Matthieu Donarier Trio célèbre le Caratini Jazz Ensemble
Vingt ans ! C’est l’anniversaire du Caratini Jazz Ensemble que l’on célébrait hier 30 septembre pour le premier concert Jazz sur le Vif de la saison au studio 104 de Radio France. En première partie, le trio de l’un des membres fondateurs de l’orchestre, Matthieu Donarier. Un trio à peine plus jeune.
Jazz sur le Vif, Studio 104, Maison de la Radio, Paris (75), 30 septembre 2107.
Matthieu Donarier (saxophone ténor), Manu Codjia (guitare électrique), Joe Quitzke (batterie).
Ce premier concert Jazz sur le Vif de la saison 2017-2018, série présentée par Arnaud Merlin, aura célébré, outre un anniversaire, la longévité, la fidélité, la constance et l’approfondissement du “sillon”, le “groove” autrement dit, des valeurs assez mésestimées en un temps où le mot “groove” est à la mode, mais où la nouveauté est la règle, quitte à détruire ce que l’on a érigé avant même qu’il ait trouvé son assise, à l’image de ces “grooves” que l’on zappe sur le smartphone sans attendre de saisir le discours musical dont ils sont le support, si toutefois il en est un.
C’est en 1999 que l’on découvrait tout en même temps Matthieu Donarier, ses comparses et son trio. Autrement, c’est au sein de ce trio que le saxophoniste, Manu Codjia et Joe Quitzke ont fait leurs premiers pas reconnus et que, d’emblée, ils nous ont séduits, le 20 juin 1999, sur la scène du Concours national de Jazz de la Défense qu’il remportèrent. Depuis, ils ne se sont plus quittés, livrant de temps à autre des disques rares et précieux, trois en tout, Optictopic, Live Forms et leur dernier Papier Jungle dont ils présentaient le répertoire hier, creusant leur “sillon” toujours plus loin, toujours plus profond.
Une musique onirique, qui donne à rêver tel ce Foggy She Walks, où tout évoque le brouillard et l’égarement, du ténor de brume de Donarier aux polyrythmies de Quitzke estompées de quelques ustensiles ou du plat de la main gauche sur la caisse claire, en passant par les sirènes que fait chanter Manu Codjia à travers les pédales de sa guitare et ces obsédantes lignes de basse qu’il fait “groover” du pouce tout en jouant tout autre chose avec l’index, le majeur et l’annulaire, comme s’il était un orchestre à lui tout seul. Voilà un trio dont on pourrait décrire les compositions, les modes de jeu, les sonorités. Mais comme c’est dimanche matin et que je m’y suis déjà cassé les dents voici un an au Sunside sur ce même répertoire tant tout ici est fluide, liquide, indistinct entre partitions, règle de jouage et improvisation, je dirai que c’est un trio qui nous raconte des histoires, sans tomber dans le narratif à tout crin, peut-être parce qu’il les suscite à notre imagination plus qu’il les raconte : voici un femme qui erre dans la brume, voilà une chasse bride abattue et soudain, chut !, c’est le corps de Wagner qui passe au crépuscule dans Venise, sur une Lugubre gondole… ils jouent ça d’après la partition pour piano de Franz Liszt, et l’on frissonne. Fidélité… c’est leur vieil ami, le saxophoniste Alban Darche, qui signe le dernier titre, d’une plume toujours facétieuse qu’introduit un coquin “groove” slappé du saxophone relayé par le pouce de Codjia, et puis… et bien je ne sais plus. Sinon que sous ce bleu céleste, je vois une partie de marelle sous un ciel radieux. Et toujours cette sonorité et ces lignes mélodiques du saxophone, intensément lyriques.
Caratini Jazz Ensemble : Sara Lazarus (chant), Claude Egea, Pierre Drevet (trompette), Robinson Khoury (trombone), François Bonhomme (cor), François Thuillier (tuba), André Villéger (clarinette, saxes soprano et alto), Matthieu Donarier (clarinettes, saxes soprano et ténor), Rémi Sciuto (flûte, saxes alto et baryton), David Chevallier (guitares acoustique nylon et électrique, banjo), Alain Jean-Marie et Manuel Rocheman (piano), Patrice Caratini (contrebasse, compositions, arrangements, direction), Thomas Grimmonprez (batterie), Sebastian Quezada (percussions).
