JAZZ SUR LE VIF : BOJAN Z trio + NILS WOGRAM ; DAS KAPITAL

JAZZ SUR LE VIF : BOJAN Z trio + NILS WOGRAM ; DAS KAPITAL

Premier concert de la saison 2019-2020 concoctée par Arnaud Merlin, et affiche européenne, avec un quartette inédit rassemblé par le pianiste Bojan Z, précédé par le turbulent trio Das Kapital

DAS KAPITAL «Vive la France»

Edward Perraud (batterie, percussions numériques & accessoires divers), Hasse Poulsen (guitare, mando-guitare), Daniel Erdmann (saxophones ténor & soprano)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 20 septembre 2019, 20h30

Le trio présente sur scène une bonne moitié du disque «Vive La France» (Label Bleu / l’autre distribution), enregistré l’an dernier et paru au tout début de l’année. Le principe : des musiques de notre beau pays, de toutes les époques et de tous les genres…. Une vision patrimoniale (très) décalée qui mêle joie de jouer, ironie et maîtrise musicale. Le premier compositeur convié est Lully, et sa Marche pour la cérémonie des Turcs, composée pour Le Bourgeois Gentilhomme de Molière. Le thème est joué dans un esprit qui convoque le souvenir des musiques médiévales plus que le Siècle de Louis XIV. Et ça dérape, évidemment, c’est le charme de ces incorrigibles dynamiteurs : escapade free, et retour aux pompes du temps jadis. On se régale de tant de fantaisie dans une précision diabolique. Ensuite Hasse Poulsen annonce une composition d’un grand philosophe français (tendance disco !) : c’est Patrick Hernandez et son inoxydable tube Born to be Alive. Entre deux tranches d’un blues du meilleur aloi, magnifié par le guitariste et le saxophoniste, la mélodie devient une sorte de slow langoureux, avant qu’à la faveur d’un (beau) solo de sax ténor on enchaîne sur le Temps des cerises.

Pendant la balance

Puis c’est le répertoire de Cloclo, avec Comme d’habitude/My Way, joué avec des délicatesses à la Bill Frisell, de façon diaphane, dans des transparences pleines de lyrisme : métamorphose complète, une fois de plus, et jouissive pour le mauvais sujet que je suis, et qui ne goûte pas ce répertoire dans sa forme originelle. La Pavane pour une infante défunte est jouée comme un langoureux standard par Daniel Erdmann, mais l’on s’évade aussi. Au fil du concert le trio s’en donne à cœur joie : ici une petite intro de percussions électroniques, là un envol de la guitare vers les sons saturés, ailleurs un jaillissement du sax vers des lignes aventureuses…. Et toujours cette formidable cohésion que le risque jamais ne prend en défaut. Un clin d’œil à Brassens avec Le Temps ne fait rien à l’affaire (moins connu par son titre que par son refrain («quand on est con, on est con….»), une nouvelle plongée dans le passé avec Le Vertigo de Pancrace Royer, pièce pour clavecin du 18ème siècle passée à la moulinette, mais en conservant l’esprit des mouvements de la roue excentrique et du mal de mer qui l’accompagne, avec aussi quelques emballements punk du meilleur effet. Pour Ne me quitte pas Hasse Poulsen se saisit de sa petite guitare-mandoline électrique, jouant à l’archet (!) le thème qui me tire des larmes quand je pense au récit, par des témoins d’époque, des longues stations du Grand Jacques dans un bistrot de la Butte Montmartre, guettant l’immeuble d’en face où résidait celle qui l’avait éconduit…. Chaleureux rappel qui nous vaut un thème absent du disque, et l’on se dit que, décidément, cette musique se goûte encore mieux au concert, avec notamment l’extraordinaire gestuelle expressive, et 100% musicale, d’Edward Perraud. On en redemande !

