges modernisé vaut le détour), il y en a d’autres qui fonctionnent moins bien. Mais c’est peut-être que le côté foutraque, fourre-tout est l’ambition même de Denis Charolle et de ses partenaires ? La discussion va bon train à l’issue du concert. Pour les uns, c’est en effet justement cette dimension quelque peu zapping, chaotique par endroit qui les a séduits ; d’autres ont en revanche goûté en priorité les passages très finement élaborés, tel celui q
ui a donné à entendre le duo contrebasse/batterie joué en tempo libre en-dessous d’un ostinato in tempo exécuté par les vents.
Sorte de Django Bates à la française, Denis Charolle va très certainement faire mûrir son projet qui n’en est qu’au début de son existence. Il faudra donc le réécouter pour l’apprécier au plus juste.

 

Nevers Campagnie

 

En seconde partie de soirée, le trio de Vijay Iyer a présenté son jazz des années 2030. Il est rare qu’un musicien pratiquant son art d’une manière si élaborée rencontre un succès aussi grand. Apprécié de nombreux jeunes pas particulièrement versés dans le jazz, Top Critrics Poll lors du 60e référendum Down Beat, Vijay Iyer fascine. Tout au long du concert, j’ai tenté de cerner les raisons de cet attrait. Sans s’arrêter sur son travail de communication – rouage cependant essentiel de son succès –, plusieurs hypothèses me sont venues à l’écoute du concert donné dans le cadre D’jazz Nevers Festival.
En premier lieu une pulsation vitale très forte qui l’emporte sur la complexité rythmique extrême charpentant l’intégralité de leurs interprétations (superbe reprise de Litle Size Pocket Demons d’Henry Threadgill) : le trio de Vijay Iyer, c’est d’abord une dynamique générale, puissante, fascinante, dont les sources se trouvent autant dans la musique électronique que de l’informatique musicale, une énergie propre à happer les auditeurs. Ensuite, il y a un son d’ensemble vraiment moderne, alors même que la formation s’inscrit dans une tradition jazz ; Vijay Iyer et ses partenaires ont réussi la gageure d’inventer une image acoustique inédite du trio avec piano. Par ailleurs, surtout en live, il ne faut pas non plus négliger la dimension visuelle du groupe, sans effets spectaculaires ; les trois musiciens maîtrisent de facto tellement leur sujet qu’ils semblent partir dans les étoiles sans que la moindre goutte de sueur ne suintent à leur front. Mais plus que tout peut-être, cette « musique d’Iyer » propose un juste dosage entre évidence (elle parle immédiatement), complexité extrême, abstraction et effet quasi de transe par répétition évolutive.
A titre d’exemple, citons le bis : il ne fut que répétitions et mises en boucle. A ceci près que chacun des musiciens évolués dans une métrique différente ! Parmi ces cercles infernaux (dont sa main gauche), Iyer improvisa à la main droite d’incessants petits décalages. Plutôt que du côté des minimalistes américains, c’est bien vers le Ligeti des Etudes pour piano qu’il faut faire un rapprochement, à cause de la dimension mathématique d’un dérèglement contrôlé (ce qui n’est guère étonnant de la part d’un scientifique chevronné tel que le leader de ce trio).
Résultat : un concert dont personne (musiciens compris) n’a pu vraiment entièrement comprendre ce qui s’était passé, mais qui a magnétisé littéralement néophytes et professionnels.

 

Nevers Iyer trio

 

Concerts à venir : Clôture du festival samedi 17 novembre à la Maison de la culture, avec Sylvain Kassap (17h), puis Aldo Romano quartet suivi de Roberto Fonseca (20h).

 

Site du festival : D’jazz Nevers Festival

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Ping Machine, la Grande campagnie des musiques à ouïr et le trio de Vijay Iyer : il fallait vraiment être bégueule l’autre soir à Nevers pour ne pas trouver son compte. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait salles combles. Au final, une très belle performance du grand ensemble de Fred Maurin et une prestation étourdissante du pianiste américain. Quant à la Compagnie des musiques à ouïr, les avis furent partagés.

