Alune Wade, leçon de groove entêtant
11 Dec 2018 #
Dès le premier titre, « Mali Den », le groove s’installe d’une manière subtile. Le batteur Reda Samba distille une pointe de transe marocaine qu’Alune Wade investit depuis longtemps à travers sa collaboration avec Aziz Sahmaoui. La rythmique, c’est la construction sur laquelle se bâtissent les harmonies et qui tout au long de ce concert va rester imprévisible. Une montée constante, sans la brutalité des ruptures, mais avec des suspensions entre les envolées fiévreuses, étourdissantes. Attention aux noms qui marquent ce concert de leur empreinte.
Les solo successifs des Cubains Carlos Sarduy à la trompette et Ricardo Izquierdo au saxophone dans « African Fast Food », deuxième morceau du concert et titre éponyme de l’album, plongent l’atmosphère dans un club de jazz hors temps et hors sol. Alune Wade connaît bien Cuba pour y avoir enregistré deux albums avec le pianiste Harold Lopez Nussa. Il connaît le voyage au sens de la combinaison musicale. Il cueille les cuivres comme une autre respiration et renvoie la signification du titre à un jazz gastronomique. Ce qui souffle, fuse, frappe, s’élève assez haut.
C’est un peu comme les clochettes et le triangle qu’Adriano DD utilise pour lancer le tempo afrobeat de « Donso », dont le son argentin grimpe assez vite quand Cedric Ducheman au clavier électronique en reprend les échos. La figure d’Herbie Hancock se profile. L’inspiration se moque des définitions. Avec « Demna », retour au piano, aux balais qui glissent et frottent sur les cymbales. Les rythmes et les notes évoquent l’eau, le bruissement des forêts, remue-ménage interrompu brusquement par la plainte de la trompette. La voix d’Alune Wade s’empare du reste et de trois notes comme un infini. « Mam Fallou ». Quand il déchaîne un slap sur sa ligne de basse, la tempête gagne la salle.
Le seul titre qu’il explique est en français. « La nuit des lombards » n’évoque pas seulement la rue de certains clubs de jazz parisiens, mais l’arrivée à Paris pour les musiciens attirés par l’envie d’y jouer. Un passage obligé pour réussir un jour. Entre les deux, il y a ce no man’s land du métier et de la vie, de la crêpe au comptoir de la rue, avec ou sans boisson, plutôt sans. Un trompe l’œil qui clignote dans la nuit. Trompette encore, à la note longue qui se cogne aux murs du théâtre, « Pharo’s Dance » et la voix d’Alune Wade en contrepoint. Il y a les rappels et le dernier titre « Café Oran », flamenco arabo-andalou qui embrase définitivement le public. Il paraît qu’Alune Wade était aphone pour ce concert, vivement la prochaine date pour vérifier si sa voix monte aussi haut que ce soir-là. – Marion Paoli
Musiciens :
Alune Wade : chant, basse (Sénégal)
Adriano Tenoriodd : percussion (Brésil)
Carlos Sarduy : trompette (Cuba)
Reda Samba : batterie (Maroc-France)
Cedric Ducheman : piano, claviers (Ile de La Réunion)
Ricardo Izquierdo : sax (Cuba)