Retours sur l'Anglet Jazz Festival 2017
Le festival d’Anglet continue de prendre de l’ampleur année après année. Comme les éditions précédentes (il s’agit de la quatrième en 2017, après six années « préparatoires » sous la forme d’une unique journée de concerts en plein air), sa programmation tente de concilier les néophytes comme les amateurs éclairés.
En attendant le début du premier concert auquel j’ai pu assister, mes oreilles traînent parmi les festivaliers. Tous sont unanimes sur la prestation la veille de Capucine Quartet, un groupe de (très) jeunes Bordelais (moyenne d’âge de 22 ans), Grand Prix du Jury 2017 du Tremplin d’Action Jazz Nouvelle Aquitaine. Pascal Ségala, ancien jazz magazinier, me recommande chaudement de suivre le guitariste Thomas Gaucher. Outre leur prestation en concert, les musiciens de Capucine laissent un souvenir ému et généreux de leurs interventions pédagogiques auprès des écoliers et lycéens de la ville. Aux curieux, je recommande donc de jeter une oreille sur le site capucinemusic.com.
Vendredi 23 septembre 2017, Théatre Quintaou, Anglet (64), 22h00
Enrico Pieranunzi Trio
Enrico Pieranunzi (p), Diego Imbert (cb), André Ceccarelli (dm)
« Triologue » est un titre que le pianiste italien donna à plusieurs de ses pièces enregistrées dans les années 1980. Cet art du dialogue à trois, il n’a eu de cesse de le cultiver. Au milieu des années 2000, Enrico Pieranunzi est parvenu à réunir au sein d’un même projet ses deux amours : le jazz et la musique « classique » (avec l’album Enrico Pieranunzi Plays Scarlatti). Alors, il ne s’imaginait sans doute pas à quel point sa carrière développerait cette « conciliation » des deux mondes. Ainsi, après plusieurs albums basés sur les œuvres de compositeurs de la musique de tradition écrite occidentale (Bach, Haendel, Tailleferre, Martinů), son nouveau trio européen fonde-t-il son répertoire exclusivement sur des reprises de « grands classiques ». Si le concert s’ouvre avec un « tube », la Première Gymnopédie d’Erik Satie, la pièce suivante est peu connue – Le Crépuscule de Darius Milhaud –, interprétée dans un esprit bluesy très loosy.
Ce soir, Enrico Pieranunzi a envie de parler. Il explique avec beaucoup d’humour de quelle manière il a adapté telle ou telle pièce, rapporte une anecdote sur les relations entre Franz Liszt et Félix Mendelssohn (fâchés à la vie à cause d’un costume pris par mégarde par le premier et non rendu au second). Bref, l’esprit de la soirée est à la légèreté. Il est fini le temps du Pieranunzi mélancolique dans son expression, celui notamment des enregistrements pour le label italien Egea. Le premier Rêve d’amour de Liszt prend ainsi des couleurs latines, la fameuse « sicilienne » de Bach s’arrange sous ses doigts avec le Saint Thomas de Sonny Rollins, La plus que lente de Debussy tourne à l’improvisation libre (avec clusters et changements incessants de tempo). Si Diego Imbert se révèle un artisan impeccable au service des délicieux caprices du maestro, André Ceccarelli sublime cette fonction. Sans paraître jamais outrepasser son rôle, il magnifie le son d’ensemble, intervient avec justesse, agrémente le tout de nuances qui confèrent au trio d’autant plus de relief.
Le triomphe du trio de Pieranunzi – perceptible autant dans les salves d’applaudissements finaux que dans les commentaires, unanimes, volés dans le hall du Théâtre Quintaou – se révèle d’autant plus méritoire qu’il faisait suite à la prestation d’une vocaliste. Si j’ai un faible de plus en plus prononcé pour les batteurs, je continue de me considérer comme incompétent pour juger des prestations vocales. De celle de Mathilde et de son trio, je peux simplement affirmer qu’elle fut on ne peut plus honnête. Dans une teinte très chanson française, elle entonna des mélodies aux textes simples sans être indigents, très clairement prononcés, avec une intonation sans imprécision. Tout cela n’est déjà pas si mal par les temps qui courent…! De plus, elle était remarquablement soutenue notamment par le très bradmehldien Alexis Pivot (Vladimir Médail et Etienne Renard tenaient respectivement la guitare et la batterie). J’ai même fini par arrêter de m’interroger sur la valeur d’une telle musique à deux ou trois reprises, ce qui signifie que la musique, s’imposant à moi, fut alors du meilleur aloi.