Ils entrent un à un sur la diffusion du célèbre West End Blues de Louis Armstrong, puis ils enchaînent sur la composition de Cara East End Blues, reprenant les trois derniers accords du Hot Five sur la battue de leur chef comme s’ils remontaient une bobine à l’envers (Claude Egea paraphrasant à la fin du morceau l’introduction d’Armstrong), trois accords qui vont s’épanouir comme les pétales d’une fleur à force de répétitions entre deux brefs butinages de la guitare ou de l’alto. C’est cette capacité d’épanouissement orchestral et harmonique, ce sens de la couleur qui nous fascinera au premier plan tout au long de ce concert, sur un terrain où Caratini a totalement fait sienne la leçon de Gil Evans. S’il l’a fait sienne, c’est au filtre d’une sensibilité qui se dévoile tout au long de ce répertoire forgé au fil des années et des programmes : Darling Nellie Gray autour de Louis Armstrong, Anything Goes autour de Cole Porter, Latinidad et ces couleurs caraïbes qu’il affectionne, Body and Soul composé pour le film muet d’Oscar Michaux, To the Clouds extrait de la Petite Suite pour Django. Un enracinement dans l’Histoire, dans des histoires de musique, où, s’il y a de la nostalgie, c’est dans un élan, un dynamisme, avec une science de l’écriture jusque dans l’abstraction de ces petits formats concertants pour tuba qui ponctuent le programme non sans humour, sens et science de l’abstraction qui laissent pantois chez cet autodidacte formé dans les caves de jazz et les cabarets.
Le programme d’hier était servi par des musiciens dont on sent qu’il les a choisis comme Duke Ellington choisissait ses musiciens, en observant jusqu’à leur façon de jouer au poker, un personnel quasiment inchangé depuis vingt ans (Rémi Sciuto a remplacé Christophe Monniot dans cet esprit de continuité évolutive qui a vu Cootie Williams remplacer Bubber Miley et Paul Gonsalves remplacer Ben Webster) avec toutefois un nouveau venu à un poste clé, celui de Denis Leloup, tromboniste qui, lassé de passer d’une projet à l’autre sans pouvoir le peaufiner, mit Patrice Caratini, voici vingt ans, au défi de faire vivre un orchestre sur la durée. Hier, c’était le jeune Robinson Khoury qui tenait son pupitre, époustouflante révélation de la soirée sur Ory’s Dream, d’après Ory’s Creole Trombone.
Autrefois, Jazz sur le vif c’était tout à la fois une programmation de concerts et une saison de diffusion. Ce n’est plus le cas et la diffusion de cet anniversaire dépend de la bonne volonté d’on ne sait qui. En attendant, on en retrouvera la plus grande partie sur la compilation du Jazz Ensemble “Instants d’Orchestre” que Caratini a concoctée en préparant le programme d’hier (Caramusic / L’Autre Distribution). • Franck Bergerot|Vingt ans ! C’est l’anniversaire du Caratini Jazz Ensemble que l’on célébrait hier 30 septembre pour le premier concert Jazz sur le Vif de la saison au studio 104 de Radio France. En première partie, le trio de l’un des membres fondateurs de l’orchestre, Matthieu Donarier. Un trio à peine plus jeune.
Jazz sur le Vif, Studio 104, Maison de la Radio, Paris (75), 30 septembre 2107.
Matthieu Donarier (saxophone ténor), Manu Codjia (guitare électrique), Joe Quitzke (batterie).
Ce premier concert Jazz sur le Vif de la saison 2017-2018, série présentée par Arnaud Merlin, aura célébré, outre un anniversaire, la longévité, la fidélité, la constance et l’approfondissement du “sillon”, le “groove” autrement dit, des valeurs assez mésestimées en un temps où le mot “groove” est à la mode, mais où la nouveauté est la règle, quitte à détruire ce que l’on a érigé avant même qu’il ait trouvé son assise, à l’image de ces “grooves” que l’on zappe sur le smartphone sans attendre de saisir le discours musical dont ils sont le support, si toutefois il en est un.
