Jazzaldia San Sebastian (4): Portal sur tous les tableaux…d’honneur
Chick Corea démarre une improvisation à partir d’une composition de Domenico Scarlatti « compositeur né à Naples mais venu en Espagne dont il connaissait bien la musique… » Soudain une cloche sonne dans l’église contiguë à la scène. Chick Corea se marre. Arrête sa phrase. Pour en lancer une autre en reprenant les sons de cloche pour les intégrer illico dans la ligne de son impro.
Michel Portal (cl, bcp), Emile Parisien (ss), Vincent Peirani (acc)
Sfumato: Emile Parisien (ss), Roberto Negro ℗, Vincent Peirani (acc), Manu Codjia (elg), Simon Tailleu (b), Marco Costa (dm) + invité: Michel Portal
Teatro Victoria Eugenia
Chick Corea (p), Joh, Partitucci (b), Dave Weckl (dm)
Plaza de la Trinidad
Jazzaldia San Sebastian/Donostia (Euskadi-España), 28 juillet
Sur la scène du Teatro Victoria Eugenia, devant les spectateurs venus pour le concert, Michel Portal vient de recevoir le Prix Donostiako Jazzaldia, récompense annuelle du Festival de Jazz de San Sebastian qui le place désormais aux côtés de Keith Jarreth, Wayne Shorter, Toots Thielemans et compagnie, tous récipiendaires distingués en leur temps. Dans son discours Miguel Martin, patron du festival basque a voulu célébrer « Portal l’un des grands musiciens de jazz du XXe et du siècle qui commence » Le musicien natif de Bayonne, à trente kilomètres au nord de San Sebastian a souligné lui qu’il n’avait pas joué sur une scène du festival basque depuis 34 ans…Eternelle bataille entre le savoir faire et le faire savoir. En précisant de surcroit que quel que soit le genre, il se sentait toujours musicien avant toute chose. « Et depuis toujours, je déteste les étiquettes que l’on colle à la musique comme aux musiciens » Emu tout de même Michel Portal, par cette reconnaissance personnelle et artistique sur ce bout de sa terre, entre montagne et océan…
Dans ce trio des trois P chacun connait l’autre bien sur. Il ne faut que quelques mesures pour jauger de l’osmose, de l’énergie contenue au niveau du discoures. Michel Portal enclenche les « hostilités » au travers d’une de ces compositions « Blow up », objet de virevoltes de notes aigües « Ce titre anglais explique clairement qu’il me faut aller chercher très haut!… » On le devine plus engagé que jamais dans la musique fabriquée à main nue sur les clefs. celles de la clarinette basse claquent sous les attaques répétées à haut voltage rythmique. Le lauréat octogénaire « sans le savoir » passe sans transition à une autre composition. Max mon amour fut écrite comme musique d’un film du réalisateur japonais Nagisa Oshima. La clarinette basse laisse échapper une sonorité de pur velours. Viennent successivement s’y imbriquer le souffle de l’accordéon, autre couche de mélodies suave. Emile Parisien s’y inscrit son tour, invoquant l’héritage de Sydney Béchet. Lorsque la chaleur monte, sortent les claquement d’anche, de becs en supplément d’âmes et de registre (Egyptian Fantasy) Le concert avance en autant de jaillissements, de surprises ménagées ou pas. Les notes volent sur ce terrain de jeu partagé.. Complicité et respect, écoute mutuelle. Le public venu ce midi-heure matinale en Espagne- manifeste bruyamment son adhésion. Son plaisir. Dans l’échange jaillissent des séquences toute de puissance, d’intensité, de densités de traits musicaux. Jusqu’au final sur un thème rag time mille volts signé Duke Ellington.
Au final avouons le, difficile vraiment de retracer le fil exact d’un concert, mpment unique à si haut voltage. Trop plein d’émotion, de flux tendus dans les tempes. Public debout, déchainé, et qui acclame le trio. Iñigo, autrefois impliqué dans Jazzaldia clame son enthousiasme « C’est LE concert du festival ! »
Les trois sont encore présents, minuit sonné, sur la scène du même théâtre. L’énergie elle aussi se trouve toujours fidèle au rendez vous. Saisie au vol d’entrée de jeu -dans cet orchestre chaque concert le dit et le prouve dans l’action- via Roberto Negro. Portée par Manu Codjia aussi bien sur, lui si taiseux au dehors mais engagé si fort dans ses explorations de guitare branchées très électriques. Lorsque vient le temps du titre bizarre figurant dans lle nouvel album (Emile Parisien Quintet, Sfumato, ACT music) Vincent Peirani prend les rênes, fait sortir de l’ombre et de son accordéon une mélodie ample, profonde au bout de notes majestueuses. Sfumato dans la dernière nuit du festival fait sonner des morceaux gigognes, (Le clown tueur de la fête foraine I et II) succession de lignes croisées surfant sur des rythmes fliuctuants. La rythmique au sens élargi ( batterie, basse mais piano, accordéon, guitare également) tient un rôle clef. Arôme de l’air, composition de Joachim Khun se laisse porter par l’accordéon de Vincent Peirani. Quelques accents relient le groupe à certains formations de Gil Evans. Climats, montées en régime, ruptures comme marqueur du temps, couleurs acides. Chef d’équipe, de meute et d’orchestre tout à la fois Emile Parisien, trentenaire tout juste s’avère un souffleur inépuisable. Un compositeur prolixe, éclectique, générateur d’un jazz bien de son époque. Sur scène, avec la banane en bagage accompagné, à San Sebastian il s’est révélé une fois encore encore transmetteur décidé, lucide. Infatigable.
Chick, encore et toujours
« Ce trio existe depuis 1986 ! » dit Corea en guise de présentation. Question cohésion, facilité dans l’ « linterplay », l’échange, l’interaction, cela se ressent tout de suite. On peut dès lors se poser la question: qui pousse à l’origine de cet élan jazz ? Le pianiste vers le duo rythmique ou vice versa ? Chick Corea ainsi retourné à ses premières amours acoustiques retrouve ses fondamentaux pré époque Miles: aisance technique, fluidité, équilibre main droite main gauche dans l’exploration du clavier. Plus une inspiration chez lui toujours empreinte d’une certaine fraicheur, un brin de dérision même dans l’art pianistique exposé. Il joue littéralement avec (la musique de) Scarlatti. Dave Weckl fait une introduction solo construite avec brio. Corea enchaine aussitôt sur cette ligne au travers d’accords plaqués (clusters) sur les basses. Trois minutes de Boléro, fidèle à la partition de Ravel (né à Ciboure, à vingt cinq kilomètres à peine de la capitale du Guipuzcoa), occasion d’un plaisir certes, d’une petite facilité auprès du public basque de la part d’un Chick sourire aux lèvres. Vient enfin, en rappel comme souvent son thème fétiche figurant en tête de gondole des grands succès du jazz « Nous allons le jouer dans un tout nouvel arrangement que je viens d’écrire « Effectivement ce Spain làressort plus lent, très syncopé désormais, mais plus léger dans sa marque rythmique. Occasion pour John Patitucci d’offrir sur ces harmonies à consonance iatino-ibérique traitées à l’archet, un chorus de basse lumineux. Il n’évite pas toujours quelques facilités, sans doute le revers de son côté ludique. Pourtant sur une scène Chick Corea joue sans renâcler. Et se livre. C’est dans son tempérament. Vu le dialogue entamé avec le public et le jeu de refrains à chanter avec lui, La Trini, en cette nuit de clôture de Jazzaldia la fortement inspiré le pianiste toujours amoureux des musiques madein…Spain.
Robert Latxague