Black Power?
« Musique et pouvoir : Discours, idéologie et pratiques institutionnelles ». Vaste sujet, notamment pour ce qui regarde le jazz. Telle était la thématique d’un colloque qui s’est tenu à Dijon les 8 et 9 février dernier. C’est dans ce cadre que se produisit Ricky Ford à l’initiative de Jean Szlamowicz.
Jeudi 8 février 2018, Salle Multiplex, Dijon
Ricky Ford (ts), Darryl Hall (cb), Jason Marsalis (dr)
C’est avec une formation rollinsienne que Ricky Ford est monté sur scène. Une fois la musique lancée, le ton général s’avéra également très rollinsien, jusqu’au répertoire puisque le concert, avant le bis, se referma avec Strode Rode. En ouverture, ce fut une longue version d’A Night in Tunisia où Ricky Ford se révéla cette fois rollinsien dans l’esprit, sans aucunement réciter des phrases du colosse du saxophone mais en conférant une cohérence certaine à son improvisation, par une approche nommée par Gunther Schuller (à propos de Blue 7) improvisation motivique. Il la débuta en effet en reprenant le motif ornementé de l’introduction avant de le développer jusqu’à adopter une technique improvisée plus formulaire. Ce fut cependant le motif initial qui réapparut en fin de solo démontrant le sens aigu de la forme de Ricky Ford.
Le concert se poursuivit avec l’Epistrophy de Monk, Ricky Ford lançant la pièce en solo absolu. Plus que toute autre, ce fut la prestation de Darryl Hall qui me frappa tout particulièrement. La grille de cette pièce est loin d’être aisée – même si pour les jazzmen contemporains confirmés elle ne pose plus de problème – ; or, son walkin’ m’en révéla la beauté et la logique, son drive et son élégance (articulation, sonorité) accroissant mon plaisir. Outre son inspiration, il fit preuve d’intelligence dans son propre solo en synthétisant un héritage venu de Scott LaFaro à des aspects plus contemporains (décalage de cycle, polyphonie mélodique, etc.).
Après une belle interprétation d’A Time for Love, totalement dominée par Ricky Ford, le concert se referma donc avec Strode Rode. Rappelé par le public, le trio se mit d’accord pour jouer un blues. C’est tout naturellement que Parker’s Mood sortit de son pavillon lorsque Ricky Ford mit son bec en bouche. Les trois musiciens eurent une petite hésitation sur le tempo avant de se stabiliser sur un médium lent charnu, varié par un passage abrupte en double double tempo (!).
Il convient de s’arrêter quelque peu sur le « cas » Jason Marsalis. Bien évidemment, il connaît la tradition sur le bout des doigts, il est à l’écoute et interagit à bon escient, il swingue. Mais je lui ai parfois trouvé un manque de détente, un côté relax qui favorise le rebond et, au fond, un certain sentiment de joie.
Il n’empêche : cette heure et quart de hard bop chargé de mémoire fut de la plus haute tenue.