Ellis Marsalis et Bucky Pizzarelli s’en sont allés
Ellis Marsalis, une dynastie néo-orléanaise
Fils de l’homme d’affaire et activiste Ellis Marsalis Sr., le pianiste Ellis Marsalis Jr. était né en 1934 à La Nouvelle-Orléans. Non content d’être à la tête d’une descendance conséquente – le saxophoniste Branford (né en 1960), le trompettiste Wynton (né en 1961), le poète et photographe Ellis III (né en 1964), le tromboniste Delfeayo (né en 1965), le vibraphoniste Mboya Kenyatta (né en 1971) et le batteur Jason (né en 1977) –, il fut un important transmetteur du grand héritage néo-orléanais, notamment auprès de Terrence Blanchard, Donald Harrison, Nicholas Payton qui suivirent son enseignement au New Orleans Center of Creative Arts. Il enseigna également à l’University of New Orleans et à la Xavier University of Louisiana, et fut nommé en 2007 Docteur honoraire de la Tullane University et donna son nom à l’Ellis Marsalis Center for Music.
Après le saxophone, il étudia le piano classique à la Dillard University d’où il sortit diplômé en 1955. On put l’entendre dès 1958 au sein de l’Original American Quartet avec notamment le clarinettiste Alvin Batiste et le batteur Ed Blackwell, auprès d’une autre figure de la batterie néo-orléanaise James Black au sein du groupe du chanteur Johnny Adams. En 1962, il fait un passage au sein du groupe des frères Adderley et l’année suivante, il grave une dizaine de titres à la tête de l’Ellis Marsalis Quartette, toujours avec James Black.
Sa présence dans les discographies reste sporadique jusqu’à l’enregistrement en 1978 de “Solo Piano Reflections” publié sur un ELM Records à La Nouvelle-Orélans, mais qui sera réédité dix ans plus tard par CBS-Sony au Japon. Entre temps, Branford et Wynton ont attiré l’attention du public et des médias sur le nom de Marsalis, et l’on dispose de faces live de 1980 de l’orchestre d’Art Blakey avec Wynton et son père au Bubba’s Restaurant de Fort Lauderdale, suivi en 1982 par “Fathers & Sons” de Wynton avec Branford, leur père Ellis et son vieux compagnon James Black. Les fils auront d’autres occasions d’inviter leur père qui répondra également aux invitations de Courtney Pine, Marcus Roberts, Kermitt Ruffins et Harry Conick Jr., lui-même en laissant une dizaine de disques sous son nom. Réécoutons son “Ellis Marsalis Trio” enregistré en 1990 pour Blue Note avec Robert Hurst et Jeff Watts.
Bucky Pizzareli ou le discret plaisir de jouer
Quoique plus vieux de huit ans (il est né en 1926), John Paul “Bucky” Pizzarelli semble d’une toute autre génération, mais fait également figure de passeur entre les pionniers de la guitare jazz Eddie Lang, Carl Kress, Dick McDonough… et ses fils John (guitariste) et Martin (contrebassiste). Son rattachement à l’ancienne école tient à deux facteurs trompeurs. Le premier est qu’il fit un début de carrière dans l’anonymat des big bands, assigné à jouer les quatre temps à l’arrière plan des sections de cuivres et saxophones. L’autre, c’est son intérêt, certes tardif, pour la guitare sept cordes, nous ramenant à une époque où l’accordage des guitares faisait l’objet d’expérimentations héritées du passage du banjo cinq cordes au banjo et à la guitare ténor, le grand spécialiste de la sept cordes, George Van Eps, étant le fils du joueur de banjo Fred Van Eps, pionnier du ragtime enregistré.
Il grave ses premiers disques au sein du big band de Vaughn Monroe, puis gagne en visibilité à partir de 1951 auprès du chanteur, accordéoniste et organiste Joe Mooney. En 1958, il participe à un “Banjorama” du banjoist-guitariste, Carmen Mastren, ancien membre du big band de Tommy Dorsey. Il commence à tourner avec Benny Goodman, enregistre avec Toots Thielemans, Bobby Hackett, Rex Stewart,tout en faisant carrière dans les studios du rock et de la pop music dont les séances requièrent souvent plusieurs guitaristes simultanément, ce qui lui permet de côtoyer ou d’alterner avec Al Caiola, Mundell Lowe, George Barnes, Kenny Burrell ou Tony Motolla. Si l’on y ajoute les séances TV, il ne trouvera le temps d’enregistrer un premier disque sous son nom qu’en 1960 pour Savoy, “Midnite Mood”.
Dans les années 1970, alors qu’il vient d’adopter la guitare sept cordes en prenant conseil auprès de George Van Eps entendu dans un club new-yorkais, il monte un duo avec George Barnes, pionnier de la guitare électrique de sept ans son aîné, se plaisant à soutenir les solos de son interlocuteur : « Il adorait prendre des solos et j’étais ravi d’avoir quelqu’un avec qui jouer et de pouvoir ainsi apprendre à maîtriser ce monstre à sept cordes. Rien n’était écrit. Nous répétions même séparément, parce que nous étions l’un et l’autre déjà pris par divers engagements en journée. On ne se retrouvait que le soir. Je connaissais les accords, il connaissait la mélodie. Et lorsque je prenais un solo, c’était en accords tandis que George jouait la ligne de basse. »
La personnalité de Bucky Pizzarelli restera à rechercher derrière son goût pour l’éclectisme. Comme il le confia à Robert Yelin pour Guitar Player : « Quel que soit ce que je joue, je le joue pour le plaisir. Je n’ai pas de musique favorite. J’aime jouer des chansons des Beatles aussi bien que du Villa Lobos. Les Allman Brothers, n’est-ce pas merveilleux ? J’aimerais bien apprendre ses solos de Duane Allman. J’aime aussi les chansons de Stevie Wonder et Roberta Flack. » Interrogé sur ses guitaristes de jazz préférés : « Ils sont si nombreux, mais Barry Galbraith m’a beaucoup motivé. Il a le plus grand sens du voicing tant en solo qu’en guitare rythmique. Son sens du tempo est incroyable. Mais j’aime toute sorte de guitaristes, des classiques à Chet Akins, de Pat Martino à Thumbs Carllile. » Aussi ne faut-il pas s’étonner de le croiser auprès de Miles Davis, le 12 janvier 1968, lors de l’une des toutes premières séances de Miles Davis avec guitare (Fun sur l’album “Circle in the Round »). Conseil d’écoute : Zoot Sims “Somebody Loves Me” avec Bucky Pizzarelli, Milt Hinton et Buddy Rich (Groove Merchant, 1974). Franck Bergerot