Jazz live
Publié le 10 Fév 2019

Portal: Bayonne, prends garde à toi !

C'est dit, c'est fait. Le Théâtre de Bayonne, Scène Nationale porte le nom de Michel Portal. Symbole de quatre vingt années d'une vie musicale qui, née puis mûrie dans une cité métisse basque et gasconne, représente la marque de référence autant qu'une tardive reconnaissance d'une cité à un fils prodigue. Mais comme nul n'est jamais prophète en son pays Michel Portal porteur de musiques de coeur et d'âme et sa ville ont vécu quelques épisodes d'amours contrariées.

Il vient d’obtenir une reconnaissance officielle de la part des édiles de sa ville de naissance. Pourtant le fil des histoires de Bayonne et de Michel Portal, épisodes de vie, de parcours et de musique n’a pas forcément obéi à un principe de force tranquille depuis quatre vingt années que cela dure. Le géniteur d’un album intitulé intentionnellement « Dejar me solo » aime volontiers à se définir au travers d’un vocable gascon propre à Bayonne. Le dit « Batsarrou » tient de l’indomptable et du no limit. A l’image d’une définition possible du  free jazz. 

 

Michel Portal :merci à Bayonne

 

« Mon attachement à  Bayonne vit d’abord dans le souvenir. Avec une part de douleur également depuis la disparition de mes parents…Mais bon cela c’est ma vie perso. Pour la musique clairement, très tôt, depuis l’adolescence sans doute je craignais vraiment de ne pas pouvoir y faire assez de musique. De ne pas me retrouver en situation d’étancher ma soif en la matière. Souvent je me demandais, tu veux jouer, oui. Mais ici avec qui pour faire sortir vraiment les musiques dont tus as très envie ? Cette période de l’adolescence m’a pourtant beaucoup marqué. Je garde des souvenirs plein la tête. De vie quotidienne comme par exemple mes divagations dans la montagne basque, à la campagne. Comme le long des trottoirs de mon quartier, à St Esprit ou encore  dans le Petit Bayonne où mon père avait son imprimerie. Là je trouvais des bruits, des sons donc de la musique. Un jour j’ai écouté un choeur basque, une chorale de voix d’hommes comme ceux qui se placent sur les galeries, à l’étage, dans les églises des villages. Je suis sorti bouleversé. Je crois bien avoir pleuré donc m’être caché dans ma chambre, porte fermée pour ne pas montrer ce sentiment chez moi »

 

Michel, André, vieux souvenirs partagés de musiciens d’entre Nive et Adour

A son arrivée au Théâtre de Bayonne, une heure avant de tirer la toile aux armoiries de la ville qui dévoilera son nom sur la porte d’entrée, un petit groupe de personnes âgées papote dans le hall « Ah salut Michel ! Quel plaisir de te voir ici. C’était impossible à imaginer de te voir en chair et en os, ici, pour nous il y a quelques jours encore… » clame en riant d’une voix très claire un vieux monsieur placé sur une chaise roulante « Tu te rappelles Michel quand on partait après le concert manger l’omelette chez un copain des Landes avec la Traction avant ?

-Oh André, c’est, pas possible,  je m’en souviens tu parles ! » Jean, Bob, ils sont ainsi trois quatre à échanger des souvenirs de soixante à soixante dix ans avant « Tiens regarde Portal cette photo, c’est celle de notre quarter de jazz… » Philippe, batteur tend une photo en noir et blanc un peu élimée « C’est incroyable, et j’avais le ténor là «  répond Michel Portal visiblement touché. Ils ne l’avaient pas vu depuis plus d’un demi siècle. Mais ils n’auraient pas manqué le concert de leur copain d’enfance pour tout l’or, tous les cuivres du monde…

« Oui je suis parti à Paris après avoir eu un prix au Conservatoire de Bordeaux. De celui de Bayonne je me souviens de mon prof de clarinette, Monsieur Lespiaucq, très exigeant sur la façon de mettre le bec en bouche, sur le mouvement des lèvres. Et puis je me rappelle les copains, ceux que j’ai revus aujourd’hui par exemple. Mon père, lui, voulait toujours que je travaille la musique. Que je pratique l’instrument. Ma famille aussi d’ailleurs. Du coup j’allais jouer le dimanche dans un bar d’à côté de chez nous, au quartier St Esprit, rue Bergeret. J’avais dix ans Je jouais de la clarinette du classique, des chansons, des airs populaires de Bayonne et du Pays Basque…Quelques années plus tard j’avais eu l’occasion d’entendre du jazz à la radio. J’étais fasciné. Comment pouvaient-ils faire des trucs pareils ces types que je n’avais évidemment jamais vus. Alors je retenais les noms, les thèmes aussi évidemment. Et un jour je suis rentré dans le magasin Chez Meyzenc, près de l’atelier de mon père, pas loin du Musée Bonnat et du Commissariat de Police. J’ai demandé s’ils avaient un disque de Stan Getz et Herbie Stewart. Il fallait le commander bien sur. Ce n’était pas facile, on était dans les années d’après guerre. Je revenais à la charge au magasin qui vendait aussi des radios et des tourne-disques…le  Monsieur Meyzenc je me souviens disait en me montrant à la vendeuse « il est têtu ce petit Portal, il sait ce qu’il veut… » Le premier disque de jazz que j’avais écouté, j’avais dix ou onze ans je pense c’est Fats Navarro sur un thème afro-cubaiin. Je l’ai encore d’ailleurs, tiens un moment, je vais te faire écouter un bout… »

A ce moment précis la conversation se fait au téléphone. A l’autre bout du fil, un silence. Puis un bout de musique, un cut, un autre extrait « Non c’est pas celui là. Attends …» Nouvel instant de silence. Un solo de trompette démarre soudain dans les aïgues, claque enfin à l’oreille dans le haut parleur du portable »Tu entends, ce chorus monstrueux ? Je l’écoutais chez moi en boucle à Bayonne, tu te rends compte ? Pour moi, ado, c’était carrément incroyable de pouvoir jouer comme ça… »

 

 

« Je me suis retrouvé à Paris, inscrit au Conservatoire. J’avais la trouille en fait. Vivre seul là bas, dans cette grande ville, je ne connaissais personne. Sauf que  l’on m’avait aidé à franchir ce cap. Des gens m’ont dit: tu dois partir pour réussir dans la musique, aller voir ailleurs. Une famille en particulier, les Etchepare m’ont poussé. J’ai la chance au fond d’avoir eu comme un mécène. Et moi je suis parti à cause et pour la musique. Je voulais jouer Mozart et faire du jazz. Après ça, revenir à Bayonne ça n’a pas toujours été facile. D’accord. J’avais des cicatrices. J’hésitais… Mais je n’ai rien oublié. Ni la ville, ni les lieux, ni toutes les musiques apprises ici, ni le rugby, ni la corrida d’ailleurs. Et surtout pas les airs, les chansons que tout le monde  chantait…tiens la première fois que je suis monté sur la scène de ce théâtre qui va porter mon nom- je n’en reviens toujours pas – j’avais dix ans, j’ai chanté dans le choeur d’enfants à l’occasion d’une représentation du Carmen de Bizet »

Michel Portal chante alors le « Prends garde à toi…», mélodie qui a fait le tour du monde. « Carmen j’ai su que ça existait ici, dans ce lieu, à Bayonne. Pas à l’Opéra de Paris… »

 

Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne accueille Michel Portal

 

Robert Latxague