Jazz Fest Berlin 2017 (6)
Cette édition a fait la part belle à la voix, sous toutes ses formes, sauf les plus convenues. De quoi me réconcilier avec un organe qui n’a pas ma préférence parmi les instruments de musique ? Pas loin.
Dimanche 5 novembre
Trondheim Voices & Kit Downes
Kaiser-Whilelm-Gedädchtnis-Kirche
Sissel Vera Pettersen, Tone Ase, Heidi Skjerve, Mia Marlen Berg, Live Maria Roggen, Anita Kaasboll, Torunn Savik (voc), Asle Karstad (sound design), Kit Downes (org, cla).
Ce n’est en tout cas nullement une épreuve, plutôt l’occasion de réviser un préjugé. Pas de « chanteuse de jazz » embourgeoisée à déplorer, mais des approches inédites et dans la plupart des cas fort réussies. Ainsi du groupe féminin norvégien Trondheim Voices. Le choix d’un faible volume sonore est une excellente idée, qui incite à tendre l’oreille.
En entrant dans l’église, j’identifie les vitraux bleus aux reflets dorés comme ceux qui ornent la pochette de « Before the World », premier album solo de Matthew Shipp ! Devant eux flotte un Christ en lévitation. Kit Downes, à l’orgue à l’étage, produit des sons à bas bruit, harmonies incertaines chargées de mystères. Un premier set en solitaire, hypnotique et apaisant, et un final explosif, l’orgue alors utilisé à pleine puissance pour remplir le bâtiment d’accords pleins de vigueur, comme pour faire entrer la lumière dans le lieu livré à la pénombre.
Les chanteuses se présentent ensuite en cercle fermé. Vêtues d’uniformes en noir et blanc, évoquant quelque cérémonie religieuse, elles sont équipées de micros lumineux et de boîtes d’effets attachées à la taille, dont l’utilisation ne nous est pas plus visible que les visages des interprètes. Les voix sortent de haut-parleurs disposés à divers endroits de la salle ; bien que les artistes soient toutes proches, on ne perçoit pas le son direct, seulement sa reprise par la technique. Des timbres enchanteurs et des bruitages construisent une musique diaphane, fragile, aquatique ou gazeuse, une musique des nuages, des brouillards et des reflets. Indubitablement nordique, et à mes oreilles inouïe. Cette formation féminine, évitant tout contact visuel avec le public, m’a intrigué et séduit. Avant de disparaître comme des ombres, elles disposent des cubes lumineux alignés sur le sol…
Tyshawn Sorey
Haus der Berliner Festpiele
Tyshawn Sorey (cond), Uli Kempendorff (s, cl), Nikolaus Neuser trumpet, Anke Lucks (tb), Orlando de Boeykens (tuba), Julia Reidy (g), Anais Tuerlinckx (p), Kathrin Pechlof (harp), Hannes Lingens (acc), Colin Hacklander (dm, perc), Els Vandeweyer (vib, perc), Ravi Srinivasan (tabla, ghatam, perc), Biliana Voutchkova (vln), Grégoire Simon (alto vln), Ulrike Brand (cello), Adam Pultz Melbye (b), Korhan Erel (elec), Farahnaz Hatam (elec), Alex Nowitz (voc), Alireza Mehdizadeh (kamancheh), Niko Meinhold (guzheng).
Après une présentation de l’ouvrage de Daniela Veronesi consacré à Lawrence D. Butch Morris, « The Art of Conduction », c’est une mise en pratique de l’improvisation dirigée qui attend les visiteurs. Pour sa quatrième et dernière apparition, Tyshawn Sorey fait face à un ensemble de musiciens de Berlin. L’éventail des patronymes et de l’instrumentation (harpe, accordéon, tablas, instrument à cordes chinois…) laisse cependant deviner des origines géographiques diverses. On est bien dans l’éthos de cette édition. Dans une démarche comparable à celle de Butch Morris mais aussi de John Zorn avec Cobra, Sorey manie trois baguettes d’une main, orientées telles des aiguilles d’horloge, des panneaux de papier, et donne des indications avec les mains, créant des vagues sonores, des associations temporaires de musiciens, dépourvus de partitions et suspendus aux indications du meneur de jeu. Celui-ci dessine à sa guise des paysages successifs, fait durer ceux qu’il trouve à son goût, chaque étape du processus lui donnant des idées pour la suite. On remarque un vocaliste émule de Phil Minton, ou encore la vibraphoniste Els Vandeweyer, entendue dans l’ensemble Vision7 de Pascal Niggenkemper. Pour qui n’a jamais assisté à une conduction en temps réel, l’expérience est passionnante, même s’il y a eu quelques flottements, peut-être aussi parce que certains instrumentistes se sont montrés un brin timides lorsqu’ils avaient la parole.
