Jazz em Agosto : résistance ! (1)
Par sa programmation, son cadre, les conditions d’écoute, Jazz em agosto est un festival sans équivalent. Sous l’intitulé résistance, c’est un large, et cohérent, panel musical qui est offert au public.
Les formations retenues représentent en effet un concentré de ce qui se trouve de plus innovant et exigeant dans le jazz actuel, et autant de pieds de nez aux conventions. Des possibles sont imaginés, dessinés et parfois accomplis. Résister certes, et aussi inventer, proposer des alternatives, d’autres façons de concevoir la musique du présent. Si la voix est à l’honneur, elle n’est pas omnisciente et se présente sous de changeants atours. Les premières parties se tiennent dans le petit auditorium, faisant le plein en fin d’après-midi, tandis que les concerts du soir ont lieu dans l’amphithéâtre extérieur de la Fondation. Cette année, les événements se déroulent à la fraîche : on respire…
1er août
Lisbonne, Fondation Gulbenkian
Marc Ribot « Songs of Resistance »
Marc Ribot (elg, voc), Jay Rodriguez (ts, fl), Brad Jones (b), Ches Smith (dm, perc), Reinaldo De Jesus (perc)
Pour ouvrir les débats, un projet contenant dans son intitulé-même le terme « résistance ». Lorsque l’on connaît Ribot, sa musique mais aussi son état d’esprit et prises de position sur divers sujets sociaux et politiques, ses coups de griffes au conformisme, on sait qu’il s’agit pour lui de convictions bien ancrées et non d’un coup de Ripolin pour coller à l’air du temps. Avec ces compositions et relectures couvrant plusieurs périodes et origines (Europe, Mexique, Etats-Unis, dont les peuples se sont soulevés à divers moments de leur histoire), Ribot laisse plus que jamais son militantisme infiltrer son univers musical. Si l’album fait appel à des vocalistes invité(e)s, le live offre un versant plus brut, plus direct et touchant aussi, des mêmes chansons (We are soldiers in the army, Come back Rosa Parks, qui cite aussi Lenny Bruce et Malcolm X, John Brown et son groove funk-blues-spiritual…) ainsi que d’extraits teigneux du répertoire de Ceramic Dog, formation présente au festival en 2014.
L’accent est mis sur le côté performer/chanteur du leader. On ne saurait s’en plaindre, tant les interprétations sont incarnées, tandis que les occasions de savourer son jeu de guitare ne manquent pas. L’humeur oscille entre dénonciation vigoureuse et accès de bienveillance et d’humanité, qu’il s’accompagne en solo lors d’une ballade douce-amère ou se fende d’un jeu rythmique et mordant lorsque la formation tourne à plein régime. Pour l’aider dans sa tâche, quelques complices attisent les braises, trouvant largement à s’exprimer, notamment les percussions : la musique prend plus d’une fois un aspect tribal. Le saxophoniste et flûtiste se cantonne pour sa part à un rôle de coloriste, esquissant des volutes ici, là des riffs, évitant les phrasés à rallonge. Tandis que gronde la contrebasse de Brad Jones, Ribot déclame un brûlot anticapitaliste rempli d’allitérations choc. Ce latin-jazz-punk-folk révolté, en prise avec l’Histoire comme avec l’actualité, éclabousse et galvanise l’auditoire de ses colères légitimes. On y retrouve des bribes d’Albert Ayler, autre libertaire patenté, le tropisme afro-cubain des Cubanos Postizos sans la légèreté, et le format chanson, certes secoué. En rappel un titre est dédié aux gays, lesbiennes et trans du Brésil, connaissant une période de répression sans précédent. Le fascisme est taillé en pièces, le citoyen invité à se mêler de son avenir. Résistance! Le propos est martelé. D’autres, il n’y a pas si longtemps, nous invitaient du même ton à nous indigner. Avec ce concert d’une grande intensité, le festival a débuté sous les meilleurs auspices. DC
Photos © Jazz em Agosto / Petra Cvelbar