Le lendemain, pour la troisième et dernière soirée du festival de jazz d’Anglet avant la demi journée en plein air, deux guitaristes français partageaint l’affiche : un héros du jazz fusion des années 1990 converti au flamenco, et un guitariste doué parvenu à maturité au point d’entraîner quelques étoiles du jazz dans son sillon.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 20h30
FOX invite Chris Cheek
Chris Cheek (ss, ts), Pierre Perchaud (g), Nicolas Moreaux (cb), Jorge Rossi (dm)
A la vérité, FOX évolue sous la co-direction de Pierre Perchaud et de Nicolas Moreaux, à telle enseigne que toutes les compositions du répertoire qui constituent leur nouvel album (sortie prévue le 6 octobre) ont été réalisées en collaboration. Toutes trouvent leur source d’inspiration dans La Nouvelle-Orléans. Il aura fallu que Pierre Perchaud indique cette précision lors d’une présentation pour en prendre conscience. Sans les quelques mots du guitariste, jamais Oh When the Saints Go Marching in ne me serait venu à l’esprit au sujet du « Syntax » de Chris Cheek alors que cette pièce d’une haute complexité a pour base le fameux standard. De la même manière, « Pelican Blues » de l’accordéoniste zydeco Clifton Chenier, se retrouva grimé d’une harmonisation résultant de l’emploi des modes de Messiaen par Chris Cheek. J’avais entendu le plus grand bien de Pierre Perchaud avant de l’écouter pour la première fois en concert lors de cette soirée. Ses réalisations furent à la hauteur de sa réputation : son électrique envoûtant (évoquant quelque peu Kurt Rosenwinkel, dont il connaît parfaitement la musique), imagination musicale servie par une haute technicité (ses arpèges sur « Fox on the Run » n’ont pas grand chose à envier au « Still Motion » [sur l’album Oceana] de Ben Monder), grande fluidité au profit d’un discours hautement mélodique, une sûreté rythmique confondante, bien sûr, sont quelques-unes des qualités de Pierre Perchaud, qualités gouvernées par un goût sûr qui lui donne l’assurance de ne verser ni dans l’excès, ni dans le démonstratif. Il n’est de fait guère étonnant que Nicolas Moreaux et lui soient devenus partenaires de longue date. Possédant des qualités identiques, ces deux-là étaient faits pour jouer ensemble. Que Chris Cheek se retrouve à leur côté s’impose de la même manière comme une évidence. Et d’abord parce qu’il est, lui aussi, un grand mélodiste. Il faudrait, un jour, que l’on définisse enfin ce terme que, par facilité, on emploie très souvent sans trop savoir ce qu’il recouvre précisément. A l’exemple de Chris Cheek, disons que pour être mélodiste, il ne s’agit pas simplement d’improviser de belles lignes mélodiques. Si une suite de notes formant « mélodie » est, bien entendu, la base pour atteindre au mélodisme, il faut ajouter le phrasé, et plus encore peut-être le timbre. En ce dernier domaine, Chris Cheek développe une approche sonore du saxophone assez inédite en ce sens qu’il est bien difficile de déterminer une filiation à laquelle on pourrait (là aussi par facilité) le rattacher. Son son est riche d’harmoniques qu’il fait résonner selon telle ou telle tessiture, faisant un usage très discret mais varié du vibrato. C’est néanmoins le batteur qui, encore une fois pour ce qui me concerne, me transporta le plus. Jorge Rossi possède la faculté d’exprimer un pattern sans le donner à entendre deux fois de manière identique. Autrement dit, il improvise tout le temps, qu’il soit soliste ou soutien. Comme me le faisait remarquer Philippe Vincent présent sur le festival, il possède l’art rare de propulser ses partenaires vers l’avant, de les « pousser au derrière » selon l’expression populaire, sans pour cela user de puissance ni forcer le trait. Jorge Rossi possède en effet l’art de la nuance juste, don précieux s’il en est pour un batteur.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 22h30
Louis Winsberg Jaleo 3
Sabrina Romero (vx, perc, danse), Alberto Garcia (g, vx), Louis Winsberg (g, saz, mandoline), Cédric Baud (saz, g, mandoline), Stéphane Edouard (perc).
Cela fait 17 ans que Louis Winsberg approfondit sa passion pour le flamenco au sein de sa formation Jaleo. Il la doit à Paco de Lucía auquel il rend une sorte d’hommage dans son dernier projet qu’il présentait au public d’Anglet. La musique qu’il imagine s’apparente à une sorte de « world-flamenco » aux teintes jazz – pas facile d’éviter les étiquettes réductrices (une erreur de frappe sur le clavier m’avait d’abord fait écrire « réductroces », comme « atroce ») pour évoquer la nature d’une musique… Quoi qu’il en soit, son spectacle propose des numéros d’une grande variété. Outre ses introductions en solo aux harmonies sophistiquées, Louis Winsberg a produit plusieurs duos avec Cédric Baud sur des instruments conçus par le luthier Hervé Prudent s’inspirant du saz turc (pour en faire des basses) ou de la mandoline (au format « piccolo »). En duo ou au cours de ses improvisations, il fut curieux de percevoir quelques légères effluves de ce qui faisait la particularité de Louis Winsberg au sein de Sixun. Loin d’être un défaut, cela confirme au contraire combien le guitariste français possède sa griffe personnelle. Le temps fort de la performance arriva lorsque Sabrina Romero se mit à danser. Forte d’un sens rythmique puissant (outre une voix irrésistible), ses improvisations dansées hypnotisèrent littéralement le public du théâtre Quintaou. Dominée par des claquements de talon, sa création m’évoqua autant le flamenco que les claquettes états-uniennes ou certaines danses de talon irlandaises – sans doute par manque de culture de ma part. Elle fut époustouflante de précision rythmique (je me retrouvais d’ailleurs souvent « à l’envers » au cours du concert) réussissant à créer de véritables petits moments dramatiques par vagues de tension/détente faisant désirer une résolution finale.
Le Jaleo de Louis Winsberg eut droit à une standing ovation en fin de spectacle – la deuxième fois dans l’histoire du festival selon les organisateurs, après celle de Dhafer Youssef il y a deux ans !
Le Dimanche 24 septembre, au Jardin d’Ansbach (derrière la mairie d’Anglet), trois formations se produisirent au cours d’un après-midi de « jazz sur l’herbe ». Par la faute d’un retour en train trop tôt programmé, je ne pus entendre que quelques notes du quintette de Serge Molinier – pianiste possédant une belle plume comme on pourra s’en rendre compte en écoutant son disque en trio Tyamosé Circle de 2014 [www.sergemoulinier.com]). Renseignement pris par téléphone, l’après-midi remporta un grand succès (le beau temps contribuant à la réussite de l’entreprise).|Le festival d’Anglet continue de prendre de l’ampleur année après année. Comme les éditions précédentes (il s’agit de la quatrième en 2017, après six années « préparatoires » sous la forme d’une unique journée de concerts en plein air), sa programmation tente de concilier les néophytes comme les amateurs éclairés.
