Biarritz: les beaux jours de l’Amazing Keystone Big Band
« En parenthèse des standards consacrés à Ella nous allons vous jouer deux très belles compositions de notre saxophoniste et co-directeur de l’orchestre, Jon Boutellier. Mais ne le cherchez pas sur scène ce soir. Comme sa girl friend vit à Washington il n’a pas pu nous rejoindre pour ce concert…» David Enhco, rieur, porte voix du big band rend ainsi un hommage en clin d’oeil au talent du musicien viennois fils du fondateur et longtemps directeur de Jazz à Vienne.
The Amazing Keystone Big Band: David Enhco, Vincent Labarre, Thierry Senneau, Felicien Bouchot (tp), Aloïs Benoit, Loïc Bachevillier, Sylvain Thomas, Robinson Khoury (tb), Pierre Dessassis, Kenny Jeanney, Éric Prost, Cesar Poirier, Ghyslain Regard (sax, fl, cla), Romain Pilon (g), Fred Nardin (p), Patrick Marandan (b), Romain Sarron (dm)
Les Beaux Jours de la musique, Casino Barrière, BIarritz (64200), 24 avril
Il y a manière et manière. De traiter les standards. De faire revivre le souvenir sinon l’ombre portée d’une diva du jazz vocal. De faire sonner un big band à ces effets. Autant le dire ce n’était pas gagné d’avance tant le référentiel, le souvenir, l’ouie imprimée dans les originaux peuvent jouer à contretemps du projet ainsi ourdi. Ce n’est pas le moindre talent, la plus mineure réussite des quatre co- leaders de ce grand orchestre d’avoir ainsi mûri ce travail de réécriture avant que de le matérialiser en disque. De le faire apprécier à sa juste valeur, manière de pochette surprise, bref de valoriser sur scène in fine à destination de publics initiés ou non ces musiques qui font partie la petite et grande histoire du jazz inscrite quelque part au milieu du XXe siècle. À Biarritz en tous cas, paradoxe de certains flash-backs inattendus, dans cette salle du casino autrefois baptisé municipal longtemps sacralisé creuset des concerts du Hot Club de la Côte Basque, quelques mélodies entendues ne pouvaient que remuer aux esgourdes de certains autoproclamés héraults du jazz circonscrit une de ces douces nostalgies jamais tout à fait enfouies…
Puisant dans le contenu de l’album We love Ella (Nome / L’autre distribution) Stompin’at the Savoy pour débuter comme qui dirait en fanfare. Histoire de faire briller les sections. Un mot que d’ailleurs, c’est à noter et peut servir d’exemple, David Enhco dans sa vocation pédagogique explicite avec un humour certain et non sans bonheur pour une meilleure compréhension de la fonction ou de la dimension de l’orchestre. L’occasion également de rappeler le rôle du batteur Chick Webb dans le lancement de la trajectoire d’Ella Fitzgerald (très piquante la version taillée dans le vif de l’arrangement du singulier A tisket, a tasket ) Dans le désir affirmé dé l’hommage à « la grande dame du jazz » encore fallait-il dénicher une voix qui compte. Qui résonne juste. Celle de Célia Kaméni , chanteuse basée à Lyon tient la corde. Réussit le pari. Avec des qualités propres, une présence d’abord, de la personnalité aussi sans pour autant chercher à calquer les effets du modèle. Jusqu’à imposer la marque presque discrète d’une sensibilité certaine, un côté élastique et feutré en même temps, l’opportunité saisie d’illustrer des séquences bien senties du Porgy and Bess de Gerswhin (A woman is a sometime thing) Alors sous la férule des leaders désignés, David Enhco mais Fred Nardin également pour ses arrangements notamment, l’orchestre dans toute sa dimension pousse, propulse les solistes, fait tourner les souffles des sections. Sur des effluves de ballade en relecture inspirée de Mel Tormé (Born in blue) comme dans les accents très notes bleues de Blues in the night piqués des glissandos caractéristiques en sourdine de trombone. Ça tourne, ça embarque son auditoire comme soudain aimanté (Old Devil moon) ça paraît facile dans le faire et l’offre de plaisir distribué sans plus d’histoire. Tel ce duo piano/basse venu sans crier gare bientôt rejoint par la voix histoire de couper avec l’effet de masse, de puissance instrumentale du big band. Manière de ménager une respiration de feeling pur à deux puis trois. En mode intimité.
Vient alors cette séquence évoquée plus haut de deux compositions signées Jon Boutellier « Notre saxophoniste a de plus le bon goût de rendre grâce à des musiciens…encore vivants, notre bassiste par exemple » De quoi relancer par les cuivres la mécanique des médiums et des aiguës. L’occasion saisie également de mettre en valeur chacune des sections. Plus le piano de Fred Nardin en savantes explorations de séquences d’accords. Il reste à tirer une conclusion, façon pour les trois mousquetaires leaders présents de signifier « dans l’envoi mes seigneurs je touche » Ce sera le standardissime How high the moon histoire de rester dans la légèreté des accents, d’assumer le rituel d’un « chase » de sax ténors. Et d’offrir à la belle voix de Célia Kaméni en récompense ou pont suspendu vers la figure d’Ella, une séquence de scat plutôt évocatrice.
C’est bien de cela qu’il s’agit. L’Amazing Keystone BB n’invente pas. Ne souhaite pas non plus réinventer fut-ce une xème recette du swing. Non, il évoque justement, avec sens et bon goût, le plaisir de jouer le jazz en nombre.
Robert Latxague
Photo ouverture : Polina Jourdain Kobycheva
PS: à retenir également en clôture de ce festival Les Beaux Jours de la musique, un récital de Salif Keita pour sa dernière tournée annoncée, terminé par une bonne cinquantaine de spectateurs invités à venir danser sur scène au beau milieu des musiciens maliens. Si chaud devant à Biarritz c’est pas si souvent ! Merci Salif…et bon vent…de sable.