Joce Mienniel dans la forêt marseillaise
La forêt, la jungle des villes et la mémoire du végétal dans l’univers urbain. Voilà ce que souhaitait explorer Joce Mienniel en créant Dans la forêt, spectacle où ses flûtes et ses miscellaneous (comme on lisait autrefois sur les pochettes de disques) passent au filtre de l’électronique et des images projetées par Romain Al’l. C’était hier 28 septembre au festival Les Emouvantes de Marseille qui se termine ce soir au Théâtre des Bernardines avec le grand ensemble Ellipse de Régis Huby.
Illustration: Mon petit pan de mur (matin de brume) © X. Deher (fictional cover)
Sur l’écran, des autos passent rapidement sur ce qui semble être une voie souterraine et la flûte commence à faire tourner une figure mélodique avant même que Joce Mienniel n’apparaisse à son tour sur l’écran, comme traversé par les passages de voitures. Peut-être n’apparaît-il qu’en transparence ? Mais non, car voici son double à droite, dans un écran parallèle séparé du premier par ce que nous prenions pour un pilier de ce sous-sol. Et en voici, encore un autre… donc un triple, à gauche d’une autre bande séparatrice que nous avions pris pour un autre pilier. Ils sont bien trois, distincts par leurs mouvements légèrement différents. Il va sans dire que ces ajouts correspondent à des entrées en scène d’autres flûtes, à l’unisson, décalées comme en écho (mais avec une espèce de sécheresse qui évoque moins un écho qu’un déphasage) puis en contrepoint, tandis que de temps à autre, l’une ou l’autre des trois parties de l’écran fait voir des gros plans sur les doigts de l’instrumentiste en action. D’autres séquences nous ferons voir des défilements de zones semi-urbaines semi-vertes filmées des fenêtres d’un train et différents paysages hachés par le déploiement structurel de ponts à haubans, des plans de canopée forestière saisis du sol par une caméra en mouvement, puis des plans fixes sur des structures industrielles désaffectées où la verdure semble sur le point de reprendre ses droits. Le flûtiste apparaît enfin en vrai, seul, en transparence à travers les images projetées où il se fait plus ou moins visible selon la façon dont il est éclairé, des nuées (de flocons ? De feuilles ? De fleurs de semences ?) s’abattant parfois pour tournoyer autour de lui.
Ssuperposition de boucles jouées puis séquencées en direct, tandis que de nouvelles sont introduites par le flûtiste qui pose par-dessus l’édifice qu’il a bâti de ferventes improvisations, tout en continuant à fouler (comme on foule le raisin après vendange) le kit de pédales de contrôle d’un impressionnant dispositif. Le tout filtré par l’électronique qui laisse planer quelque mystère. Le mystère acoustique fait partie du charme, et même si l’on soupçonne le recours à quelques séquences pré-enregistrées, même si l’on identifie les flûtes traversières, de la basse au piccolo (mais dont il tire parfois des sonorités évoquant les tradition extra-européennes), même si l’on reconnaît une guimbarde, des sons corporels, un tin whistle, un harmonica, de la voix criée ou chantée… on se laisse posséder par ces tambourinages tribaux ou animaux, ces orages électroniques, ces sabbats hululants et ces ramages imaginaires… La forêt est en transe au fil d’une succession de numéros tous assez fascinants, mais dont l’addition mériterait, à mon goût peu porté sur le répétitif, d’être un peu élaguée (notamment du côté vidéo). • Franck Bergerot