Jazz live
Publié le 6 Avr 2013

Lionel Belmondo Trio au Château Palmer

Jazz et vin, jazz et classique, deux archétypes qu’explorait hier le trio de Lionel Belmondo dans l’une des “chapelles ardentes” que constituent les chais du Château Palmer à Margaux, invité par le maître des lieux, Thomas Duroux et son équipe, pour célébrer le millésime 2012 de ses deux vins Château Palmer et Alter Ego.

 

 

Château Palmer, Margaux (33), le 5 avril 2013.

 

Lionel Belmondo (saxes sopranos et ténor, flûte traversière, flûtes de bambou), Sylvain Romano (contrebasse), Jean-Pierre Arnaud (batterie).

 

Jazz et vin, voilà un classique du métier dont j’use avec discrétion, le vocabulaire technique et la paralittérature du vin, qu’il m’est arrivé d’apprécier dans la bouche des vignerons et sous la plume de certains de mes confrères spécialisés, méritant mieux que les facilités métaphoriques des néophytes dont je suis et tournant vite au ridicule dans les salons où l’on cause. Tout comme, si je me suis bien amusé sur des pages antérieures de ce blog à accompagner mes chroniques d’aventures de chats philosophes, de fantômes et de lits montés sur rail, à part les vraies frites et les galettes saucisses du festival Malguénac, je suis toujours resté discret sur les gourmandises qui ponctuent ici et là la route du jazzman et dont profite son parasite, le chroniqueur, heureuse compensation des barquettes de crudités avalées entre deux trains et du rituel « taboulé-charcuterie » servi dans les coulisses de nombreuses salles. Mais j’ai cru comprendre que ce genre de privilège, au même titre que certains passe-droit et coupe-fil dont bénéficie la critique, pouvait agacer nos lecteurs. « Passe nous le menu et fais ton travail ! » Et, jeune lecteur de Jazz Magazine et Jazz Hot, j’ai moi-même partagé cet agacement face à de vieux ronds de cuir du métier (critique, mais aussi organisateurs de concert invités dans certains rassemblements festivaliers) qui tardaient à quitter le bar ou la table pour le concert, ne daignant gagner la place qu’on leur réservait dans les meilleurs rangs qu’à la seconde partie, voire au rappel.

 

Mais voilà, lorsque l’on a la chance d’être invité par l’un des grands vinificateurs du bordelais et lorsque celui-ci s’avère être un authentique amateur de jazz, on ne va ni bouder son plaisir, ni taire l’invitation qu’il fait chaque année à de grands jazzmen de venir déguster son dernier millésime et à se produire au château. L’habitude en a été prise après la venue en 2010 de Jacky Terrasson auquel ont succédé Michel Portal et Yaron Herman en 2011, Flavio Boltro, Glenn Ferris et Giovanni Mirabassi en 2012.

 

Cette année, flânant sur Qobuz dont il est un adepte, Thomas Duroux a jeté son dévolu sur Lionel Belmondo et son trio. Pour un concert privé, certes, mais dont on ne vous laissera pas que les miettes : enregistré et filmé et diffusé en direct, il sera, dans les heures qui suivent la mise en ligne de cet article, disponible en streaming sur les sites de Qobuz et du Château Palmer.

 

Après avoir traversé une salle de cuves qui fait venir à l’esprit la grandeur des cathédrales, le chai s’apparente à la chapelle ardente par son atmosphère de veille et de recueillement. Là vieillissent de grands vins, patiemment assemblés avec un savoir faire que les musiciens du Belmondo trio ont pu découvrir en visitant le matin même les différentes parcelles du Château Palmer. Et c’est encore habité par cette visite qu’ils étaient invités à improviser sur le millésime 2012 des deux crus du Château Palmer Château Palmer et Alter Ego. Je ne suis pas certain d’en avoir bien sais l’analogie et peut-être faudrait-il être fin musicologue et œnologue pour appréhender tout la saveur de l’exercice, mais tout comme le standard n’est jamais qu’un prétexte, prenons ce jeu pour ce qu’il est et goûtons le plaisir qui en résulte dans la proximité acoustique qui était celle de cet orchestre et de son public dans la sacralité du chai. Proximité dont il faut dire deux mots car les habitués de ce blog savent que je ne fais pas de cadeau aux sonorisateurs et que ce lieu non sonorisé, aussi émouvant soit-il, n’était pas sans poser de problème. Moins pour le spectateur – en dépit d’un manque de précision – ce que pour les musiciens, ce que me confirma l’un d’eux et ce qui expliquera le jeu un peu contraint de Jean-Pierre Arnaud à ceux qui visionneront ce concert sur internet. L’acoustique des lieux du culte est décidément réservée à la monodie.

