BLUE YONDER au Périscope de Lyon
BLUE YONDER
Mercredi 19 Février, Le Périscope, Lyon
Guillaume Orti saxophone alto, mezzo-soprano en Fa et Baryton.
Bruno Ruder piano et synthé basse.
Emmanuel Scarpa batterie et compositions.
De passage à Lyon pour quelques jours, installée dans le quartier en pleine rénovation de la Confluence, je m’avise que la scène Jazz du Périscope, rue Delandine, programme le trio Blue Yonder du batteur Emmanuel Scarpa avec Guillaume Orti aux divers saxophones et Bruno Ruder au piano et synthé.
Ouvert en 2007, le Périscope a l’avantage d’être une salle de concert, un lieu de résidence avec des locaux de répétition, un café culturel. Une programmation de près de 150 concerts par an, du jazz et des musiques improvisées mais aussi du rock indé, du hip hop, des musiques électroniques…Sans principe vraiment arrêté, selon les circonstances, avec pas mal de jazz entre novembre et mars.
Ce Pôle de musiques actuelles était “un drôle d’endroit pour une rencontre” à sa création, certes tout près de la gare de Perrache, mais dans un quartier en perdition, derrière les voûtes lyonnaises et deux prisons disparues depuis.
Un lieu clandestin qui plongeait tel un sous-marin dans l’underground, un lieu résistant bien ancré dans ce tissu urbain, aujourd’hui en pleine rénovation immobilière, avec des réalisations qui vont jusqu’à la pointe de la presqu’île, au superbe musée de la Confluence, un cristal de nuage entre Saône et Rhône.
Comment présenter ce groupe Blue Yonder, au titre improbable et poétique? Une drôle de nuance de bleu, en jazz, on connaît, un bleu qui va au-delà, un bleu horizon, un outre bleu? Le batteur Emmanuel Scarpa a écrit une musique des lisières, finement composée, maîtrisée dans ses formes en miroir, en “canon” (c’est le titre d’une des plus belles compositions) qui serait le premier volet d’une trilogie, suivie d’un Radical Red plus révolutionnaire. Et tout naturellement, la réunion du bleu et du rouge donnerait enfin naissance à une troisième partie, évidemment “Purple”.
En attendant, nous n’écoutons que le premier chapitre déjà écrit que l’on ne programme que trop peu, hélas, qui a vu le jour, ici même il y a 5 ans, dans le cadre du Rhino jazz festival. Six dates en cinq ans, les années bissextiles, annonce dépité mais pas désespéré, Emmanuel Scarpa.
Et moi de penser, ce soir, ce serait plutôt Blue Wonder, car, au regard de la maigre diffusion, voilà un programme singulièrement original réservé à des happy few!
Une musique expérimentale, contemporaine comme les aime le batteur qui collabore à de nombreux groupes dont la Forge, le collectif local de François Raulin, Michel Mandel, Pascal Berne, participe à Umlaut, a joué dans ce mini big band impressionnant de Radiation 10 (avec Bruno Ruder, lui aussi de la région).
Pas vraiment de thèmes et solos dans cette musique de tension-détente, de répétition-rupture qui évolue au cours de la soirée, l’improvisation créant la forme dans laquelle les trois se glissent avec aisance. L’interaction est palpable, la musique se crée à chaque instant, élan continu en recherche d’un équilibre, souvent instable. Parfois, le morceau s’arrête, comme s’il tournait court mais c’est ainsi, il faut passer à autre chose, ne pas broder des variations inutiles, même mélodieuses. Surviennent aussi des moments de grâce où quelque chose se dénoue, une aptitude à saisir la fragilité de l’instant, à vivre la musique dans l’urgence d’une déclaration.
Et ce n’est pas un cliché que d’affirmer que ce triangle est parfaitement équilatéral, pas une rythmique puissante au service d’ un soliste. Ils ne sont que trois mais on ne sait parfois où tendre l’oreille tant leurs voix se conjuguent, alternant, superposant, se redistribuant les rôles. Au baryton, le saxophoniste joue une basse continue et cet ostinato assez doux permet au pianiste de prendre la main, la gauche en particulier. Une belle circulation, où par ces permutations, ils s’épaulent l’un l’autre, complices.
Le trio joue acoustique, s’adaptant ainsi au lieu capitonné de rideaux qui demande un son particulier, exigeant de jouer retenu. Emmanuel Scarpa, s’il dispose d’un set plutôt développé, drive énergiquement tout en restant sobre, d’une précision sèche aux baguettes, avec un woodblock (en plastique!) qui résonne, imprimant un claudiquement de sabots. Sa frappe imperturbable martèle l’ensemble, impose une cadence martiale, suivie par le piano très percussif, en accords plaqués de Bruno Ruder. Généreusement expansionniste, car il ne prend pas le pouvoir mais sait brouiller les lignes, dans son jeu entre parties écrites et improvisées.
Jamais ou très peu de moelleux au début de ce concert pour le saxophoniste qui, toujours attentif aux timbres et textures sonores, explose ses phrasés en fragments éructés, disloqués, hoquète de petits motifs répétés jusqu’à la transe.
Au départ, quelque peu déroutée par un manque de fluidité assumée, une obstination qui ne me semble pas toujours nécessaire, il faut un peu de temps pour rentrer dans la ronde, de cette “ritual danse” qui porte bien son nom. Et puis le saxophone ne fait pas que feuler ou exploser dans l’aigu, parfois il s’envole, s’allie au piano dans un passage entre ombre et lumière, un dialogue insolite ne manquant ni de force ni de délicatesse. Avant que la batterie ne les rejoigne, accompagnant sans surligner cette ritournelle sous influence.
Intense, persistante, la musique fait son effet, en dépit de tout dans une circularité des morceaux qui s’enchaînent comme dans une suite, en la belle continuité d’une construction habilement mise en place.
En conjuguant leurs talents et leurs parcours respectifs, cette triple entente agit dans la vitalité du rock, les accents étranges et inquiétants du progressif, le groove du jazz et une écriture savante.
Tel est ce trio convainquant, que l’on souhaiterait entendre beaucoup plus souvent! Avis aux programmateurs!
Sophie Chambon