Vague de Jazz, le final Supersonic
C’est presque toujours la même histoire à Vague de Jazz. “Presque”, parce que ce little big festival porté depuis des lustres par le jazzfan vendéen Jacques-Henri Béchieau n’est plus tout à fait le même depuis deux ans, il se concentre désormais sur quelques jours : l’infatigable enfant du pays, résistant-militant à la bonne humeur contagieuse, travaille désormais main dans la main avec la Mairie des Sables-d’Olonne. Pourvu que ça dure, car pouvoir écouter chaque soir du jazz vivant et créatif au Jardin du Tribunal – certes tributaire des aléas de la météo –, cela n’irait sans doute pas de soi sans la détermination de “JHB” et de son petit commando pacifique toujours prêt à se battre pour partager ses passions avec, en fond sonore, le bruit des vagues de l’Océan Atlantique.
Cette année, l’affiche du festival était illustrée par la célèbre – oui, célèbre – photo de Thomas de Pourquery faisant mine de disparaître dans son t-shirt Roi Lion. Arrivé in town le 28 juillet, l’envoyé spécial de Jazzmag croisa donc plus d’une fois le regard malicieux du saxalto – ou saxéro si vous préférez –, en affiche puis en vrai, le 29, sur scène, juste au-dessus de sa légendaire barbe de HG (Hipster Gentil).
Arrivé in town le 28 juillet, donc, pour voir Ikui Doki (Rafaëlle Rinaudo, harpe, Sophie Bernardo, basson, Hughes Mayot, saxophone) au Musée de l’Abbaye de Sainte-Croix à 18 heures, puis le Umlaut Big Band au Jardin du Tribunal à 21 heures et des poussières. Affluence record pour les seconds, qui revisitent sinon revigorent le jazz des années folles, de Fletcher Henderson à Duke Ellington via, souvent, les arrangements de Don Redman, dont le nom n’avait sans doute jamais été autant prononcé aux Sables-d’Olonne depuis 1932.
Le lendemain, même heure, même endroit, le bien nommé Supersonic de Thomas de Pourquery fut précédé d’un opening act, comme on dit au pays de jazz, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique : Nox.3 & la chanteuse Linda Olah qui, la veille, robe noire élégante et phrasé subtil, avait illuminé de sa présence l’Umlaut Big Band. « Création spontanée et inventive », dit-on, que leur Inget Nytt aux saveurs électro-planantes, création en devenir surtout, qui devrait peu à peu trouver son équilibre entre dérives post-rock – « Et vous, vous êtes plutôt Pink Floyd ou Radiohead ? », se sussurait-on juste derrière moi – et fantasmes post-jazz. A suivre.
Et, enfin, le bouquet final, Thomas de Pourquery Supersonic et ses copilotes galactiques : à la trompette, Fabrice Marti…, non, pardon, absent, pas là, remplacé par Sylvain Bardiau (dans le Supersonic, « le groupe vit bien », et les remplaçants sont aussi bons et impliqués que les titulaires) ; Laurent Bardainne au saxophone ténor (et au synthé aussi) ; Arnaud Roulin au piano (et au synthé aussi), Frédérick Galiay à la basse électrique et Edward Perraud à la batterie. Le Supersonic est né dans la galaxie Sun Ra, et Thomas de Pourquery et ses amis ne s’éloignent jamais de sa superstar centrale. Ils ont même trouvé un moyen de se poser sur ce divin soleil ! « Ils y vont la nuit ?! » Non. Trop facile.
Ils s’en éloignent sûrement, mais avec modération, et par un paradoxe que seuls les scénaristes d’Interstellar pourraient (peut-être) vous expliquer, ils s’en rapprochent. Mais dans l’esprit seulement. Ainsi, la musique du Supersonic gagne peu à peu ses galons supersonnels. Elle est certes toujours habitée par l’esprit du Ra Soleil (à ne pas confondre avec le Roi Lion évoqué plus haut), mais elle est surtout peuplée par Thomas & Co (à ne pas confondre avec Thomas Enhco), qui fort du puissant répertoire de leur deuxième opus, “Sons Of Love”, a donné un concert mémorable, traversé par les soli gorgés de sève vitale des trois souffleurs, et porté par une section rythmique qui donne tous son sens au mot alchimie.
Bref, quand le Supersonic nous fait voyager dans le multivers de son jazz mutant, on évite les planètes gazeuses pour s’attarder sur les tellurique, les habitables, susceptibles d’abriter la vie. « Tellurick, comme le jeu de basse électrique de Frédérick ? – Oui, c’est ça. » • Frédéric Goaty