JAZZ SUR LE VIF : les 30 ans du MegaOctet d’ANDY EMLER
Soirée mémorable au studio 104 de la Maison de la Radio pour le deuxième concert de cette saison imaginée par Arnaud Merlin. Le MegaOctet fêtait ses trente années d’existence, avec le groupe au complet en première partie, augmenté après l’entracte de trois musiciens qui ont participé à l’aventure au fil des ans.
Tout commence pendant la balance, ce moment où l’on règle la sonorisation de la salle, et les retours : le son de chaque instrument, le son d’ensemble, section par section, puis le tutti, : c’est le rôle de la sonorisatrice de façade. Le sonorisateur des retours se préoccupe de la façon dont chacun peut entendre le groupe sur scène par l’enceinte posée au sol, que l’on appelait naguère ‘bain de pieds’, et dont il règle les niveaux, voie par voie.
La balance, c’est aussi le moment des conciliabules musicaux entre les membres de l’orchestre, pour travailler un détail, soumettre une idée.
Le groupe, et ses invités, à la fin de la balance
ANDY EMLER MegaOctet «A Moment For…»
Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie), François Verly (percussions), Laurent Blondiau (trompette), Laurent Dehors (saxophone ténor), Philippe Sellam & Guillaume Orti (saxophones altos), François Thuillier (tuba), Andy Emler (piano, composition)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 12 octobre 2019, 20h30
Le concert peut commencer. Le programme choisi est celui du disque «A Moment For…», le plus récent, paru à l’automne 2018 et enregistré un an plus tôt (La Buissonne / Pias). Un programme également capté en juin 2017 au Paris Jazz festival (Parc Floral de Paris, Bois de Vincennes), pour le film Au son de sa voix de Stéphane Jourdain (disponible en DVD, La Huit édition/ESC distribtion). La musique est encore à fleur de peau, d’oreille et d’émois chez chaque musicien. C’est perceptible dès l’abord : les connivences croisées jouent à plein. C’est un jeu hyper collectif, où les expériences passées sont un vecteur de vitalité (François Verly et Philippe Sellam étaient dans le tout premier MegaOctet, en janvier 1990 -compte rendu par votre serviteur dans Jazz Magazine n° 392, avril 1990- tout comme Nguyên Lê, qui rejoindra le groupe pour la seconde partie de ce concert). Intervention-éclair de François Verly au marimba : on atterrit en fin de la première composition et l’on est déjà saisi : ils ne vont plus nous lâcher. Solo incendiaire de Laurent Dehors au ténor, tuba équilibriste de François Thuillier, sons extrêmes, et invention insensée, de Guillaume Orti, fluidité vertigineuse de Philippe Sellam, usage virtuose de la sourdine chez Laurent Blondiau qui nous donne une leçon d’expressivité, relances jubilatoires d’Andy au piano, et le tandem contrebasse-batterie, Claude Tchamitchian-Éric Échampard, qui mène la danse, soudé comme jamais, et fort du partage permanent dans le trio d’Andy Emler : on est conquis, un peu sonnés, on applaudit à tout rompre, et l’on sait qu’ils vont revenir dans vingt minutes.
ANDY EMLER MegaOctet & Guests «Just A Beginning»
Nguyên Lê (guitare), Thomas de Pourquery (saxophone alto, voix), Médéric Collignon (cornet, voix, flûte à coulisse)
Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie), François Verly (percussions), Laurent Blondiau (trompette), Laurent Dehors (saxophone ténor, cornemuse, clarinette basse), Philippe Sellam & Guillaume Orti (saxophones altos), François Thuillier (tuba), Andy Emler (piano, composition)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 12 octobre 2019, 21h45
Pour accueillir les invités, des nouvelles compositions : ce sera d’abord Just A Beginning, avec pour soliste Nguyên Lê, s’insérant dans les phrases de l’orchestre avant de prendre un envol de soliste qui, une fois de plus, va nous faire voyager loin. Decrescendo vers un duo batterie-percussions, et atterrissage en douceur, après des émotions fortes. Vient alors Médéric Collignon. On s’attend toujours, avec Médo, au comble de l’inattendu. Et une fois de plus il ne décevra pas notre attente : le cornet, privé d’embouchure, devient une sorte de flûte orientale, avant que de la voix il n’entreprenne un dialogue plein de tumultes et d’humour (de l’humour musical) avec Nguyên Lê. Son improvisation se fait dans une langue qui s’apparente au yaourt, c’est frais, fluide et plein de joyeux accidents qui nous laissent ébahis de surprise. Vient le tour du troisième invité, Thomas de Pourquery, lequel vient sur scène nous prévenir qu’il a un empêchement de dernière minute, et qu’il ne jouera pas. C’est une vanne, évidemment, il reviendra pendant que Laurent Dehors nous ensorcelle avec sa cornemuse, et il nous offrira un solo d’alto d’un lyrisme torride, en dialogue avec la section des souffleurs, puis dans un break incendiaire : Thomas tel qu’en lui-même, comme nous le rêvons sans pouvoir l’inventer…. Il va ensuite susurrer quelque chose qui ressemblerait au couplet des Feuilles mortes, et partir lui aussi vers des continents vocaux inexplorés. Tous vont se retrouver sur Crouch, Touch, Engage, du disque éponyme (Naïve, 2009), et nous allons encore en voir (en entendre surtout) de toutes les couleurs : dialogue survolté entre les sax altos, duo frénétique entre Médéric Collignon et Nguyên Lê, improvisation de Laurent Dehors sur une clarinette basse débarrassée de son bec, et qui produit des sons de flûte en sol, voire de flûte basse…. On n’est pas au bout de nos surprises (et pourtant nous étions prévenus).
Rappel plus que chaleureux du public, et les artistes reviennent pour un dernier tour de piste. Ils ont beaucoup donné mais ne sont pas avares d’énergie : en rappel ce sera 4/4 cm3 («Dreams in Tune», Nocturne 2004), tempo d’enfer, ténor torride de Laurent Dehors, et lent decrescendo vers une berceuse. Nous partons à regret, évidemment, mais le cœur content. Quelle soirée !!!
Xavier Prévost
Les deux parties de ce concert seront diffusées sur France Musique dans l’émission ‘JAZZ CLUB’ d’Yvan Amar les samedis 26 octobre et 2 novembre à 19h
Mais il se peut que mon interprétation soit erronée… C’est une partition graphique à 12 pistes présentée en un leporello (livre plié en accordéon) de 48 volets recto verso, soit 96 pages, avec les souvenirs des membres de l’orchestre sur l’histoire du groupe.
S’y adjoint un livret de 80 pages avec les témoignages de ceux qui ont accompagné cette aventure humaine et musicale, dont un texte de l’Ami André Francis, qui avait apporté sa contribution quelques mois avant sa mort.