Jazz live
Publié le 24 Oct 2019

Jazz, plages et orages à Jammin’ Juan : Ça commence fort

Du 23 au 26 octobre, Jammin' Juan propose une rencontre entre les professionnels de jazz de tous bords et des musiciens triés sur le volet pour leur qualité et leur éclectisme. Récit d'une première journée de musique avec des vagues plein les yeux et du jazz plein les oreilles.

Avec des airs de festival sans en être vraiment un, la première journée de cette troisième édition de Jammin’ Juan n’aura certainement pas déçu. L’aventure commence peu de temps après l’arrivée en gare du TGV qui, de Paris, sillonne la France dans toute sa longueur jusqu’à Antibes…

 

Neve-Nobel Duo

A peine le temps d’admirer les vagues que le programme très riche nous ramène à l’essentiel : au Palais des Congrès, le duo formé par le pianiste belge Jef Neve et le trompettiste hollandais Teus Nobel se prépare à monter sur la scène de  l’Espace Gould. Le premier morceau annoncé est hommage aux débuts électriques de Miles Davis… tout à fait acoustique, mais tout en suggestions et en subtilité, en ayant eu la bonne idée de ne pas pasticher leur modèle mais de s’approprier le mood si particulier et indémodable de Shhh / Peaceful. A la pulsation dissimulée mais toujours présente du piano un rien debussyien de Jef Neve répondent les murmures cristallins de Teus Nobel. Le premier, a qui la musique arrache quelques cris d’enthousiasme, est aussi expressif dans sa posture que sur son instrument, tandis le trompettiste, qui dans son combo blazer bleu-chemise blanche coupé au scalpel incarne une espèce d’image idéale du jazzman, intériorise beaucoup pour mieux faire rejaillir l’émotion dans des chorus d’une rare justesse. Complicité évidente entre le pianiste belge et celui qu’il présente, dans un français impeccable, comme son trompettiste préféré. On le comprend.

Il y a même de quoi ne pas se rendre compte qu’on pensait être venu voir le quintette de Josiah Woodson, décalé pour cause de retard de train du contrebassiste, piégé par les eaux d’un orage cataclysmique qui s’approche d’Antibes à grand pas…

Josiah Woodson & Quintessentiel

Cette fois la claque intervient dès le soundcheck, où, comme un numéro 9 brésilien dont l’échauffement laisse présager un sale quart d’heure pour La Défense un peu plus tard, le quintette de Josiah Woodson semblait en grande forme. Le moment de vérité arrivé, on a assisté à une monté en puissance au cours d’un set court (35 minutes !) mais bien construit où s’illustrent toutes les influences de cette formation qui ne choisit pas entre hard-bop et libertés métriques à la Five Elements, et qui n’a à rougir sur aucun des deux tableaux. Elle culmine avec un dernier morceau sur lequel les chevaux sont vraiment lâchés, et ces brillantes individualités rassemblées et un tout parfaitement rodé auquel les improvisations donneront le goût du risque qui fait les grands soirs.

Eve Beuvens et Mikael Godée Quartet

21h, premier set de longue durée de cette journée avec ce quartet emmené par la pianiste belge Eve Beuvens, accompagnée du bassiste Magnus Bergtröm et du batteur Johan Birgenius, et camarade de longue date du saxophoniste suédois Mikael Godée. Armé de son soprano, il porte l’essentiel des mélodies volontiers mélancoliques de leur répertoire d’une sonorité épurée qui invite à l’introspection. Mais on ne peut s’empêcher d’être attiré par la conversation musicale qui bruisse tout autour de lui, du jeu coloriste de Johan Birgenius et de Magnus Bergstrom jusqu’aux commentaires pianistiques d’Eve Beuvens, dont la palette va des touches de lumière minimalistes au dripping féroce.

Le quartette ne laisse pas douter un instant de la maturité d’une musique qu’ils développent depuis la fin des années 2000, dont côté mélodique dépouillé peut soudain glisser vers d’intenses échanges musicaux et où chaque chorus semble pouvoir déborder de la structure des morceaux subtilement dirigés par la pianiste. Et si elle contribue largement au répertoire de cette soirée (a l’image du superbe My TTT, inspiré d’une composition de  Bill Evans), elle s’est aussi montrée une redoutable soliste. Yazid Kouloughli