Ingrid & Christine Jensen with Ben Monder “Infinitude”
Haus der Berliner Festpiele
Ingrid Jensen (tp), Christine Jensen (s), Ben Monder (g), Fraser Hollin (b), Jon Wikan (dm).
Pas grand-chose à dire de ce groupe composé de deux sœurs canadiennes, du mari batteur de l’une d’entre elles et d’un guitariste tout-terrain, connu pour ses propres travaux et pour avoir participé à l’album « Blackstar » de David Bowie. Ben Monder signe la composition la plus intéressante du set, celles des Jensen ne se signalant pas par une imagination débordante, bien que le nom de Kenny Wheeler comme source d’inspiration soit cité par la trompettiste. Cette dernière est d’une virtuosité musclée ; le jeu de la saxophoniste m’est apparu plus souple dans son rapport au rythme, et son discours plus creusé. Mais ce jazz formellement irréprochable, aux accents folk intermittents, ne semble mu par aucune nécessité, contrastant avec la plupart des musiques promues lors de cette édition. Dans un style comparable, on trouve sur le label ECM des propositions plus satisfaisantes.
John Beasley’s MONK’estra
Haus der Berliner Festpiele
John Beasley (cond, arr, p), Rashawn Ross, Till Bronner, Lars Lindgren, Christian Grabandt (tp), Francisco Torres, Simon Harrer, Johannes Lauer (tb), Bob Sheppard, Greg Tardy, Joris Roelof, Magnus Lindgren, Florian Leuschner (s), Ben Shepherd (b), Terreon Gully (dm).
Quelques allemands de renom (parmi lesquels Till Bronner, dont le solo se fait éclipser par celui, cabotin mais efficace, de Rashawn Ross sur le même instrument) s’ajoutent au groupe de John Beasley. Cette conclusion festivalière tient du passage obligé en cette année de centenaire Monkien. A titre de comparaison, ce concert s’est avéré plus vibrant que l’hommage de Charles Tolliver entendu le mois précédent. Là où le trompettiste optait pour la fidélité en reprenant texto les arrangements d’origine du « Town Hall Concert » du pianiste, Beasley dynamite de l’intérieur les compositions, qui résistent bien à ces traitements plus ou moins irrévérencieux, allant du groove le plus pêchu (Ben Shepherd à la basse électrique lors du morceau introductif) à une luxuriance toute hollywoodienne. Les arrangements ont autant de relief que les canyons desquels chute perpétuellement le coyote à défaut d’attraper le géocoucou véloce du dessin animé. Le potentiel humoristique de Thelonious est ici mis en valeur, et Beasley appose sa patte à des classiques auxquels il donne des couleurs inédites. Un final dynamique et grisant, une conclusion adéquate à cette riche édition!
David Cristol
Photos : Camille Blake|Cette édition a fait la part belle à la voix, sous toutes ses formes, sauf les plus convenues. De quoi me réconcilier avec un organe qui n’a pas ma préférence parmi les instruments de musique ? Pas loin.
Dimanche 5 novembre
Trondheim Voices & Kit Downes
Kaiser-Whilelm-Gedädchtnis-Kirche
Sissel Vera Pettersen, Tone Ase, Heidi Skjerve, Mia Marlen Berg, Live Maria Roggen, Anita Kaasboll, Torunn Savik (voc), Asle Karstad (sound design), Kit Downes (org, cla).
Ce n’est en tout cas nullement une épreuve, plutôt l’occasion de réviser un préjugé. Pas de « chanteuse de jazz » embourgeoisée à déplorer, mais des approches inédites et dans la plupart des cas fort réussies. Ainsi du groupe féminin norvégien Trondheim Voices. Le choix d’un faible volume sonore est une excellente idée, qui incite à tendre l’oreille.
