Jazzdor : la “Renaissance” d’Ikui Doki
Après avoir revisité les formes évanescentes et les subtilités harmoniques de la musique française du début du 20e siècle au prisme du jazz et des musiques improvisées, le trio Ikui Doki constitué d’Hugues Mayot au saxophone ténor et aux clarinettes, de Sophie Bernado au basson et de Rafaëlle Rinaudo à la harpe électrique, a choisi le cadre intimiste et chaleureux du festival Jazzdor pour nous présenter en avant-première son nouveau répertoire énigmatiquement intitulé “Suzanne un jour” et consacré cette fois à la musique de la Renaissance. Intégrant pour l‘occasion la chanteuse suédoise Sofia Jernberg à son dispositif instrumental minimaliste et funambulesque relevant d’une sorte de (free)jazz de chambre d’une grande délicatesse tant au niveau des dynamiques sonores que de l’alliage de timbres, le groupe en une petite heure de musique sophistiquée, alliant à une précision d’orfèvrerie dans les arrangements une liberté expressive réjouissante, a revisité à sa manière une poignée d’œuvres anonymes du 16e siècle européen ou signées par de grands compositeurs comme Froberger, Dowland, Purcell ou encore Monterverdi… Radicalement dé-construites avec un brin d’irrévérence canaille ou simplement ré-envisagées à l’aune de l’improvisation libre (de ses techniques de jeu et de son vocabulaire…), ces pièces d’une grande richesse mélodique et contrapuntique en ressortent le plus souvent chahutées et métamorphosées dans leur forme mais totalement respectées dans leur esprit et leur propos. La mélancolie de la musique élisabéthaine est toujours perceptible dans les vocalises de Jenrerg poursuivant le geste émancipateur des grandes divas de la musique improvisée européenne ; l’allure martiale et solennelle de l’ouverture de l’“Orfeo” de Monteverdi transparait avec éclats dans la lecture éclatée et kaléidoscopique qu’en proposent les quatre musicien.e.s ; et plus globalement c’est toute la dimension populaire et “ethnique” de cette tradition que le quartet parvient à restituer dans ses interprétations iconoclastes sans jamais lui faire perdre pour autant son raffinement formel et langagier… Si l’ordre des morceaux reste encore à peaufiner et l’équilibre à trouver sur la longueur entre énergie et précision, ce nouveau programme est une belle réussite qui offre à Ikui Doki une matière de choix pour approfondir toutes les potentialités contenues dans son orchestration si délicieusement atypique.
Stéphane Ollivier