Itxassou 2018 deuxième partie
Dernière soirée à Itxassou, dans ce festival unique qui mélange non seulement les styles de musique mais propose aussi conférences, danse, musiques. Cette dernière soirée fut marquée par la prestation du grand André Minvielle.
Photo: Jean-marc Coquerel (site du photographe à découvrir sur www.jmcoquerel.com)
Avant le soir il y a le matin et l’après-midi, et à Itxassou ce ne sont pas des moments de pause ni d’attente car il se passe toujours quelque chose. Ce matin-là, une conférence sur le chant (fil rouge de cette édition 2018) réunit deux grands chanteurs du pays-Basque, Beñat Achiary et Jean-Michel Bedaxagar. Il se trouve que cette discussion a lieu dans la salle où sont exposés les portraits des plus grands bertsularis du pays basque, ces poètes improvisateurs virtuoses qui sont ici l’objet d’une grande vénération, et dont les joutes verbales sont suivies par des milliers de personnes.
Devant ces maîtres de la versification improvisée (capables de chanter à l’occasion) Beñat Achiary et Jean-Michel Bedaxagar ont donc évoqué leur art. Avec simplicité et émotion, Jean-Michel Bedaxagar a parlé des basa ahaide, ces chants dédiés aux oiseaux dont la tradition s’est conservée dans certaines régions du pays basque. Pensif , il émet l’hypothèse que l’observation de ces majestueux volatiles aurait influencé les chanteurs basques : « Ils n’avaient que cela à faire toute la journée, regarder l’envol de ces oiseaux, comment ils montent, et comment arrivés là-haut ils prennent possession de l’espace… ».
Beñat Achiary complète les propos de son ami: « C’est peut-être pour cela que le chant basque commence bas et finit haut, un peu comme le choucas qui prend son envol depuis les entrailles de la terre… ». Jean-Michel Benaxagar, toujours méditatif, relève que le milan est capable de débusquer sa proie au sommet des cieux: « Quand on est loin et haut, en fait on est tout près… » dit-il, songeur.
Il est ensuite question de transmission. Beñat Achiary énonce quelques propos qui éclairent à la fois son esthétique personnelle et celle du festival, où la musique basque entre en dialogue avec le jazz ou et les musiques du monde: « Pour qu’une transmission soit réussie, il faut ne pas trop la vouloir…Il faut ne pas se laisser prendre par l’angoisse des choses qui se perdent…Il faut avant tout continuer à créer. La peur de se perdre, il faut en finir avec ça… ». Et à la fin de cette discussion amicale et informelle Jean-Michel Bedaxagar, habité, entonne un magnifique basa ahaide sur le vol de l’aigle. Il chante en fixant un point invisible au loin, très droit, les mains sur les hanches, en escaladant les aigus palier par palier. Après lui Beñat Achiary se lance dans une autre basa ahaide, composée par lui-même, et dédié au gypaète barbu, volatile injustement négligé qui n’avait pas eu encore le privilège d’avoir un hymne en son honneur…
Photo: Chloe Kritharas
L’après-midi, sous le chapiteau semi-ouvert, on peut entendre des groupes de jeunes musiciens. Parmi les découvertes de cette année, le très joli duo de Dafné Kritharas (voix) et Paul Barreyre (guitare) autour de chants grecs traditionnels. Au fur à mesure du concert la voix de la chanteuse devient de plus en plus habitée, en particulier dans les chansons orientalisantes. La réussite de ce duo doit beaucoup au guitariste qui l’accompagne. Il a une sonorité qui fait parfois penser à un luth. Aux aguets, il veille à ce que sa virtuosité porte sa partenaire sans jamais l’étouffer.
Autre duo marquant : celui de Julen Achiary et de Julie Lobato, duo de percussionnistes-chanteurs qui ont voulu que les chants accompagnent les tambours et non pas le contraire. Mais Julie Lobato le dit bien plus joliment : « Nous nous sommes demandés ce que nous chanterions si la musique venait des tambours ». Ici donc, la voix accompagne la percussion autant que la percussion accompagne la voix. Les chants viennent de la partie turque de la mer Egée. Ce sont des zeybeks, qui racontent les aventures épiques de guerriers vivant dans la montagne. En plus de tous les tambours dont elle joue, Julie Lobato démontre sur le dernier morceau qu’elle sait faire des claquettes. Projet très beau et original.
Et c’est Michel Doneda, saxophoniste radical, poète du son, qui ouvre la soirée. Michel Doneda est un explorateur du son. Ou plutôt de ses limites et de ses frontières. Il se collete avec le son dans une sorte d’urgence existentielle. Il le pétrit non comme un potier aux gestes souples, mais plutôt comme un sculpteur de métal, maniant le fer à souder au milieu du fracas et des gerbes de métal.
Il tente des phrases dans les aigus, les suraigus, les graves, les surgraves, cherche son chemin dans les bruits de succion ou de souffle, il prend un temps après chaque phrase, comme s’il attendait un écho. Il se déplace, à la recherche de postures et d’angles différents pour lancer ses traits. C’est radical et austère, mais plein de grandeur. Michel Doneda est un cathare. Bien sûr sa démarche exigeante suppose un certain investissement de la part des auditeurs. Si cela marche, c’est qu’il y a chez lui une sincérité qu’il est impossible de mettre en doute. Doneda, poète malaxeur de sons, semble lier la stabilité de son monde intérieur à la vigueur de ses aigus. Beñat Achiary le rejoint pour deux morceaux, et les voilà en train d’explorer quelques sorties de routes en duo.
Photo Maita kultura
Après la radicalité de Michel Doneda, c’est la rondeur d’André Minvielle. Il est tout seul sur scène, assis derrière un petit cube qui lui sert d’établi, avec ses pédales, ses boucles, et tous les petits objets ( bouteille en plastique…) qui vont lui servir pendant le spectacle : il y a un art de la récup’ chez André Minvielle, bidouilleur de sons, d’histoires, d’accents…
Et donc derrière son établi, avec autant de naturel que s’il s’allumait une clope après un apéro entre amis, tout en racontant ses blagues, Minvielle fait ses boucles, et chante dessus. Quel groove ! Derrière André Minvielle chanteur, on oublie trop souvent le rythmicien imparable…
Quant au chanteur…je connais peu de voix aussi chargées d’humanité que la sienne, avec ses délicieuses petites craquelures, sa patine, ses aigus agiles et fragiles, elle fait merveille lorsqu’il attaque ses tubes (« pas l’temps d’se balader »). Il termine par une belle chanson de Prévert sur les étrangers (on ne disait pas encore les migrants) qui date de 1946 et semble avoir été écrite avant-hier, et en rappel, le merveilleux Indifférence, avec les paroles inspirées qu’il a placées sur la valse de Tony Murena et qui ont totalement vampirisé cette chanson. Impossible de se lasser d’entendre Indifférence par Minvielle, avec ce petit bond d’allégresse que l’on sent dans sa voix lorsqu’il reprend le refrain en occitan…du grand art. Ainsi se termine l’édition 2018 du festival d’Itxassou.
JF Mondot