À l’affiche du 15 mars : Stan Getz, Eddy Louiss, René Thomas et Bernard Lubat
Coronavirus oblige, voici ces pages réduites au silence qui a gagné les salles de concert. Mais un 15 mars sans concert, c’est trop triste. Remontons dans le temps, le 15 mars 1971, Stan Getz profitait d’un engagement au Ronnie Scott Club de Londres pour se faire enregistrer trois jours durant avec son nouveau quartette : Eddy Louiss à l’orgue, René Thomas à la guitare, Bernard Lubat à la batterie.
En 1969, Stan Getz quitte les Etats-Unis et s’installe à Malaga en Espagne, le temps d’une année sabbatique. Vie de famille, désintoxication… Il prend goût au tennis et, en juin 1970, se rend à Paris pour assister au tournoi du stade Roland-Garros. À cette occasion, il raconte : « Comme un criminel revient sur les lieux du crime, je me suis rendu au Blue Note [à l’époque rebaptisé l’Apollo] où j’avais joué trois fois par an de 1959 à 1961. Je m’étais laissé dire que le jazz en France était mort et, en effet, le club était presque vide. Mais lorsque je suis entré, je suis resté bouche bée. J’entendais là un jazz qui swinguait méchamment, où chacun jouait comme en immersion profonde. C’était Eddy Louiss à l’orgue, René Thomas à la guitare et Bernard Lubat à la batterie. Je suis rentré à Malaga en gardant dans l’oreille cette musique, trouvant désolant que les foules ne s’intéressent qu’aux artistes américains de renom sans tenir compte de la qualité de la musique. J’avais toujours porté une grande affection à René Thomas, continuateur de l’œuvre de Django Reinhardt, un esprit charmant combiné à une poésie insouciante et habitée par le feu tellurique manouche. Eddy, c’était quelque chose d’autre encore, un volcan de talent et puissance toujours prêt à entrer en éruption sitôt stimulé par le séisme adéquat. Bernard, premier prix de percussion classique du Conservatoire de Paris, était capable de toute la flexibilité nécessaire pour faire advenir la musique que j’avais à l’esprit. […] Et vous savez que je n’ai pas la réputation d’être indulgent. » Le saxophoniste revient donc à Paris pour quelques jours impromptus de rodage au Chat qui pêche. « Ce qui advint s’avéra unique et je décidai de faire connaître ces musiciens au reste du monde. »
Et ce n’est pas seulement une rythmique qu’il adopte et emmène outre-Manche, c’est un groove et un répertoire original signés Louiss-Thomas-Lubat. Le lyrisme du saxophoniste se coule à merveille dans ces mélodies tendres et torrides, bondit sur le groove océanique de l’orgue swinguant sous les grains et les coups de vent de Bernard Lubat, avec parfois d’étranges accalmies dans l’œil du cyclone. L’enregistrement ne favorise hélas pas René Thomas et l’on regrettera de ne pas disposer d’enregistrements ultérieurs réalisés dans de meilleures conditions, mais le disque “Dynasty” qui en résulte au catalogue Verve compte, malgré tout, au nombre des plus grands disques du grand Getz. On jettera aussi un coup d’œil sur Dum ! Dum ! que l’Ina nous donne à voir et à entendre sur son site (voir ci-dessous, sans vous laisser intimider par la présentation de Roger Pierre). Et en cherchant bien sur internet, vous pourrez aussi voir une vidéo médiocre, mais au son acceptable, du trio d’Eddy Louiss, qui rend pleinement justice à René Thomas sur le même Dum ! Dum ! précéda de Thème for Manuel, composition du guitariste que l’on retrouvera avec une meilleure qualité d’image sur le site de l’INA, mais cette fois-ci avec Jean-Louis Viale à la batterie.
De retour aux États-Unis, le goût de jouer lui étant revenu, Getz recontacta Chick Corea dont il avait apprécié la collaboration en 1967, le pianiste étant entre temps devenu adepte du piano électrique et en train de monter son premier Return to Forever. Le saxophoniste entraina une partie du groupe (Stanley Clarke et Airto Moreira), y ajouta Tony Williams et, en leur compagnie, enregistra le quintette en studio (“Captain Marvel”) et le quartette sans Moreira en concert à Montreux, avant une nouvelle pause de trois ans. Franck Bergerot