En attendant le début du premier concert auquel j’ai pu assister, mes oreilles traînent parmi les festivaliers. Tous sont unanimes sur la prestation la veille de Capucine Quartet, un groupe de (très) jeunes Bordelais (moyenne d’âge de 22 ans), Grand Prix du Jury 2017 du Tremplin d’Action Jazz Nouvelle Aquitaine. Pascal Ségala, ancien jazz magazinier, me recommande chaudement de suivre le guitariste Thomas Gaucher. Outre leur prestation en concert, les musiciens de Capucine laissent un souvenir ému et généreux de leurs interventions pédagogiques auprès des écoliers et lycéens de la ville. Aux curieux, je recommande donc de jeter une oreille sur le site capucinemusic.com.
Vendredi 23 septembre 2017, Théatre Quintaou, Anglet (64), 22h00
Enrico Pieranunzi Trio
Enrico Pieranunzi (p), Diego Imbert (cb), André Ceccarelli (dm)
« Triologue » est un titre que le pianiste italien donna à plusieurs de ses pièces enregistrées dans les années 1980. Cet art du dialogue à trois, il n’a eu de cesse de le cultiver. Au milieu des années 2000, Enrico Pieranunzi est parvenu à réunir au sein d’un même projet ses deux amours : le jazz et la musique « classique » (avec l’album Enrico Pieranunzi Plays Scarlatti). Alors, il ne s’imaginait sans doute pas à quel point sa carrière développerait cette « conciliation » des deux mondes. Ainsi, après plusieurs albums basés sur les œuvres de compositeurs de la musique de tradition écrite occidentale (Bach, Haendel, Tailleferre, Martinů), son nouveau trio européen fonde-t-il son répertoire exclusivement sur des reprises de « grands classiques ». Si le concert s’ouvre avec un « tube », la Première Gymnopédie d’Erik Satie, la pièce suivante est peu connue – Le Crépuscule de Darius Milhaud –, interprétée dans un esprit bluesy très loosy.
Ce soir, Enrico Pieranunzi a envie de parler. Il explique avec beaucoup d’humour de quelle manière il a adapté telle ou telle pièce, rapporte une anecdote sur les relations entre Franz Liszt et Félix Mendelssohn (fâchés à la vie à cause d’un costume pris par mégarde par le premier et non rendu au second). Bref, l’esprit de la soirée est à la légèreté. Il est fini le temps du Pieranunzi mélancolique dans son expression, celui notamment des enregistrements pour le label italien Egea. Le premier Rêve d’amour de Liszt prend ainsi des couleurs latines, la fameuse « sicilienne » de Bach s’arrange sous ses doigts avec le Saint Thomas de Sonny Rollins, La plus que lente de Debussy tourne à l’improvisation libre (avec clusters et changements incessants de tempo). Si Diego Imbert se révèle un artisan impeccable au service des délicieux caprices du maestro, André Ceccarelli sublime cette fonction. Sans paraître jamais outrepasser son rôle, il magnifie le son d’ensemble, intervient avec justesse, agrémente le tout de nuances qui confèrent au trio d’autant plus de relief.
Le triomphe du trio de Pieranunzi – perceptible autant dans les salves d’applaudissements finaux que dans les commentaires, unanimes, volés dans le hall du Théâtre Quintaou – se révèle d’autant plus méritoire qu’il faisait suite à la prestation d’une vocaliste. Si j’ai un faible de plus en plus prononcé pour les batteurs, je continue de me considérer comme incompétent pour juger des prestations vocales. De celle de Mathilde et de son trio, je peux simplement affirmer qu’elle fut on ne peut plus honnête. Dans une teinte très chanson française, elle entonna des mélodies aux textes simples sans être indigents, très clairement prononcés, avec une intonation sans imprécision. Tout cela n’est déjà pas si mal par les temps qui courent…! De plus, elle était remarquablement soutenue notamment par le très bradmehldien Alexis Pivot (Vladimir Médail et Etienne Renard tenaient respectivement la guitare et la batterie). J’ai même fini par arrêter de m’interroger sur la valeur d’une telle musique à deux ou trois reprises, ce qui signifie que la musique, s’imposant à moi, fut alors du meilleur aloi.