 

Puisque ce concert est visible par tous, à quoi bon vous raconter ce que vous allez voir et entendre ? Vous constaterez comme moi que la suite consacrée aux deux millésimes à l’honneur entraîna Lionel dans ses derniers retranchements coltraniens (tout comme – si j’ai bien suivi le programme qui m’a été soufflé a posteriori – une composition originale de Christophe Dal Sasso), mais qu’ailleurs c’est une espèce de “promeneur” qui déambula sur sa propre composition Désillusions et parmi quelques thèmes classiques (sur le modèle de son dernier disque), d’un pas qui m’évoqua le Benny Golson de “Free”, admirablement stimulé par l’accompagnement tout à la fois solide et très actif de Sylvain Romano. Peut-être resterez-vous comme moi particulièrement impressionné par cette réduction de la 4ème Symphonie de Brahms à son motif initial, selon une tradition déjà vieille dans le jazz et que magnifia le sextette de John Kirby, il est vrai avec des moyens d’arrangeur là ou Belmondo se place dans la nudité de l’exposé en trio. La déambulation de Belmondo sur la “basse continue” de ses comparses parmi ces quelques notes ouvre un espace immense qui, en creux, nous invite à réentendre Brahms plus que toute tentative de réorchestration.

 

Je passe sur la dégustation et le dîner qui s’en est suivi pour les différentes raisons exposées plus haut, sauf à dire que le “ris de veau de lait juste laqué aux morilles et artichauts croquants” de MM. Nicolas Magie et Olivier Rosa ne ressemble à rien de connu, sinon – jouons le jeu – au Buzzard Song tout de même en moins poignant, adjectif que l’on ne saurait accorder avec le champ gastronomique –, que remonter le temps avec Château Palmer – 2012, 2002 , 1982, 1952 (un an avant ma naissance !) – est une expérience rare, et combien les mots me manquent pour qualifier la grandeur toute particulière du millésime 1982, sauf à le comparer à l’introduction d’Early Autumn de Ralph Burns par le Second Herd de Woody Herman. Ce repas fut aussi l’occasion de faire plus ample connaissance avec Sylvain Romano que je considérais déjà comme l’une des plus belles découvertes de la contrebasse française de ces dernières années. De l’autre côté de la table, l’œil malicieux de Jean-Pierre Arnaud qui ce matin quittait Bordeaux à l’aube pour rejoindre Virginie Teychené et Gérard Maurin avec qui il se produit ce soir 6 avril à l’AJMI d’Avignon. Les Avignonnais sont des veinards !

Franck Bergerot

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Jazz et vin, jazz et classique, deux archétypes qu’explorait hier le trio de Lionel Belmondo dans l’une des “chapelles ardentes” que constituent les chais du Château Palmer à Margaux, invité par le maître des lieux, Thomas Duroux et son équipe, pour célébrer le millésime 2012 de ses deux vins Château Palmer et Alter Ego.

 

 

Château Palmer, Margaux (33), le 5 avril 2013.

 

Lionel Belmondo (saxes sopranos et ténor, flûte traversière, flûtes de bambou), Sylvain Romano (contrebasse), Jean-Pierre Arnaud (batterie).