 

Ping Machine – « Des trucs pareils »
Andrew Crocker, Quentin Ghomari, Fabien Norbert (tp), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (tb, tu) Guillaume Christophel, Jean-Michel Couchet, Fabien Debellefontaine, Florent Dupuit, Julien Soro (bois, anches), Fred Maurin (g), Raphaël Schwab (cb), Rafaël Koerner (dm).

Jeudi 15 novembre 2012, Auditorium Jean Jaurès, D’jazz Nevers Festival, Nevers (58), 18h30.

 

Ping Machine est décidément l’orchestre qui monte. Le concert que le grand ensemble de Fred Maurin a donné à Nevers l’a démontré une nouvelle fois. Par-delà le fait que l’exigence interne, la dimension proprement organique des compositions du leader sont toujours plus abouties – ce que Trona, une nouvelle composition, a dévoilé –, ce qui frappe c’est la fraîcheur que le répertoire conserve en live. On a beau connaître parfaitement les disques, chaque nouvelle interprétation apporte son lot de révélations, tant le potentiel du « great piece book » de Fred Maurin est conséquent. Il est vrai que le compositeur a choisi de se confronter à la forme longue, et que, de ce fait, certains détails inaperçus, telle relation entre deux motifs n’apparaissent dans toute leur lumière qu’après des écoutes répétées. Sans compter, bien évidemment, la maturité grandissante de l’ensemble qui s’approprie à chaque fois un peu plus la profondeur de ces longues pièces.
A titre d’exemple, deux aspects ont ainsi marqué votre rapporteur lors de l’interprétation neversoise. Est-ce l’absence de piano dans l’orchestre qui me fit remarquer pour la première fois avec autant d’acuité la dimension sonore toute particulière que Fred Maurin a su établir entre la section à vents et sa guitare électrique ? Aux couleurs déjà luxuriantes de son big band, il appose un voile sonore dont les étoffes sont empruntées au rock et à ses avatars (on pense à Hendrix, à certains hard rockeurs, à Bill Frisell). Etrange que cela ne m’ait sauté aux oreilles plus tôt… Pourtant, il s’agit bien là d’un brin d’ADN qui définit la musique de cet agrégé de biologie.
J’avais déjà trouvé excellente la rythmique formée par les deux Raph’. Mais cette fois, je les ai trouvés magnifiques. La contrebasse de Raphaël Schwab est tout à la fois rassurante (car posée, inébranlable) et excitante (puisque relançant sans cesse, proposant à tout va), tandis que le drive de Rafaël Koerner pousse l’orchestre dans des retranchements que ses composantes ignoraient sans doute elles-mêmes. Quant à Fred Maurin, ses aiguillons électriques furent tout à fait galvanisants, parfois délicieusement amers et faussement décalés.

 

Nevers Ping 1

Parmi les solistes, Jean-Michel Couchet (sur Zimmer 26 au soprano) et Julien Soro (au ténor dans Alors chut…) ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Julien Soro, en particulier, continue de jouer chacune de ses interventions comme si sa vie en dépendait – ô joie ! –, et cela sans pour autant tomber dans le travers qui consiste à « tout mettre sur la table ».
Si elle passe près de chez vous, ne loupez pas l’une des formations hexagonales les plus excitantes du moment. La preuve : pas nécessairement au fait des dernières avancées dans le domaine de l’écriture jazz (comme cette appropriation admirable de la musique spectrale), le public de Nevers n’a eu aucun problème pour entrer dans la musique de Ping Machine. Il en a même  redemandé !

 

Nevers Ping 2

 

Jeudi 15 novembre 2012, Maison de la culture (salle Philippe Genty), Nevers (58), 20h45

1e partie : La grande campagnie des musiques à ouïr – « Duke & Thelonious »
Aymeric Avice (tp), Gueorgui Kornazov (tb), Julien Eil, Raphaël Quenehen, Hugues Mayot (bois, anches), Thibault Cellier (cb), Denis Charolle (dm, perc).

