Jazz live
Publié le 3 Juin 2019

MEUDON, BOUTIQUE du VAL : ON VA DÉGUSTER #4

 

Quatrième escale musico-gustative à la Boutique du Val, autour des vins de Loïc Roure, venu tout spécialement du Roussillon, et des propositions musicales de Fabrice Martinez, Stéphane Bartelt & Yves Rousseau

Après le foie gras et le vin blanc des Côtes du Rhône septentrionales en 2017 (la chronique ici), et d’autres occurrences que nous avons manquées, voici le face-à-face entre un trio rassemblé par Fabrice Martinez et les vins ‘nature’ de son ami Loïc Roure, qui officie depuis 2003 (Domaine du Possible, Lansac, Pyrénées-Orientales). Loïc Roure a été le programmateur d’un petit festival de jazz dans le Sud, et il est pour Fabrice Martinez une connaissance de longue date.

Fabrice MARTINEZ (trompette, bugle), Stéphane BARTELT (guitare), Yves ROUSSEAU (contrebasse), Loïc ROURE (vins)

Meudon, La Boutique du Val, 2 juin 2019, 17h30

Comme lors de ma première expérience en mai 2017, c’est un jour de grande chaleur. La fraîcheur de l’ancienne cordonnerie qui abrite ce ‘lieu de création et de diffusion partagé’ est accueillante. La formule est simple, chaleureuse et didactique : Fabrice Martinez présente le vigneron qui nous propose trois vins et nous les fait déguster. Chaque vin introduira une partie de concert en relation avec la cuvée proposée.

entre 2 musiques, le vigneron officie au tire-bouchon et au commentaire viti-vinicole

La première cuvée se nomme ‘Court Toujours’, millésime 2015, un blanc qui associe les cépages macabeu et carignan gris. Une fois pressé, le vin est mis en barrique pour un an, sans ouillage, jusqu’à sa mise en bouteille : on ne compense pas l’évaporation, un voile de bactéries endogènes protège le vin de l’oxydation, ce qui permet d’éviter l’adjonction de sulfites. Le vin est très légèrement oxydatif tout en conservant une authentique fraîcheur en bouche, et sa palette aromatique est riche. Pour évoquer en musique ce premier vin qui évite la technologie, le trio a choisi un son purement acoustique. D’abord avec la très belle composition de Mal Waldron, Warm Canto (ça tombe bien : dehors il fait très chaud, et le thème est exposé avec une très grande chaleur, une belle intensité expressive). Après les impros, dans la réexposition du thème, Fabrice Martinez va chercher dans le suraigu du bugle des sonorités aussi fragiles que maîtrisées : c’est le grand frisson…. Puis vient Perlé, composition ancienne du trompettiste plusieurs fois enregistrée. Ici la contrebasse prend son essor en duo avec la guitare, avant que le guitariste ne s’émancipe très librement sur une basse obstinée. La musiques est toujours à son point d’incandescence.

Pour la seconde cuvée, rouge cette fois, baptisée ‘Charivari’, millésime 2018, Loïc Roure nous explique par le menu les ressorts technologiques de son élaboration. Les raisins du cépage carignan sont refroidis en quelques heures à 4° pour une macération pré-fermentaire. Cela fixe les arômes sans libérer les tanins. Les raisins pressés retournent en chambre froide pour une macération carbonique. Il en résulte un joli vin de soif qui livre toutes les qualités d’un cépage souvent (à tort) jugé ingrat. Pour accompagner cette cuvée, les musiciens, en écho au caractère technologique de son élaboration, ont choisi d’utiliser des effets électroniques (strictement analogiques pour conjurer la froideur du numérique!). Bugle et guitare vont s’en donner à cœur joie dans le registre techno-expressif sur une composition à l’orientale de John Zorn. Puis le trio va jouer Le Voyage de Paul Motian, thème d’un fameux disque éponyme de 1979. Le contrebassiste a une pensée ardente pour Jean-François Jenny-Clark qui partageait ce trio du batteur avec le saxophoniste Charles Brackeen. Pour les avoir entendus sur scène à l’époque, j’en suis moi aussi tout retourné. Après un discours très acoustique la basse va elle aussi suivre le chemin des effets électroniques, tout comme la guitare et le bugle : c’est un festival d’immersion technologique !

Vient la troisième et dernière cuvée ‘C’est pas la mer à boire’, millésime 2018, rouge à nouveau : un assemblage de grenache et de carignan avec une faible proportion de syrah. La vinification se fait en plusieurs fûts séparés, avec pigeage. Autrefois cette opération qui consiste à enfoncer les marcs dans le jus pour extraire les tanins se faisait avec les pieds (rassurez-vous, aujourd’hui on utilise des outils appropriés, voire mécanisés….). Pour associer la musique à cette méthode particulière qui requérait naguère les pieds, la troisième séquence musicale va faire usage des pédales (d’effets, de volume….), et se développer aussi sur une base harmonique que l’on peut appeler une pédale. Fabrice Martinez est cette fois à la trompette, avec sourdine et effets. Pour chacun des trois instruments les effets donnent une couleur hyper-expressive, et très singulière. Ce sera le cas pour l’ultime composition, Aux cendres etc. , extraite du disque «Chut !» du trompettiste : belle conclusion pour un beau moment de musique, associé à la belle complexité de la cuvée ‘C’est pas la mer à boire’. En guise de coda purement organoleptique Loïc Roure a fait goûter à toute l’assistance un ‘rancio’ confidentiel, vin oxydatif d’une très belle palette aromatique, très différente de celle des vins jaunes du Jura mais tout aussi séduisante. Une fois encore, cette association du palais et de l’oreille fut une réussite : le vin et la musique produisent de bien doux transports !

Xavier Prévost

 

Le site de La Boutique du Val

http://www.archimusic.com/