Révolution au château
A la fin du concert, quand les musiciens, se tenant par l’épaule et pliés en deux, remerciaient le public de leurs généreux applaudissements, une voix s’éleva dans la salle pour demander au leader « Pourquoi “Révolution” ? ». François Corneloup esquissa alors non pas un pas de danse mais une pirouette verbale pour inviter le hardi questionneur à faire lui-même sa propre réponse. Elle n’était pas, selon moi, dans la musique qu’on venait d’entendre et encore moins dans les liner notes de l’album éponyme (“CHOC” Jazz Magazine n°723, décembre 2019-janvier 2020), remplacées par des “liner photos”, portraits en gros plans de chacun des quatre partenaires de Corneloup (bs), Sophia Domancich (cla), Simon Girard (tb), Joachim Florent (elb) et Vincent Tortiller (dm).
Une façon de faire comprendre que, pas besoin de paroles fumeuses, « le jazz, c’est comme les bananes, ça se consomme sur place » (Jean-Paul Sartre). Sans en rajouter sur une formulation qui n’est guère à la gloire de la figure française de l’existentialisme, on dira quand même que le menu offert ce soir-là dans le médiéval château d’Eymet (Dordogne), métamorphosé en club de jazz tous les deux samedis d’octobre à mars (http://www.maquizart.com), par Laurent Pasquon et ses amis bénévoles de Maquiz’Art, pouvait se déguster en deux parties. La première débuta, non pas perchée sur Un Arbre (ainsi s’intitule un des morceaux de “Révolution”), mais par deux notes jouées et répétées en deux tons par Joachim Florent, pour poser tout ce qu’on va entendre par la suite sur une fondation rythmique de base et de basse. Comme pour donner l’exemple, Corneloup et Girard, chaloupant et dansant, faisaient écho avec leur corps tandis que Sophia Domancich paraissait lunaire, contrastant avec le noir du fond de scène. Révolution/Evolution, c’est sur ce couple que s’est jouée cette première partie, j’ai presque envie d’écrire un couple binaire, à la fois pour caractériser les associations entre musiciens et la pulsation rythmique prépondérante. Beaucoup de liberté et de diversité dans ces occupations plurielles d’un espace musical où tout paraissait se dérouler comme des rencontres, fugaces par moments, étirées à d’autres, parfois les deux conjuguées et contrastées, par exemple trombone lent face au couple baryton/batterie rapide.
Il y eut aussi des moments de douceur pure et de gravité pleine, surtout avec François Corneloup, la vitupérance étant plutôt le fait de Simon Girard, alors que la virtuosité de Joachim Florent faisait parfois sonner sa basse comme une guitare. On ne peut oublier la pulsation obsédante de Vincent Tortillier, ni la discrétion pertinente de Sophia Domancich. Si trois morceaux ont formé la première partie d’une prestation riche en démultiplications, un seul suffit à remplir la seconde, où la dominante rythmique s’estompa (sans disparaître) au profit d’associations mélodiques confinant à la fugue. Peut-être s’agissait-il d’une exploration de Strange Stuff, ceci corroboré par une Sophia Domancich jouant les capitaine Nemo à bord de son Nautilus, conduisant son embarcation des profondeurs dans une sorte de stratégie d’évitement des obstacles. Belle trouvailles harmoniques, valse sous-jacente (Avant la danse ?) dans cet univers fluide où tout traçage de démarcation ou d’identification s’avère aussi inutile qu’impossible. Autant se laisser bercer, ou se laisser aller au rythme de Tomorrow Never Knows, des Beatles, repris en concert comme sur l’album : ouvrir pour conclure… et réciproquement !
François-René Simon
Photos © Joël Delayre