2e partie : Vijay Iyer Trio – « Accelerando »
Vijay Iyer (p), Stephan Crump (cb), Marcus Gilmore (dm).

 

 

Reprendre (une fois de plus) la musique d’Ellington et de Monk, voilà qui, pour le moins, était un pari osé. Pour ce projet d’ambition, Denis Charolle a demandé à Fred Gastard, Rémi Dumoulin et Vincent Peirani de l’accompagner dans la composition (au sens d’assemblage d’ingrédients) du programme.
En entrée, Played Twice+We See de Monk. Comme souvent en début de concert, la mayonnaise a du mal à prendre. Il faut se donner du temps pour apprivoiser les nouvelles saveurs qui transforment les mets que l’on a l’habitude d’apprécier.
Viennent ensuite Creole Rhapsody puis Koko, avec d’excellents tutti en tempo vif (le meilleur venant plus tard dans la soirée, au cours de Daybreak Express). La mécanique de l’ensemble commence à se dégager : quelques éclats de new orleans, de swing, le voisin free qui vient empêcher tout ce beau monde de former un cercle restreint. Il s’agit davantage de créer des échos aux musiques des deux maîtres que de leur rendre un hommage contrit. D’ailleurs Gueorgui Kornazov prend les choses en main. En solo absolu, il réalise une interprétation toute personnelle de Pannonica, souvent en double et triple sons, avec quelques accents venus des Balkans, et surtout une sensibilité qui a fait retenir son souffle à la salle entière. Sans conteste, le meilleur moment du concert.  
Echos, ratés, détraquements, filtres… autant de qualificatifs qui décrivent donc la réalisation de la Grande campagnie des musiques à ouïr. Cela a beau être ingénieux, plein de fantaisie, je reste parfois dubitatif, et il m’est difficile d’avoir un avis tranché. Car s’il y a d’excellents moments (outre Kornazov, Raphaël Quenehen en Johnny Hodges modernisé vaut le détour), il y en a d’autres qui fonctionnent moins bien. Mais c’est peut-être que le côté foutraque, fourre-tout est l’ambition même de Denis Charolle et de ses partenaires ? La discussion va bon train à l’issue du concert. Pour les uns, c’est en effet justement cette dimension quelque peu zapping, chaotique par endroit qui les a séduits ; d’autres ont en revanche goûté en priorité les passages très finement élaborés, tel celui q
ui a donné à entendre le duo contrebasse/batterie joué en tempo libre en-dessous d’un ostinato in tempo exécuté par les vents.
Sorte de Django Bates à la française, Denis Charolle va très certainement faire mûrir son projet qui n’en est qu’au début de son existence. Il faudra donc le réécouter pour l’apprécier au plus juste.

 

Nevers Campagnie

 

