Jazz live
Publié le 24 Mai 2018

LE MEJAN en MAI : BIMP à JAZZ in ARLES

Ah! le joli mois de mai avec ses perturbations ferroviaires qui n'empêcheront pas mon retour à Arles, sur les bords du Rhône, à côté d'Actes Sud, à la chapelle du Méjan, ancienne coopérative des éleveurs de mérinos, pour assister à la première de ce festival de jazz et musiques actuelles, toujours singulier, toujours innovant. Les festivités ont commencé la semaine dernière avec, comme mise en bouche, un concert gratuit à la médiathèque Van Gogh, celui du duo de Jean Marc Larché (saxophone) et Yves Rousseau (contrebasse) et un concert-apéro chaleureux avec le trio féminin de cordes, Zéphyr, entendu le mois dernier, lors du concert anniversaire des trente ans de la Buissonne...

Soirée du Mardi 22 Mai
Bimp
Elodie PASQUIER (clarinette et clarinette basse)
Aloïs BENOÎT (euphonium, trombone)
Christophe MONNIOT (saxophones alto et sopranino)
Didier ITHURSARRY (accordéon)

Les choses sérieuses commencent, dès mon arrivée rue du Dr Fanton, tout près du Méjan, avec un premier arrêt, à la Fondation Van Gogh, pour une formidable exposition de peinture, insolite, qui n’est pas sans rapport, avec le jazz et la modernité.
Le titre « Soleil chaud, soleil tardif -Les modernes indomptés  » renvoie, non pas à une thématique iconographique, mais plutôt métaphysique où le soleil (Dieu sait s’il peut être écrasant dans le Sud) est source de vitalité et une métaphore de nos vies.
Le parcours commence avec Monticelli, le Marseillais qui inspira Van Gogh, se poursuit avec l’inévitable Picasso qui inspire ces temps derniers plus de 200 expositions autour de la Méditerranée, le naïf et tendre Calder… Apparaît soudain un personnage incroyable, pharaonique, le deux ex machina de l’expo, l’extravagant Sun RA, à qui deux salles sont consacrées : outre un extrait copieux d’un concert 

 

 

avec l’Intergalactic Arkestra (31′), filmé pour l’ORTF par Bernard Lion en 1972, présenté par l’inénarrable André Francis, on pourra retrouver des pochettes de vinyles de son label Saturn, des extraits de Space is the place (1974)

et des affiches des Nuits de la Fondation Maeght, à St Paul de Vence (06), un endroit essentiel pour la diffusion de l’art moderne. Avec, au programme en 1970, rien moins que Terry Riley, le sextet d’Albert Ayler…

 

Peut-on voir un parallèle entre la folie douce de cet agent intergalactique, ce pianiste-mage entouré de ses danseurs et prêtresses qui repoussa les frontières du jazz et de la musique expérimentale et le contrôle joliment déréglé du quartet tout neuf, au titre acronymique B.I.M.P ? Allez savoir…Pour Sun Ra, pionnier de l’Afrofuturisme et d’ une certaine « modernité », le jazz était encore une musique essentielle. Le post-post modernisme actuel se situe souvent aux frontières du jazz, qui a parfois tendance à se diluer dans le creuset d’influences à disposition des artistes.

En tous les cas, Jazz in Arles, créé autour de l’association culturelle du Méjan http://www.lemejan.com/
(expositions, lectures et concerts classiques…) œuvre, depuis plus de 2o ans, avec une équipe réduite mais combien efficace,  composée de Nathalie Basson aidée de Jean Paul Ricard (Ajmi). Le festival n’a pas son pareil pour créer un espace d’immersion dans lequel le public se sent vite au diapason des artistes et d’un monde en mutation. En résonance dans une vibration commune, le potentiel magique du son catapulte notre imaginaire dans d’autres dimensions au gré de l’improvisation libre.

