D’Jazz Nevers (1) : Ferlet, Peirani, Huby
Édouard Ferlet « Think Bach »
En solo dans la petite salle de la Maison de la Culture, où se tiennent chaque jour à 12h15 des concerts fort courus malgré l’horaire atypique, le pianiste présentait son travail au long cours autour de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, objet déjà de deux albums et même d’un recueil de partition auto-édité. On pourrait facilement se laisser écraser par la stature imposante du Cantor de Leipzig : pas Édouard Ferlet. Souriant et toujours prêt à dégainer une plaisanterie pince-sans-rire pendant qu’il prépare savamment son piano entre deux pièces, notre homme a su trouver la juste distance avec son sujet, respect sans déférence, goût du jeu sans dérision. Là où les œuvres de Bach se déploient inexorablement comme s’écoulerait une rivière, il se plaît à en stopper le cours en isolant une portion de voix, comme on observerait un détail au microscope, se plaisant souvent à la mettre en boucle, à lui insuffler un groove pour atteindre une sorte de transe jarretienne sous contrôle, dont les accents gospelisants rejoignent d’une certaine manière par des voix détournées la ferveur luthérienne de l’original. Parfois, le pianiste se risque à une relecture plus proche de la partition, comme sur le célébrissime et pour une fois tout à fait reconnaissable Prélude en do majeur ouvrant le Clavier bien tempéré, en équilibre sur une crête étroite qui le retient toujours de tomber dans la facilité.
Vincent Peirani Living Being
Le revoici donc, ce Living Being dont on avait pu découvrir le nouveau répertoire cet été lors d’un mémorable concert sous la pluie au Festival Radio France Occitanie Montpellier (à réécouter ici). Ce lundi soir, il pleuvait aussi à Nevers, mais le concert se tenait fort heureusement au sec, sous le toit du charmant théâtre municipal à l’italienne récemment rénové. À la manière d’un groupe de rock – ce qu’il est d’une certaine manière –, le quintette de l’accordéoniste joue l’album et rien que l’album (ou presque), du Bang Bang de Sonny Bono introductif au What Power Art Thou / The Cold Song de Purcell conclusif, en passant par l’inévitable medley Kashmir to Heaven de Led Zeppelin, sans oublier les très belles compositions originales (dont Enzo, dédié à son fils). C’est qu’on est ici dans une esthétique où la précision des arrangements, le sens du détail et de la dramaturgie, la célébration de la mélodie comptent davantage que l’improvisation tous azimuts, même si la plupart des pièces recèlent leur lot de débordements savamment contrôlés, où le soprano intense d’Emile Parisien s’en donne à cœur joie sur fonds de déferlements rock (impressionnante rythmique !). En rappel, Workin’ Rhythm résuscite opportunément le Living Being première manière, avec à la clé un spectaculaire duo entre l’accordéon du leader et la batterie de Yoann Serra. Un triomphe, forcément !
Régis Huby “The Ellipse”
Au théâtre municipal, toujours, Régis Huby présentait le lendemain son projet en grande formation créé en décembre dernier au Théâtre 71 de Malakoff (avec un casting légèrement différent, Marc Ducret se voyant remplacé par Olivier Benoit à la guitare, et Joce Mienniel par Sylvaine Hélary à la flûte). « Structure rhizomique », « sonorité tout à la fois compacte et composite », « chatoiement des superpositions, des timbres, des motifs mélodiques, des rythmes » écrivait avec justesse Franck Bergerot dans son compte-rendu de la répétition générale d’alors. Je ne dirai pas mieux, mais insisterai pour ma part sur la fulgurance de certains intermèdes improvisés, souvent sous la forme de duos instrumentaux émergeant de la masse orchestrale : ceux de Sylvaine Hélary avec le piano incisif de Bruno Angelini (en début de concert) et la contrebasse à l’archet diaphane de Claude Tchamitchian (vers la fin), resteront en particulier gravés dans ma mémoire. Un petit bémol peut-être, qui n’est hélas pas propre à ce projet en particulier : la difficulté, malgré le travail précis et méticuleux de l’ingénieur du son Sylvain Thévenard, de sonoriser harmonieusement ce type de grande formation. Dans les forte en tutti, en particulier, l’impression d’un son trop direct et ramassé, trop massif, trop « dans ta face », si vous me passez l’expression, là où on rêverait plutôt que les vibrations de chaque instrument s’élèvent dans les airs et se fondent dans un ensemble à l’unité impalpable.
Pascal Rozat
Photos : Maxim Francois