En seconde partie de soirée, le trio de Vijay Iyer a présenté son jazz des années 2030. Il est rare qu’un musicien pratiquant son art d’une manière si élaborée rencontre un succès aussi grand. Apprécié de nombreux jeunes pas particulièrement versés dans le jazz, Top Critrics Poll lors du 60e référendum Down Beat, Vijay Iyer fascine. Tout au long du concert, j’ai tenté de cerner les raisons de cet attrait. Sans s’arrêter sur son travail de communication – rouage cependant essentiel de son succès –, plusieurs hypothèses me sont venues à l’écoute du concert donné dans le cadre D’jazz Nevers Festival.
En premier lieu une pulsation vitale très forte qui l’emporte sur la complexité rythmique extrême charpentant l’intégralité de leurs interprétations (superbe reprise de Litle Size Pocket Demons d’Henry Threadgill) : le trio de Vijay Iyer, c’est d’abord une dynamique générale, puissante, fascinante, dont les sources se trouvent autant dans la musique électronique que de l’informatique musicale, une énergie propre à happer les auditeurs. Ensuite, il y a un son d’ensemble vraiment moderne, alors même que la formation s’inscrit dans une tradition jazz ; Vijay Iyer et ses partenaires ont réussi la gageure d’inventer une image acoustique inédite du trio avec piano. Par ailleurs, surtout en live, il ne faut pas non plus négliger la dimension visuelle du groupe, sans effets spectaculaires ; les trois musiciens maîtrisent de facto tellement leur sujet qu’ils semblent partir dans les étoiles sans que la moindre goutte de sueur ne suintent à leur front. Mais plus que tout peut-être, cette « musique d’Iyer » propose un juste dosage entre évidence (elle parle immédiatement), complexité extrême, abstraction et effet quasi de transe par répétition évolutive.
A titre d’exemple, citons le bis : il ne fut que répétitions et mises en boucle. A ceci près que chacun des musiciens évolués dans une métrique différente ! Parmi ces cercles infernaux (dont sa main gauche), Iyer improvisa à la main droite d’incessants petits décalages. Plutôt que du côté des minimalistes américains, c’est bien vers le Ligeti des Etudes pour piano qu’il faut faire un rapprochement, à cause de la dimension mathématique d’un dérèglement contrôlé (ce qui n’est guère étonnant de la part d’un scientifique chevronné tel que le leader de ce trio).
Résultat : un concert dont personne (musiciens compris) n’a pu vraiment entièrement comprendre ce qui s’était passé, mais qui a magnétisé littéralement néophytes et professionnels.

 

Nevers Iyer trio

 

Concerts à venir : Clôture du festival samedi 17 novembre à la Maison de la culture, avec Sylvain Kassap (17h), puis Aldo Romano quartet suivi de Roberto Fonseca (20h).

 

Site du festival : D’jazz Nevers Festival

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Ping Machine, la Grande campagnie des musiques à ouïr et le trio de Vijay Iyer : il fallait vraiment être bégueule l’autre soir à Nevers pour ne pas trouver son compte. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait salles combles. Au final, une très belle performance du grand ensemble de Fred Maurin et une prestation étourdissante du pianiste américain. Quant à la Compagnie des musiques à ouïr, les avis furent partagés.

 

Ping Machine – « Des trucs pareils »
Andrew Crocker, Quentin Ghomari, Fabien Norbert (tp), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (tb, tu) Guillaume Christophel, Jean-Michel Couchet, Fabien Debellefontaine, Florent Dupuit, Julien Soro (bois, anches), Fred Maurin (g), Raphaël Schwab (cb), Rafaël Koerner (dm).

Jeudi 15 novembre 2012, Auditorium Jean Jaurès, D’jazz Nevers Festival, Nevers (58), 18h30.

 

Ping Machine est décidément l’orchestre qui monte. Le concert que le grand ensemble de Fred Maurin a donné à Nevers l’a démontré une nouvelle fois. Par-delà le fait que l’exigence interne, la dimension proprement organique des compositions du leader sont toujours plus abouties – ce que Trona, une nouvelle composition, a dévoilé –, ce qui frappe c’est la fraîcheur que le répertoire conserve en live. On a beau connaître parfaitement les disques, chaque nouvelle interprétation apporte son lot de révélations, tant le potentiel du « great piece book » de Fred Maurin est conséquent. Il est vrai que le compositeur a choisi de se confronter à la forme longue, et que, de ce fait, certains détails inaperçus, telle relation entre deux motifs n’apparaissent dans toute leur lumière qu’après des écoutes répétées. Sans compter, bien évidemment, la maturité grandissante de l’ensemble qui s’approprie à chaque fois un peu plus la profondeur de ces longues pièces.
A titre d’exemple, deux aspects ont ainsi marqué votre rapporteur lors de l’interprétation neversoise. Est-ce l’absence de piano dans l’orchestre qui me fit remarquer pour la première fois avec autant d’acuité la dimension sonore toute particulière que Fred Maurin a su établir entre la section à vents et sa guitare électrique ? Aux couleurs déjà luxuriantes de son big band, il appose un voile sonore dont les étoffes sont empruntées au rock et à ses avatars (on pense à Hendrix, à certains hard rockeurs, à Bill Frisell). Etrange que cela ne m’ait sauté aux oreilles plus tôt… Pourtant, il s’agit bien là d’un brin d’ADN qui définit la musique de cet agrégé de biologie.
J’avais déjà trouvé excellente la rythmique formée par les deux Raph’. Mais cette fois, je les ai trouvés magnifiques. La contrebasse de Raphaël Schwab est tout à la fois rassurante (car posée, inébranlable) et excitante (puisque relançant sans cesse, proposant à tout va), tandis que le drive de Rafaël Koerner pousse l’orchestre dans des retranchements que ses composantes ignoraient sans doute elles-mêmes. Quant à Fred Maurin, ses aiguillons électriques furent tout à fait galvanisants, parfois délicieusement amers et faussement décalés.