Le quartet qui joue ce soir est composé de musiciens d’horizons différents, de générations différentes, aux sensibilités fortes, qui ont tous, même les plus jeunes, l’envergure de leaders. Ils ont assurément noué des affinités lors d’expériences communes au sein d’autres ensembles. C’est la clarinettiste Elodie Pasquier (entendue dans les formations de Rémy Gaudillat, Danzas de Machado…) dont le solo l’an dernier avait provoqué l’enthousiasme de chroniqueurs amis (Philippe Méziat, Xavier Prévost) qui a proposé aux programmateurs, toujours ouverts à l’aventure, le projet de ce nouveau quartet B.I.M.P.

BIMP? vous avez compris, avec le M du saxophoniste normand Christophe Monniot que j’écoute, depuis le mythique Baby Boom de Daniel Humair,  La compagnie des Musiques à ouïr, Moniomania, Ozone, Variations climatiques sur Vivaldi, Station Mir avec Didier Ithursarry …. jusqu’au tout récent Jericho Sinfonia avec le Grand Orchestre du Tricot. Et je me souviens aussi, avec délice, du trop méconnu Echoes of Spring, ici même au Méjan en 2007,  le quintet des pianistes Oliva et Raulin qui relisait le passé du jazz, autour du Harlem piano stride, de Willie « The Lion » Smith et James P. Johnson.  I pour l’accordéoniste bayonnais Didier Ithursarry qui a fait partie de l’orchestre ONJ, deuxième du guitariste Claude Barthélémy, à l’orée des années 2000,  a tourné (entre autre) avec l’orchestre Danzas du pianiste Jean-Marie Machado avec lequel il proposait le duo Lua. Et il a un autre duo en cours avec Christophe Monniot, remplaçant Hugues Mayot à l’ONJ et  profitant ainsi du formidable dispositif créé par le dernier orchestre de Benoît (Olivier) et du label ONJ FABRIC.

Je ne connaissais pas encore Aloïs Benoît  ( le B de Bimp!)

qui fait partie des jeunes du CNSM, de la génération d’après, après Q, Radiation X, Ping Machine… L’un de ses derniers albums en collectif LOO est ici, en vente, c’est Pan-G et j’avoue que ce ne sera pas la moindre des révélations de cette soirée : il a le son le plus rond, le plus charnu et engagé qui soit, à l’euphonium, même quand il barrit, et au trombone à coulisse, avec diverses sourdines, il sait caresser sans perdre sa force.

Arrivée assez tôt, malgré mon escale picturale voisine, j’assiste à la balance et c’est déjà quelque chose, il s’agit tout de même du deuxième concert, trois jours seulement après Perpignan (Jazzèbre) et répéter n’est pas un vain mot pour la mise en place d’une musique qui a l’exigence de sa qualité.

L’instrumentarium est très original avec des vents, tout un festival de vents et cuivre, entre les saxophones alto et sopranino de Monniot qui n’a pas emporté son baryton, respectant en cela l’équilibre des graves aux côtés de l’euphonium, du trombone et de la clarinette basse qui joueront pleinement leur rôle. De jeunes enfants en éveil musical viennent assister (sagement ) à la répétition et se font expliquer l’originalité de chaque instrument, comment l’air entre dans les soufflets du piano à bretelles, ou comment affûter les anches de perces coniques ou cylindriques.
Et puis, il est toujours excitant d’être là, à l’origine d’une musique en train de se créer, dans ce volume à la sonorité acoustique pleine, que savent magnifier les preneurs de sons, Bruno et Magali.

Quand le concert commence, c’est tout de suite vif, généreusement expansionniste, protéiforme, une déflagration qui a de quoi surprendre. Un espace « ouvert aux quatre vents », dans la quintessence des souffles. Si le climat est un peu tendu, selon le ressenti même des musiciens, la musique avance progressivement vers plus de sérénité par un travail patient sur la matière rythmique et harmonique, jusqu’à une certaine tendresse qui culminera au rappel, la plus fondante des berceuses, « Maylis » du jeune tromboniste. C’est lui aussi qui a ouvert la soirée avec sa composition « Vert Jaune », solennelle, liturgique presque dans l’abside de la chapelle. Il signe pas mal de thèmes du répertoire comme cette valse très rapide « Macareux et colibri », montrant ainsi un goût et talent prononcés pour l’écriture.