C’est en 1999 que l’on découvrait tout en même temps Matthieu Donarier, ses comparses et son trio. Autrement, c’est au sein de ce trio que le saxophoniste, Manu Codjia et Joe Quitzke ont fait leurs premiers pas reconnus et que, d’emblée, ils nous ont séduits, le 20 juin 1999, sur la scène du Concours national de Jazz de la Défense qu’il remportèrent. Depuis, ils ne se sont plus quittés, livrant de temps à autre des disques rares et précieux, trois en tout, Optictopic, Live Forms et leur dernier Papier Jungle dont ils présentaient le répertoire hier, creusant leur “sillon” toujours plus loin, toujours plus profond.
Une musique onirique, qui donne à rêver tel ce Foggy She Walks, où tout évoque le brouillard et l’égarement, du ténor de brume de Donarier aux polyrythmies de Quitzke estompées de quelques ustensiles ou du plat de la main gauche sur la caisse claire, en passant par les sirènes que fait chanter Manu Codjia à travers les pédales de sa guitare et ces obsédantes lignes de basse qu’il fait “groover” du pouce tout en jouant tout autre chose avec l’index, le majeur et l’annulaire, comme s’il était un orchestre à lui tout seul. Voilà un trio dont on pourrait décrire les compositions, les modes de jeu, les sonorités. Mais comme c’est dimanche matin et que je m’y suis déjà cassé les dents voici un an au Sunside sur ce même répertoire tant tout ici est fluide, liquide, indistinct entre partitions, règle de jouage et improvisation, je dirai que c’est un trio qui nous raconte des histoires, sans tomber dans le narratif à tout crin, peut-être parce qu’il les suscite à notre imagination plus qu’il les raconte : voici un femme qui erre dans la brume, voilà une chasse bride abattue et soudain, chut !, c’est le corps de Wagner qui passe au crépuscule dans Venise, sur une Lugubre gondole… ils jouent ça d’après la partition pour piano de Franz Liszt, et l’on frissonne. Fidélité… c’est leur vieil ami, le saxophoniste Alban Darche, qui signe le dernier titre, d’une plume toujours facétieuse qu’introduit un coquin “groove” slappé du saxophone relayé par le pouce de Codjia, et puis… et bien je ne sais plus. Sinon que sous ce bleu céleste, je vois une partie de marelle sous un ciel radieux. Et toujours cette sonorité et ces lignes mélodiques du saxophone, intensément lyriques.
Caratini Jazz Ensemble : Sara Lazarus (chant), Claude Egea, Pierre Drevet (trompette), Robinson Khoury (trombone), François Bonhomme (cor), François Thuillier (tuba), André Villéger (clarinette, saxes soprano et alto), Matthieu Donarier (clarinettes, saxes soprano et ténor), Rémi Sciuto (flûte, saxes alto et baryton), David Chevallier (guitares acoustique nylon et électrique, banjo), Alain Jean-Marie et Manuel Rocheman (piano), Patrice Caratini (contrebasse, compositions, arrangements, direction), Thomas Grimmonprez (batterie), Sebastian Quezada (percussions).
Ils entrent un à un sur la diffusion du célèbre West End Blues de Louis Armstrong, puis ils enchaînent sur la composition de Cara East End Blues, reprenant les trois derniers accords du Hot Five sur la battue de leur chef comme s’ils remontaient une bobine à l’envers (Claude Egea paraphrasant à la fin du morceau l’introduction d’Armstrong), trois accords qui vont s’épanouir comme les pétales d’une fleur à force de répétitions entre deux brefs butinages de la guitare ou de l’alto. C’est cette capacité d’épanouissement orchestral et harmonique, ce sens de la couleur qui nous fascinera au premier plan tout au long de ce concert, sur un terrain où Caratini a totalement fait sienne la leçon de Gil Evans. S’il l’a fait sienne, c’est au filtre d’une sensibilité qui se dévoile tout au long de ce répertoire forgé au fil des années et des programmes : Darling Nellie Gray autour de Louis Armstrong, Anything Goes autour de Cole Porter, Latinidad et ces couleurs caraïbes qu’il affectionne, Body and Soul composé pour le film muet d’Oscar Michaux, To the Clouds extrait de la Petite Suite pour Django. Un enracinement dans l’Histoire, dans des histoires de musique, où, s’il y a de la nostalgie, c’est dans un élan, un dynamisme, avec une science de l’écriture jusque dans l’abstraction de ces petits formats concertants pour tuba qui ponctuent le programme non sans humour, sens et science de l’abstraction qui laissent pantois chez cet autodidacte formé dans les caves de jazz et les cabarets.
