Jazz live
Publié le 10 Sep 2018

JAZZ à LA VILLETTE : MEGAOCTET et SACRE DU TYMPAN

Fin d’après midi en grandes formations le dimanche 8 septembre à la Cité de la Musique, avec deux orchestres membres de la fédération Grands Formats : le MegaOctet d’Andy Emler, et le Sacre du Tympan de Fred Pallem.

La scène attend le MegaOctet

ANDY EMLER MegaOctet

Andy Emler (piano, composition, direction), Laurent Dehors (saxophone ténor, clarinette basse), Guillaume Orti (saxophone alto), Philippe Sellam (saxophone alto), Laurent Blondiau (trompette), François Thuillier (tuba), Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie), François Verly (percussions)

Cité de la Musique, Salle des concerts, 8 septembre 2018, 16h30

Le concert commence par le tuba seul : lignes agiles, harmoniques, multiphonie, expressivité, liberté ; le ton est donné. L’orchestre entre avec des unissons sur un rythme magnifié d’accents et de syncopes qui ouvre la voie à un solo de ténor de Laurent Dehors : on est au cœur du sujet, avec Stand-Up and… blow, un thème du nouveau disque (Andy Emler MegaOctet «A Moment For…», à paraître le 5 octobre, La Buissonne / Pias). Et l’on va poursuivre avec ce nouveau répertoire, et Move out… if ; d’unissons en répons, c’est toujours musicalement tendu. Laurent Blondiau émerge en soliste, sourdine et effets wah-wah, expressivité toujours, et un dialogue avec le tuba. Puis sous le tutti qui propulse le soliste, c’est une diablerie rythmique, qui va entraîner François Verly au marimba dans un tempo dément : mise en suspens brutale, et accord final, le tour est joué. Pour le thème suivant, qui donne au Cd son titre, un solo de Claude Tchamitchian, riche en modes de jeu hétérodoxes et en harmoniques, va croiser dans l’aigu le sax alto de Guillaume Orti, lequel va ensuite timbrer doux et tendre, puis s’engouffrer dans un son déchirant, stimulé par une percussion boisée. Entre alors le piano, avec des accords tout tendus de mystère : crescendo vers un effet de masse qui réaffirme, haut et fort, que cette musique de grands solistes est avant tout collective. Dans un stop chorus final en plusieurs épisodes, Guillaume Orti nous délivre une leçon de lyrisme dont il détient le secret. Vient alors un thème dédié à l’autre saxophoniste alto, Philippe Sellam, compagnon de la naissance du MegaOctet, voici près de 30 ans, tout comme François Verly. C’est le retour aux rythmes segmentés, à la (pro)fusion. Batterie, tuba et sax ténor, par entrées successives, font monter la tension. Philippe Sellam entre doucement dans le solo mais la pression s’affirme, jusqu’à un certain paroxysme. Le temps d’une accalmie, Andy Emler présente le soliste tandis que sur ses arpèges Guillaume Orti relance un dialogue anguleux, avec les autres sax, qui tiendra lieu de coda.

La pièce conclusive commence par un duo percussions-cymbales entre François Verly et Éric Échampard avant que de part et d’autres les tambours ne partent en tension : diablerie rythmique encore ! Tutti avec dialogue des souffleurs sur ce groove électrisant, avant un break de piano façon jazz funky (pas funk : il s’agit du jazz de la toute fin des années cinquante dont l’auteur de ces lignes, encore enfant, se délectait….), et après un solo de tuba et un court intermède de piano cristallin le groove reprend ses droits (forme à tiroirs, toujours, comme Andy Emler les affectionne). De sa clarinette basse privée de son embouchure, Laurent Dehors, dissimulé derrière un pupitre pour s’approcher du micro, tire des sonorités de flûte alto, voire de flûte basse ; ce mystère organologique nous conduit vers un retour au dialogue percussion-batterie, comme clôture de la forme. Fin du concert mais rappel insistant : Andy Emler, au piano et au micro, va présenter un à un ses solistes, qui vont improviser successivement en guise d’au revoir. Tout le concert fut un grand moment de musique.

Bonne nouvelle pour ceux qui sont près de Paris : le MegaOctet sera de retour en concert le 9 novembre au Triton (Les Lilas, 93).

FRED PALLEM & Le Sacre du Tympan «L’Odyssée»

Fred Pallem (guitare basse, composition, direction), Christine Roch (saxophone ténor, clarinette basse), Rémi Sciuto (saxophones baryton & sopranino, flûte, synthétiseur), Sébastien Palis (orgue, clavinet, synthétiseur), Sylvain Bardiau (trompette, bugle), Robinson Khoury (trombone), Guillaume Magne (guitare électrique), Vincent Taeger (batterie), Anne Le Pape, Aurélie Branger (violons), Séverine Morfin (alto), Michèle Pierre (violoncelle). Invités : Théo Ceccaldi (violon électrique), Thomas de Pourquery (saxophone soprano)

