Aix: Improviser ou pas en Méditerranée
Un duo de percussions rutilant dans lequel les deux protagonistes ne font pas semblants. Sous le regard admiratif d’une dizaine d’autres musicien(nes)s ils s’envoient grave. Il y a du niveau dans cet échange technico physique de caisses, tambours et cymbales des plus aigus. Diogo Alexandre, le batteur est portugais. Hamdi Jammoussi le percussionniste vient de Tunisie. Ils ont intégré cet été un groupe de travail de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dans le cadre du festival d’Aix. Ils ne sont pourtant qu’en phase de répétition dans un atelier de collectif d’improvisation et composition sous la férule de Fabrizio Cassol figure du trio de jazz belge emblématique Aka Moon.
Ils sont une douzaine de jeunes musicien(nes) venu(e)s du bassin méditerranéen. Septs cordes, deux percussions, deux voix, un saxophone. Ils (elles, les filles s’avèrent largement majoritaires) ont été sélectionnés dans leurs pays respectifs sur des critères sévères, pointus concernant leur bagage en matière d’études musicales, leur savoir faire instrumental, leurs capacités vis à vis de la composition comme de l’improvisation. Ils participent en ce mois de juillet sur la durée du festival à la session de création interculturelle de l’Orchestre des Jeunes de Méditerranée -il existe lui depuis une trentaine d’années- dans le cadre du programme Méditerranéen du festival d’Aix en Provence.
Dans une salle du Grand Théâtre de Provence Fabrizio Cassol écoute beaucoup, fait des signes, se lève, désigne du doigt pour impulser, faire refaire ou stopper avant une prise de paroles en anglais. On le remarque tout de suite: aucune partition de visible devant les instruments. L’improvisation paraît de mise, grammaire musicale sacralisée en partage. Dans ces blocs de musique qui s’ébranlent peu à peu, se construisent, se revisitent, on voit des couleurs méditerranéennes, on devine des modes orientaux, on flaire des accents arabo-andalous entendus ailleurs sous la poussée d’une voix qui conte une histoire façon flamenca en langue…napolitaine. La mise en place révèle nombre de rythmes sous-jacents. Les séquences s’enchaînent aux pris de nombre de breaks, d’entrée progressive des instruments, de passages repris, modifiés. Il y a du potentiel individuel, de l’enthousiasme côté collectif. La musique proposée par Fabrizio Cassol aux stagiaires (lui même musicien bruxellois, saxophoniste belge d’origine italienne compositeur et pédagogue à vocation ouverte) vit à l’image de cette partie du monde moyen oriental, puzzle complexe autant que tourmenté.
« Aujourd’hui les situations politiques de cette zone compliquent notre vocation à accueillir des artistes ou des intervenants de cette session. Nous nous heurtons par exemple à une politique très serrée en France concernant la délivrance des visas. Or il nous apparaît fondamental que ces jeunes musiciens puissent circuler chez nous comme nous avons nous, acteurs du festival, la possibilité de le faire pour aller repérer leur talent sur leurs terres respectives» explique Emilie Delorme directrice de l’Académie, des Réseaux et de la Méditerranée au sein du festival d’Aix « Je gère l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée fondé en 1984 afin que le Festival d’Aix, programmation d’opéra et de musique classique en priorité, s’ancre davantage dans le monde méditerranéen, ses dimensions géographique, et sociales, ses réalités actuelles culturelle et artistique en particulier. Je voyage donc un peu partout dans cette aire. Je constate dans les commentaires, les médias, chez nos interlocuteurs institutionnels un rendu assez terrible de la situation de ces pays. Moi je souhaite donner malgré tout une image positive de ces échanges. Notre travail représente à cet effet une sorte d’acte de résistance quotidien via la musique » ajoute celle qui manage le projet dans le cadre de Medinéa. Ce réseau mobilise les acteurs culturels de dix huit pays travaillant à la circulation de jeunes artistes emergeants, musiciens du pourtour méditerranéen. En 2019, au total 110 musiciens auront été auditionnés dans 22 villes de la Méditerranée « Concernant ce recrutement des participants à la Session de Création Intercultuelle de l’OJM, Fabrizio et moi même nous appuyons sur des partenaires locaux. Ils nous aident à identifier les talents, évaluer les personnalités, leurs potentiels d’évolution » Le budget global de l’opération, Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et réseau Medinee est estimée à 850 000 €. Les fonds proviennent de l’Europe, la région PACA avec le soutien de la Fondation grecque Starros Niarchos.
Interview
Fabrizio Cassol, Directeur Musical de la session, se retrouve dans la position du guide vis à vis des jeunes musiciens sélectionnés. De ce projet il en assure, il en assume le principe, les objectifs autant que la maîtrise du contenu.