Le lendemain, pour la troisième et dernière soirée du festival de jazz d’Anglet avant la demi journée en plein air, deux guitaristes français partageaint l’affiche : un héros du jazz fusion des années 1990 converti au flamenco, et un guitariste doué parvenu à maturité au point d’entraîner quelques étoiles du jazz dans son sillon.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 20h30
FOX invite Chris Cheek
Chris Cheek (ss, ts), Pierre Perchaud (g), Nicolas Moreaux (cb), Jorge Rossi (dm)
A la vérité, FOX évolue sous la co-direction de Pierre Perchaud et de Nicolas Moreaux, à telle enseigne que toutes les compositions du répertoire qui constituent leur nouvel album (sortie prévue le 6 octobre) ont été réalisées en collaboration. Toutes trouvent leur source d’inspiration dans La Nouvelle-Orléans. Il aura fallu que Pierre Perchaud indique cette précision lors d’une présentation pour en prendre conscience. Sans les quelques mots du guitariste, jamais Oh When the Saints Go Marching in ne me serait venu à l’esprit au sujet du « Syntax » de Chris Cheek alors que cette pièce d’une haute complexité a pour base le fameux standard. De la même manière, « Pelican Blues » de l’accordéoniste zydeco Clifton Chenier, se retrouva grimé d’une harmonisation résultant de l’emploi des modes de Messiaen par Chris Cheek. J’avais entendu le plus grand bien de Pierre Perchaud avant de l’écouter pour la première fois en concert lors de cette soirée. Ses réalisations furent à la hauteur de sa réputation : son électrique envoûtant (évoquant quelque peu Kurt Rosenwinkel, dont il connaît parfaitement la musique), imagination musicale servie par une haute technicité (ses arpèges sur « Fox on the Run » n’ont pas grand chose à envier au « Still Motion » [sur l’album Oceana] de Ben Monder), grande fluidité au profit d’un discours hautement mélodique, une sûreté rythmique confondante, bien sûr, sont quelques-unes des qualités de Pierre Perchaud, qualités gouvernées par un goût sûr qui lui donne l’assurance de ne verser ni dans l’excès, ni dans le démonstratif. Il n’est de fait guère étonnant que Nicolas Moreaux et lui soient devenus partenaires de longue date. Possédant des qualités identiques, ces deux-là étaient faits pour jouer ensemble. Que Chris Cheek se retrouve à leur côté s’impose de la même manière comme une évidence. Et d’abord parce qu’il est, lui aussi, un grand mélodiste. Il faudrait, un jour, que l’on définisse enfin ce terme que, par facilité, on emploie très souvent sans trop savoir ce qu’il recouvre précisément. A l’exemple de Chris Cheek, disons que pour être mélodiste, il ne s’agit pas simplement d’improviser de belles lignes mélodiques. Si une suite de notes formant « mélodie » est, bien entendu, la base pour atteindre au mélodisme, il faut ajouter le phrasé, et plus encore peut-être le timbre. En ce dernier domaine, Chris Cheek développe une approche sonore du saxophone assez inédite en ce sens qu’il est bien difficile de déterminer une filiation à laquelle on pourrait (là aussi par facilité) le rattacher. Son son est riche d’harmoniques qu’il fait résonner selon telle ou telle tessiture, faisant un usage très discret mais varié du vibrato. C’est néanmoins le batteur qui, encore une fois pour ce qui me concerne, me transporta le plus. Jorge Rossi possède la faculté d’exprimer un pattern sans le donner à entendre deux fois de manière identique. Autrement dit, il improvise tout le temps, qu’il soit soliste ou soutien. Comme me le faisait remarquer Philippe Vincent présent sur le festival, il possède l’art rare de propulser ses partenaires vers l’avant, de les « pousser au derrière » selon l’expression populaire, sans pour cela user de puissance ni forcer le trait. Jorge Rossi possède en effet l’art de la nuance juste, don précieux s’il en est pour un batteur.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 22h30
Louis Winsberg Jaleo 3
Sabrina Romero (vx, perc, danse), Alberto Garcia (g, vx), Louis Winsberg (g, saz, mandoline), Cédric Baud (saz, g, mandoline), Stéphane Edouard (perc).
Cela fait 17 ans que Louis Winsberg approfondit sa passion pour le flamenco au sein de sa formation Jaleo. Il la doit à Paco de Lucía auquel il rend une sorte d’hommage dans son dernier projet qu’il présentait au public d’Anglet. La musique qu’il imagine s’apparente à une sorte de « world-flamenco » aux teintes jazz – pas facile d’éviter les étiquettes réductrices (une erreur de frappe sur le clavier m’avait d’abord fait écrire « réductroces », comme « atroce ») pour évoquer la nature d’une musique… Quoi qu’il en soit, son spectacle propose des numéros d’une grande variété. Outre ses introductions en solo aux harmonies sophistiquées, Louis Winsberg a produit plusieurs duos avec Cédric Baud sur des instruments conçus par le luthier Hervé Prudent s’inspirant du saz turc (pour en faire des basses) ou de la mandoline (au format « piccolo »). En duo ou au cours de ses improvisations, il fut curieux de percevoir quelques légères effluves de ce qui faisait la particularité de Louis Winsberg au sein de Sixun. Loin d’être un défaut, cela confirme au contraire combien le guitariste français possède sa griffe personnelle. Le temps fort de la performance arriva lorsque Sabrina Romero se mit à danser. Forte d’un sens rythmique puissant (outre une voix irrésistible), ses improvisations dansées hypnotisèrent littéralement le public du théâtre Quintaou. Dominée par des claquements de talon, sa création m’évoqua autant le flamenco que les claquettes états-uniennes ou certaines danses de talon irlandaises – sans doute par manque de culture de ma part. Elle fut époustouflante de précision rythmique (je me retrouvais d’ailleurs souvent « à l’envers » au cours du concert) réussissant à créer de véritables petits moments dramatiques par vagues de tension/détente faisant désirer une résolution finale.
Le Jaleo de Louis Winsberg eut droit à une standing ovation en fin de spectacle – la deuxième fois dans l’histoire du festival selon les organisateurs, après celle de Dhafer Youssef il y a deux ans !
Le Dimanche 24 septembre, au Jardin d’Ansbach (derrière la mairie d’Anglet), trois formations se produisirent au cours d’un après-midi de « jazz sur l’herbe ». Par la faute d’un retour en train trop tôt programmé, je ne pus entendre que quelques notes du quintette de Serge Molinier – pianiste possédant une belle plume comme on pourra s’en rendre compte en écoutant son disque en trio Tyamosé Circle de 2014 [www.sergemoulinier.com]). Renseignement pris par téléphone, l’après-midi remporta un grand succès (le beau temps contribuant à la réussite de l’entreprise).|Le festival d’Anglet continue de prendre de l’ampleur année après année. Comme les éditions précédentes (il s’agit de la quatrième en 2017, après six années « préparatoires » sous la forme d’une unique journée de concerts en plein air), sa programmation tente de concilier les néophytes comme les amateurs éclairés.