Le programme d’hier était servi par des musiciens dont on sent qu’il les a choisis comme Duke Ellington choisissait ses musiciens, en observant jusqu’à leur façon de jouer au poker, un personnel quasiment inchangé depuis vingt ans (Rémi Sciuto a remplacé Christophe Monniot dans cet esprit de continuité évolutive qui a vu Cootie Williams remplacer Bubber Miley et Paul Gonsalves remplacer Ben Webster) avec toutefois un nouveau venu à un poste clé, celui de Denis Leloup, tromboniste qui, lassé de passer d’une projet à l’autre sans pouvoir le peaufiner, mit Patrice Caratini, voici vingt ans, au défi de faire vivre un orchestre sur la durée. Hier, c’était le jeune Robinson Khoury qui tenait son pupitre, époustouflante révélation de la soirée sur Ory’s Dream, d’après Ory’s Creole Trombone.
Autrefois, Jazz sur le vif c’était tout à la fois une programmation de concerts et une saison de diffusion. Ce n’est plus le cas et la diffusion de cet anniversaire dépend de la bonne volonté d’on ne sait qui. En attendant, on en retrouvera la plus grande partie sur la compilation du Jazz Ensemble “Instants d’Orchestre” que Caratini a concoctée en préparant le programme d’hier (Caramusic / L’Autre Distribution). • Franck Bergerot|Vingt ans ! C’est l’anniversaire du Caratini Jazz Ensemble que l’on célébrait hier 30 septembre pour le premier concert Jazz sur le Vif de la saison au studio 104 de Radio France. En première partie, le trio de l’un des membres fondateurs de l’orchestre, Matthieu Donarier. Un trio à peine plus jeune.
Jazz sur le Vif, Studio 104, Maison de la Radio, Paris (75), 30 septembre 2107.
Matthieu Donarier (saxophone ténor), Manu Codjia (guitare électrique), Joe Quitzke (batterie).
Ce premier concert Jazz sur le Vif de la saison 2017-2018, série présentée par Arnaud Merlin, aura célébré, outre un anniversaire, la longévité, la fidélité, la constance et l’approfondissement du “sillon”, le “groove” autrement dit, des valeurs assez mésestimées en un temps où le mot “groove” est à la mode, mais où la nouveauté est la règle, quitte à détruire ce que l’on a érigé avant même qu’il ait trouvé son assise, à l’image de ces “grooves” que l’on zappe sur le smartphone sans attendre de saisir le discours musical dont ils sont le support, si toutefois il en est un.
C’est en 1999 que l’on découvrait tout en même temps Matthieu Donarier, ses comparses et son trio. Autrement, c’est au sein de ce trio que le saxophoniste, Manu Codjia et Joe Quitzke ont fait leurs premiers pas reconnus et que, d’emblée, ils nous ont séduits, le 20 juin 1999, sur la scène du Concours national de Jazz de la Défense qu’il remportèrent. Depuis, ils ne se sont plus quittés, livrant de temps à autre des disques rares et précieux, trois en tout, Optictopic, Live Forms et leur dernier Papier Jungle dont ils présentaient le répertoire hier, creusant leur “sillon” toujours plus loin, toujours plus profond.