Ouvrir
« Organisé dans le cadre de l’activité de l’Orchestre des Jeunes de La Méditerranée la session Interculturelle dite de création vise à ouvrir l’écoute du public vers tout ce qui n’est pas monde de la musique classique occidentale. Des pratiques musicales qui se transmettent notamment par la seule oralité, musiques atabes, des Balkans, folklores, traces de jazz etc..Ce travail de formation original se fait depuis cinq ans maintenant, ici à Aix mais désormais aussi de façon « nomade » à Lisbonne, Malte, Hammamet…Pour ma part depuis trente ans en tant que musicien ou formateur j’ai exploré le monde. Avec comme première expérience au sein d’Aka Moon, chez les Pygmées, à Aka justement en République Cetntre Africaine. Cette préoccupation d’ouverture aux autres musiques, aux musiciens du monde je la garde dans mes axes de travail aujourd’hui encore. D’ailleurs avec Bernard Foucroules qui a œuvré comme directeur du Festival d’Aix nous avions pensé créer un collectif de musiques arabes. Les collecter, connecter les musiciens pour en assurer une meilleure diffusion »
Composer
« Depuis cinq ans la session existe à Aix et maintenant en d’autres lieux. Plus d’une centaine de jeunes musiciens sont déjà passé entre nos mains. Ils doivent répondre à des critères de sélection très exigeants. On jauge leur potentiel en fonction de leur bagage culturel, de leur niveau de pratique instrumentale. Mais de leur état d’esprit en matière de rencontre avec leurs collègues, de leur curiosité à pouvoir découvrir.
Mon objectif est qu’au final ils produisent de la musique, donc qu’ils composent. Pour cela toute l’annee nous les suivons. Nous veillons à ce q’ils communiquent entr’eux, qu’ils synchronisent leurs actions. Chaque musicien est un spécialiste dans un domaine, instrument, secteur musical, pratique sur scène. Ainsi cette année le saxophoniste italien, Giovanni Chirico a fait des recherches poussées sur les folklores du sud de l’Italie.
Le système conçu pour valoriser ces formations s’avère relativement complexe. Il ne s’agit pas d’un simple workshop ponctuel. D’autant que l’on doit tenir compte en même temps du contexte socio-politique des pays concernés. Car les musiciens eux y vivent toute l’année »
Improviser
« Bien sur la pratique de l’improvisation me paraît indispensable. Ils en ont généralement l’expérience, surtout ceux qui ont touché au jazz. J ‘ai pu me rendre compte par exemple que la jeune scène du jazz au Portugal est sans doute la plus riche de personnalités, la plus prometteuse au niveau européen. L’impro certains la pratiquent dans la dimension rythmique, d’autres dans le secteur de l’harmonie. En revanche ils ne s’y lancent pas forcément dans le domaine de l’impro menée en collectif. Aussi leur montrer comment tutoyer les limites, affronter un certain vide de savoir, les faire improviser ensemble représente un vrai challenge. Cette connaissance du groupe, de la gestion de plusieurs musiciens à la fois, de l’évaluation des personnalités leur servira dans leur progression artistique comme dans la gestion de leur carrière. J’en ai fait l’expérience: il n’est pas si aisé de jouer avec et diriger cinq ou six musiciens, avec des instruments des trajectoires, des envies différentes. À Rome, Alger, Beyrouth ou Porto peu importe…À ce moment là, question organisation, improviser ne donne pas la meilleure solution. Leur faire toucher du doigt également les nécessités de l’organisation, des règles et habitudes du métier, bref faire du coaching auprès de cette jeune génération me paraît bénéfique»
Impulser
« Depuis quelques années j’invite des musiciens de renom pour parler de leur art, leur travail, leur pratique musicale. Cette année Amir ElSaffar, jazzman mais aussi spécialiste des maqâms d’Irak. L’an passé Paolo Fresu, trompettiste sarde; avant lui Stephane Galland, batteur d’Aka Moon et l’an prochain un musicien impliqué dans les musiques traditionnelles de Malte. Ces échanges inspirent le travail de composition des stagiaires. Ils donnent également de par leur expérience, leur vécu, des idées, des directions, des impulsions »
Inventer
« Toute cette action à Aix en juillet, mais partout ailleurs aussi dans l’année en Méditerranée en direction des jeunes musiciens en devenir représente un gros travail. Et le métissage de ces musiques entre le jazz, l’improvisation et les couleurs méditerranéennes une certaine prise de risque dans le contexte géopolitique actuel. C’est comme si on m’avait proposé de créer une Université des musiques méditerranéennes. Histoire d’inventer une pratique musicale dans une situation artistique, émotionnelle, bref une réalité de vie dans cette partie du monde à vif question présent et à venir. Heureusement l’équipe dédiée du Festival m’aide, me soutient. Simplement au beau milieu des idées, des initiatives, je dois rester vigilant. Je dois régler la circulation… »
Robert Latxague
Concerts:
Amir ElSaffar
19 juillet: Two Rivers Ensemble, Aix, Grand Théâtre de Provence
20 juillet: avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, Chateauvallon,
invité Amir ElSaffar
21 juillet: Concert de l’OJM , scène 55, Mouginis, invité Amir ElSaffar