En attendant le début du premier concert auquel j’ai pu assister, mes oreilles traînent parmi les festivaliers. Tous sont unanimes sur la prestation la veille de Capucine Quartet, un groupe de (très) jeunes Bordelais (moyenne d’âge de 22 ans), Grand Prix du Jury 2017 du Tremplin d’Action Jazz Nouvelle Aquitaine. Pascal Ségala, ancien jazz magazinier, me recommande chaudement de suivre le guitariste Thomas Gaucher. Outre leur prestation en concert, les musiciens de Capucine laissent un souvenir ému et généreux de leurs interventions pédagogiques auprès des écoliers et lycéens de la ville. Aux curieux, je recommande donc de jeter une oreille sur le site capucinemusic.com.
Vendredi 23 septembre 2017, Théatre Quintaou, Anglet (64), 22h00
Enrico Pieranunzi Trio
Enrico Pieranunzi (p), Diego Imbert (cb), André Ceccarelli (dm)
« Triologue » est un titre que le pianiste italien donna à plusieurs de ses pièces enregistrées dans les années 1980. Cet art du dialogue à trois, il n’a eu de cesse de le cultiver. Au milieu des années 2000, Enrico Pieranunzi est parvenu à réunir au sein d’un même projet ses deux amours : le jazz et la musique « classique » (avec l’album Enrico Pieranunzi Plays Scarlatti). Alors, il ne s’imaginait sans doute pas à quel point sa carrière développerait cette « conciliation » des deux mondes. Ainsi, après plusieurs albums basés sur les œuvres de compositeurs de la musique de tradition écrite occidentale (Bach, Haendel, Tailleferre, Martinů), son nouveau trio européen fonde-t-il son répertoire exclusivement sur des reprises de « grands classiques ». Si le concert s’ouvre avec un « tube », la Première Gymnopédie d’Erik Satie, la pièce suivante est peu connue – Le Crépuscule de Darius Milhaud –, interprétée dans un esprit bluesy très loosy.
Ce soir, Enrico Pieranunzi a envie de parler. Il explique avec beaucoup d’humour de quelle manière il a adapté telle ou telle pièce, rapporte une anecdote sur les relations entre Franz Liszt et Félix Mendelssohn (fâchés à la vie à cause d’un costume pris par mégarde par le premier et non rendu au second). Bref, l’esprit de la soirée est à la légèreté. Il est fini le temps du Pieranunzi mélancolique dans son expression, celui notamment des enregistrements pour le label italien Egea. Le premier Rêve d’amour de Liszt prend ainsi des couleurs latines, la fameuse « sicilienne » de Bach s’arrange sous ses doigts avec le Saint Thomas de Sonny Rollins, La plus que lente de Debussy tourne à l’improvisation libre (avec clusters et changements incessants de tempo). Si Diego Imbert se révèle un artisan impeccable au service des délicieux caprices du maestro, André Ceccarelli sublime cette fonction. Sans paraître jamais outrepasser son rôle, il magnifie le son d’ensemble, intervient avec justesse, agrémente le tout de nuances qui confèrent au trio d’autant plus de relief.
Le triomphe du trio de Pieranunzi – perceptible autant dans les salves d’applaudissements finaux que dans les commentaires, unanimes, volés dans le hall du Théâtre Quintaou – se révèle d’autant plus méritoire qu’il faisait suite à la prestation d’une vocaliste. Si j’ai un faible de plus en plus prononcé pour les batteurs, je continue de me considérer comme incompétent pour juger des prestations vocales. De celle de Mathilde et de son trio, je peux simplement affirmer qu’elle fut on ne peut plus honnête. Dans une teinte très chanson française, elle entonna des mélodies aux textes simples sans être indigents, très clairement prononcés, avec une intonation sans imprécision. Tout cela n’est déjà pas si mal par les temps qui courent…! De plus, elle était remarquablement soutenue notamment par le très bradmehldien Alexis Pivot (Vladimir Médail et Etienne Renard tenaient respectivement la guitare et la batterie). J’ai même fini par arrêter de m’interroger sur la valeur d’une telle musique à deux ou trois reprises, ce qui signifie que la musique, s’imposant à moi, fut alors du meilleur aloi.
