Jazz live
Publié le 31 Oct 2019

DAN TEPFER-LEON PARKER ‘Freedom Duo’

Retour au Sunside de Paris, rue des Lombards, d’un duo qui fut créé dans ce lieu en mai 2018, duo qui associe le pianiste Dan Tepfer au batteur-percussionniste Leon Parker, pour une musique totalement improvisée

Dan Tepfer (piano, mélodica), Leon Parker (batterie, percussions corporelles, voix)

Paris, Sunside, 30 octobre 2019, 21h

C’est pour moi une découverte : je n’assistais pas à la création au Sunside en mai 2018, ni au concert de l’Atelier de la Main d’Or le mois suivant ; et moins encore au concert de la Jazz Gallery, à New York, en novembre de la même année. Impatience amplifiée, donc, par une mélange de curiosité et d’espoir, mélange attisé par ce que je connais de ces deux musiciens. Le piano de Dan Tepfer entre en douceur par une espèce d’ostinato modal, bientôt rejoint par la batterie, en une sorte d’effraction douce. Le set de batterie est minimal, mais la richesse des timbres est impressionnante. Leon Parker joue à mains nues, et la tension rythmique monte ; les baguettes reviennent, c’est presque un calypso, accent contre accent. C’est un déséquilibre suave et jouissif des rythmes qui s’affrontent puis s’unissent. Suivra au piano une improvisation mélodique, très lyrique, sur des harmonies mouvantes. Le batteur a quitté son tabouret pour s’approcher des micros sur le devant de la scène, et c’est un festival de percussions corporelles : la main droite, au niveau du cœur, produit une timbre rond de tom, tandis que la droite, au-dessous du sternum, produit un son plus aigu et plus sec. La voix de Leon Parker s’en mêle, et sa bouche produit des chapelets de rythmes comme la musique indienne en conçoit. Dan Tepfer se sert à son tour du piano comme instrument de percussion, et l’effervescence rythmique va croissant, jusqu’à s’épanouir crescendo entre piano et batterie. C’est impressionnant d’inventivité, et de maîtrise, même si tout paraît un jeu : de la musique VRAIMENT vivante.

Dan Tepfer prend alors la parole pour expliquer que tout cela surgit de l’instant ; si Leon Parker et lui se parlent entre les concerts, ce n’est jamais de ce qu’ils vont jouer. Une charte en quelque sorte, pour préserver l’esprit de liberté qui préside à ce Freedom duo. Un récit détaillé de ce concert pourrait être fastidieux, car rendre compte du vivant et de l’instantané requiert trop de longues phrases. Au fil du concert la rencontre du mélodica (à la main droite, pendant que la gauche joue les touches du piano) et de la batterie produira un échange assez funky, dans le sens que le jazz donnait à ce mot à la fin des années 50 et au fil des années 60. Il y a une grande part de jeu entre les deux musiciens, quand par exemple Leon Parker lance de la voix des rythmes auxquels Dan Tepfer répond d’abord par un silence agrémenté de gestes chorégraphiés, avant que ne s’engage un dialogue très vif lequel, dans une decrescendo furtif, engendrera une coda mystérieuse : c’est la magie de l’improvisation.

Le second set commence par un jeu de rythmes entre cordes étouffées du piano et grosse caisse. La musique s’installe comme une sorte d’évasion vers un groove avec ruptures, surprises, délicieuses entorses à la carrure et pirouettes virtuoses. La batterie enchaîne avec des sons graves comme une marche funèbre, à quoi répond un mélodica mélancolique, puis c’est un emballement jusqu’à un final cut. Et ainsi de suite, de musique méditative en course de rythmes et de timbres, du fantôme de Schubert aux rythmes d’Orient, pour finir plein jazz, avec des accords de quartes qui rebondissent sur une batterie explosive. Soudain, la main gauche du pianiste pense à Bach pendant que la droite s’égaille en toute liberté, le tout arbitré en rythmes pertinents et sonorités mystérieuses par le batteur. Magie vous dis-je. Et en rappel, pour se souvenir d’où vient cette musique, une bouffée de Body And Soul.

Idéale soirée de musique ! Pour ceux qui n’avaient pas la chance d’être au Sunside, de larges extraits de ce concerts seront diffusés sur France Musique le samedi 9 octobre 2019 à 19h dans l’émission le ‘Jazz Club’ d’Yvan Amar. Le lendemain du concert le duo était attendu à Brasov, en Roumanie. Ensuite Dan Tepfer repartira pour Brooklyn, où il réside, et retrouvera Lee Konitz pour deux concerts en duo à la Jazz Gallery de New York le 9 novembre.

Xavier Prévost