 

Jazz et vin, voilà un classique du métier dont j’use avec discrétion, le vocabulaire technique et la paralittérature du vin, qu’il m’est arrivé d’apprécier dans la bouche des vignerons et sous la plume de certains de mes confrères spécialisés, méritant mieux que les facilités métaphoriques des néophytes dont je suis et tournant vite au ridicule dans les salons où l’on cause. Tout comme, si je me suis bien amusé sur des pages antérieures de ce blog à accompagner mes chroniques d’aventures de chats philosophes, de fantômes et de lits montés sur rail, à part les vraies frites et les galettes saucisses du festival Malguénac, je suis toujours resté discret sur les gourmandises qui ponctuent ici et là la route du jazzman et dont profite son parasite, le chroniqueur, heureuse compensation des barquettes de crudités avalées entre deux trains et du rituel « taboulé-charcuterie » servi dans les coulisses de nombreuses salles. Mais j’ai cru comprendre que ce genre de privilège, au même titre que certains passe-droit et coupe-fil dont bénéficie la critique, pouvait agacer nos lecteurs. « Passe nous le menu et fais ton travail ! » Et, jeune lecteur de Jazz Magazine et Jazz Hot, j’ai moi-même partagé cet agacement face à de vieux ronds de cuir du métier (critique, mais aussi organisateurs de concert invités dans certains rassemblements festivaliers) qui tardaient à quitter le bar ou la table pour le concert, ne daignant gagner la place qu’on leur réservait dans les meilleurs rangs qu’à la seconde partie, voire au rappel.

 

Mais voilà, lorsque l’on a la chance d’être invité par l’un des grands vinificateurs du bordelais et lorsque celui-ci s’avère être un authentique amateur de jazz, on ne va ni bouder son plaisir, ni taire l’invitation qu’il fait chaque année à de grands jazzmen de venir déguster son dernier millésime et à se produire au château. L’habitude en a été prise après la venue en 2010 de Jacky Terrasson auquel ont succédé Michel Portal et Yaron Herman en 2011, Flavio Boltro, Glenn Ferris et Giovanni Mirabassi en 2012.

 

Cette année, flânant sur Qobuz dont il est un adepte, Thomas Duroux a jeté son dévolu sur Lionel Belmondo et son trio. Pour un concert privé, certes, mais dont on ne vous laissera pas que les miettes : enregistré et filmé et diffusé en direct, il sera, dans les heures qui suivent la mise en ligne de cet article, disponible en streaming sur les sites de Qobuz et du Château Palmer.

 

Après avoir traversé une salle de cuves qui fait venir à l’esprit la grandeur des cathédrales, le chai s’apparente à la chapelle ardente par son atmosphère de veille et de recueillement. Là vieillissent de grands vins, patiemment assemblés avec un savoir faire que les musiciens du Belmondo trio ont pu découvrir en visitant le matin même les différentes parcelles du Château Palmer. Et c’est encore habité par cette visite qu’ils étaient invités à improviser sur le millésime 2012 des deux crus du Château Palmer Château Palmer et Alter Ego. Je ne suis pas certain d’en avoir bien sais l’analogie et peut-être faudrait-il être fin musicologue et œnologue pour appréhender tout la saveur de l’exercice, mais tout comme le standard n’est jamais qu’un prétexte, prenons ce jeu pour ce qu’il est et goûtons le plaisir qui en résulte dans la proximité acoustique qui était celle de cet orchestre et de son public dans la sacralité du chai. Proximité dont il faut dire deux mots car les habitués de ce blog savent que je ne fais pas de cadeau aux sonorisateurs et que ce lieu non sonorisé, aussi émouvant soit-il, n’était pas sans poser de problème. Moins pour le spectateur – en dépit d’un manque de précision – ce que pour les musiciens, ce que me confirma l’un d’eux et ce qui expliquera le jeu un peu contraint de Jean-Pierre Arnaud à ceux qui visionneront ce concert sur internet. L’acoustique des lieux du culte est décidément réservée à la monodie.