 

Nevers Ping 1

Parmi les solistes, Jean-Michel Couchet (sur Zimmer 26 au soprano) et Julien Soro (au ténor dans Alors chut…) ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Julien Soro, en particulier, continue de jouer chacune de ses interventions comme si sa vie en dépendait – ô joie ! –, et cela sans pour autant tomber dans le travers qui consiste à « tout mettre sur la table ».
Si elle passe près de chez vous, ne loupez pas l’une des formations hexagonales les plus excitantes du moment. La preuve : pas nécessairement au fait des dernières avancées dans le domaine de l’écriture jazz (comme cette appropriation admirable de la musique spectrale), le public de Nevers n’a eu aucun problème pour entrer dans la musique de Ping Machine. Il en a même  redemandé !

 

Nevers Ping 2

 

Jeudi 15 novembre 2012, Maison de la culture (salle Philippe Genty), Nevers (58), 20h45

1e partie : La grande campagnie des musiques à ouïr – « Duke & Thelonious »
Aymeric Avice (tp), Gueorgui Kornazov (tb), Julien Eil, Raphaël Quenehen, Hugues Mayot (bois, anches), Thibault Cellier (cb), Denis Charolle (dm, perc).

2e partie : Vijay Iyer Trio – « Accelerando »
Vijay Iyer (p), Stephan Crump (cb), Marcus Gilmore (dm).

 

 

Reprendre (une fois de plus) la musique d’Ellington et de Monk, voilà qui, pour le moins, était un pari osé. Pour ce projet d’ambition, Denis Charolle a demandé à Fred Gastard, Rémi Dumoulin et Vincent Peirani de l’accompagner dans la composition (au sens d’assemblage d’ingrédients) du programme.
En entrée, Played Twice+We See de Monk. Comme souvent en début de concert, la mayonnaise a du mal à prendre. Il faut se donner du temps pour apprivoiser les nouvelles saveurs qui transforment les mets que l’on a l’habitude d’apprécier.
Viennent ensuite Creole Rhapsody puis Koko, avec d’excellents tutti en tempo vif (le meilleur venant plus tard dans la soirée, au cours de Daybreak Express). La mécanique de l’ensemble commence à se dégager : quelques éclats de new orleans, de swing, le voisin free qui vient empêcher tout ce beau monde de former un cercle restreint. Il s’agit davantage de créer des échos aux musiques des deux maîtres que de leur rendre un hommage contrit. D’ailleurs Gueorgui Kornazov prend les choses en main. En solo absolu, il réalise une interprétation toute personnelle de Pannonica, souvent en double et triple sons, avec quelques accents venus des Balkans, et surtout une sensibilité qui a fait retenir son souffle à la salle entière. Sans conteste, le meilleur moment du concert.  
Echos, ratés, détraquements, filtres… autant de qualificatifs qui décrivent donc la réalisation de la Grande campagnie des musiques à ouïr. Cela a beau être ingénieux, plein de fantaisie, je reste parfois dubitatif, et il m’est difficile d’avoir un avis tranché. Car s’il y a d’excellents moments (outre Kornazov, Raphaël Quenehen en Johnny Hodges modernisé vaut le détour), il y en a d’autres qui fonctionnent moins bien. Mais c’est peut-être que le côté foutraque, fourre-tout est l’ambition même de Denis Charolle et de ses partenaires ? La discussion va bon train à l’issue du concert. Pour les uns, c’est en effet justement cette dimension quelque peu zapping, chaotique par endroit qui les a séduits ; d’autres ont en revanche goûté en priorité les passages très finement élaborés, tel celui q
ui a donné à entendre le duo contrebasse/batterie joué en tempo libre en-dessous d’un ostinato in tempo exécuté par les vents.
Sorte de Django Bates à la française, Denis Charolle va très certainement faire mûrir son projet qui n’en est qu’au début de son existence. Il faudra donc le réécouter pour l’apprécier au plus juste.