Une musique onirique, qui donne à rêver tel ce Foggy She Walks, où tout évoque le brouillard et l’égarement, du ténor de brume de Donarier aux polyrythmies de Quitzke estompées de quelques ustensiles ou du plat de la main gauche sur la caisse claire, en passant par les sirènes que fait chanter Manu Codjia à travers les pédales de sa guitare et ces obsédantes lignes de basse qu’il fait “groover” du pouce tout en jouant tout autre chose avec l’index, le majeur et l’annulaire, comme s’il était un orchestre à lui tout seul. Voilà un trio dont on pourrait décrire les compositions, les modes de jeu, les sonorités. Mais comme c’est dimanche matin et que je m’y suis déjà cassé les dents voici un an au Sunside sur ce même répertoire tant tout ici est fluide, liquide, indistinct entre partitions, règle de jouage et improvisation, je dirai que c’est un trio qui nous raconte des histoires, sans tomber dans le narratif à tout crin, peut-être parce qu’il les suscite à notre imagination plus qu’il les raconte : voici un femme qui erre dans la brume, voilà une chasse bride abattue et soudain, chut !, c’est le corps de Wagner qui passe au crépuscule dans Venise, sur une Lugubre gondole… ils jouent ça d’après la partition pour piano de Franz Liszt, et l’on frissonne. Fidélité… c’est leur vieil ami, le saxophoniste Alban Darche, qui signe le dernier titre, d’une plume toujours facétieuse qu’introduit un coquin “groove” slappé du saxophone relayé par le pouce de Codjia, et puis… et bien je ne sais plus. Sinon que sous ce bleu céleste, je vois une partie de marelle sous un ciel radieux. Et toujours cette sonorité et ces lignes mélodiques du saxophone, intensément lyriques.
Caratini Jazz Ensemble : Sara Lazarus (chant), Claude Egea, Pierre Drevet (trompette), Robinson Khoury (trombone), François Bonhomme (cor), François Thuillier (tuba), André Villéger (clarinette, saxes soprano et alto), Matthieu Donarier (clarinettes, saxes soprano et ténor), Rémi Sciuto (flûte, saxes alto et baryton), David Chevallier (guitares acoustique nylon et électrique, banjo), Alain Jean-Marie et Manuel Rocheman (piano), Patrice Caratini (contrebasse, compositions, arrangements, direction), Thomas Grimmonprez (batterie), Sebastian Quezada (percussions).
Ils entrent un à un sur la diffusion du célèbre West End Blues de Louis Armstrong, puis ils enchaînent sur la composition de Cara East End Blues, reprenant les trois derniers accords du Hot Five sur la battue de leur chef comme s’ils remontaient une bobine à l’envers (Claude Egea paraphrasant à la fin du morceau l’introduction d’Armstrong), trois accords qui vont s’épanouir comme les pétales d’une fleur à force de répétitions entre deux brefs butinages de la guitare ou de l’alto. C’est cette capacité d’épanouissement orchestral et harmonique, ce sens de la couleur qui nous fascinera au premier plan tout au long de ce concert, sur un terrain où Caratini a totalement fait sienne la leçon de Gil Evans. S’il l’a fait sienne, c’est au filtre d’une sensibilité qui se dévoile tout au long de ce répertoire forgé au fil des années et des programmes : Darling Nellie Gray autour de Louis Armstrong, Anything Goes autour de Cole Porter, Latinidad et ces couleurs caraïbes qu’il affectionne, Body and Soul composé pour le film muet d’Oscar Michaux, To the Clouds extrait de la Petite Suite pour Django. Un enracinement dans l’Histoire, dans des histoires de musique, où, s’il y a de la nostalgie, c’est dans un élan, un dynamisme, avec une science de l’écriture jusque dans l’abstraction de ces petits formats concertants pour tuba qui ponctuent le programme non sans humour, sens et science de l’abstraction qui laissent pantois chez cet autodidacte formé dans les caves de jazz et les cabarets.