Le lendemain, pour la troisième et dernière soirée du festival de jazz d’Anglet avant la demi journée en plein air, deux guitaristes français partageaint l’affiche : un héros du jazz fusion des années 1990 converti au flamenco, et un guitariste doué parvenu à maturité au point d’entraîner quelques étoiles du jazz dans son sillon.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 20h30
FOX invite Chris Cheek
Chris Cheek (ss, ts), Pierre Perchaud (g), Nicolas Moreaux (cb), Jorge Rossi (dm)
A la vérité, FOX évolue sous la co-direction de Pierre Perchaud et de Nicolas Moreaux, à telle enseigne que toutes les compositions du répertoire qui constituent leur nouvel album (sortie prévue le 6 octobre) ont été réalisées en collaboration. Toutes trouvent leur source d’inspiration dans La Nouvelle-Orléans. Il aura fallu que Pierre Perchaud indique cette précision lors d’une présentation pour en prendre conscience. Sans les quelques mots du guitariste, jamais Oh When the Saints Go Marching in ne me serait venu à l’esprit au sujet du « Syntax » de Chris Cheek alors que cette pièce d’une haute complexité a pour base le fameux standard. De la même manière, « Pelican Blues » de l’accordéoniste zydeco Clifton Chenier, se retrouva grimé d’une harmonisation résultant de l’emploi des modes de Messiaen par Chris Cheek. J’avais entendu le plus grand bien de Pierre Perchaud avant de l’écouter pour la première fois en concert lors de cette soirée. Ses réalisations furent à la hauteur de sa réputation : son électrique envoûtant (évoquant quelque peu Kurt Rosenwinkel, dont il connaît parfaitement la musique), imagination musicale servie par une haute technicité (ses arpèges sur « Fox on the Run » n’ont pas grand chose à envier au « Still Motion » [sur l’album Oceana] de Ben Monder), grande fluidité au profit d’un discours hautement mélodique, une sûreté rythmique confondante, bien sûr, sont quelques-unes des qualités de Pierre Perchaud, qualités gouvernées par un goût sûr qui lui donne l’assurance de ne verser ni dans l’excès, ni dans le démonstratif. Il n’est de fait guère étonnant que Nicolas Moreaux et lui soient devenus partenaires de longue date. Possédant des qualités identiques, ces deux-là étaient faits pour jouer ensemble. Que Chris Cheek se retrouve à leur côté s’impose de la même manière comme une évidence. Et d’abord parce qu’il est, lui aussi, un grand mélodiste. Il faudrait, un jour, que l’on définisse enfin ce terme que, par facilité, on emploie très souvent sans trop savoir ce qu’il recouvre précisément. A l’exemple de Chris Cheek, disons que pour être mélodiste, il ne s’agit pas simplement d’improviser de belles lignes mélodiques. Si une suite de notes formant « mélodie » est, bien entendu, la base pour atteindre au mélodisme, il faut ajouter le phrasé, et plus encore peut-être le timbre. En ce dernier domaine, Chris Cheek développe une approche sonore du saxophone assez inédite en ce sens qu’il est bien difficile de déterminer une filiation à laquelle on pourrait (là aussi par facilité) le rattacher. Son son est riche d’harmoniques qu’il fait résonner selon telle ou telle tessiture, faisant un usage très discret mais varié du vibrato. C’est néanmoins le batteur qui, encore une fois pour ce qui me concerne, me transporta le plus. Jorge Rossi possède la faculté d’exprimer un pattern sans le donner à entendre deux fois de manière identique. Autrement dit, il improvise tout le temps, qu’il soit soliste ou soutien. Comme me le faisait remarquer Philippe Vincent présent sur le festival, il possède l’art rare de propulser ses partenaires vers l’avant, de les « pousser au derrière » selon l’expression populaire, sans pour cela user de puissance ni forcer le trait. Jorge Rossi possède en effet l’art de la nuance juste, don précieux s’il en est pour un batteur.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 22h30
Louis Winsberg Jaleo 3
Sabrina Romero (vx, perc, danse), Alberto Garcia (g, vx), Louis Winsberg (g, saz, mandoline), Cédric Baud (saz, g, mandoline), Stéphane Edouard (perc).
Cela fait 17 ans que Louis Winsberg approfondit sa passion pour le flamenco au sein de sa formation Jaleo. Il la doit à Paco de Lucía auquel il rend une sorte d’hommage dans son dernier projet qu’il présentait au public d’Anglet. La musique qu’il imagine s’apparente à une sorte de « world-flamenco » aux teintes jazz – pas facile d’éviter les étiquettes réductrices (une erreur de frappe sur le clavier m’avait d’abord fait écrire « réductroces », comme « atroce ») pour évoquer la nature d’une musique… Quoi qu’il en soit, son spectacle propose des numéros d’une grande variété. Outre ses introductions en solo aux harmonies sophistiquées, Louis Winsberg a produit plusieurs duos avec Cédric Baud sur des instruments conçus par le luthier Hervé Prudent s’inspirant du saz turc (pour en faire des basses) ou de la mandoline (au format « piccolo »). En duo ou au cours de ses improvisations, il fut curieux de percevoir quelques légères effluves de ce qui faisait la particularité de Louis Winsberg au sein de Sixun. Loin d’être un défaut, cela confirme au contraire combien le guitariste français possède sa griffe personnelle. Le temps fort de la performance arriva lorsque Sabrina Romero se mit à danser. Forte d’un sens rythmique puissant (outre une voix irrésistible), ses improvisations dansées hypnotisèrent littéralement le public du théâtre Quintaou. Dominée par des claquements de talon, sa création m’évoqua autant le flamenco que les claquettes états-uniennes ou certaines danses de talon irlandaises – sans doute par manque de culture de ma part. Elle fut époustouflante de précision rythmique (je me retrouvais d’ailleurs souvent « à l’envers » au cours du concert) réussissant à créer de véritables petits moments dramatiques par vagues de tension/détente faisant désirer une résolution finale.
Le Jaleo de Louis Winsberg eut droit à une standing ovation en fin de spectacle – la deuxième fois dans l’histoire du festival selon les organisateurs, après celle de Dhafer Youssef il y a deux ans !
Le Dimanche 24 septembre, au Jardin d’Ansbach (derrière la mairie d’Anglet), trois formations se produisirent au cours d’un après-midi de « jazz sur l’herbe ». Par la faute d’un retour en train trop tôt programmé, je ne pus entendre que quelques notes du quintette de Serge Molinier – pianiste possédant une belle plume comme on pourra s’en rendre compte en écoutant son disque en trio Tyamosé Circle de 2014 [www.sergemoulinier.com]). Renseignement pris par téléphone, l’après-midi remporta un grand succès (le beau temps contribuant à la réussite de l’entreprise).|Le festival d’Anglet continue de prendre de l’ampleur année après année. Comme les éditions précédentes (il s’agit de la quatrième en 2017, après six années « préparatoires » sous la forme d’une unique journée de concerts en plein air), sa programmation tente de concilier les néophytes comme les amateurs éclairés.