BOJAN Z trio + NILS WOGRAM

Bojan Z (piano, piano électrique, effets), Thomas Bramerie (contrebasse), Arnaud Dolmen (batterie), Nils Wogram (trombone)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 20 septembre 2019, 21h45

Décidément européenne, cette soirée : après le trio qui associait un Danois et un Allemand au batteur français, voici Bojan Z, Bosno-Serbe d’origine, Yougoslave de conviction car très attaché à ce que fut l’unité des ces nations ensuite divisées par la guerre et la haine, et Français de nationalité depuis pas mal d’années. Il a rassemblé pour la circonstance un groupe inédit : son trio, avec un contrebassiste de Provence et un jeune batteur de Guadeloupe (qui remplace le Néerlandais Martijn Vink, rendu provisoirement indisponible par une blessure) ; et en invité un tromboniste allemand avec lequel Bojan joue régulièrement en duo depuis quelques années : Nils Wogram.

Pendant la balance

Le pianiste commence en trio avec une musique assez folle, une sorte de groove afro-caribéen tendance balkanique, avec influences états-uniennes, et parfois une bouffée de valse…. Puis c’est un duo entre Bojan et Nils Wogram, duo qui commence par des percussions du pianiste sur le bois, le cadre et les cordes du piano tandis que le tromboniste répond par des rythmes faits de souffle et d’attaques : spectateur, Arnaud Dolmen apprécie en connaisseur cette inventivité polyrythmique. Le piano électrique entre dans la danse, et c’est une sorte d’effervescence ‘à la Bartók’ : je sais, c’est presque une manie, mais souvent le jazz d’aujourd’hui me ramène à Bartók…. Puis c’est le quartette. On entre dans une sorte de claudication ‘à la Monk’, avant de s’évader vers d’autres horizons. Bojan Z nous parle de la France, qu’il a adoptée (et qui l’a adopté) voici plus de trente ans, et où lui est venu le goût du bon vin. Mais c’est en Serbie que, tout récemment, il a participé chez un ami à sa première vendange. Le quartette va jouer Good Wine, un thème que le pianiste avait enregistré voici quelques années en duo avec le tromboniste. On part sur un chabada détendu, la contrebasse joue le thème, et puis ça s’emballe dans une sorte de ‘sacre du rythme’ : je cède une fois de plus à mon innocente manie d’entendre Stravinski dans le jazz : c’est un peu pathologique, mais je me soigne ! Suivent deux compositions de Nils Wogram : des lignes harmoniques serrées et modulantes, un phrasé segmenté, des accents inattendus, distribués avec un profond goût du risque : ça marche, on est en pleine effervescence cursive, sur le fil, mais on sait qu’à la fin des multiples sauts périlleux on retombe sur ses deux pieds. Retour à une composition de Bojan, In Good We Trust : on est heureux d’adhérer à cette confiance dans le bien qui nous repose des invocations divines…. Là, ça chauffe sévèrement. J’ai l’impression que, dans sa jeunesse pas si lointaine, le pianiste a aimé le Herbie Hancock des années soixante-dix, époque «Fat Albert Rotunda» et suivantes. Mais peut-être est-ce là un effet de mon délire phantasmatique : une fois encore, j’assume. La contrebasse sonne comme une guitare basse, la batterie joue le groove à fond, le trombone en remet dans la chaleur communicative. Le chroniqueur jubile, comme le reste de la salle.

Rappel chaleureux, et plus que mérité, pour un peu de calme : une intro de piano solo tissée d’accords mystérieux, puis une valse triste sur laquelle Arnaud Dolmen, aux balais, va nous épater par un solo accompagné d’une finesse et d’une musicalité renversantes. On est au paradis !

Xavier Prévost

BONNE NOUVELLE : une partie des concerts de la saison trouvera sa diffusion au fil des mois sur France Musique, sans attendre les diffusions d’été, au rythme d’un concert par mois, voire plus, le samedi à 19h dans l’émission ‘Le Jazz Club’ d’Yvan Amar

Le concert de DAS KAPITAL a été diffusé le 12 octobre 2019. Réécoute en suivant ce lien 

Celui de BOJAN Z sera proposé ultérieurement

Et le 21 décembre sera diffusé le concert du groupe MOUTIN FACTORY, enregistré en mai dernier, et qui devait être à l’antenne le 20 août dernier. Mais ce jour-là le débord du concert classique qui précédait a entraîné l’annulation du programme.

La bonne nouvelle est tempérée par le fait que, si le ‘Jazz Club’ diffuse une fois par mois l’un de ces concerts, il se privera d’autant de captations de concerts dans les clubs….