Le quartet sait qu’il va être difficile d’atteindre ce soir l’aisance acquise après une série de concerts, cette sûreté presque mécanique, immédiate. Mais justement, les forces vives en jeu communiquent à tous une tension constante, car ils jouent sans aucun de ces tâtonnements prudents, avec une prise de risque assumée.
Les musiciens se partagent les compositions qu’ils présentent à leur tour, preuve supplémentaire de cette mise en commun équitable. Avec des tempéraments pourtant différents, l’osmose gagne la partie et une certaine cohérence s’installe, une ligne directrice se dessine dans ce quartet équilibré, sans leader. Les pièces assez longues et pas faciles, se divisent en fragments élaborés avec suspens, rebonds, surprises de fausses fins, une alternance de duos qui deviennent trios puis unissons, relativement courts. La circulation continue entre eux entraîne une vigilance constante de la part de l’accordéoniste qui installe la toile de fond, accroché au mât du rythme. Toujours sur le pont, variant les registres pour épauler les graves lumineux de son complice à l’euphonium, cette rythmique originale favorise la mélodie, est un chant à part entière sur lequel glissent les envolées jamais trop lyriques des solistes souffleurs. Didier Ithursarry a écrit deux compositions sur un versant plus jazz, un « East Side », sur tempo vif où le tromboniste qui glissande, zèbre l’espace, dans l’urgence de la course-poursuite. Sur l’autre thème « Tu danses? », entraînant, genre New Orleans, c’est un orchestre de danse à quatre qui nous fait virevolter sur place, suivant les ponctuations de l’euphonium, sous la férule d’un accordéon de « balloche ».

Ce concert propose un alliage irrésistible de couleurs, matières et textures, proprement inouïs. Le son est très travaillé, tout comme l’écriture, éloquente et d’une belle maturité, où personne ne cherche à se servir en solo. On se régale pourtant de la fantaisie piquante, de la tendresse bourrue de Monniot qui entrecoupe de quelques baillements de son alto, une berceuse de son cru, un peu secouée tout de même, « Ilia » qui n’est peut être pas le plus court chemin vers l’endormissement, très enveloppante cependant. Il joue de ses saxophones alternativement, les empoigne, s’emballe, s’excite au sopranino, on a presque peur que son instrument ne lui échappe. Grave erreur car il fait preuve, au plus fort de son exubérance, d’une sûreté impeccable.  Comme dans cette composition quadripartite « Sonate pour des nouveaux cieux », divisée en deux plages séparées, où se ressent l’influence de Messiaen dans un passage magnifique, un unisson particulièrement sensuel.

Face à lui, Elodie Pasquier (le P final) est un contrepoint assez idéal, au phrasé affirmé, complémentaire dans le son et le geste.

Assurant à eux deux un « décalage oreille », elle équilibre la turbulence joyeuse du saxophoniste. Voilà que je me souviens soudain qu’au Tremplin Jazz d’Avignon en 2009, elle avait obtenu un prix de l’instrumentiste avec son groupe Singe.
Ses deux compositions qui trouvent ce soir leur nom dans l’exaltation du concert, sont plus mélodiques, sur un tempo plus lent, souples et soyeuses, « Petite soeur »et « Marceau ».

Cette musique d’imprévu et de liberté, qui laisse ouvertes les marges de l’exploration a fait entendre son chant sans tomber dans la romance. Au final, une grande unité stylistique qui a convaincu le public venu nombreux, en confiance, pour cette première soirée, ouverte à l’inconnu d’un répertoire tout neuf. Décidément, Jazz in Arles joue son rôle d’éclaireur et de défricheur de musiques. De cet éphémère saisi sur le vif, il faudrait garder une trace, un album….et surtout des concerts pour donner, moelleux et souplesse, patine à ce travail. Si ce compte-rendu peut faire écho, être passage, ouverture, témoin d’euphorie et d’admiration, programmateurs, soyez curieux et vous, publics … allez voir B.I.M.P sur scène!

Sophie Chambon