La leçon d’apesanteur de Jean-Philippe Viret, Edouard Ferlet, Fabrice Moreau
Le trio Jean-Philippe Viret-Edouard Ferlet-Fabrice Moreau a donné un concert exceptionnel marquant la sortie de leur dernier CD « Ivresse ».
Edouard Ferlet (piano), jean-Philippe Viret (basse), Fabrice Moreau (batterie), Studio de l’Ermitage, mercredi 2 octobre 2019
Le premier morceau joué ce soir s’intitule « Entre deux rêves ». Le piano d’Edouard Ferlet explore des ambiances liquides, Jean-Philippe Viret se fraye un chemin sans se retourner dans un paysage tourmenté de sonorités bruitistes. Les deux instruments semblent cheminer côte à côte sans se regarder avant de se rapprocher insensiblement, tandis que les baguettes de Fabrice Moreau orchestrent ces retrouvailles. On pense à des danseurs de tango s’ignorant ostensiblement, puis se tournant autour, avant de se retrouver aussi imbriqués que tenon et mortaise. Il y a souvent quelque chose de la danse dans un très bon trio. Jouer avec, jouer contre, et surtout jouer à la frontière… Si l’on y réfléchit un peu, les figures musicales ne sont pas infinies. Ce qui compte, c’est donc la souplesse avec laquelle on évolue d’une situation à l’autre, la manière de bouger ensemble et d’anticiper les gestes de ses partenaires. Or, dans cet exercice le trio se révèle d’une agilité miraculeuse, télépathique. Ici, la virtuosité se double de l’expérience : ils jouent ensemble depuis dix ans, on le sent pour leurs réflexes communs, mais on ne le devinerait jamais pour la fraîcheur qui émane de leur musique.
La magie de ce trio repose aussi sur les complémentarités entre tous ces musiciens : entre le toucher incroyablement soyeux d’Edouard Ferlet, le chant plus âpre de Jean-Philippe Viret, avec ses graves admirables à l’archet, et un batteur , Fabrice Moreau, aussi habile à faire tomber la grêle qu’à régler la forme et les couleurs des nuages.
Les compositions sont des merveilles de délicatesse. Pessoa, composition de Fabrice Moreau, figure parmi les plus belles, avec sa manière de naviguer entre mélancolie et consolation. C’est dans les atmosphères oniriques que le trio semble évoluer avec le plus d’aisance. Le titre « Entre deux rêves » pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres compositions jouées ce soir. Mercredi soir, ce trio de danseurs-rêveurs a donné aux spectateurs de l’Ermitage une magnifique leçon d’apesanteur.
JF Mondot