Jazz à la Villette Sons Of Kemets XL & Christian Scott “Afro New Orleanian”- Black Indian Music. 4 Septembre 2018.
Sons Of Kemets XL
En retard, ce fut malheureusement mon cas, mais par chance je pus me faufiler dans l’antre de La Villette, rapidement conquise par Shabaka Hutchings et ses Sons Of Kemets version extended. La Grande Halle pleine comme un œuf, est littéralement transformée en étuve, chauffée à blanc par les incandescences tribales d’une polyrythmie impressionnante propulsée comme annoncée, par pas moins de quatre batteurs (!). Le saxophoniste leader et son compère Théon Scott au tuba, débordent littéralement d’une énergie renversante, et soufflent sans faiblir, sur les braises ardentes de cette pulse obsédante. Pas de doutes, nous sommes ici bien au-delà des simples références spirituelles qui ont préalablement étiquetées cette musique, dont la puissance et l’énergie communicative s’apprécient et prennent leur ampleur, essentiellement sur scène. Véritable fanfare rétro-futuriste, Sons Of Kemets mène son set, poussé par la liesse d’un public acquis à sa cause libertaire, Shabaka Hutchings et son souffle brûlant, s’affirmant au fil du concert comme un digne héritier des grands agitateurs free, de Pharoah Sanders à Archie Sheep.
Christian Scott “Afro New Orleanian” – Black Indian Music.
L’entracte bienvenu nous permet de reprendre nos esprits. Christian Scott entre en scène à la tête d’une imposante formation où l’on note la présence du saxophoniste alto Logan Richardson. Le concert démarre sans réel tour de chauffe. Dès le second titre, un West Of The West (extrait de l’album “Stretch Music” de 2015) joué dans une pure tradition jazz-funk seventies, donne le ton, avec en point d’orgue le superbe solo de l’invité surprise : le jeune guitariste français Gabriel Gosse. La suite du set va naviguer entre traditions jazz, indie rock et nuances urbaines, affirmant le talent du pianiste Samora Pinderhugues, dont les ostinatos tournoyants assurent brillamment l’ossature harmonique et rythmique de ce grand métissage afrocentrique. Impressionné par la redoutable efficacité du batteur Corey Fonville, on reste néanmoins focalisé sur Christian Scott dont le jeu aérien a illuminé la grande halle de milles éclats. A la manière d’un Miles Davis, le trompettiste tend toujours plus vers un vocable méticuleux, soucieux du placement de la note juste. Décrochant rarement de ses trames mélodiques, Scott se joue de l’espace, laissant superbement éclater d’amples textures sonores aux puissants effets soniques. Sa connexion complice avec le lyrisme velouté de Logan Richardson, nous a fait presque oublier l’absence de la flûtiste Elena Pinderhugues. Pour au final, un superbe concert, ponctué avec brio par les chants percussifs à l’enthousiasme communicatif du Grand Chef Juan Pardo.
Aftershow.
C’est une règle : ne jamais quitter trop tôt La Villette, car dès les dernières notes du concert de Christian Scott, c’est la petite halle qui semble alors prise d’une attente frénétique. Le talentueux pianiste Enzo Carniel occupe déjà la scène, réglant minutieusement ses claviers électriques, avant que, rapidement Logan Richardson et Corey Fonville le rejoignent. “Tryptique” (c’est le nom du trio) est l’opportunité d’échanges instantanés, nous offrant toutes les nuances et tensions poétiques d’une musique largement improvisée. On comprend très vite que la nuit sera longue, le trio étant progressivement rejoint par Shabaka Huchings puis Christian Scott, pour une jam session fusionnelle aussi débridée que mémorablement intense.
Jean-Pierre Vidal