 

Nevers Campagnie

 

En seconde partie de soirée, le trio de Vijay Iyer a présenté son jazz des années 2030. Il est rare qu’un musicien pratiquant son art d’une manière si élaborée rencontre un succès aussi grand. Apprécié de nombreux jeunes pas particulièrement versés dans le jazz, Top Critrics Poll lors du 60e référendum Down Beat, Vijay Iyer fascine. Tout au long du concert, j’ai tenté de cerner les raisons de cet attrait. Sans s’arrêter sur son travail de communication – rouage cependant essentiel de son succès –, plusieurs hypothèses me sont venues à l’écoute du concert donné dans le cadre D’jazz Nevers Festival.
En premier lieu une pulsation vitale très forte qui l’emporte sur la complexité rythmique extrême charpentant l’intégralité de leurs interprétations (superbe reprise de Litle Size Pocket Demons d’Henry Threadgill) : le trio de Vijay Iyer, c’est d’abord une dynamique générale, puissante, fascinante, dont les sources se trouvent autant dans la musique électronique que de l’informatique musicale, une énergie propre à happer les auditeurs. Ensuite, il y a un son d’ensemble vraiment moderne, alors même que la formation s’inscrit dans une tradition jazz ; Vijay Iyer et ses partenaires ont réussi la gageure d’inventer une image acoustique inédite du trio avec piano. Par ailleurs, surtout en live, il ne faut pas non plus négliger la dimension visuelle du groupe, sans effets spectaculaires ; les trois musiciens maîtrisent de facto tellement leur sujet qu’ils semblent partir dans les étoiles sans que la moindre goutte de sueur ne suintent à leur front. Mais plus que tout peut-être, cette « musique d’Iyer » propose un juste dosage entre évidence (elle parle immédiatement), complexité extrême, abstraction et effet quasi de transe par répétition évolutive.
A titre d’exemple, citons le bis : il ne fut que répétitions et mises en boucle. A ceci près que chacun des musiciens évolués dans une métrique différente ! Parmi ces cercles infernaux (dont sa main gauche), Iyer improvisa à la main droite d’incessants petits décalages. Plutôt que du côté des minimalistes américains, c’est bien vers le Ligeti des Etudes pour piano qu’il faut faire un rapprochement, à cause de la dimension mathématique d’un dérèglement contrôlé (ce qui n’est guère étonnant de la part d’un scientifique chevronné tel que le leader de ce trio).
Résultat : un concert dont personne (musiciens compris) n’a pu vraiment entièrement comprendre ce qui s’était passé, mais qui a magnétisé littéralement néophytes et professionnels.

 

Nevers Iyer trio

 

Concerts à venir : Clôture du festival samedi 17 novembre à la Maison de la culture, avec Sylvain Kassap (17h), puis Aldo Romano quartet suivi de Roberto Fonseca (20h).

 

Site du festival : D’jazz Nevers Festival