Jazz live
Publié le 30 Juil 2019

Jazzaldia (2): Zorn se pique d’une bagatelle marathon…

Le Heineken Jazzaldia de San Sebastián, province de Guipúzcoa, au Pays Basque côté Espagne, aura finalement rassemblé 168 000 spectateurs recensés en cinq jours sur les 14 scènes du festival. Cette année le prix de la ville de San Sebastián à été décerné á John Zorn pour “son apport à l’évolution du jazz contemporain” Le saxophoniste new yorkais était venu au festival avec dans ses bagages les partitions d’un “Bagatelles Marathon” cinq heures de musiques pour treize orchestres mis sur scène.

 

 

“Trouver, former, qui sait inventer ici un public du futur, telle est notre volonté dans le domaine du jazz et des musiques qui le traversent, le côtoient. Mais nous n’oublions pas pour autant le devenir de notre ville, le quotidien de ses habitants pendant le festival en fonction de l’évènement Jazzaldia. À ce titre nous voulons améliorer le côté consommation, le développement durable dans l’environnement du festival. Pour assurer une meilleure qualité de vie dans la ville durant ce moment d’exception. Ici, pour cela il y’a encore beaucoup à faire” Miguel Martin, directeur du festivall de jazz de Donostia-San Sebastian.

 

Baldo Martinez (b), David Harrington (tp), Juan Saiz (fl, ts), Pedro Lopez (dm)

Museo San Telmo 

27 juillet

 

Baldo Martinez

 

Le contrebassiste originaire de Galicia, région de l’extrème nord-ouest de la péninsule ibérique, réussit à donner, d’une écriture complexe, une écoute relativement aisée. Ce projet abouti en un premier temps dans un disque paru l’an passé (Vientos cruzados) révèle également sur scène une musique très construite. Dense. Les lignes de basse donnent au contenu musical une impulsion forte. Le jazz s’y trouve teinté d’une certaine dose de lyrisme (ceux qui ont pu suivre le parcours du musicien espagnol aux côtés du pianiste Agustí Fernandez et du batteur Ramon Lopez notamment connaissent sans doute son travail á partir des topiques de la chanson et musique tradihtionnelle galiciennes, leurs couleurs, leur marque de folklore régional) Les sonorités croisées flûte/trompette laissent ainsi à partir de  l’exposé du thème (El amante del riesgo) comme une trace profonde, un souffle, la marque d’un charme né de la superposition de mélodies qui imprègnent. Les parties abordées en solo par le sax (ténor tranchant de Juan Saiz jusqu’à atteindre un certain degré de fulgurance) ou la trompette ( David Harrington, son fluide) dessinent des contours aux couleurs changeantes. À écouter au final se télescoper savamment les lignes de cuivre de Vientos crusados on ne peut que penser à un autre souffle d’influence en matière de composition. D’un certain’Ornette Coleman celui là…

 

John Zorn reçoit le prix Jazzaldia de la ville de San Sebastien remis par Miguel Martin directeur du festival

 

Près de cinq heures de musiques au pluriel en deux épisodes répartis sur deux journées qui se suivent au sein du Kursaal, manière de “Philarmonie” de San Sebastián plantée au bord de l’Océan dans un vaisseau éruptif verre, fer et béton. John Zorn a convoqué pas moins de  treize orchestres/groupes de dimensions et compositions différentes pour un tel événement découpé en séquences d’un quart d’heure/vingt minutes maximum. Et n’a participé de fait qu’à un seul, Masada revisité, en ouverture du premier concert. On le reverra à l’occasion conduire certaines de  ses pièces de musiques dont il a assuré l’écriture hors moments d’improvisation (pas si nombreux d’ailleurs) bien entendu. Impossible de revisiter dans un récit la masse d’informations, notes, phrases, situations, évènements vécus en direct.

Trois têtes de chapitres se dégagent pourtant , highlights en mode d’éclairs perçus dans le confort du magnifique auditorium donostiarra. Le plaisir jouissif du piano solo sous les doigts experts de Craig Taborn d’abord. Le coup de tonnerre explosif ensuite, folie assourdissante au vrai sens du terme du trio hard-punk-rock Trigger. L’originalité, la qualité du jazz exposé par le pianiste Brian Marsella en trio enfin. Pour le reste du vécu, à postériori une seule solution: des flashs back piqués comme autant d’images flashés justement tout au long de ce dit Bagatelles Marathon imaginé, conçu et signé (« Zorn une fois l’accord conclu donne un cahier des charges très précis, strict question déroulement du concert » dixit Miguel Martin boss de Jazzaldia) par le saxophoniste et compositeur new-yorkais.

Masada : John Zorn (as), Dave Douglas (tp), Greg Cohen (b), Joey Baron (dm)

Rythmes rapides, des mélodies putôt cools, le jeu de mailloches de Joey Baron, les attaques directes de Zorn, sa technique accomplie de souffle continu sur son alto.

Sylvie Courvoisier (p), Mark Feldman (vln)

Des lignes légères tracées comme des dessins au fusain. De la synchro intelligente entre clavier et cordes.

Mary Halvorson, Miles Okazaki (g), Drew Gress (b), Tomas Fujiwara (dm)

Deux guitares au féminin, premiëre en notes coulées, seconde hachurées fin. Et Drew Gress revu avec plaisir pour faire le lien.

