Jazzaldia: Joshua Redman sous des ponchos verts…
Donny McCaslin en scène depuis dix minutes. Un duo synthé/batterie surchargé de fréquences basses porte l’écoute aux limites du supportable dans l’enceinte de pierres derrière l’ancien monastère, Plaza de la Trinidad. Un spectateur se lève sur les gradins de côté. Fait un signe interrogatif aux musiciens. Puis se dirige au fond de la place droit sur la console de mixage.On le devine interpeller le sonorisateur dans une histoire sans parole, bruit ambiant oblige. Un technicien s’avance pour lui parler. Même scène de cinéma muet. Dix minutes plus tard le niveau sonore a baissé. On entend un plus, un mieux de musique…
Donny McCaslin (ts, voc), Jeff Taylor (elg, voc), Jason Lindner (elp, cla), Jonathan Marin (b), Zach Danziger (dm)
Maria Schneider (dir, compo) + Ensemble Denada: Franck Brodhal, Marius Halti, Andres Eriksson, Hayden Powell (tp), Évent Struse Katrud, Niels Andreas Granseth, Kristoffer Kompen, Ingrid Utne (b), Jan Kader Hystad, Berge-Are Halvorsen (as), Nils Jansen, Atke Nymo (ts), Tina Laegreid Olsen (bas), Olga Konkova (p), Philippe Thuriot (acc), Jens Thoresen (g), Per Mathisen (b), Hâkon Mjáset Johansen (dm)
Plaza de la Trinidad, San Sebastián/Donostia, Euskadi/España
Jazzaldia, 25 juillet
Ciel chargé, la pluie menace. Le parterre s’est décoré d’une exposition de ponchos verts aux couleurs du sponsor principal du festival, gros brasseur de bière batave…À Donostia l’on aura vu deux McCaslin, Donny Docteur jazz (avec Maria Schneider, à suivre…) et Mr Hide Sax. En conséquence de quoi Donny McCaslin pousse son propre groupe sur scène pour une séance de musique chargée d’un sacré flux d’électricité (Whats about the body) Sur fond d’une rythmique carrée de chez carré il balade un sax ténor caméléon, phrases successivement acides, douces ou tendues. Jeff Taylor alterne guitare et voix. Les séquences à haut niveau sonore sont longues. Les chorus de sax aussi, bourrés de stridences et d’une énergie chaude. Un va et vient s’instaure sur lscène. Le guitariste laisse son instrument pour chanter à présent. Le bassiste passe à la guitare. Jason Lindner saisit le clavier, le tient d’une main, explore les touches de l’autre. McCaslin découpe des tranches de phrases raides au ténor. On glisse entre rock et (un peu de) jazz. La norme instrumentale, solide, inspirée, revient sur la version de Look back in anger de Bowie pour lequel il a joué. Le calme s’impose au final: duo sax ténor /basse (New lindness) dans une composition dédiée à sa mère. Feeling doux, basse ronde à souhait, beau son de ténor, et derrière dans la rue des mille pintxos, le son ambiant des plaisirs du palais revient en décor de fond naturel. Et oui, c’est aussi ça le Festival de San Sebastián…
El viento, titre le bien nommé pour un courant d’air frais insufflé dans la situation météo de la nuit, ouvre le set suivant. Celui de Maria Schneider à la tête de la formation norvégienne Ensemble Denada. Forte de 13 cuivres ou bois svp, pas un de moins. Orchestre qui tourne comme une mécanique de précision dans un son d’ensemble très clair, toutes lignes ouvertes. L’écriture reste parfaitement lisible, ordonnée pour un équilibre maintenu entre les différents pupitres (sax, trompettes, trombone etc.) du grand orchestre. Chaque thème met en valeur la qualité globale des solistes, noms pas connus hors de leur pays mais qui mériteraient de l’être (Nils Jansen, sax ténor; Jens Thorensen, guitare notamment ) Home et Thompson Fields, extraits d’un album du nom du second exposent en longueur des compositions inspirées des paysages ruraux du Minnesota où réside Maria Schneider. L’orchestration donne le rapport, le lien à l’espace, les formes, la dimension dans une sorte d’hymne innervé d’un certain lyrisme jusqu’au decrescendo final. Vient alors le Donny McCaslin face Mr Sax pour un solo de ténor confiné dans le registre des aigües, cohérent, brillant (Sue). En conclusion un moment singulier « une composition dédiée aux oiseaux dont je suis devenue folle… » Superbe piëce de musique avec ajouts de sifflets, d’appeaux –Donny McCaslin encore, pour le fun- de flutiaux, éléments marquants d’un tableau sonore illustré au naturel. Messiaen, lui aussi amoureux des oiseaux, qui sait aurait goûté l’ écriture savante de la compositrice du Minnesota…
Miracle de la « Trini » (nom familier donné par les aficionados des Festival à cette place iconique de la vieille ville coincée entre une chapelle et un fronton mir à gauche de pelote basque, Plaza de la Trinidad), il n’est pas tombé une goutte malgré un ciel chargé…
