Paul Jarret et Emma annulés
Le guitariste Paul Jarret, dont le concert avec Jim Black du 22 mai à Jazz sous les Pommiers vient d’être annulé en même temps que l’ensemble du festival, devait dévoiler son projet “Emma” ce soir 1er avril à Nanterre, dans le cadre du festival La Terre est à nous.
Un projet “le jazz mais pas que”… du côté des “musiques du monde”. Paul Jarret est un guitariste très “jazz mais pas que” comme en témoignent les multiples groupes qu’il anime avec une grande détermination : son quintette PJ5, Ghost songs avec Jim Black, Persona (trio avec la rythmique de PJ5, soit le contrebassiste Alexandre Perrot et le batteur Ariel Tessier),
Sweet Dog (trio “radical” avec le saxophoniste Julien Soro et le même batteur)… Ce printemps, il était attendu au sein du projet Ophelia de la chanteuse-compositrice Ellinoa à Paris au Pan Piper et à Guidel (L’Estran), avec Arnault Cuisinier, Élise Caron et Edward Perault à Vézelay (La Cité de la voix)… Enfin, il devait célébrer au New Morning la sortie du disque d’“Emma” avec le quartette du même nom à l’affiche pas plus tard que ce soir 1er avril à Nanterre. Tout ceci, évidemment annulé
Ses influences ? Le jazz, il y est venu sur le tard, marqué d’abord par le rock alternatif anglais et suédois, les musiques traditionnelles d’Europe du nord et la musique ancienne, les compositeurs français et américains du XXe siècle. Au sein d’Emma, il revisite la partie de sa culture qu’il doit à sa mère suédoise et la musique qu’il crée avec la chanteuse Hannah Tolf, la joueuse de nyckelharpa Éléonore Billy et le contrebassiste Étienne Renard. Un projet qui n’est pas très éloigné de certaines des musiques que Manfred Eicher va chercher en Scandinavie pour son label ECM et que l’on entend également sur le label norvégien Hubro, musiques dont il faudrait retracer les origines communes avec celles du jazz en partant de cet Ack Värmeland du Sköna que Stan Getz apprit en 1951 en Suède au contact de la génération de Lars Gullin, le sax baryton suédois, et ramena aux Etats-unis sous le titre de Dear Old Stockholm. Une histoire qui prendra un tour tout à fait différent avec l’installation à Stockholm dans la seconde moitié des années 1960 de George Russell, le père du jazz modal, sa rencontre avec Jan Garbarek, la rencontre de ce dernier avec Manfred Eicher… S’il l’on a beaucoup entendu de violon traditionnel norvégien sur ECM – le violon hardanger à cordes sympathiques –, on y trouve aussi quelques échos de la Suède avec la chanteuse et violoniste Lena Willemark et le nyckelharpa de Marco Ambrosini.
Au sein d’Emma, c’est de ce nyckelharpa qu’il s’agit, sorte de vielle à roue qui aurait conservé le clavier mais dont la roue aurait été remplacée par un archet, le mot nyckelharpa signifiant violon à clavier. Un instrument d’origine médiévale qui se prête à des effets de polyphonie évoquant les musiques anciennes et baroques. Le projet d’Emma est d’évoquer – sur fond de mouvements migratoires contemporains – l’exode massif qui, au cours des XIXe et XXe siècles, vit de nombreux Suédois fuir la famine jusqu’aux Etats-Unis où l’arrière-grand-mère de Paul Jarret, Emma Jonasson, résida quelques temps avant de retourner au pays fonder une famille en 1910. On est loin des standards de l’American Songbook, loin du fun de la world music tropicale, mais au plus près de cette profonde tradition orale suédoise, sous le regard grossissant de musiciens ayant acquis cette faculté d’initiative dont le jazz aura été le grand modèle du XXe siècle, ainsi que sous le prisme des musiques de chambre et vocales du XXe siècle (le premier John Cage, Giacinto Scelsi, Morton Feldman, Arvo Pärt…). Cliquez sur l’image ci-dessous pour avoir quelque avant goût de ce concert qui nous était promis ce soir et de ce disque dont la parution est repoussée au mois de juin. Franck Bergerot
PS: un clin d’œil aux fans d’Art Farmer et particulièrement à ceux qui aimèrent le disque “To Sweden with Love” (avec Jim Hall, Steve Swallow et Pete La Roca). Lorsque sortira le disque “Emma”, ils redécouvriront la chanson De Salde Sina Hemman sous un titre différent Amrikavisan (ainsi que la jouait également le pianiste Jan Johansson), chantée a capella par Hannah Tolf dans la bouleversante nudité de cette mélodie qu’avaient transfigurée nos quatre Yankees.