En entrant dans l’église, j’identifie les vitraux bleus aux reflets dorés comme ceux qui ornent la pochette de « Before the World », premier album solo de Matthew Shipp ! Devant eux flotte un Christ en lévitation. Kit Downes, à l’orgue à l’étage, produit des sons à bas bruit, harmonies incertaines chargées de mystères. Un premier set en solitaire, hypnotique et apaisant, et un final explosif, l’orgue alors utilisé à pleine puissance pour remplir le bâtiment d’accords pleins de vigueur, comme pour faire entrer la lumière dans le lieu livré à la pénombre.
Les chanteuses se présentent ensuite en cercle fermé. Vêtues d’uniformes en noir et blanc, évoquant quelque cérémonie religieuse, elles sont équipées de micros lumineux et de boîtes d’effets attachées à la taille, dont l’utilisation ne nous est pas plus visible que les visages des interprètes. Les voix sortent de haut-parleurs disposés à divers endroits de la salle ; bien que les artistes soient toutes proches, on ne perçoit pas le son direct, seulement sa reprise par la technique. Des timbres enchanteurs et des bruitages construisent une musique diaphane, fragile, aquatique ou gazeuse, une musique des nuages, des brouillards et des reflets. Indubitablement nordique, et à mes oreilles inouïe. Cette formation féminine, évitant tout contact visuel avec le public, m’a intrigué et séduit. Avant de disparaître comme des ombres, elles disposent des cubes lumineux alignés sur le sol…
Tyshawn Sorey
Haus der Berliner Festpiele
Tyshawn Sorey (cond), Uli Kempendorff (s, cl), Nikolaus Neuser trumpet, Anke Lucks (tb), Orlando de Boeykens (tuba), Julia Reidy (g), Anais Tuerlinckx (p), Kathrin Pechlof (harp), Hannes Lingens (acc), Colin Hacklander (dm, perc), Els Vandeweyer (vib, perc), Ravi Srinivasan (tabla, ghatam, perc), Biliana Voutchkova (vln), Grégoire Simon (alto vln), Ulrike Brand (cello), Adam Pultz Melbye (b), Korhan Erel (elec), Farahnaz Hatam (elec), Alex Nowitz (voc), Alireza Mehdizadeh (kamancheh), Niko Meinhold (guzheng).
Après une présentation de l’ouvrage de Daniela Veronesi consacré à Lawrence D. Butch Morris, « The Art of Conduction », c’est une mise en pratique de l’improvisation dirigée qui attend les visiteurs. Pour sa quatrième et dernière apparition, Tyshawn Sorey fait face à un ensemble de musiciens de Berlin. L’éventail des patronymes et de l’instrumentation (harpe, accordéon, tablas, instrument à cordes chinois…) laisse cependant deviner des origines géographiques diverses. On est bien dans l’éthos de cette édition. Dans une démarche comparable à celle de Butch Morris mais aussi de John Zorn avec Cobra, Sorey manie trois baguettes d’une main, orientées telles des aiguilles d’horloge, des panneaux de papier, et donne des indications avec les mains, créant des vagues sonores, des associations temporaires de musiciens, dépourvus de partitions et suspendus aux indications du meneur de jeu. Celui-ci dessine à sa guise des paysages successifs, fait durer ceux qu’il trouve à son goût, chaque étape du processus lui donnant des idées pour la suite. On remarque un vocaliste émule de Phil Minton, ou encore la vibraphoniste Els Vandeweyer, entendue dans l’ensemble Vision7 de Pascal Niggenkemper. Pour qui n’a jamais assisté à une conduction en temps réel, l’expérience est passionnante, même s’il y a eu quelques flottements, peut-être aussi parce que certains instrumentistes se sont montrés un brin timides lorsqu’ils avaient la parole.
Ingrid & Christine Jensen with Ben Monder “Infinitude”
Haus der Berliner Festpiele
Ingrid Jensen (tp), Christine Jensen (s), Ben Monder (g), Fraser Hollin (b), Jon Wikan (dm).