 

Puisque ce concert est visible par tous, à quoi bon vous raconter ce que vous allez voir et entendre ? Vous constaterez comme moi que la suite consacrée aux deux millésimes à l’honneur entraîna Lionel dans ses derniers retranchements coltraniens (tout comme – si j’ai bien suivi le programme qui m’a été soufflé a posteriori – une composition originale de Christophe Dal Sasso), mais qu’ailleurs c’est une espèce de “promeneur” qui déambula sur sa propre composition Désillusions et parmi quelques thèmes classiques (sur le modèle de son dernier disque), d’un pas qui m’évoqua le Benny Golson de “Free”, admirablement stimulé par l’accompagnement tout à la fois solide et très actif de Sylvain Romano. Peut-être resterez-vous comme moi particulièrement impressionné par cette réduction de la 4ème Symphonie de Brahms à son motif initial, selon une tradition déjà vieille dans le jazz et que magnifia le sextette de John Kirby, il est vrai avec des moyens d’arrangeur là ou Belmondo se place dans la nudité de l’exposé en trio. La déambulation de Belmondo sur la “basse continue” de ses comparses parmi ces quelques notes ouvre un espace immense qui, en creux, nous invite à réentendre Brahms plus que toute tentative de réorchestration.

 

Je passe sur la dégustation et le dîner qui s’en est suivi pour les différentes raisons exposées plus haut, sauf à dire que le “ris de veau de lait juste laqué aux morilles et artichauts croquants” de MM. Nicolas Magie et Olivier Rosa ne ressemble à rien de connu, sinon – jouons le jeu – au Buzzard Song tout de même en moins poignant, adjectif que l’on ne saurait accorder avec le champ gastronomique –, que remonter le temps avec Château Palmer – 2012, 2002 , 1982, 1952 (un an avant ma naissance !) – est une expérience rare, et combien les mots me manquent pour qualifier la grandeur toute particulière du millésime 1982, sauf à le comparer à l’introduction d’Early Autumn de Ralph Burns par le Second Herd de Woody Herman. Ce repas fut aussi l’occasion de faire plus ample connaissance avec Sylvain Romano que je considérais déjà comme l’une des plus belles découvertes de la contrebasse française de ces dernières années. De l’autre côté de la table, l’œil malicieux de Jean-Pierre Arnaud qui ce matin quittait Bordeaux à l’aube pour rejoindre Virginie Teychené et Gérard Maurin avec qui il se produit ce soir 6 avril à l’AJMI d’Avignon. Les Avignonnais sont des veinards !

Franck Bergerot

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Jazz et vin, jazz et classique, deux archétypes qu’explorait hier le trio de Lionel Belmondo dans l’une des “chapelles ardentes” que constituent les chais du Château Palmer à Margaux, invité par le maître des lieux, Thomas Duroux et son équipe, pour célébrer le millésime 2012 de ses deux vins Château Palmer et Alter Ego.

 

 

Château Palmer, Margaux (33), le 5 avril 2013.

 

Lionel Belmondo (saxes sopranos et ténor, flûte traversière, flûtes de bambou), Sylvain Romano (contrebasse), Jean-Pierre Arnaud (batterie).

 

Jazz et vin, voilà un classique du métier dont j’use avec discrétion, le vocabulaire technique et la paralittérature du vin, qu’il m’est arrivé d’apprécier dans la bouche des vignerons et sous la plume de certains de mes confrères spécialisés, méritant mieux que les facilités métaphoriques des néophytes dont je suis et tournant vite au ridicule dans les salons où l’on cause. Tout comme, si je me suis bien amusé sur des pages antérieures de ce blog à accompagner mes chroniques d’aventures de chats philosophes, de fantômes et de lits montés sur rail, à part les vraies frites et les galettes saucisses du festival Malguénac, je suis toujours resté discret sur les gourmandises qui ponctuent ici et là la route du jazzman et dont profite son parasite, le chroniqueur, heureuse compensation des barquettes de crudités avalées entre deux trains et du rituel « taboulé-charcuterie » servi dans les coulisses de nombreuses salles. Mais j’ai cru comprendre que ce genre de privilège, au même titre que certains passe-droit et coupe-fil dont bénéficie la critique, pouvait agacer nos lecteurs. « Passe nous le menu et fais ton travail ! » Et, jeune lecteur de Jazz Magazine et Jazz Hot, j’ai moi-même partagé cet agacement face à de vieux ronds de cuir du métier (critique, mais aussi organisateurs de concert invités dans certains rassemblements festivaliers) qui tardaient à quitter le bar ou la table pour le concert, ne daignant gagner la place qu’on leur réservait dans les meilleurs rangs qu’à la seconde partie, voire au rappel.