Le programme d’hier était servi par des musiciens dont on sent qu’il les a choisis comme Duke Ellington choisissait ses musiciens, en observant jusqu’à leur façon de jouer au poker, un personnel quasiment inchangé depuis vingt ans (Rémi Sciuto a remplacé Christophe Monniot dans cet esprit de continuité évolutive qui a vu Cootie Williams remplacer Bubber Miley et Paul Gonsalves remplacer Ben Webster) avec toutefois un nouveau venu à un poste clé, celui de Denis Leloup, tromboniste qui, lassé de passer d’une projet à l’autre sans pouvoir le peaufiner, mit Patrice Caratini, voici vingt ans, au défi de faire vivre un orchestre sur la durée. Hier, c’était le jeune Robinson Khoury qui tenait son pupitre, époustouflante révélation de la soirée sur Ory’s Dream, d’après Ory’s Creole Trombone.
Autrefois, Jazz sur le vif c’était tout à la fois une programmation de concerts et une saison de diffusion. Ce n’est plus le cas et la diffusion de cet anniversaire dépend de la bonne volonté d’on ne sait qui. En attendant, on en retrouvera la plus grande partie sur la compilation du Jazz Ensemble “Instants d’Orchestre” que Caratini a concoctée en préparant le programme d’hier (Caramusic / L’Autre Distribution). • Franck Bergerot|Vingt ans ! C’est l’anniversaire du Caratini Jazz Ensemble que l’on célébrait hier 30 septembre pour le premier concert Jazz sur le Vif de la saison au studio 104 de Radio France. En première partie, le trio de l’un des membres fondateurs de l’orchestre, Matthieu Donarier. Un trio à peine plus jeune.
Jazz sur le Vif, Studio 104, Maison de la Radio, Paris (75), 30 septembre 2107.
Matthieu Donarier (saxophone ténor), Manu Codjia (guitare électrique), Joe Quitzke (batterie).
Ce premier concert Jazz sur le Vif de la saison 2017-2018, série présentée par Arnaud Merlin, aura célébré, outre un anniversaire, la longévité, la fidélité, la constance et l’approfondissement du “sillon”, le “groove” autrement dit, des valeurs assez mésestimées en un temps où le mot “groove” est à la mode, mais où la nouveauté est la règle, quitte à détruire ce que l’on a érigé avant même qu’il ait trouvé son assise, à l’image de ces “grooves” que l’on zappe sur le smartphone sans attendre de saisir le discours musical dont ils sont le support, si toutefois il en est un.
C’est en 1999 que l’on découvrait tout en même temps Matthieu Donarier, ses comparses et son trio. Autrement, c’est au sein de ce trio que le saxophoniste, Manu Codjia et Joe Quitzke ont fait leurs premiers pas reconnus et que, d’emblée, ils nous ont séduits, le 20 juin 1999, sur la scène du Concours national de Jazz de la Défense qu’il remportèrent. Depuis, ils ne se sont plus quittés, livrant de temps à autre des disques rares et précieux, trois en tout, Optictopic, Live Forms et leur dernier Papier Jungle dont ils présentaient le répertoire hier, creusant leur “sillon” toujours plus loin, toujours plus profond.
Une musique onirique, qui donne à rêver tel ce Foggy She Walks, où tout évoque le brouillard et l’égarement, du ténor de brume de Donarier aux polyrythmies de Quitzke estompées de quelques ustensiles ou du plat de la main gauche sur la caisse claire, en passant par les sirènes que fait chanter Manu Codjia à travers les pédales de sa guitare et ces obsédantes lignes de basse qu’il fait “groover” du pouce tout en jouant tout autre chose avec l’index, le majeur et l’annulaire, comme s’il était un orchestre à lui tout seul. Voilà un trio dont on pourrait décrire les compositions, les modes de jeu, les sonorités. Mais comme c’est dimanche matin et que je m’y suis déjà cassé les dents voici un an au Sunside sur ce même répertoire tant tout ici est fluide, liquide, indistinct entre partitions, règle de jouage et improvisation, je dirai que c’est un trio qui nous raconte des histoires, sans tomber dans le narratif à tout crin, peut-être parce qu’il les suscite à notre imagination plus qu’il les raconte : voici un femme qui erre dans la brume, voilà une chasse bride abattue et soudain, chut !, c’est le corps de Wagner qui passe au crépuscule dans Venise, sur une Lugubre gondole… ils jouent ça d’après la partition pour piano de Franz Liszt, et l’on frissonne. Fidélité… c’est leur vieil ami, le saxophoniste Alban Darche, qui signe le dernier titre, d’une plume toujours facétieuse qu’introduit un coquin “groove” slappé du saxophone relayé par le pouce de Codjia, et puis… et bien je ne sais plus. Sinon que sous ce bleu céleste, je vois une partie de marelle sous un ciel radieux. Et toujours cette sonorité et ces lignes mélodiques du saxophone, intensément lyriques.