Pas grand-chose à dire de ce groupe composé de deux sœurs canadiennes, du mari batteur de l’une d’entre elles et d’un guitariste tout-terrain, connu pour ses propres travaux et pour avoir participé à l’album « Blackstar » de David Bowie. Ben Monder signe la composition la plus intéressante du set, celles des Jensen ne se signalant pas par une imagination débordante, bien que le nom de Kenny Wheeler comme source d’inspiration soit cité par la trompettiste. Cette dernière est d’une virtuosité musclée ; le jeu de la saxophoniste m’est apparu plus souple dans son rapport au rythme, et son discours plus creusé. Mais ce jazz formellement irréprochable, aux accents folk intermittents, ne semble mu par aucune nécessité, contrastant avec la plupart des musiques promues lors de cette édition. Dans un style comparable, on trouve sur le label ECM des propositions plus satisfaisantes.
John Beasley’s MONK’estra
Haus der Berliner Festpiele
John Beasley (cond, arr, p), Rashawn Ross, Till Bronner, Lars Lindgren, Christian Grabandt (tp), Francisco Torres, Simon Harrer, Johannes Lauer (tb), Bob Sheppard, Greg Tardy, Joris Roelof, Magnus Lindgren, Florian Leuschner (s), Ben Shepherd (b), Terreon Gully (dm).
Quelques allemands de renom (parmi lesquels Till Bronner, dont le solo se fait éclipser par celui, cabotin mais efficace, de Rashawn Ross sur le même instrument) s’ajoutent au groupe de John Beasley. Cette conclusion festivalière tient du passage obligé en cette année de centenaire Monkien. A titre de comparaison, ce concert s’est avéré plus vibrant que l’hommage de Charles Tolliver entendu le mois précédent. Là où le trompettiste optait pour la fidélité en reprenant texto les arrangements d’origine du « Town Hall Concert » du pianiste, Beasley dynamite de l’intérieur les compositions, qui résistent bien à ces traitements plus ou moins irrévérencieux, allant du groove le plus pêchu (Ben Shepherd à la basse électrique lors du morceau introductif) à une luxuriance toute hollywoodienne. Les arrangements ont autant de relief que les canyons desquels chute perpétuellement le coyote à défaut d’attraper le géocoucou véloce du dessin animé. Le potentiel humoristique de Thelonious est ici mis en valeur, et Beasley appose sa patte à des classiques auxquels il donne des couleurs inédites. Un final dynamique et grisant, une conclusion adéquate à cette riche édition!
David Cristol
Photos : Camille Blake|Cette édition a fait la part belle à la voix, sous toutes ses formes, sauf les plus convenues. De quoi me réconcilier avec un organe qui n’a pas ma préférence parmi les instruments de musique ? Pas loin.
Dimanche 5 novembre
Trondheim Voices & Kit Downes
Kaiser-Whilelm-Gedädchtnis-Kirche
Sissel Vera Pettersen, Tone Ase, Heidi Skjerve, Mia Marlen Berg, Live Maria Roggen, Anita Kaasboll, Torunn Savik (voc), Asle Karstad (sound design), Kit Downes (org, cla).
Ce n’est en tout cas nullement une épreuve, plutôt l’occasion de réviser un préjugé. Pas de « chanteuse de jazz » embourgeoisée à déplorer, mais des approches inédites et dans la plupart des cas fort réussies. Ainsi du groupe féminin norvégien Trondheim Voices. Le choix d’un faible volume sonore est une excellente idée, qui incite à tendre l’oreille.
En entrant dans l’église, j’identifie les vitraux bleus aux reflets dorés comme ceux qui ornent la pochette de « Before the World », premier album solo de Matthew Shipp ! Devant eux flotte un Christ en lévitation. Kit Downes, à l’orgue à l’étage, produit des sons à bas bruit, harmonies incertaines chargées de mystères. Un premier set en solitaire, hypnotique et apaisant, et un final explosif, l’orgue alors utilisé à pleine puissance pour remplir le bâtiment d’accords pleins de vigueur, comme pour faire entrer la lumière dans le lieu livré à la pénombre.