Cité de la Musique, Salle des concerts, 8 septembre 2018, 18h

L’introduction est imposante : effets spéciaux, lumières omniprésentes, sonorités électro-électronico-acoustiques façon Pierre Henry millésime 1967, riffs des souffleurs et accords de guitare début sixties. En fond de scène, projections flashy tirées notamment des images d’Elzo Durt qui accompagnent le disque : attention, spectacle total ; Richard Wagner n’a pas tout inventé…. Vient un solo de guitare teinté de musique indienne avec un son corny de synthétiseur vintage. L’orchestre cultive les sonorités seventies, et le goût de son leader pour les orchestrateurs qui jonglaient savamment avec les musiques populaires. Souvent l’atmosphère Morricone se fait entendre. Rémi Sciuto, au sopranino, va soudain mettre un brin de folie dans ce propos millimétré, suivi par Robinson Khoury, étoile ascendante du trombone-jazz, et Sylvain Bardiau, pilier du trio ‘Journal intime’. Le thème suivant est de nature plus descriptive, entre musique de genre et musique à programme. Flûte alto, trombone et clarinette basse plantent un décor où l’ombre de Morricone, encore, semble planer, dans un univers à la tonalité mouvante. Voici le premier invité, Théo Ceccaldi. Sur un thème de grands espaces cinématographiques, le violon va s’enflammer progressivement, avant que cordes et souffleurs ne lui répondent sur un mode plus mélancolique. Après un épisode qui me rappelle un peu le groupe Iron Butterfly (sixties encore), avec de furtives dissonances assumées, et un solo de sax ténor entre deux diapasons, l’orchestre va accueillir Thomas de Pourquery, lequel à son tour va déclencher un incendie d’improvisation : prestation assez brève mais décisive. Ce sera ensuite une pièce plutôt folky, qui évolue en motif répétitif, avant interlude mélancolique de flûte, puis superbe solo de trombone, ambiance de valse, et atmosphère country and western avant la coda. Pour le dernier titre, après une intro de basse entêtante et des riffs, c’est du cinéma pour l’oreille, à grand spectacle, avant un solo de guitare façon psychédélique, puis atterrissage à nouveau vers l’horizon Morricone. En rappel, ce sera une douce mélodie de Bernard Hermann, sur laquelle Rémi Sciuto, à l’alto, va nous tirer des larmes de joie nostalgique. Après bien des écoutes, la première étant le Concours de La Défense en 2000 (j’avais déjà 17 ans de jury-s- au compteur), puis un concert produit par mes soins à Radio France en 2001, et les disques et concerts de l’orchestre qui suivirent au fil des ans, je considérais que Le Sacre du Tympan n’était pas forcément chaque fois ‘ma tasse de thé’ selon la formule anglophile consacrée, ou plutôt ‘mon verre de vin’ selon celle que j’emprunte volontiers à Jacques Réda, Bourguignon avéré, et qui possède sur moi l’ascendant (en plus qu’être poète !) de collaborer à Jazz Magazine depuis 1963, quand je n’y gribouille que depuis 37 ans. Et je dois avouer que ce programme me fait adhérer à la cohérence du projet, et à son parti pris d’hybridation. J’étais venu pour le MegaOctet, et je suis volontiers resté pour le Sacre. Le travail d’Artisan d’Art du leader, et la qualité de ses partenaires, ont heureusement eu raison de mes hésitations.

Le disque de ce nouveau programme paraîtra le 5 octobre en CD, vinyle et Flac (Fred Pallem & Le Sacre du Tympan «L’Odyssée», Label Train Fantôme . L’autre distribution)

Le Sacre du Tympan donnera cette musique le 18 octobre à Nancy (Festival Jazz Pulsations), le 9 novembre aux Gémeaux, à Sceaux (Hauts-de Seine), et le 25 novembre à l’Aigle (Orne) pour le festival Jazz en Ouche.

Postlude : Discours musical et Discours d’escorte

Les deux orchestres de cette soirée ont en commun, au fil de leurs histoires respectives, des collaborations de solistes : ils ont ainsi accueilli l’un et l’autre Christophe Monniot, Thomas de Pourquery, Médéric Collignon, pour ne citer qu’eux. Les circonstances ont fait que les textes promotionnels accompagnant la sortie des nouveaux disque du MegaOctet et du Sacre duTympan (qui sortent le même jour, le 5 octobre) sont arrivés avant ce concert dans mon escarcelle. Autant le texte sur le Megaoctet est sobre et concis (une page informative), autant celui qui présente le nouveau disque du Sacre du Tympan déborde de formules, sur trois pages : «Fred Pallem est un esthète. Ce n’est pas parce que sa musique est pleine de fantaisie qu’elle est nécessairement foutraque, ni, sous prétexte qu’elle ne cache pas son hédonisme, qu’il faut la juger superficielle» ; «En Quentin Tarantino du son, transgressant résolument les limites définies par les censeurs du bon goût, il remet en lumière des pans entiers de musiques longtemps regardées de haut par les spécialistes» ; etc…. En fait, on pourrait en dire tout autant d’Andy Emler. Je sais que la dure loi de la mercatique, en ces temps austères pour la musique vivante, obligent à l’hyperbole. Mais si la musique d’Andy Emler parle d’elle même, celle de Fred Pallem le peut tout autant. Ce concert le prouve. Alors, s’il vous plaît, rangez le discours d’escorte, et laissez-nous le seul plaisir de la musique ! J’écris ceci en toute lucidité, après une (vaine ?) tentative de rendre compte, en 1554 mots et 9700 signes, de ce concert….

Xavier Prévost