En attendant le début du premier concert auquel j’ai pu assister, mes oreilles traînent parmi les festivaliers. Tous sont unanimes sur la prestation la veille de Capucine Quartet, un groupe de (très) jeunes Bordelais (moyenne d’âge de 22 ans), Grand Prix du Jury 2017 du Tremplin d’Action Jazz Nouvelle Aquitaine. Pascal Ségala, ancien jazz magazinier, me recommande chaudement de suivre le guitariste Thomas Gaucher. Outre leur prestation en concert, les musiciens de Capucine laissent un souvenir ému et généreux de leurs interventions pédagogiques auprès des écoliers et lycéens de la ville. Aux curieux, je recommande donc de jeter une oreille sur le site capucinemusic.com.
Vendredi 23 septembre 2017, Théatre Quintaou, Anglet (64), 22h00
Enrico Pieranunzi Trio
Enrico Pieranunzi (p), Diego Imbert (cb), André Ceccarelli (dm)
« Triologue » est un titre que le pianiste italien donna à plusieurs de ses pièces enregistrées dans les années 1980. Cet art du dialogue à trois, il n’a eu de cesse de le cultiver. Au milieu des années 2000, Enrico Pieranunzi est parvenu à réunir au sein d’un même projet ses deux amours : le jazz et la musique « classique » (avec l’album Enrico Pieranunzi Plays Scarlatti). Alors, il ne s’imaginait sans doute pas à quel point sa carrière développerait cette « conciliation » des deux mondes. Ainsi, après plusieurs albums basés sur les œuvres de compositeurs de la musique de tradition écrite occidentale (Bach, Haendel, Tailleferre, Martinů), son nouveau trio européen fonde-t-il son répertoire exclusivement sur des reprises de « grands classiques ». Si le concert s’ouvre avec un « tube », la Première Gymnopédie d’Erik Satie, la pièce suivante est peu connue – Le Crépuscule de Darius Milhaud –, interprétée dans un esprit bluesy très loosy.
Ce soir, Enrico Pieranunzi a envie de parler. Il explique avec beaucoup d’humour de quelle manière il a adapté telle ou telle pièce, rapporte une anecdote sur les relations entre Franz Liszt et Félix Mendelssohn (fâchés à la vie à cause d’un costume pris par mégarde par le premier et non rendu au second). Bref, l’esprit de la soirée est à la légèreté. Il est fini le temps du Pieranunzi mélancolique dans son expression, celui notamment des enregistrements pour le label italien Egea. Le premier Rêve d’amour de Liszt prend ainsi des couleurs latines, la fameuse « sicilienne » de Bach s’arrange sous ses doigts avec le Saint Thomas de Sonny Rollins, La plus que lente de Debussy tourne à l’improvisation libre (avec clusters et changements incessants de tempo). Si Diego Imbert se révèle un artisan impeccable au service des délicieux caprices du maestro, André Ceccarelli sublime cette fonction. Sans paraître jamais outrepasser son rôle, il magnifie le son d’ensemble, intervient avec justesse, agrémente le tout de nuances qui confèrent au trio d’autant plus de relief.
Le triomphe du trio de Pieranunzi – perceptible autant dans les salves d’applaudissements finaux que dans les commentaires, unanimes, volés dans le hall du Théâtre Quintaou – se révèle d’autant plus méritoire qu’il faisait suite à la prestation d’une vocaliste. Si j’ai un faible de plus en plus prononcé pour les batteurs, je continue de me considérer comme incompétent pour juger des prestations vocales. De celle de Mathilde et de son trio, je peux simplement affirmer qu’elle fut on ne peut plus honnête. Dans une teinte très chanson française, elle entonna des mélodies aux textes simples sans être indigents, très clairement prononcés, avec une intonation sans imprécision. Tout cela n’est déjà pas si mal par les temps qui courent…! De plus, elle était remarquablement soutenue notamment par le très bradmehldien Alexis Pivot (Vladimir Médail et Etienne Renard tenaient respectivement la guitare et la batterie). J’ai même fini par arrêter de m’interroger sur la valeur d’une telle musique à deux ou trois reprises, ce qui signifie que la musique, s’imposant à moi, fut alors du meilleur aloi.