Les chanteuses se présentent ensuite en cercle fermé. Vêtues d’uniformes en noir et blanc, évoquant quelque cérémonie religieuse, elles sont équipées de micros lumineux et de boîtes d’effets attachées à la taille, dont l’utilisation ne nous est pas plus visible que les visages des interprètes. Les voix sortent de haut-parleurs disposés à divers endroits de la salle ; bien que les artistes soient toutes proches, on ne perçoit pas le son direct, seulement sa reprise par la technique. Des timbres enchanteurs et des bruitages construisent une musique diaphane, fragile, aquatique ou gazeuse, une musique des nuages, des brouillards et des reflets. Indubitablement nordique, et à mes oreilles inouïe. Cette formation féminine, évitant tout contact visuel avec le public, m’a intrigué et séduit. Avant de disparaître comme des ombres, elles disposent des cubes lumineux alignés sur le sol…
Tyshawn Sorey
Haus der Berliner Festpiele
Tyshawn Sorey (cond), Uli Kempendorff (s, cl), Nikolaus Neuser trumpet, Anke Lucks (tb), Orlando de Boeykens (tuba), Julia Reidy (g), Anais Tuerlinckx (p), Kathrin Pechlof (harp), Hannes Lingens (acc), Colin Hacklander (dm, perc), Els Vandeweyer (vib, perc), Ravi Srinivasan (tabla, ghatam, perc), Biliana Voutchkova (vln), Grégoire Simon (alto vln), Ulrike Brand (cello), Adam Pultz Melbye (b), Korhan Erel (elec), Farahnaz Hatam (elec), Alex Nowitz (voc), Alireza Mehdizadeh (kamancheh), Niko Meinhold (guzheng).
Après une présentation de l’ouvrage de Daniela Veronesi consacré à Lawrence D. Butch Morris, « The Art of Conduction », c’est une mise en pratique de l’improvisation dirigée qui attend les visiteurs. Pour sa quatrième et dernière apparition, Tyshawn Sorey fait face à un ensemble de musiciens de Berlin. L’éventail des patronymes et de l’instrumentation (harpe, accordéon, tablas, instrument à cordes chinois…) laisse cependant deviner des origines géographiques diverses. On est bien dans l’éthos de cette édition. Dans une démarche comparable à celle de Butch Morris mais aussi de John Zorn avec Cobra, Sorey manie trois baguettes d’une main, orientées telles des aiguilles d’horloge, des panneaux de papier, et donne des indications avec les mains, créant des vagues sonores, des associations temporaires de musiciens, dépourvus de partitions et suspendus aux indications du meneur de jeu. Celui-ci dessine à sa guise des paysages successifs, fait durer ceux qu’il trouve à son goût, chaque étape du processus lui donnant des idées pour la suite. On remarque un vocaliste émule de Phil Minton, ou encore la vibraphoniste Els Vandeweyer, entendue dans l’ensemble Vision7 de Pascal Niggenkemper. Pour qui n’a jamais assisté à une conduction en temps réel, l’expérience est passionnante, même s’il y a eu quelques flottements, peut-être aussi parce que certains instrumentistes se sont montrés un brin timides lorsqu’ils avaient la parole.
Ingrid & Christine Jensen with Ben Monder “Infinitude”
Haus der Berliner Festpiele
Ingrid Jensen (tp), Christine Jensen (s), Ben Monder (g), Fraser Hollin (b), Jon Wikan (dm).
Pas grand-chose à dire de ce groupe composé de deux sœurs canadiennes, du mari batteur de l’une d’entre elles et d’un guitariste tout-terrain, connu pour ses propres travaux et pour avoir participé à l’album « Blackstar » de David Bowie. Ben Monder signe la composition la plus intéressante du set, celles des Jensen ne se signalant pas par une imagination débordante, bien que le nom de Kenny Wheeler comme source d’inspiration soit cité par la trompettiste. Cette dernière est d’une virtuosité musclée ; le jeu de la saxophoniste m’est apparu plus souple dans son rapport au rythme, et son discours plus creusé. Mais ce jazz formellement irréprochable, aux accents folk intermittents, ne semble mu par aucune nécessité, contrastant avec la plupart des musiques promues lors de cette édition. Dans un style comparable, on trouve sur le label ECM des propositions plus satisfaisantes.
John Beasley’s MONK’estra
Haus der Berliner Festpiele
John Beasley (cond, arr, p), Rashawn Ross, Till Bronner, Lars Lindgren, Christian Grabandt (tp), Francisco Torres, Simon Harrer, Johannes Lauer (tb), Bob Sheppard, Greg Tardy, Joris Roelof, Magnus Lindgren, Florian Leuschner (s), Ben Shepherd (b), Terreon Gully (dm).
