Portal Bojan Z live entre nuit de Bigorre et beau ciel de Pau
« Y’en a marre des trucs récités. Tiens une improvisation là, tout de suite, sans micro…» Portal s’avance sur le bord de la scène, lance sur sa clarinette basse tout de go une kyrielle de notes à partir d’un souffle de graves. Assis les coudes posés sur le piano électrique, de profil, Bojan Z secoue doucement la tête, sourire aux lèvres, expression muette qui pourrait signifier « Incroyable celui là… »
Michel Portal (cl, bcl, ss, bandonéon), Bojan Z (elp, p)
Le Parvis, Ibos (65420), 11 janvier
Autant le préciser tout de suite histoire de contextualiser les faits -comme on se plait à le dire aujourd’hui dans les écoles de journalisme-: pour l’avoir vu entendu jouer des dizaines de fois, davantage sans doute, une prestation comme celle fournie ce soir là sur une scène nichée dans la galerie d’un centre commercial, au pied des Pyrénées par une nuit glaciale de janvier ne peut que dire ce qu’est vraiment Michel Portal. Un musicien hors norme, secoué par la nécessité de l’improvisation. Un type qui, à 82 ans et presque autant d’années de musique reste capable d’étonner. D’aller là où on ne l’attend pas. D’avoir l’idée d’(de s’) étourdir.
Michel Portal très en verve de mots autant que de notes, se lance soudain dans une géographie personnelle. Défilent ainsi dans ses explications, ses références à propos de musiques visitées, Cuba, Tarbes, Pau, l’Argentine…Ainsi nait une longue séquence bandonéon en main « Celui que je tiens là devant vous m’a été offert par Astor Piazzolla. En son honneur, sa mémoire j’ai écrit ce thème, Loving… » Habituellement le bandonéon vient en clôture de ses concerts, sorte de douceur offerte en dessert. Là un quart d’heure durant, vingt minutes peut être, le musicien bayonnais déroule du pur lyrisme, de beaux habits mélodiques lustrés par les accords, les lignes seyantes des pianos d’un Boyan Z qui le connaît par coeur. Puis vient le temps des hachures, des brisures, des ruptures de rythmes (Little tango) dans lesquelles la base tango ou milonga se pimente de saveurs et reliefs brutes de décoffrages, âpres, contemporaines façon bitume et béton des rues.
Après le voyage, le bestiaire de Monsieur Portal « J’ai fait de la musique en présence d’animaux. C’est étonnant de voir comment chacun réagit à la tonalité de la musique produite. Aux instruments, aux hauteurs de sons, aux graves ou aux aīgues… » Et de raconter, quelques mesures à l’appui ces expériences avec vache, chien, taureau ou oiseaux en « écoutes ». En action réaction…
Bailador, « un thème issu d’un album où j’avais côtoyé notamment Jack De Johnette » lui donne l’occasion d’une séquence d’une intensité sonore extrême au saxophone soprano. Notes accrochées au plus haut des aïgues, saturation du souffle, découpe de phrases aiguisées sur le fil. En opposition le morceau suivant donne à la clarinette des notes qui voyagent au naturel, lâchées très aériennes, comme spacialisées « Aujourd’hui j’ai emporté avec moi quatre instruments différents. Je ne veux ni ennuyer, ni vous ennuyer non plus évidemment. Alors avec chacun de ces outils de musique je varie les couleurs, les sons, les formes…»
Avec Bojan Zulfikarpasic, comme on le dit familièrement, Portal peut voyager. Il a trouvé depuis longtemps maintenant le partenaire idéal. Pianiste, compositeur, arrangeur, producteur au besoin, aiguilleur avisé en toutes occasions « Depuis combien de temps se connait-on Bojan ? » interroge le souffleur. « 24 ans désormais… » lui souffle le musicien de Belgrade en retour. Etonnante oui cette capacité d’écoute de la part du pianiste serbe. Il sait, il devine, mieux il sent l’envie, la direction que va prendre Portal dans sa démarche musicale. Quel que soit l’instrument, qu’importe le climat à créer. Formidable sens de l’écoute, impeccable intuition. Talent inné des architectures à édifier. Dans la galaxie des orchestres portaliens Bojan Z, à la baguette, reste un chef. Dans la matière à traiter par l’écrit ou l’improvisé il laisse toujours la bonne empreinte, la gamme de couleurs adéquates. Dans le rôle du surligneur comme du souligneur. Ses versions balkano-latines traduites pour Portal ne manquent jamais de personnalité. Ni d’originalité.
A Ibos près de Tarbes, en cette nuit froide il a gardé un sourire étonné lorsqu’en guise de bis renouvelé Michel Portal, espiègle l’a embarqué dans un petit hymne symbolique à la « béarnitude » voisine -dont lui, le serbe ignorait tout, of course, au contraire de son compère bayonnais passé par les arcanes du bal à ses débuts- Ont pu résonner alors les harmonies sucrées du Beth Ceu de Pau, chanson sacralisée notamment par la voix de…Marcel Amont ! Le dit « beau ciel de Pau » ainsi constellé des lignes mêlées du bandonéon et du piano électrique, le public présent plutôt génération quinqua/sexagénaire s’est alors régalé à le chanter en choeur…
Robert Latxague
PS
Dans l’après midi, lors de la balance venu avec quelques camarades un jeune clarinettiste apprenti s’est adréssé à Miche Portalk en ces termes « Je te connais car mon grand père est copain avec un de tes cousins ancien rugbyman de l’Aviron bayonnais…on m’avait donc parlé de ta musique, de ta carrière. Voilà ce qui m’a donné l’amour de la clarinette… »