Graig Taborn (p)

De l’inspiration, une manière bien à lui de traiter le piano solo. Des objets de musiques en forme  de miniatures qui sonnent bien. Puis nombre d’acrobaties saisissantes entre main droite et main gauche. Des clins d’oeil à Monk ou même Martial Solal, qui sait…

Trigger : Will Green (g), Simon Hanes (b), Aaron Edcomb (dm)

Où quand un grand agité d’escogriffe de bassiste se roule par terre avec son instrument puis frappe sur les planches de la scène à coup de manche de sa basse électrique dans une athmosphère de chaos musical total. Guitare et basse tellement saturées par le volume infernal qu’on devine à peine le son de la batterie.

Sans doute Zorn a-t-il voulu parodier le haut voltage de la vie New Yorkaise…mais bon…

Erik Frielander, Michaël Nicolas (cello)

Musique de chambre un peu sèche, accélération/décélérations sur les cordes comme angle d’attaque primordial.

John Medeski (org), Dave Fiuczynski (g), Calvin Weston (dm)

Jazz et soul fusion. L’orgue fait le son rond. Écoute sans effort nécessaire

 

 

Kursaal

27 juillet

Nova Quartet: John Medeski p), Kenny Wollesen ( vibra), Trevor Dunn (b), Joey Barron (dm)

Curieux spectre jazzistique: en raccourci, du MJQ jusqu’au débridements free (Medeski se lâche…au piano, tiens ?)

Julián Lage, Gyan Riley (g),

Sèches, acoustiques les guitares. Mais utilisées en parfait accord inventif. Simplement on se souvient d’avoir entendu récemment Julian Lage plus franchement original en trio sur sa Télécaster…

Brian Marsella (p), Trevor Dunn (b), Kenny Wollesen (dm)

Trois angles aigus réunis en une belle figure géométrico-pianistique. De la belle ouvrage jazz bien d’aujourd’hui.

IKue Mori

On ferme les yeux. Du Mac sortent des ions positifs. En direct, en boucle, en écho, en masse…

Au final on a retenu quoi ?

Kris Davis  (p), Mary Halvorson (g), Drew Gress (b), Kenny Wollesen (dm)

Clavier maitrisé in fine malgré une pianiste (en apparence) au bord de la crise…de free. Femmes de jazz inventives.

Peter Evans (tp)

Exploit technique: pratiquement un quart d’heure de trompette non stop, seul en souffle continu. Plus quelques effets sonores bluffants. Un quart d’heure suffit.

Marc Ribot () Trevor Dunn (b), Kenny Gohowski (dm), John Zorn (dir)

“Je hurle le corps électrique” aurait pu commenter en connaisseur feu Joe Zawinul qui avait composé un thème éponyme pour Weather Report. Trio conduit sourire aux lèvres par Zorn en explosions successives á haut volume sonore. Pas du tout le méme genre de jeu de guitare pour Ribot que celui pratiqué la veille auprès de Diana Krall. Évidemment!

Kursaal

28 juillet

 

Calvin Weston, John Medeski trio, Bagatelles Marathon

 

Toquinho (voc, g), Sylvia Pérez Cruz (voc), Javier Colina (b, voc)

Jazzaldia, Plaza de là Trinidad, San Sebastián, 28 juillet

 

Le chanteur brésilien, seul d’abord sur la scène de La Trinidad qui a retrouvé une belle  lumière du soir après le soleil revenu l’après midi. Enfin ! Effet Brésil sans doute…Toquinho entonne Samba para Vinicius en hommage au légendaire compositeur carioca. Puis un petit précis de guitare made in Brazil, clin d’oeil aux grandes figures de cet instrument dans son pays continent. Le tout avec une facilité déroutante, accords ou arpèges déroulés dans un son chaud de cordes caressées à point. Le rejoignent alors Javier Colina puis Silvia Perez Cruz. Des classiques revisités: Ojos verdes, Chega de Saudade. À deux (Colina et la chanteuse catalane, unis dans une intimité vocale autant que visuelle) ou trois voix. Celle de Sylvia Pérez Cruz tour à tour ferme puis douce joue sur l’accentuation des mots, des syllabes même. Toquinho lui, laisse simplement dérouler son chant, nature toujours dans son expression vocale. 

 

Sylvia Perez Cruz, Toquinho

 

Une version très inspirée de Sounds of silence porte la complicité basse/vocal jusqu’à une quasi fusion. Et puis pour annoncer, expliquer, situer les trois comparses parlent aussi beaucoup. Racontent. Expliquent. Se souviennent. S’interpellent au besoin “Ils en font trop dans le genre” râle mon voisin français qui ne comprend pas la langue de Cervantes. La chanson revient malgré tout sur la scène, d’Espagne (un peu) ou du Brésil surtout. Justement pour finir sur une note vive “Carinhoso, une composition du type qui a inventé le chorro au Nordeste” explique Toquinho. Ryhtme et voix, tout voyage en souplesse. Pour une conclusion à trois voix conjuguées sur une énième version de Girl from Ipanema... Voilà le public de Jazzaldia qui fond, en fusion lui aussi avec les voix qu’il entend de prês, en communion avec la musique brésilienne.

On n’a pas vu la pluie de la journée. À San Sebastián ça change tout.

Robert Latxague