 

Mais voilà, lorsque l’on a la chance d’être invité par l’un des grands vinificateurs du bordelais et lorsque celui-ci s’avère être un authentique amateur de jazz, on ne va ni bouder son plaisir, ni taire l’invitation qu’il fait chaque année à de grands jazzmen de venir déguster son dernier millésime et à se produire au château. L’habitude en a été prise après la venue en 2010 de Jacky Terrasson auquel ont succédé Michel Portal et Yaron Herman en 2011, Flavio Boltro, Glenn Ferris et Giovanni Mirabassi en 2012.

 

Cette année, flânant sur Qobuz dont il est un adepte, Thomas Duroux a jeté son dévolu sur Lionel Belmondo et son trio. Pour un concert privé, certes, mais dont on ne vous laissera pas que les miettes : enregistré et filmé et diffusé en direct, il sera, dans les heures qui suivent la mise en ligne de cet article, disponible en streaming sur les sites de Qobuz et du Château Palmer.

 

Après avoir traversé une salle de cuves qui fait venir à l’esprit la grandeur des cathédrales, le chai s’apparente à la chapelle ardente par son atmosphère de veille et de recueillement. Là vieillissent de grands vins, patiemment assemblés avec un savoir faire que les musiciens du Belmondo trio ont pu découvrir en visitant le matin même les différentes parcelles du Château Palmer. Et c’est encore habité par cette visite qu’ils étaient invités à improviser sur le millésime 2012 des deux crus du Château Palmer Château Palmer et Alter Ego. Je ne suis pas certain d’en avoir bien sais l’analogie et peut-être faudrait-il être fin musicologue et œnologue pour appréhender tout la saveur de l’exercice, mais tout comme le standard n’est jamais qu’un prétexte, prenons ce jeu pour ce qu’il est et goûtons le plaisir qui en résulte dans la proximité acoustique qui était celle de cet orchestre et de son public dans la sacralité du chai. Proximité dont il faut dire deux mots car les habitués de ce blog savent que je ne fais pas de cadeau aux sonorisateurs et que ce lieu non sonorisé, aussi émouvant soit-il, n’était pas sans poser de problème. Moins pour le spectateur – en dépit d’un manque de précision – ce que pour les musiciens, ce que me confirma l’un d’eux et ce qui expliquera le jeu un peu contraint de Jean-Pierre Arnaud à ceux qui visionneront ce concert sur internet. L’acoustique des lieux du culte est décidément réservée à la monodie.

 

Puisque ce concert est visible par tous, à quoi bon vous raconter ce que vous allez voir et entendre ? Vous constaterez comme moi que la suite consacrée aux deux millésimes à l’honneur entraîna Lionel dans ses derniers retranchements coltraniens (tout comme – si j’ai bien suivi le programme qui m’a été soufflé a posteriori – une composition originale de Christophe Dal Sasso), mais qu’ailleurs c’est une espèce de “promeneur” qui déambula sur sa propre composition Désillusions et parmi quelques thèmes classiques (sur le modèle de son dernier disque), d’un pas qui m’évoqua le Benny Golson de “Free”, admirablement stimulé par l’accompagnement tout à la fois solide et très actif de Sylvain Romano. Peut-être resterez-vous comme moi particulièrement impressionné par cette réduction de la 4ème Symphonie de Brahms à son motif initial, selon une tradition déjà vieille dans le jazz et que magnifia le sextette de John Kirby, il est vrai avec des moyens d’arrangeur là ou Belmondo se place dans la nudité de l’exposé en trio. La déambulation de Belmondo sur la “basse continue” de ses comparses parmi ces quelques notes ouvre un espace immense qui, en creux, nous invite à réentendre Brahms plus que toute tentative de réorchestration.