Martirio (voc), Chano Dominguez ( p)
Teatro Victoria Eugenia
Jazzaldia 26 juillet
Il faut la voir pour le croire. Martirio est une chanteuse espagnole au look baroco-kitch. Une sorte de Catherine Ringer qui serait sortie d’une cabine pour s’habiller costume flamenco…décalé. Longue robe flottante rose mauve, peineta (barette/peigne planté pour retenir la chevelure des filles et femmes andalouses durant la Feria de Séville, parure traditionnelle chic et choc selon la matière et le port adoptés) lèvres empourprées et lunettes noires jamais quittées tout au long du tour de chant. Une posture, un visuel provoc issu des rues de Séville et des folies de la Movida -elle dit avoir adhéré aux excentricités façon punk attitude de ce moment de folie libertaire de l’histoire de l’Espagne post franquisme- qui collerait parfaitement aux formes et couleurs mouvantes d’un film d’Almodovar. Et la musique ? Et le chant dans tout cela ? Bon, disons qu’en la matière cet hommage explicite rendu à un pianiste et chanteur cubain, Ignacio Villa plus connu sous son surnom Bola De Nieve (Boule de neige…), icône des années 50/60 dans les pays hispanophones, peut valoir d’abord et surtout par le visuel (déplacements, gestuelle des bras et mains façon baile « flamenco » Sur le plan du chant, on retiendra une manière plutôt de « parler chanter » pour des coplas dénuées de tout swing. Plus des textes type bluettes d’amours contrariées. Heureusement Chano Dominguez qui a déjà collaboré avec elle a le talent de l’accompagnement, coloration ragtime et blues, celui aussi de la mesure et du soulignement harmonique autant que rythmique.
Atomic + Trondheim Jazz Orchestra
Magnums Bron (tp), Fredrik Lhungkvist (ts), Ingebrigt Hâker Flaten (b), Hans Hulbaekmo (dm), Havard Vilk (p), Sigme Emmeluth (as), Per « Texas » Johanson (ts), Hild Sofie Tafjord (cor), Ola Jargen Melhus (tb), Ola Kvermberg (vln), Lene Grenager (cello), Kyrre Laastad (dm)
Kursaal 26 juillet
Joshua Redman (ts), Ron Miles (tp), Scott Colley (b), Dave King (dm)
Plaza de la Trinidad,
26 juillet
San Sebastián/Donostia, Euskadi/España
On a l’opportunité de se poser la question: a-t-on affaire à du jazz ou de la musique contemporaine ? Sauf que la réponse sur le genre ne présente au fond que peu d’importance. À cet univers musical, ce point de situation éclaté l’on adhère ou pas. L’on est sensible ou l’on ne l’est pas à la démarche d’Atomic, musiciens nordiques (déjà présents sur les scènes extérieures de San Sebastián il y a une dizaine d’années) et de leurs invités norvégiens du Trondheim Jazz Orchestra. Le contenu peut partir de deux petites phrases modélisées en riffs agrémentés de silences (The recognitions) comme de longues pièces ou d’un chase (battle) de cuivres lâchés en liberté. Au bout de cette histoire pas mal improvisée semble-t-il jaillit une sorte de musique sérielle, découpée, comme lâchée dans l’air. Mais un peu froide, désincarnée. Jusqu’à l’explosion finale alimentée par deux batteurs conjugués poussant une trompette titillant le monde un peu raide des aiguës.
Chez Joshua Redman propulsé sur une scène d’un festival de lété on détecte tout de suite une cohésion manifeste au sein du quartet (on l’avait notée voici deux ans déjà à Marciac même si aujourd’hui Dave King a remplacé Brian Blade à la batterie). Reste que la rythmique de l’orchestre manifeste des attaques en dynamiques accentuées, base pour éprouver la solidité du quartet. Lequel explore toute la tessiture, l’espace dédié au son. Pareille capacité à inventorier les possibles en matière de sonorités, à donner à la musique à la fois de la précision ou de la facilité à explorer dans les chorus qui se succèdent témoignent chez Redman, leader, d’une volonté de prise de risques. Ron Miles excelle dans le rôle de Don Cherry, cette poésie faite trompette exposée autrefois chez Old et New Dreams (orchestre où figurait, rappelons Dewey Redman le père de Joshua) Scott Colley apporte le son de basse juste, la souplesse dans l’articulation. On aimerait longtemps goûter auinsi au bien fait, au parfaitement joué question jazz d’aujourd’hui…
Sauf que la pluie s’est mise à tomber drue, persistante, insolente d’humidité perçante et froide…Et que l’on doit se résoudre, triste, déçu à quitter le champ musical ouvert faute d’attention et de disponibilité d’écoute intrinsèque sous l’avalanche des gouttes qui transpercent.
Dommage mais à l’impossible nul (chroniqueur) n’est tenu…
Robert Latxague