Jazz live
Publié le 19 Mai 2018

Peirani Parisien en Béarn: l’art de savoir plaire à deux

Avant dernier concert de la saison de Tonnerre de Jazz dans l'agglomération paloise. Et succès assuré façon sold out pour le duo Emile Parisien Vincent Peirani à Lons. Quatre rappels pour finir une séance de sons et lumières livrées cash pour jouer gagnant et séduire. Histoire pour les deux musiciens de se sortir la tête des tracas répétés de transits actuels perturbés sur les rails comme dans le ciel.

Assis au bord de la scène, son grand compas un peu vouté, Vincent Peirani récupère « Deux vols, six heures pour venir de Quimper…l’été n’a pas encore démarré et l’on se sent aussi vanné que normalement en septembre à la fin des festivals…» Emile Parisien surenchérit « Grève de trains, d’avions…on bouffe tellement de bagnole ces temps ci ! »

Emile Parisien (ss), Vincent Peirani (accord)

Tonnerre de Jazz, Espace James Chambaud, Lors (64140)

Ils se connaissent par coeur. Au  bout de tellement de scènes abordées ensemble. A l’issue de tant d’échanges, d’écoutes mutuelles, de regards croisés sur les intentions affichées ou même devinées, complicité oblige. Et ça fonctionne toujours, il n’est que d’écouter, noter les réactions du public ici, en Béarn comme ailleurs, en réponse aux sillons de musique tracés à deux. Sauf que désormais Emile Parisien et Vincent  Peirani poussent le bouchon plus loin. Au niveau d’un vrai spectacle: le jeu de rôle musical stricto sensu se double d’un jeu de lumière. Les éclairages sortent sobre certes, mais jaillis fort à propos, en couleurs de fond (bleu) ou en ombres chinoises (gris noir) A la volonté d’un fort expressionnisme musical s’ajoute maintenant un impressionnisme formel en savantes découpes lumineuses.

 

P § P en ombres chinoises

On le sait: le duo fonctionne sur la différence de nature des instruments pratiqués par chacun. Sur leur rôle en opposition de phases sonores également. Clair, tranchant côté sax soprano. Plus large question spectre de sons, plus épais sans doute aussi du côté du registre de l’accordéon. Au fond tout est question de son, mieux de qualité sonore. Sonorité fondue dans le métal pur: ainsi peut-on ressentir l’introduction de Song of the medina due à la plume inspirée de Sidney Bechet. Travaillées, malaxées, comme noircies par des des notes venues du fond des basses du clavier, telles s’échappent les notes des touches de l’accordéon. La réussite, l’empathie croissante du public, la frustration de ce dernier à s’apercevoir de la fin du concert déjà venue alors que l’on ne s’attend pas à pareille coupure du plaisir ressenti façon -« Non, ce n’est pas possible, ils viennent peine de commencer …»- Bref ce sentiment d «’on en veut encore » s’explique par la faculté du duo à créer de l’intimité. Emile Parisien comme Vincent Peirani possèdent cette façon très naturelle de faire entrer les spectateurs dans leur champ d’expression musicale.

 

Emile Parisien , soprano géant

 

Alors faut-il y voir la marque d’une recette qui marche ? Une indéniable facilité ? Au contraire: la réussite, l’échange fonctionne dans les moments d’accroche simple, directe aussi bien que dans des séquences plus expérimentales. Témoin le tempo de Temptation rag découpé net, à vif au soprano ou cette façon personnelle de Peirani de reproduire sans avoir l’air d’y toucher (puiser) l’environnement lyrique (joyeux) de notes en grains détachés mode accompagnement des chansons françaises d’après guerre (Piaf, Catherine Sauvage, Juliette Greco…) Alors bien sur la réponse du public fonctionne à plein. Ce qui n’empêche nullement les deux musiciens d’imposer également des moments de digressions savantes (atonales) de l’accordéon .Voire cette faculté toute particulière d’Emile Parisien d’envoyer la mélodie cul par dessus tête histoire d’injecter le moment venu de bonnes doses d’harmoniques bien stridentes. Normalement on ne sort pas indemne de ces « battles » répétées entre images et sons. Comme jadis des folies douces d’un film de Fellini orchestré par les arabesques incandescentes de Nino Rota

 

l’art de savoir faire , l’art de savoir plaire

 

En lignes musicales superposées ou croisées, en lectures de notes écrites comme dans l’envie d’improviser sans réviser, Parisien et Peirani s’y entendent à cultiver encore cet art (travaillé) du duo qu se donne à plein. Ils possèdent « en même temps » l’art de savoir faire, l’art de savoir plaire. Qui s’en plaindrait  ?

Robert Latxague