 

Je passe sur la dégustation et le dîner qui s’en est suivi pour les différentes raisons exposées plus haut, sauf à dire que le “ris de veau de lait juste laqué aux morilles et artichauts croquants” de MM. Nicolas Magie et Olivier Rosa ne ressemble à rien de connu, sinon – jouons le jeu – au Buzzard Song tout de même en moins poignant, adjectif que l’on ne saurait accorder avec le champ gastronomique –, que remonter le temps avec Château Palmer – 2012, 2002 , 1982, 1952 (un an avant ma naissance !) – est une expérience rare, et combien les mots me manquent pour qualifier la grandeur toute particulière du millésime 1982, sauf à le comparer à l’introduction d’Early Autumn de Ralph Burns par le Second Herd de Woody Herman. Ce repas fut aussi l’occasion de faire plus ample connaissance avec Sylvain Romano que je considérais déjà comme l’une des plus belles découvertes de la contrebasse française de ces dernières années. De l’autre côté de la table, l’œil malicieux de Jean-Pierre Arnaud qui ce matin quittait Bordeaux à l’aube pour rejoindre Virginie Teychené et Gérard Maurin avec qui il se produit ce soir 6 avril à l’AJMI d’Avignon. Les Avignonnais sont des veinards !

Franck Bergerot

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Jazz et vin, jazz et classique, deux archétypes qu’explorait hier le trio de Lionel Belmondo dans l’une des “chapelles ardentes” que constituent les chais du Château Palmer à Margaux, invité par le maître des lieux, Thomas Duroux et son équipe, pour célébrer le millésime 2012 de ses deux vins Château Palmer et Alter Ego.

 

 

Château Palmer, Margaux (33), le 5 avril 2013.

 

Lionel Belmondo (saxes sopranos et ténor, flûte traversière, flûtes de bambou), Sylvain Romano (contrebasse), Jean-Pierre Arnaud (batterie).

 

Jazz et vin, voilà un classique du métier dont j’use avec discrétion, le vocabulaire technique et la paralittérature du vin, qu’il m’est arrivé d’apprécier dans la bouche des vignerons et sous la plume de certains de mes confrères spécialisés, méritant mieux que les facilités métaphoriques des néophytes dont je suis et tournant vite au ridicule dans les salons où l’on cause. Tout comme, si je me suis bien amusé sur des pages antérieures de ce blog à accompagner mes chroniques d’aventures de chats philosophes, de fantômes et de lits montés sur rail, à part les vraies frites et les galettes saucisses du festival Malguénac, je suis toujours resté discret sur les gourmandises qui ponctuent ici et là la route du jazzman et dont profite son parasite, le chroniqueur, heureuse compensation des barquettes de crudités avalées entre deux trains et du rituel « taboulé-charcuterie » servi dans les coulisses de nombreuses salles. Mais j’ai cru comprendre que ce genre de privilège, au même titre que certains passe-droit et coupe-fil dont bénéficie la critique, pouvait agacer nos lecteurs. « Passe nous le menu et fais ton travail ! » Et, jeune lecteur de Jazz Magazine et Jazz Hot, j’ai moi-même partagé cet agacement face à de vieux ronds de cuir du métier (critique, mais aussi organisateurs de concert invités dans certains rassemblements festivaliers) qui tardaient à quitter le bar ou la table pour le concert, ne daignant gagner la place qu’on leur réservait dans les meilleurs rangs qu’à la seconde partie, voire au rappel.

 

Mais voilà, lorsque l’on a la chance d’être invité par l’un des grands vinificateurs du bordelais et lorsque celui-ci s’avère être un authentique amateur de jazz, on ne va ni bouder son plaisir, ni taire l’invitation qu’il fait chaque année à de grands jazzmen de venir déguster son dernier millésime et à se produire au château. L’habitude en a été prise après la venue en 2010 de Jacky Terrasson auquel ont succédé Michel Portal et Yaron Herman en 2011, Flavio Boltro, Glenn Ferris et Giovanni Mirabassi en 2012.

 

Cette année, flânant sur Qobuz dont il est un adepte, Thomas Duroux a jeté son dévolu sur Lionel Belmondo et son trio. Pour un concert privé, certes, mais dont on ne vous laissera pas que les miettes : enregistré et filmé et diffusé en direct, il sera, dans les heures qui suivent la mise en ligne de cet article, disponible en streaming sur les sites de Qobuz et du Château Palmer.