Quelques allemands de renom (parmi lesquels Till Bronner, dont le solo se fait éclipser par celui, cabotin mais efficace, de Rashawn Ross sur le même instrument) s’ajoutent au groupe de John Beasley. Cette conclusion festivalière tient du passage obligé en cette année de centenaire Monkien. A titre de comparaison, ce concert s’est avéré plus vibrant que l’hommage de Charles Tolliver entendu le mois précédent. Là où le trompettiste optait pour la fidélité en reprenant texto les arrangements d’origine du « Town Hall Concert » du pianiste, Beasley dynamite de l’intérieur les compositions, qui résistent bien à ces traitements plus ou moins irrévérencieux, allant du groove le plus pêchu (Ben Shepherd à la basse électrique lors du morceau introductif) à une luxuriance toute hollywoodienne. Les arrangements ont autant de relief que les canyons desquels chute perpétuellement le coyote à défaut d’attraper le géocoucou véloce du dessin animé. Le potentiel humoristique de Thelonious est ici mis en valeur, et Beasley appose sa patte à des classiques auxquels il donne des couleurs inédites. Un final dynamique et grisant, une conclusion adéquate à cette riche édition!
David Cristol
Photos : Camille Blake|Cette édition a fait la part belle à la voix, sous toutes ses formes, sauf les plus convenues. De quoi me réconcilier avec un organe qui n’a pas ma préférence parmi les instruments de musique ? Pas loin.
Dimanche 5 novembre
Trondheim Voices & Kit Downes
Kaiser-Whilelm-Gedädchtnis-Kirche
Sissel Vera Pettersen, Tone Ase, Heidi Skjerve, Mia Marlen Berg, Live Maria Roggen, Anita Kaasboll, Torunn Savik (voc), Asle Karstad (sound design), Kit Downes (org, cla).
Ce n’est en tout cas nullement une épreuve, plutôt l’occasion de réviser un préjugé. Pas de « chanteuse de jazz » embourgeoisée à déplorer, mais des approches inédites et dans la plupart des cas fort réussies. Ainsi du groupe féminin norvégien Trondheim Voices. Le choix d’un faible volume sonore est une excellente idée, qui incite à tendre l’oreille.
En entrant dans l’église, j’identifie les vitraux bleus aux reflets dorés comme ceux qui ornent la pochette de « Before the World », premier album solo de Matthew Shipp ! Devant eux flotte un Christ en lévitation. Kit Downes, à l’orgue à l’étage, produit des sons à bas bruit, harmonies incertaines chargées de mystères. Un premier set en solitaire, hypnotique et apaisant, et un final explosif, l’orgue alors utilisé à pleine puissance pour remplir le bâtiment d’accords pleins de vigueur, comme pour faire entrer la lumière dans le lieu livré à la pénombre.
Les chanteuses se présentent ensuite en cercle fermé. Vêtues d’uniformes en noir et blanc, évoquant quelque cérémonie religieuse, elles sont équipées de micros lumineux et de boîtes d’effets attachées à la taille, dont l’utilisation ne nous est pas plus visible que les visages des interprètes. Les voix sortent de haut-parleurs disposés à divers endroits de la salle ; bien que les artistes soient toutes proches, on ne perçoit pas le son direct, seulement sa reprise par la technique. Des timbres enchanteurs et des bruitages construisent une musique diaphane, fragile, aquatique ou gazeuse, une musique des nuages, des brouillards et des reflets. Indubitablement nordique, et à mes oreilles inouïe. Cette formation féminine, évitant tout contact visuel avec le public, m’a intrigué et séduit. Avant de disparaître comme des ombres, elles disposent des cubes lumineux alignés sur le sol…
Tyshawn Sorey
Haus der Berliner Festpiele
Tyshawn Sorey (cond), Uli Kempendorff (s, cl), Nikolaus Neuser trumpet, Anke Lucks (tb), Orlando de Boeykens (tuba), Julia Reidy (g), Anais Tuerlinckx (p), Kathrin Pechlof (harp), Hannes Lingens (acc), Colin Hacklander (dm, perc), Els Vandeweyer (vib, perc), Ravi Srinivasan (tabla, ghatam, perc), Biliana Voutchkova (vln), Grégoire Simon (alto vln), Ulrike Brand (cello), Adam Pultz Melbye (b), Korhan Erel (elec), Farahnaz Hatam (elec), Alex Nowitz (voc), Alireza Mehdizadeh (kamancheh), Niko Meinhold (guzheng).
