Jazz em Agosto : Slow is Possible, Highsmith Trio, The Book of Heads, Dither, Insurrection
La canicule qui s’est abattue sur la capitale n’entrave en rien la poursuite des hostilités, avec la deuxième formation portugaise de cette édition, un trio inédit, un documentaire austère et une pléiade de guitaristes fracassants.
2 août
Slow Is Possible
Joao Clemente (elg), Ricardo Sousa (b), Bruno Figueira (as), André Pontifice (cello), Duarte Fonseca (dm), Nuno Santos Dias (p)
S’établit d’abord un drone, chacun apportant sa pierre à une – lente, c’est dans le titre – montée en puissance. Le temps devient élastique, l’espace se dilate. Malgré une instrumentation plutôt jazz (et un violoncelle électrique ayant fière allure), l’ensemble relève du rock tout en veillant à demeurer moelleux aux oreilles. La musique s’élève et s’éloigne en marées successives; les vagues se retirent peu à peu avant l’ascension vers un nouveau paroxysme. Saxophone et guitare y vont bien de quelques phrases, mais évitent sciemment de se détacher de la masse par des solos qui se présenteraient comme disruptifs dans ce contexte. Les stations dans de faibles volumes sont valorisées, dans un mouvement de balancier avec les moments d’opulence. Une esthétique parfaitement réalisée, mais repliée sur elle-même et non sans un certain systématisme dans les effets.
Highsmith Trio
Craig Taborn (p), Jim Black (dm), Ikue Mori (elec)
Au départ, ce projet est un duo de Taborn et Mori (« Highsmith » sur Tzadik). Jim Black les rejoint pour cette occurrence. Le batteur semble friand de nouvelles rencontres, ainsi que l’illustre sa récente collaboration avec le groupe vocal Vox Bigerri. La musique, pointilliste et fragile, est entièrement improvisée, la communication optimale. Black secoue de petits objets et joue avec des chiffons comme s’il chassait des mouches. Craig Taborn effleure à peine touches et cordes, multiplie les écarts incongrus, affectionne les aigus précautionneux. Sa concentration est palpable. Ikue Mori tire de son équipement des timbres métalliques évoquant quelque langage extra-terrestre. Le batteur lance sans raison apparente un groove sec, soudain comme un coup de tonnerre. Un exercice de style dans l’indétermination formelle, une musique qui ne peut exister que dans les rêves, ébauche de mondes impossibles, matrice de démons et merveilles.
3 août
Film “John Zorn’s The Book of Heads – 35 Etudes for solo guitar performed by James Moore”.
Ici projeté sur grand écran, le film a déjà été publié sur Tzadik en bonus du disque du même nom. James Moore est seul avec son instrument, les partitions, de multiples objets (ballons qu’il gonfle, frotte sur les cordes ou écrase du pied, poupée, verreries…). On reste au plus près de la guitare, souvent filmée en gros plan. Les Etudes, datées de la fin des années 70-début 80 sont jouées en intégralité, entrecoupées de parcimonieux échanges avec l’ingénieur du son. Certes spartiate, le film est passionnant. Spécialiste des premières œuvres de Zorn, Moore s’est emparé avec gourmandise de ce répertoire des plus difficiles à jouer – rien d’étonnant, donné la foule d’indications et contraintes données par le compositeur, et la précision requises. Le film est souvent proche du silence, et l’on peut entendre les répétitions du quartette Insurrection à travers les murs de la salle !
Dither “Game Pieces”
James Moore, Taylor Levine, Josh Lopes, Gyan Riley (elg)
Le corpus abordé fait partie des game pieces originelles de Zorn, jadis enregistrées avec d’autres musiciens. Il est permis de préférer ces nouvelles adaptations pour guitares électriques, le plus souvent en trio, et en quartette pour la pièce finale. Des versions distinctes (« dry » puis « wet »!) de Hockey sont proposées. Sur le modèle des disciplines sportives, l’interprétation est soumise à des règles du jeu. Le cours de la partie est infléchi par les participants : signaux de la main, de la tête, regards, initiatives, réactivité, changements de cap… Une trame existe mais n’est que l’un des paramètres. Le concept ne serait rien si le résultat n’était épatant, grâce au sérieux des intervenants, leur dévouement à un matériau qu’ils affinent depuis plusieurs années. Avec Fencing, ce sont des renvois de balle rapides comme l’éclair, des défis lancés, chacun devant puiser dans toute son expérience pour relever le challenge. Moore insère des riffs funky et autres citations de titres connus de tous (citons The Police et Nirvana), la partition lui demandant à cette étape de manipuler quelques clichés (et c’est déjà le Zorn de Naked City qui prend forme). A contrario, Curling est intériorisé, sans hachures ni rayures, les musiciens n’échangeant plus de regards, s’isolant volontairement. Aussi étonnant que convaincant.
Insurrection
Julian Lage (elg), Matt Hollenberg (elg), Trevor Dunn (elb), Kenny Grohowski (dm)
Le CHOC attribué par Pascal Rozat, Zornien de première bourre, à l’album studio du groupe, s’étend à sa restitution scénique, ayant fait l’objet de répétitions prolongées. Les deux guitaristes, visiblement admiratifs l’un de l’autre, échangent des solos brefs et incisifs, sur des compositions accessibles et inspirées, entre titres dévastateurs et ballades onctueuses bigrement attachantes. Outre des sonorités aussi dissemblables que complémentaires, le contraste visuel est frappant entre le longiligne et souriant Lage, virtuose certifié, et le renfrogné et tumultueux Hollenberg. Se succèdent un funk-rock dérangé, du pop-rock mélodique et pensif, une ballade à la Buckethead, nouveau trésor et preuve qu’existent chez Zorn des plages d’euphorie que rien ne vient troubler, un swing furibard, une douceur sucrée, et du grand méchant métal en fusion, chaque demi-croche chargée de fracas, d’injustices et de vexations. Il faut saluer la polyvalence de Kenny Grohowski et de superbes et superbement sonorisées parties de basse électrique de Trevor Dunn. En rappel, c’est désormais une tradition, un morceau belliciste pour achever tout le monde. A l’écoute de ce concert sensationnel, à peine troublé par la simultanéité d’une corde cassée et de l’envol d’une baguette fugueuse, on imagine Zorn pris d’un rire sardonique à la Vincent Price. David Cristol
Photos : Gulbenkian Música / Petra Cvelbar