Caratini Jazz Ensemble : Sara Lazarus (chant), Claude Egea, Pierre Drevet (trompette), Robinson Khoury (trombone), François Bonhomme (cor), François Thuillier (tuba), André Villéger (clarinette, saxes soprano et alto), Matthieu Donarier (clarinettes, saxes soprano et ténor), Rémi Sciuto (flûte, saxes alto et baryton), David Chevallier (guitares acoustique nylon et électrique, banjo), Alain Jean-Marie et Manuel Rocheman (piano), Patrice Caratini (contrebasse, compositions, arrangements, direction), Thomas Grimmonprez (batterie), Sebastian Quezada (percussions).
Ils entrent un à un sur la diffusion du célèbre West End Blues de Louis Armstrong, puis ils enchaînent sur la composition de Cara East End Blues, reprenant les trois derniers accords du Hot Five sur la battue de leur chef comme s’ils remontaient une bobine à l’envers (Claude Egea paraphrasant à la fin du morceau l’introduction d’Armstrong), trois accords qui vont s’épanouir comme les pétales d’une fleur à force de répétitions entre deux brefs butinages de la guitare ou de l’alto. C’est cette capacité d’épanouissement orchestral et harmonique, ce sens de la couleur qui nous fascinera au premier plan tout au long de ce concert, sur un terrain où Caratini a totalement fait sienne la leçon de Gil Evans. S’il l’a fait sienne, c’est au filtre d’une sensibilité qui se dévoile tout au long de ce répertoire forgé au fil des années et des programmes : Darling Nellie Gray autour de Louis Armstrong, Anything Goes autour de Cole Porter, Latinidad et ces couleurs caraïbes qu’il affectionne, Body and Soul composé pour le film muet d’Oscar Michaux, To the Clouds extrait de la Petite Suite pour Django. Un enracinement dans l’Histoire, dans des histoires de musique, où, s’il y a de la nostalgie, c’est dans un élan, un dynamisme, avec une science de l’écriture jusque dans l’abstraction de ces petits formats concertants pour tuba qui ponctuent le programme non sans humour, sens et science de l’abstraction qui laissent pantois chez cet autodidacte formé dans les caves de jazz et les cabarets.
Le programme d’hier était servi par des musiciens dont on sent qu’il les a choisis comme Duke Ellington choisissait ses musiciens, en observant jusqu’à leur façon de jouer au poker, un personnel quasiment inchangé depuis vingt ans (Rémi Sciuto a remplacé Christophe Monniot dans cet esprit de continuité évolutive qui a vu Cootie Williams remplacer Bubber Miley et Paul Gonsalves remplacer Ben Webster) avec toutefois un nouveau venu à un poste clé, celui de Denis Leloup, tromboniste qui, lassé de passer d’une projet à l’autre sans pouvoir le peaufiner, mit Patrice Caratini, voici vingt ans, au défi de faire vivre un orchestre sur la durée. Hier, c’était le jeune Robinson Khoury qui tenait son pupitre, époustouflante révélation de la soirée sur Ory’s Dream, d’après Ory’s Creole Trombone.
Autrefois, Jazz sur le vif c’était tout à la fois une programmation de concerts et une saison de diffusion. Ce n’est plus le cas et la diffusion de cet anniversaire dépend de la bonne volonté d’on ne sait qui. En attendant, on en retrouvera la plus grande partie sur la compilation du Jazz Ensemble “Instants d’Orchestre” que Caratini a concoctée en préparant le programme d’hier (Caramusic / L’Autre Distribution). • Franck Bergerot