Sons divers à Sons d’hiver avec le trio En Corps et le duo Evan Parker / Tyshawn Sorey
Inauguré vendredi dernier, le festival itinérant en Val de Marne Sons d’hiver s’arrêtait hier 5 février à l’Espace Jean Vilar d’Arcueil pour accueillir les dialogues inédits d’Evan Parker et Tyshawn Sorey et les trilogues inédits du trio “En corps” pas du tout inédit d’Eve Risser, Benjamin Duboc et Edward Perraud.
En Corps : Eve Risser (p), Benjamin Duboc (b), Edward Perraud (dm).
Leur premier enregistrement a beau avoir 6 ans d’âge, un moment d’hésitation arrête ce trio avant qu’il ne se jette dans le vide de l’improvisation sans préalable. Les mains enfin se posent sur le clavier du Steinway, entrainant tout un enchainement d’évènements dont personne ne connaît ce qu’en sera l’issue. Et tandis que la contrebasse est secouée comme le tronc d’un grand arbre architecturant l’ensemble dans un paradoxal grand remue ménage de ses racines, de part et d’autre, entre piano et batterie, d’innombrables séquences se succèdent au gré des préparations du piano et du va et vient rapide des accessoires et ustensiles divers entre les mains du batteur (qui ne fait pas que battre, usant moins des baguettes que de la paume des mains, de l’archet, d’un bord de cymbale frotté sur les peaux, etc…), d’installations instables dont le lent glissement conduit vers d’autres réinstallations, désinstallations, ruptures subites ou élans sublimes par vagues répétées ou propulsant vers de nouveaux ailleurs, dans ce qui ressemble moins à l’écoute mutuelle d’un classique interplay de jazz trio, qu’à un échange d’énergie(s), évoquant ces déchaînements électriques qui font brasiller la nuit aux alentours des terminaux de tramway en fin de service. Le son de l’orage en plus.
Evan Parker (ss, ts), Tyshawn Sorey (dm).
A l’inverse, Evan Parker et Tyshawn Sorey aborde l’inédit sans l’ombre d’une hésitation, avec cette espèce de « Bon, allons-y, on ne se connaît pas, on ne sait pas ce qu’on va faire, mais on en a vu d’autres. » Un début de concert presque classique, si l’on considère Vigil (John Coltrane / Elvin Jones) ou Saturn (John Coltrane / Rashied Ali) comme des classiques. Certes, il n’y a pas ce chabada sous-entendu de Vigil, pas même ce mélange de ferveur, de puissance de projection, de fermeté qui sont le propre de Coltrane de Giant Steps à Saturn. Mais sur ce rubato de batterie qui semble receler dans son ADN le tempo du jazz et un lointain héritage africain, le saxophone persiste dans une tradition du phrasé et de lyrisme, parfois presque “cool” que l’on chercherait en vain chez En Corps. On s’en doute, le saxophoniste ne s’en tiendra pas là et il rejoindra par moment ces zones de yoddle et de hachoir staccato, notamment au soprano, qui amène Tyshawn Sorey vers une abstraction plus grande, un éloignement de l’idiome attaché à son instrument, mais sans ustensile ajouté, simplement les peaux, les cymbales, les percuteurs (baguettes, mailloches et balais), éventuellement détournés de leur usage habituel, lorsqu’est frotté la paroi d’un fût, lorsque la caisse claire est retournée pour jouer directement sur le timbre, ou pour gratter celui-ci avec les ongles, une baguette appuyée de la pointe sur le peau devenant la tige frottée d’une cuica. Chacun aura son solo, Parker minimaliste sur le terrain que le public lui connaît bien, Tyshawn Sorey développant alors ce langage chambriste qu’il aime associer au quatuor à cordes (“Inner Spectrum of Variables” double album Pi Recordings / Orkhêstra). S’est-on écouté ? S’est-on entendu ? Du sang froid affiché résulterait-il cette impression d’indifférence qu’auront perçu certains spectateurs peu accoutumés ? On aura au moins fait connaissance et lorsque l’on s’appelle Evan Parker et Tyshawn Sorey, c’est déjà quelque chose…
Ce soir, 6 février, au Générateur de Gentilly, un autre colosse du saxophone européen, Peter Brötzman, rencontrera trois membres du Collectif Coax (le saxophoniste Antoine Viard, le guitariste julien Desprez et le batteur Yann Joussein). Le 7, à l’Auditorium Jean-Pierre Miquel, Tyshawn Sorey jouera avec son trio régulier (le pianiste Cory Smythe et le contrebassiste Chris Tordini) à la même affiche que le duo également très rodé et des non moins amateurs d’inédit, le violoniste Mark Feldman et la pianiste Sylvie Courvoisier. Franck Bergerot (photos © X. Deher)