Le lendemain, pour la troisième et dernière soirée du festival de jazz d’Anglet avant la demi journée en plein air, deux guitaristes français partageaint l’affiche : un héros du jazz fusion des années 1990 converti au flamenco, et un guitariste doué parvenu à maturité au point d’entraîner quelques étoiles du jazz dans son sillon.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 20h30
FOX invite Chris Cheek
Chris Cheek (ss, ts), Pierre Perchaud (g), Nicolas Moreaux (cb), Jorge Rossi (dm)
A la vérité, FOX évolue sous la co-direction de Pierre Perchaud et de Nicolas Moreaux, à telle enseigne que toutes les compositions du répertoire qui constituent leur nouvel album (sortie prévue le 6 octobre) ont été réalisées en collaboration. Toutes trouvent leur source d’inspiration dans La Nouvelle-Orléans. Il aura fallu que Pierre Perchaud indique cette précision lors d’une présentation pour en prendre conscience. Sans les quelques mots du guitariste, jamais Oh When the Saints Go Marching in ne me serait venu à l’esprit au sujet du « Syntax » de Chris Cheek alors que cette pièce d’une haute complexité a pour base le fameux standard. De la même manière, « Pelican Blues » de l’accordéoniste zydeco Clifton Chenier, se retrouva grimé d’une harmonisation résultant de l’emploi des modes de Messiaen par Chris Cheek. J’avais entendu le plus grand bien de Pierre Perchaud avant de l’écouter pour la première fois en concert lors de cette soirée. Ses réalisations furent à la hauteur de sa réputation : son électrique envoûtant (évoquant quelque peu Kurt Rosenwinkel, dont il connaît parfaitement la musique), imagination musicale servie par une haute technicité (ses arpèges sur « Fox on the Run » n’ont pas grand chose à envier au « Still Motion » [sur l’album Oceana] de Ben Monder), grande fluidité au profit d’un discours hautement mélodique, une sûreté rythmique confondante, bien sûr, sont quelques-unes des qualités de Pierre Perchaud, qualités gouvernées par un goût sûr qui lui donne l’assurance de ne verser ni dans l’excès, ni dans le démonstratif. Il n’est de fait guère étonnant que Nicolas Moreaux et lui soient devenus partenaires de longue date. Possédant des qualités identiques, ces deux-là étaient faits pour jouer ensemble. Que Chris Cheek se retrouve à leur côté s’impose de la même manière comme une évidence. Et d’abord parce qu’il est, lui aussi, un grand mélodiste. Il faudrait, un jour, que l’on définisse enfin ce terme que, par facilité, on emploie très souvent sans trop savoir ce qu’il recouvre précisément. A l’exemple de Chris Cheek, disons que pour être mélodiste, il ne s’agit pas simplement d’improviser de belles lignes mélodiques. Si une suite de notes formant « mélodie » est, bien entendu, la base pour atteindre au mélodisme, il faut ajouter le phrasé, et plus encore peut-être le timbre. En ce dernier domaine, Chris Cheek développe une approche sonore du saxophone assez inédite en ce sens qu’il est bien difficile de déterminer une filiation à laquelle on pourrait (là aussi par facilité) le rattacher. Son son est riche d’harmoniques qu’il fait résonner selon telle ou telle tessiture, faisant un usage très discret mais varié du vibrato. C’est néanmoins le batteur qui, encore une fois pour ce qui me concerne, me transporta le plus. Jorge Rossi possède la faculté d’exprimer un pattern sans le donner à entendre deux fois de manière identique. Autrement dit, il improvise tout le temps, qu’il soit soliste ou soutien. Comme me le faisait remarquer Philippe Vincent présent sur le festival, il possède l’art rare de propulser ses partenaires vers l’avant, de les « pousser au derrière » selon l’expression populaire, sans pour cela user de puissance ni forcer le trait. Jorge Rossi possède en effet l’art de la nuance juste, don précieux s’il en est pour un batteur.
Samedi 23 septembre 2017, Théâtre Quintao, Anglet (64), 22h30
Louis Winsberg Jaleo 3
Sabrina Romero (vx, perc, danse), Alberto Garcia (g, vx), Louis Winsberg (g, saz, mandoline), Cédric Baud (saz, g, mandoline), Stéphane Edouard (perc).
Cela fait 17 ans que Louis Winsberg approfondit sa passion pour le flamenco au sein de sa formation Jaleo. Il la doit à Paco de Lucía auquel il rend une sorte d’hommage dans son dernier projet qu’il présentait au public d’Anglet. La musique qu’il imagine s’apparente à une sorte de « world-flamenco » aux teintes jazz – pas facile d’éviter les étiquettes réductrices (une erreur de frappe sur le clavier m’avait d’abord fait écrire « réductroces », comme « atroce ») pour évoquer la nature d’une musique… Quoi qu’il en soit, son spectacle propose des numéros d’une grande variété. Outre ses introductions en solo aux harmonies sophistiquées, Louis Winsberg a produit plusieurs duos avec Cédric Baud sur des instruments conçus par le luthier Hervé Prudent s’inspirant du saz turc (pour en faire des basses) ou de la mandoline (au format « piccolo »). En duo ou au cours de ses improvisations, il fut curieux de percevoir quelques légères effluves de ce qui faisait la particularité de Louis Winsberg au sein de Sixun. Loin d’être un défaut, cela confirme au contraire combien le guitariste français possède sa griffe personnelle. Le temps fort de la performance arriva lorsque Sabrina Romero se mit à danser. Forte d’un sens rythmique puissant (outre une voix irrésistible), ses improvisations dansées hypnotisèrent littéralement le public du théâtre Quintaou. Dominée par des claquements de talon, sa création m’évoqua autant le flamenco que les claquettes états-uniennes ou certaines danses de talon irlandaises – sans doute par manque de culture de ma part. Elle fut époustouflante de précision rythmique (je me retrouvais d’ailleurs souvent « à l’envers » au cours du concert) réussissant à créer de véritables petits moments dramatiques par vagues de tension/détente faisant désirer une résolution finale.
Le Jaleo de Louis Winsberg eut droit à une standing ovation en fin de spectacle – la deuxième fois dans l’histoire du festival selon les organisateurs, après celle de Dhafer Youssef il y a deux ans !
Le Dimanche 24 septembre, au Jardin d’Ansbach (derrière la mairie d’Anglet), trois formations se produisirent au cours d’un après-midi de « jazz sur l’herbe ». Par la faute d’un retour en train trop tôt programmé, je ne pus entendre que quelques notes du quintette de Serge Molinier – pianiste possédant une belle plume comme on pourra s’en rendre compte en écoutant son disque en trio Tyamosé Circle de 2014 [www.sergemoulinier.com]). Renseignement pris par téléphone, l’après-midi remporta un grand succès (le beau temps contribuant à la réussite de l’entreprise).