Adam Ben Ezra – Le Funambule
Sur scène, un piano occupe l’angle gauche de la scène, laissant l’espace central à un minuscule clavier posé sur pied, et un ordinateur qui lui est sans doute connecté. Adam Ben Ezra, souriant, heureux de se retrouver sur une scène parisienne entame son concert (ou plutôt pourrait-on dire, son one man show) sans préambule. Puisant dans une world musique hors frontières, le contrebassiste s’appuie sur des boucles rythmiques qu’il a préalablement programmées, et mieux encore, qu’il échantillonne spontanément au fil de son inspiration. L’homme et ses instruments ne font qu’un. Faisant littéralement corps avec sa contrebasse, Ben Erza en utilise tous les possibles : au doigt, il développe des lignes mélodiques profondes, enrichit à la manière d’un guitariste de riffs et d’accords dans un esprit purement rock. Sa voix s’en mêle, nous livrant un chant puissant renforçant ces parfums mondialistes, qui nous font voyager de l’Afrique aux Indes, avec comme point d’ancrage, ses racines andalouses. L’intensité monte crescendo, chaque morceau s’enrichissant à la seconde près, d’échantillonnages d’une précision inouïe, soit par des percussions à mains nues sur le corps de sa contrebasse, soit par des vocalises qui se superposent à l’infini, ou encore par l’ajout d’harmonies efficaces, qu’il interprète à l’archet. Même au piano, utilisé le temps d’un titre enjoué, Ben Ezra, comme un funambule en équilibre sur sa corde, maitrise son art sans en perdre le timing.
Passé le temps de la sidération, occupé à comprendre ces techniques de mise en place sonores et leur virtuosité d’exécutions, on se laisse vite happer par ce voyage planétaire. Chanté en plusieurs langues, ce voyage prend encore plus d’ampleur avec l’apparition du premier invité, le saxophoniste Thomas De Pourquery. Le duo, pour deux titres largement ouverts sur l’improvisation, nous offre un moment de connivence rare et chaleureux. De Pourquery en profite pour délivrer un solo d’une superbe intensité le temps d’un instrumental enlevé, avant de délaisser son instrument pour nous toucher, tel un crooner habité, par une ballade sensuelle et profonde où le jeu d’archet de Ben Ezra fait des merveilles.
Le second set va se poursuivre dans un esprit similaire, illuminé par la présence du pianiste Thomas Enhco, le temps là aussi, de deux pièces mémorables. La première, dans une veine swinguante, monte hautement en puissance propulsée par les battements rythmiques échantillonnés par Ben Ezra. Aussi à l’aise que De Pourquery, Enhco se fond dans cet univers particulier avec un naturel confondant. Confronté aux boucles et autres enchevêtrement mélodiques, le pianiste s’épanche au gré d’une longue et superbe improvisation qui provoque l’enthousiasme de la salle. Le second titre calme les esprits. Mais là encore, la complicité des deux musiciens fait merveille, et nous offre un moment intimiste, les machines semblant presque s’effacer, laissant le talent des deux musiciens s’exprimer pleinement.
Musique inclassable, toujours dynamique, ce voyage intense mélange jazz, world, et même de flamenco, nous aura une fois encore autant surpris que séduit. Un plaisir à prolonger avec le prochain album de ce multi-instrumentiste hors norme dont la sortie du nouvel album “Hide And Seek” est prévu en Mars 2020.
Jean-Pierre Vidal