Après une présentation de l’ouvrage de Daniela Veronesi consacré à Lawrence D. Butch Morris, « The Art of Conduction », c’est une mise en pratique de l’improvisation dirigée qui attend les visiteurs. Pour sa quatrième et dernière apparition, Tyshawn Sorey fait face à un ensemble de musiciens de Berlin. L’éventail des patronymes et de l’instrumentation (harpe, accordéon, tablas, instrument à cordes chinois…) laisse cependant deviner des origines géographiques diverses. On est bien dans l’éthos de cette édition. Dans une démarche comparable à celle de Butch Morris mais aussi de John Zorn avec Cobra, Sorey manie trois baguettes d’une main, orientées telles des aiguilles d’horloge, des panneaux de papier, et donne des indications avec les mains, créant des vagues sonores, des associations temporaires de musiciens, dépourvus de partitions et suspendus aux indications du meneur de jeu. Celui-ci dessine à sa guise des paysages successifs, fait durer ceux qu’il trouve à son goût, chaque étape du processus lui donnant des idées pour la suite. On remarque un vocaliste émule de Phil Minton, ou encore la vibraphoniste Els Vandeweyer, entendue dans l’ensemble Vision7 de Pascal Niggenkemper. Pour qui n’a jamais assisté à une conduction en temps réel, l’expérience est passionnante, même s’il y a eu quelques flottements, peut-être aussi parce que certains instrumentistes se sont montrés un brin timides lorsqu’ils avaient la parole.
Ingrid & Christine Jensen with Ben Monder “Infinitude”
Haus der Berliner Festpiele
Ingrid Jensen (tp), Christine Jensen (s), Ben Monder (g), Fraser Hollin (b), Jon Wikan (dm).
Pas grand-chose à dire de ce groupe composé de deux sœurs canadiennes, du mari batteur de l’une d’entre elles et d’un guitariste tout-terrain, connu pour ses propres travaux et pour avoir participé à l’album « Blackstar » de David Bowie. Ben Monder signe la composition la plus intéressante du set, celles des Jensen ne se signalant pas par une imagination débordante, bien que le nom de Kenny Wheeler comme source d’inspiration soit cité par la trompettiste. Cette dernière est d’une virtuosité musclée ; le jeu de la saxophoniste m’est apparu plus souple dans son rapport au rythme, et son discours plus creusé. Mais ce jazz formellement irréprochable, aux accents folk intermittents, ne semble mu par aucune nécessité, contrastant avec la plupart des musiques promues lors de cette édition. Dans un style comparable, on trouve sur le label ECM des propositions plus satisfaisantes.
John Beasley’s MONK’estra
Haus der Berliner Festpiele
John Beasley (cond, arr, p), Rashawn Ross, Till Bronner, Lars Lindgren, Christian Grabandt (tp), Francisco Torres, Simon Harrer, Johannes Lauer (tb), Bob Sheppard, Greg Tardy, Joris Roelof, Magnus Lindgren, Florian Leuschner (s), Ben Shepherd (b), Terreon Gully (dm).
Quelques allemands de renom (parmi lesquels Till Bronner, dont le solo se fait éclipser par celui, cabotin mais efficace, de Rashawn Ross sur le même instrument) s’ajoutent au groupe de John Beasley. Cette conclusion festivalière tient du passage obligé en cette année de centenaire Monkien. A titre de comparaison, ce concert s’est avéré plus vibrant que l’hommage de Charles Tolliver entendu le mois précédent. Là où le trompettiste optait pour la fidélité en reprenant texto les arrangements d’origine du « Town Hall Concert » du pianiste, Beasley dynamite de l’intérieur les compositions, qui résistent bien à ces traitements plus ou moins irrévérencieux, allant du groove le plus pêchu (Ben Shepherd à la basse électrique lors du morceau introductif) à une luxuriance toute hollywoodienne. Les arrangements ont autant de relief que les canyons desquels chute perpétuellement le coyote à défaut d’attraper le géocoucou véloce du dessin animé. Le potentiel humoristique de Thelonious est ici mis en valeur, et Beasley appose sa patte à des classiques auxquels il donne des couleurs inédites. Un final dynamique et grisant, une conclusion adéquate à cette riche édition!
David Cristol
Photos : Camille Blake