 

Après avoir traversé une salle de cuves qui fait venir à l’esprit la grandeur des cathédrales, le chai s’apparente à la chapelle ardente par son atmosphère de veille et de recueillement. Là vieillissent de grands vins, patiemment assemblés avec un savoir faire que les musiciens du Belmondo trio ont pu découvrir en visitant le matin même les différentes parcelles du Château Palmer. Et c’est encore habité par cette visite qu’ils étaient invités à improviser sur le millésime 2012 des deux crus du Château Palmer Château Palmer et Alter Ego. Je ne suis pas certain d’en avoir bien sais l’analogie et peut-être faudrait-il être fin musicologue et œnologue pour appréhender tout la saveur de l’exercice, mais tout comme le standard n’est jamais qu’un prétexte, prenons ce jeu pour ce qu’il est et goûtons le plaisir qui en résulte dans la proximité acoustique qui était celle de cet orchestre et de son public dans la sacralité du chai. Proximité dont il faut dire deux mots car les habitués de ce blog savent que je ne fais pas de cadeau aux sonorisateurs et que ce lieu non sonorisé, aussi émouvant soit-il, n’était pas sans poser de problème. Moins pour le spectateur – en dépit d’un manque de précision – ce que pour les musiciens, ce que me confirma l’un d’eux et ce qui expliquera le jeu un peu contraint de Jean-Pierre Arnaud à ceux qui visionneront ce concert sur internet. L’acoustique des lieux du culte est décidément réservée à la monodie.

 

Puisque ce concert est visible par tous, à quoi bon vous raconter ce que vous allez voir et entendre ? Vous constaterez comme moi que la suite consacrée aux deux millésimes à l’honneur entraîna Lionel dans ses derniers retranchements coltraniens (tout comme – si j’ai bien suivi le programme qui m’a été soufflé a posteriori – une composition originale de Christophe Dal Sasso), mais qu’ailleurs c’est une espèce de “promeneur” qui déambula sur sa propre composition Désillusions et parmi quelques thèmes classiques (sur le modèle de son dernier disque), d’un pas qui m’évoqua le Benny Golson de “Free”, admirablement stimulé par l’accompagnement tout à la fois solide et très actif de Sylvain Romano. Peut-être resterez-vous comme moi particulièrement impressionné par cette réduction de la 4ème Symphonie de Brahms à son motif initial, selon une tradition déjà vieille dans le jazz et que magnifia le sextette de John Kirby, il est vrai avec des moyens d’arrangeur là ou Belmondo se place dans la nudité de l’exposé en trio. La déambulation de Belmondo sur la “basse continue” de ses comparses parmi ces quelques notes ouvre un espace immense qui, en creux, nous invite à réentendre Brahms plus que toute tentative de réorchestration.

 

Je passe sur la dégustation et le dîner qui s’en est suivi pour les différentes raisons exposées plus haut, sauf à dire que le “ris de veau de lait juste laqué aux morilles et artichauts croquants” de MM. Nicolas Magie et Olivier Rosa ne ressemble à rien de connu, sinon – jouons le jeu – au Buzzard Song tout de même en moins poignant, adjectif que l’on ne saurait accorder avec le champ gastronomique –, que remonter le temps avec Château Palmer – 2012, 2002 , 1982, 1952 (un an avant ma naissance !) – est une expérience rare, et combien les mots me manquent pour qualifier la grandeur toute particulière du millésime 1982, sauf à le comparer à l’introduction d’Early Autumn de Ralph Burns par le Second Herd de Woody Herman. Ce repas fut aussi l’occasion de faire plus ample connaissance avec Sylvain Romano que je considérais déjà comme l’une des plus belles découvertes de la contrebasse française de ces dernières années. De l’autre côté de la table, l’œil malicieux de Jean-Pierre Arnaud qui ce matin quittait Bordeaux à l’aube pour rejoindre Virginie Teychené et Gérard Maurin avec qui il se produit ce soir 6 avril à l’AJMI d’Avignon. Les Avignonnais sont des veinards !

Franck Bergerot