Jazz live
Publié le 16 Juil 2018

Jazz à Sète: Rubalcaba sans rime ni raison chez Valéry et Brassens

A la veille du 14 juillet et deux jours avant la seconde étoile tricolore Jazz à Sète poursuivait son parcours de musiques en liberté aux vents du Théâtre de la Mer. Marc Guiliana, Gonzalo Rubalcaba, un cubain et un américain en scène. Deux visages du jazz actuel qui demandent une même exigence d'écoute attentive.

Il vient juste de terminer le bis solo. Et le Théâtre de la Mer, délicieusement séduit en réclame encore. Le trio va repartir dos à la Grande Bleue, un accord, deux accords peut-être sous une main gauche enchanteresse…une goutte déjà, deux gouttes, dix, vingt, cent  et bientôt mille tombent du ciel. L’averse s’abat soudain sur la scène. Rubalcaba joue toujours. Les premiers rangs se lèvent et se collent à la scène comme pour le soutenir. Alors surgissent du backstage deux petits chapiteaux blancs comme des chapeaux pointus portés à bout de bras. Sous la pluie qui redouble le concert se poursuit. A la dernière note cubaine tombera, dans la nuit, la dernière goutte sètoise.

Mark Guiliana (dm), Chris Morrissey (b), Jason Rigby (ts), Fabian Almazan (p)

Gonzalo Rubalcaba (p), Armando Gola (b) Ludwig Alfonso (dm)

Théâtre de la Mer, Sète (34 200), 13 juillet

Paradoxe ou petite magie noire des tournées égrenées: les festivals d’été ont tôt fait de transformer les scènes en théâtre où les mêmes ombres reviennent dans la lumière apte à diffuser des musiques qu’il vous semble avoir déjà entendues raisonner quelque part une nuit auparavant.

Marc Giuliana

J’avais quitté Marc Guiliana huit jours avant, par une  une soirée orageuse, à Oloron,  au bout de la vallée d’Aspe sensée abriter encore un ou deux ours des Pyrénées (cf Jazz Live) Je le retrouve télé-musicalement transporté à Sète comme à l’à pic de Mare Nostrum. Hasard ou nécessité ?  Le jazz produit ce soir m’apparait plus direct, voile plus gonflée d’énergie improvisante. Témoin cette version de Jersey, titre éponyme de son dernier album, plus ramassée, dopée d’une saisissante tonicité avec un sax ténor en stop chorus introductif flottant en attaques franches. Jason Rigby quelquefois un peu lisse offre pour l’occasion une belle sonorité pour un voyage dans les graves avec, navigant à ses côtés un piano en surimpression chamarrée. Joli moment de jazz dans un léger souffle d’un vent marin joueur, ici à Sète, poussant son air sans souci dans les baffles de la sono. Ah oui cette fois il joue le pianiste. Il se plait même à le faire en insistant, ce que je n’avais pas vu ni entendu à suffisance sur la scène d’Oloron, d’où la plainte évoquée dans la chronique…Fabian Alamazan, (encore un) jeune pianiste cubain établi à New York avec sa compagne – bassiste en ce moment en tournée avec le groupe de Pat Metheny– s’y colle donc à plein cette fois en solo (Long branch), deux mains lâchées très libre sur le clavier. Les notes voyagent, créent des espaces, donnent de l’air à la musique livrée là en live.

Jason Rigby (sax), Fabian Almezan (p)

Marc Guiliana lui, toujours se trouve à l’affut, crée du volume, donne du relief d’une batterie précise et créative, question d’idées et d’accents (cymbales, caisse claire) toujours singuliers mais pertinents. Concrètement, en opposition de phase avec des groupes ou disques à connotation très électrique, le jazz offert sur cette tournée, pas révolutionnaire certes, pas référencé non plus en copier coller de modèles passés,  sonne simplement actuel question vocabulaire et couleurs affichées. Y compris dans la version offerte du Where are we  now ? de David Bowie avec lequel il a enregistré Black Star, disque testament du chanteur anglais androgyne. Y manque juste un peu de folie douce dans l’exécution…

Gonzalo Rubalcaba

Vous pouvez interroger n’importe quel pianiste qui l’a entendu sur scène ou en session enregistrée, CD ou en ligne. Tous vous diront -comme d’autres je l’ai vérifié in situ- « Gonzalo Rubalcaba est un pianiste de jazz exceptionnel » Pourtant en parlant avec lui il en vient tout naturellement à ce constat tranquille « Jeune musicien, il y vingt ans, je venais régulièrement jouer à Paris, et  dans des villes  de France. Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, ce n’est plus le cas » Vérification par les faits (avant le triomphe du web effervescent c’était là précisément l’acte de base du journalisme…) Sète représente bien sa seule escale de l’été dans l’hexagone « Je repars dès demain à Miami car je fais des concerts cette fin de semaine à Santa Fé et Los Angeles, en duo avec Chucho Valdès, derniers épisodes d’une tournée dans le monde qui se sera étalée presque sur une année… »

Le trio de Gonzalo Rubalcaba…mis à l’abri

En concert, quelle que soit la scène, sa dimension, sa localisation (l’année dernière à Junas comme à Marciac)  Rubalcaba se livre totalement. S’engage sur le clavier dans un jeu personnel, intense, complexe mais parfaitement maîtrisé. Certains diront qu’il joue trop technique, froid… Que nenni. Juste une question de disponibilité, de feeling préservé peut-être ? Il faut écouter pour sentir. Pour se rendre compte in fine que l’on entend sous les doigts du pianiste cubain sourdre toutes les notes distinctement. Quelle que soit l’intensité, le tempo. Alors c’est vrai le batteur cette fois n’est pas Horacio « El Negro » Hernandez, son habituel drummer inventif mode extra terrestre du tambour. Mais Ludwig (prénom prédestiné pour un batteur, bravo les parents, pardon pour ce private joke pour spécialistes de l’instrument, un tantinet capillotracté je le confesse…) Alfonso, né à La Havane et venu dés l’âge de sept ans habiter New York, connaît le boulot. Sur une balade, subtil, le voilà qui manie les balais à la perfection. Soyeusement. Bon, une seule petite réserve : je l’avoue je ne suis pas un fan du bassiste, cubain lui aussi bien entendu, Armando Gola. La sonorité de sa basse électrique à six cordes,  sa propre dextérité tirant parfois sur une virtuosité un peu automatique ne me paraissent pas d’un apport décisif. Au répertoire notamment en cette nuit méditerranéenne figurent Hermitage de Pat Metheny, Ponte la clave de Chucho Valdes -cavalcade sucrée/salée-, El Manisero, hit cubain des années cinquante, Peace composition d’Horace Silver -restituée avec une finesse, un minimalisme dans le propos étonnants.  Reste que le trio déroule dans le concert un tapis de musique de textures et fibres originales. En ce sens, si besoin était de le noter à nouveau, la personnalité du jeu pianistique de Gonzalo Rubalcaba se caractérise aisément : difficile de déceler chez lui des traits musicaux qui ne lui appartient pas en propre.

 

Robert Latxague.